Arditi et la tirade d’anti net

Le 21 décembre 2009

Quand Franz-Olivier Giesbert fait une émission sur Internet, il invite Laurent Joffrin, Elizabeth Levy, Guy Sorman et Arditi. Que des fins connaisseurs des réseaux. Seul face à eux, Birenbaum est là pour en prendre plein la tête.

Cracher sur Internet, on peut le faire même si on n’a jamais ouvert un navigateur de sa vie. Dans une émission de Franz-Olivier Giesbert de décembre 2009, Pierre Arditi et quelques autres habitués des plateau TV se payaient le Net sans le connaître vraiment. Cet article de Sébastien Musset date du 21 décembre 2009 mais les élites du petit écran n’ayant toujours pas fait leur migration vers le web, cet exemple est toujours d’actualité.

Les Médias traditionnels sont-ils contaminés par internet ?

Je plaide coupable. Alors que je suis sur le chemin d’un sommeil réparateur, tenté par un tweet que Guy Birenbaum envoie depuis les coulisses vers 22 heures, je me fade l’énième débat du genre vendredi soir sur France2.

Et pas de raison que je garde ça pour moi.

Dans la série c’est pas parce que j’ai rien à dire sur internet que je vais fermer ma gueule à la télé, le dernier numéro de “vous aurez le dernier mot” (le premier et tous les autres aussi) de Franz-Olivier Giesbert a frappé un grand coup (dans le vide).

Invité d’honneur (de leçons) : Le comédien Pierre Arditi

L’acteur en connaît un rayon dans la casso-technologie. Au sujet d’internet, il a déjà fait parlé de lui pour avoir participé à la lettre des artistes de gôche envoyée au PS en mai dernier. La pompeuse missive reprochait à l’opposition de retarder le vote de la loi “Création et Internet“.

C’est vrai quoi… flûte enfin ! Avec un gouvernement, une assemblée et un sénat à droite, que de temps perdu avec ces procédures démocratiques !
23h30. Tous les éléments sont réunis pour que l’acteur, piégé dans le paradoxe de Séguéla1 , se lâche sur la bête immonde.

L’émission

Alibi culturel à forme de talk-show bordéleux, tiraillé entre la variétoche à clappements compulsifs et l’émission de fond, ratant haut la main l’un et l’autre.

Le reportage introduisant le débat

Un résumé des dernières polémiques dites du net : L’auvergnat de Brice, Rachida qui fait la maligne et le bon goût mulsumano-vestimentaire de Nadine. Le journaliste en charge de la traditionnelle propagande anti-réseau oublie de préciser que les séquences incriminées proviennent pour la plupart de la télé. Dans le cas de la casquette et du verlan, l’intéressée s’est justifiée en publiant, sur internet, la séquence dans son intégralité.

Les invités (configuration souricière standard) :

- Les “têtes dans le mur” :
Laurent Joffrin dit barbichu et Élizabeth Levy aka tort moi jamais jouant une partie pas facile : casser du net tout en casant de la pub pour leurs sites respectifs. Internet c’est caca sauf causeur et libé.
- Le penseur qui la joue plus fine que finkie :
Guy Sorman, éditeur et essayiste, recentrera un débat qu’il qualifie d’entre deux mondes pour en appuyer l’ineptie.
- Le sacrifié :
Guy Birenbaum dit mister buzz du lip dub. Éditeur, journaliste et blogueur. Suspect de s’intéresser d’un peu trop près à ce nouveau monde de l’information. Sélectionné pour en prendre plein la tête.
Détail (mode théorie du complot on, crédibilité 8/20) : Le volume de son micro est moins fort que les autres.

