L’industrie du LOL et ses difficultés à traverser l’Atlantique

Le 20 février 2010

Dans sa version primitive, le LOL est un acronyme qui marque le rire sur Internet. Pris isolément, il constitue une réponse automatique à un stimulus humoristique (blague -> “lol”). Utilisé à la fin d’une phrase, il marque l’ironie et constitue un palliatif paresseux à une blague bien construite (“ta sœur est bonne lol”) ...

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Dans sa version primitive, le LOL est un acronyme qui marque le rire sur Internet. Pris isolément, il constitue une réponse automatique à un stimulus humoristique (blague -> “lol”). Utilisé à la fin d’une phrase, il marque l’ironie et constitue un palliatif paresseux à une blague bien construite (“ta sœur est bonne lol”). Imperceptiblement, au tournant du siècle, le LOL s’est transformé pour devenir une banale locution de fin de phrase, assez similaire au “quoi”: “y a une redif’ des experts ce soir lol” ou “je t’aime lol”.

Mais ça, vous le savez déjà. Ce qui est beaucoup plus intéressant, c’est l’évolution récente du LOL qui s’est émancipé des bas-fonds de la messagerie instantanée et des forums pour devenir un véritable genre. Aux Etats-Unis, le LOL est devenu une sorte de douzième art, une sous-culture foisonnante peuplée de héros dérisoires aussi appelés “mèmes”: les lolcatsle rick-rollingSarah PalinChristian Bale, le FAIL ou encore le bacon. Pour mieux comprendre le LOL et son importance culturelle, il faut le comparer à une sous-culture française bien connue, ce que l’on a appelé l’”esprit Canal”.

Implanté sur un média jeune et puissant (Canal +), une bande de jeunes (Les Nuls, Les Guignols…) imposait à la France entière ses délires (Régis est un con, “Mangez des pommes”…), qui passaient dans le langage commun et s’imposaient dans les cours de récré et autour des machines à café. Comparons maintenant à l’industrie du LOL américaine: implanté sur un média jeune et puissant (Internet), une bande de jeunes (4chanBuzzfeed…) impose à la terre entière ses délires (lolcats, rick-rolling…) qui passent dans le langage commun et s’imposent sur les blogs, les forums ou Facebook.

Le LOL, des égouts aux bobos

Mais contrairement à Canal + qui fonctionnait selon un modèle vertical (du haut vers le bas, du diffuseur au public), le LOL fonctionne selon un schéma horizontal (tout le monde peut créer un mème, le public est le diffuseur). Résultat: l’industrie du LOL couvre un spectre très large, des bas-fonds du web à la branchitude bobo.

Le LOL naît le plus souvent au fond des égouts, sur le légendaire forum 4chan et plus particulièrement sur le salon /b/, sorte de lie du peuple où s’agrègent contenus porno, blagues de mauvais goût et trouvailles formelles géniales. C’est dans ce lieu de débauche que sont nés les lolcats, chefs d’œuvres de l’ère numérique. Une trouvaille formelle d’une puissance telle que la Bible a fini par être traduite en langage lolcat.

Mais une sous-culture a besoin du soutien des élites pour prospérer, et notamment pour accéder aux médias. Le LOL s’est trouvé une officine branchée et cultivée avec le siteBuzzfeed qui laboure quotidiennement le web à la recherche de LOL déjà pré-digéré. Juste pour situer le niveau, le fondateur du site, Jonah Peretti a également co-fondé le Huffington Post. Quant à la star des contributrices, Peggy Wang, elle est le clavier du groupe de rock indé le plus cool de ce début d’année, The Pains of Being Pure At Heart.

A côté de 4chan et de Buzzfeed, l’industrie du LOL comprend bien sûr une série d’autres sites puissants comme I can haz cheezburgerEncyclopedia DramaticaURLesqueCollege Humor ou Best Week Ever. Sans même compter les LOL sectoriels qui prospèrent sur tous les champs d’intérêt possibles, comme cet étonnant LOLFED, site dédié à la distraction des traders américains.

Et en France, où en est-on?

Ben, on en est très loin, pour tout dire. A part quelques initiatives individuelles comme les articles de Diane Lisarelli sur lesinrocks.com (qui a réussi à imposer une rubrique “LOL”), l’intello Suivez le geek, le jeuniste MonsieurDream, l’égocentrique Henry Michel, le très geek Nioutaik ou encore BienBienBien, la France reste encore assez éloignée du phénomène LOL.

Je vois cinq raisons à cet isolement culturel dans une France pourtant en pointe en terme de démocratisation de l’Internet:

» La France est restée bloquée à l’âge du buzz

Alors que le buzz est un one-shot, le LOL se construit dans la durée. Le buzz, c’est un fait culturel qui se construit uniquement par la puissance du copié-collé: le lien ou la vidéo passe de blogs en blogs, sans aucune modification. Le modèle français du buzz, franchouillard et copié-collard, s’est construit sous l’influence des deux locomotives du genre, Chauffeur de Buzz etMorandini. Il n’a guère évolué depuis son heure de gloire fin 2007 avec les photos de Laure Manaudou à poil et reste aujourd’hui dominant dans le paysage français. Dépassant l’âge du buzz, le LOL utilise lui toutes les ressources de l’ordinateur (Photoshop, montage vidéo, achat de noms de domaine…) pour imposer son modèle de viralité recyclée.

» La France est restée bloquée à l’âge du geek

Rappelons la définition du geek: est geek celui qui n’a pas de copine ou celui qui a une copine mais qui ne parvient pas à lui expliquer ses activités sur Internet. C’est en tout cas la définition française. Aux Etats-Unis, depuis quelques années, cela ne marche plus puisque que le modèle ultime du geek est une fille. La geekette typique, urbaine et branchée, prend en gros les traits d’Amanda Lyn Ferri, inoubliable actrice de la scène d’ouverture du premier lipdub de l’histoire. Ce nouveau public féminin s’est emparée de l’industrie du LOL en développant les lolcats et autres vidéos “cute”, contribuant à démocratiser le phénomène. En France, le geek la joue ancienne école et en revient toujours au bout d’un moment à Star Wars. Ce qui ghettoïse les tentatives du genre, comme sur Suivez le geek ou Nioutaik.

» La France préfère ses LOL à elle

Dans une intention louable de résister à l’envahisseur américain, la France a développé des LOL locaux, comme les Martine ou Vie de merde. Mais ces diverses franchises ne collaborent malheureusement pas entre elles et aucun média n’est capable de les agréger pour définir une ligne commune au LOL français. Assez logiquement, ces tentatives isolées de LOL ne passent pas la frontière et devraient rester des mystères pour les futurs historiens de la culture Web.

» La France est un pays trop revendicatif pour être LOL

Les tentatives françaises de LOL sont souvent réduites à l’inefficacité à cause du vieux fond revendicatif qui traîne dans le cœur de tout Français. En France, le LOL bourgeois s’accompagne toujours d’un anti-hadopisme viscéral qui l’empêche d’atteindre la pureté post-idéologique du lolcat. BienBienBien en est l’exemple parfait. Pendant que l’on tape sur Christine Albanel et Luc Besson, on en oublierait presque de faire des lolcats sur Loic Le Meur.

» Les 4chaneurs français sont prépubères

On a vu avec l’exemple de 4chan que le LOL a besoin d’un forum peuplé de renégats géniaux pour prospérer. En France, à ma connaissance, le seul exemple d’un simili-4chan se trouve dans le forum 15-18 de jeuxvideos.com. Les êtres étranges qui peuplent ce salon ont créé un culte absurde autour du smiley Noël. Ils se font appeler les “noëlistes” et sont capables de lancer des vendettas sur Internet pour défendre leur précieux smiley. Le problème, c’est qu’ils ont entre 13 et 16 ans (toujours enlever deux ans sur les forums Internet) et que leur influence est donc très limitée. Comme nous le signale MasterBuck dans les commentaires, ces bataillons du LOL lâchent vite l’affaire, la maturité venue.

» Article initialement publié sur BienBienBien

» Illustration de Une par See-ming Lee sur Flickr


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