-
Le sage
(c’est ainsi qu’il est présenté) :
Ils sont une poignée en France à se laisser ouvrir aussi longuement les portes du direct. Avec le sage, la 2 joue sur du velours : Aisance du discours, provocation policée, ce qu’il faut de culture, un poil d’indignation sans risquer de niquer la promotion ni de compromettre les multiples productions et tournages à venir impliquant les deux parties.
Arditi n’y connaît rien au net et avoue avoir envoyé son premier courriel le matin même ! Pas grave, c’est de la télé, on s’en fout de la crédibilité, ce qui compte c’est la notoriété ! Bernard Tapie vient bien de nous expliquer pendant une heure le métier d’acteur.
L’ANIMATEUR :
Franz-Olivier Giesbert dit FOG le brumeux. Ex-directeur du Figaro désormais au Point. Et pourquoi pas Serge Dassault pour un animer un débat sur la revalorisation du Smic ?

Le débat va donc bon train : Internet, machinerie du diable pour adolescents trépanés générant de la fausse information.

Elizabeth Lévy nous gratifie d’un audacieux : « - Les gens ne sortiraient pas toutes ces vidéos, si ils savaient qu’elles ne seraient pas publiées. ».

FOG ramène le débat sur les appels au meurtre contre Berlusconi observés sur facebook. Bah oui, pas con : pas d’internet, pas d’assassinat politique. Kennedy, Yitzhak Rabin et Léon Trotsky votent pour.
La dame de causeur revient dans les cordes enchaînant un direct sur la polémique Polanski, tout en faisant bien de préciser qu’elle « ne veut pas rentrer sur le fond » pour fustiger les blogueurs qui auraient influencé la volte-face des soutiens pipaule au réalisateur emprisonné. Ces salopiauds ne respectent rien ! Faudrait les enfermer dans un chalet à Gstaad tiens !
Guy Sorman oppose l’exemple de Copenhague : les louanges unanimes accompagnant le sommet dans les médias autorisés contrastant avec les analyses moins optimistes exposées sur les blogs.
FOG s’insurge :
” – Mais enfin, Claude Allègre est invité permanent sur toutes les chaines !”

Et de nous fournir ainsi un bel exemple de l’obsolescence télévisuelle version 2009, le rapport démocratique s’y établissant de la sorte :
- Internet et le débat : c’est la multiplication des opinions.
- La télé et le débat : c’est la réduction de l’opposition à une tête, si possible toujours la même.

Au tour du sage


D’entrée, Arditi use du principe qui dans la tête des savants est censé calmer les cons : Sortir une citation. Le locuteur aligne ainsi implicitement son discours à venir à la hauteur de la référence célèbre qu’il vient d’exposer :
PIERRE ARDITI
“- Vous parlez de l’ancien monde et du nouveau monde. J’ai envie de reprendre une phrase de Paul Valéry qui dit « la nouveauté d’une chose, n’est pas forcément une qualité intrinsèque de cette chose. »
La classe.
Applaudissements du public. C’est bon les gueux ? Vous avez pris votre torgnole de culture ? Vous emballez pas trop, la suite est pas vraiment du même niveau.
PIERRE ARDITI la voix mêlant suavité et arrogance2

” – …je ne suis pas sur qu’il faille abandonner des choses auxquelles je tiens. L’éthique journalistique j’y tiens. Je ne suis pas un client du net. [...]. Ça n’est pas forcement un monde auquel j’adhère….

GUY BIRENBAUM discrète tentative
“- Bah…vous le connaissez pas.’

PIERRE ARDITI
” – je le connais un peu parce que je vois ce qui vient de là.

[Aucun exemple donné]

“- …Y a quand même quelque chose là dedans bien que je ne le pratique pas vraiment, qui est assez étonnant. Déjà y a cette histoire d’anonymat et ensuite c’est formidable que les gens s’expriment… après tout pourquoi pas... “
[Sympa man, les gens te remercient.]
“- …Mais y a là dedans de nouveau quelque chose qui rejoint ce que Guy Debord appelle « la société du spectacle… »
[Dis-donc : t'as pas un peu oublié qui tu es et d'où tu parles ?]
“- …Y a quelque chose là dedans qui moi me dérange….”
[Comment dire.... t'es juste inexistant sur le net.]
“…On est face à des commentaires qui n’en sont pas, à des idées si petites ou si raccourcies qu’elles sréduisent le propos à néant...

[Alors que ton propos formidablement étayé, fruit d'une grande connaissance, lui, me bluffe par sa pertinence.]
“…Et aujourd’hui on finit par prendre Stéphane Guillon pour Jacques Julliard ou Luc Ferry…”
[Nous rappelons à notre aimable clientèle que Stéphane Guillon officie à la radio.]

“…Et ça, ça me pose un problème parce qu’un jour on finira par prendre un spot publicitaire pour une tragédie de Racine…”[J'imagine que c'est une dédicace à l'ami Séguela, autre pourfendeur du net, qui nous vendait déjà à longueur d'émissions TV dans les années 80, la publicité comme un art qui allait supplanter tous les autres.]

“…donc ce monde là ne me concerne pas encore.”

La dernière phrase est recouverte par des applaudissements encouragés par la chauffeuse de salle.

FOG flatteur over généreux
“- Le sage fait un tabac, il retourne la salle.”
PIERRE ARDITI galvanisé par l’ambiance électrique du meeting anti-net.
“- Je ne suis pas contre. Je préfère lire Le monde, Libé, Le Figaro…”
[On voit ce que ça donne.]

Objection de Sorman qui, comparé au festival de portenawak en cours de projection, passe maintenant pour un ardent progressiste.

PIERRE ARDITI
” – le web…Je peux ne pas être en accord avec une partie de ce qui s’y passe.”
[Laquelle ? Parce que là on a toujours aucun biscuit factuel à se mettre sous la dent.]

Objection d’Elizabeth Levy sentant qu’avec un Arditi à la culture, causeur finira par faire partie de la purge.

ELIZABETH LEVY
“- On ne peut pas dire ça. Ça ne veut rien dire internet ceci, internet cela…internet c’est d’abord des tuyaux...”

PIERRE ARDITI
- “Ça c’est vous qui le dites ! Y a des gens qui prennent ça pas seulement pour des tuyaux. Ils prennent ça aussi pour une forme de pensée…”
[A cet instant, je comprends tout. Arditi ne parle pas d'internet mais de lui.]
“…Y a des moments où cette forme de pensée m’inquiète.”
[Consulte. Faut pas prendre ses dégoûts pour une réalité.]
FOG trop gentil, passe le plat, enfin la pelle, à Pierre :
“- Je voudrais prolonger ce que vient de dire Pierre Arditi sur internet, c’est à dire “réceptacle des ragots, du cul, du sensationnalisme…”
[Merci Franz-O. On saisissait encore mal le point de vue de Pierrot le flou.]

FOG nous cite maintenant la phrase incontournable de toute conversation télévisée au sujet du net qui se respecte, le célèbre “tout à l’égout de la démocratie” de Denis Olivennes, résumant à elle seule la fracture fondamentale séparant les anciens des modernes.

GUY BIRENBAUM mode dégoûté de la vie, stade 4
“- Pfff…Ce sont des raccourcis tellement faciles….”

LAURENT JOFFRIN sort du coma pour la promo
- Y a un effet pervers sur internet. On met sur le même plan des informations ou des éléments de savoir qui sont produits avec des règles, avec d’autres qui sont des informations sauvages produites sans aucunes règles et ça c’est dangereux.”

GUY SORMAN confiant
” – Ça va bouger…”

LAURENT JOFFRIN bougon

” – Oui peut être mais ça bouge surtout dans le mauvais sens. [...] Une image chipée par un téléphone portable ça n’est pas la même chose qu’un reportage qui a été fait par quelqu’un de compétent par un journaliste qui a vérifié, qui met les choses en contexte, qui applique des règles de bons sens pour donner une honnêteté intellectuelle à ce qu’il fait…
[FOG l'épaule dans sa démonstration.]
“… Quand on balance des images sans décrypter, c’est pas sérieux, ça alimente la rumeur.”
[Bien dit et c'est l'objet de ce billet3 : décrypter des clichés basés sur une connaissance limitée du sujet, sans exemples ni vérification, et balancés en toute décontraction à un demi million de téléspectateurs .]ELIZABETH LEVY
– Ce qu’il y a avec internet, c’est une volonté de contrôle de la société par elle-même.”
[Elizabeth comprend très bien ce qui se passe. C'est juste que la concurrence : Ça l'énerve.]

” – … on rentre dans un monde où tout ce qu’on pourra dire pour être retenu contre nous. Si bien qu’a la fin plus personne ne dira rien.”
[Elizabeth pourrait peut-être faire confiance à ses auditeurs et à ses lecteurs pour multiplier les sources et faire le tri, non ?]
“- Et ça vient de la société, c’est pas la technologie qui crée ça.”

Birenbaum en appelle à la collaboration et à la bonne entente entre les professionnels de l’information, les blogueurs et les internautes.

GUY BIRENBAUM
“- C’est dans le participatif que l’on va trouver une voie médiane qui va nous permettre de travailler les uns avec les autres. Mais certainement pas en étant front contre front… Il faut arrêter de caricaturer. [...] Moi des rumeurs et des ragots, j’en entends ailleurs que sur internet…”

LAURENT JOFFRIN
” – Y a une idée fausse selon laquelle …”

FOG trépigne et le coupe tout joyeux, fier d’avoir bon
” – Tout le monde est journaliste !”

LAURENT JOFFRIN imperturbable
” - Non, non… c’est l’idée selon laquelle sur internet on serait libre alors que dans les médias dit traditionnels on ne le serait pas . C’est totalement faux. Si vous regardez les informations qui ont vraiment gêné les pouvoirs, elles sont pratiquement toutes sorties dans la presse traditionnelle…

Ce que confirme la une du Parisien le lendemain :


Laurent Joffrin n’a pas tort. Pour bien informer, il faut enquêter : Il faut du temps donc de l’argent. Les blogueurs, eux font de l’analyse, souvent à chaud, ce qui demande d’autres qualités. D’autant qu’eux ne touchent pas 600 millions d’euros de l’état pour boucler les laborieuses fins de mois en kiosque.

Sorman tente de raisonner le plateau des mille vacheries, établissant un parallèle avec l’apparition de la presse au XVIIe siècle qui obtiendra progressivement sa légitimité par le seul choix du public.

GUY SORMAN
“- On va vivre ensemble.

Arditi fulmine, Joffrin veut une loi.

Mais… mince c’est déjà la fin du débat qui s’achève là où il a commencé : sur vos applaudissements.

Emportons-nous et imaginons une conclusion à la Sorman :

L’ancien monde de l’information pyramidale est terrorisé par le mode de communication en réseau.

L’ancien monde sait que sa survie et sa notoriété dépendent en grande partie de son adaptation à ce nouveau fonctionnement.

Ceux peinant à s’adapter multiplient donc leur présence dans les débats sur le sujet, non pour disséquer les raisons de leur extinction mais pour justifier aux autres et SE justifier à eux le flicage et autres législations punitives engagées pour tenter de la retarder.

Quelle connerie la guerre !


Vous trouverez le débat
sur ce lien.

» Article initialement publié sur Les jours et l’ennui de Seb Musset

» Image de Une : Reegmo sur Flickr

  1. Paradoxe de Séguéla : Consiste à aller à la télé dire des énormités, et buzzer sur le net histoire que la télé vous invite à nouveau pour dire du mal du web. []
  2. Ce n’est pas pour rien que notre homme a doublé la voix de Superman dans la VF (version 1978) []
  3. Autre que de générer du Google ranking à Arditi. []

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