« L’objectif de Google n’est pas d’afficher l’information la plus pertinente »

Le 10 mars 2010

Renaud Chareyre revient dans une interview sur sa thèse développée dans son essai "Google Spleen" : derrière la légende "Don't be Evil", la firme cherche avant tout à faire du business, avec en prime le risque d'un super-monopole "digne d'une économie planifiée".

google1

Renaud Chareyre revient dans une interview sur sa thèse développée dans son essai “Google Spleen” : derrière la légende “Don’t be Evil”, la firme cherche avant tout à faire du business, avec en prime le risque d’un super-monopole “digne d’une économie planifiée”.

Surprise ! Mon Ecran Radar s’ouvre à des contributions extérieures. Promis, juré, craché c’est bien plus l’envie d’offrir un espace Freestyle à d’autres journalistes/bloggeurs/Xperts qui motive cette décision qu’un mauvais prétexte pour ne pas vous livrer mon post hebdomadaire (Il arrive ce billet, il faut juste que je trouve le temps…et le bon sujet ;-) On commence donc ce nouvel exercice “open source” avec ma consoeur Solveig Godeluck, grande spécialiste de l’internet et des télécoms, qui signe ci-dessous une interview passionnante de Renaud Chareyre auteur de “Google Spleen”, chez Interactive Labs. Cet essai sans concessions s’emploie à démonter la légende “Don’t be Evil” servie par Google pour mettre à jour le véritable objet de LA FIRME : le Business avec un grand B…avec en prime le risque d’un super-monopole “digne d’une économie planifiée”.

INTERVIEW :  Renaud Chareyre, auteur de
« Google Spleen. La tentation de la désinformation »

Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ce livre très critique sur Google  ?
J’ai créé il y a quelques années Woxxo, un site de mise en relation de prestataires pour des projets dans le domaine d’Internet, de l’informatique et de la communication. A partir de 2003, nous sommes devenus un gros consommateur d’Adwords, la régie publicitaire en ligne de Google. Pour mémoire, Adwords permet aux annonceurs de faire apparaître leur adresse Web en regard des résultats d’une recherche effectuée avec le moteur Google  : ce sont les fameux « liens sponsorisés », destinés à mieux cibler la publicité.  Au début, nous avons bénéficié d’un fort retour sur investissement. Le taux de conversion, c’est-à-dire le nombre d’internautes qui après avoir cliqué sur notre annonce décidaient d’utiliser notre service, était très élevé.  Puis à partir de 2005, l’efficacité commerciale de notre campagne sur Adwords s’est franchement dégradée. Nous avons essayé de comprendre ce qui se passait. Conclusion  : en toutes circonstances, c’est Google qui décide d’afficher ou non vos annonces, selon ses propres critères qui n’ont rien à voir avec ceux de ses clients.

Mais qu’est-ce qui vous permet de tirer de telles conclusions  ?
Alors que le marché de la mise en relation était en forte croissance, nos volumes baissaient. Nos statistiques étaient de plus en plus incohérentes : en 2003 nous avions une conversion par heure, en 2007 nous en avions deux par jour, quelles que soient nos actions marketing, le prix payé, le nombre de mots-clés achetés. Cela pouvait être une à 16h47, et l’autre à 16h48… puis plus rien de la journée. Autre bizarrerie  : les demandes déposées par les visiteurs issus d’Adwords n’émanaient quasiment plus que d’étudiants et de particuliers, au détriment des grands comptes et des PME. En fait, Google a peu d’intérêt à maintenir en haut de classement un annonceur capable d’apporter une solution immédiate au besoin de l’utilisateur. C’est logique, puisque son profit dépend du nombre de clics que va effectuer l’internaute avant d’identifier la réponse à ses attentes et donc d’interrompre sa session. La plupart des gens ignorent que l’objectif de Google, dont le chiffre d’affaires dépend à 95 % de la publicité, n’est pas d’afficher l’information la plus pertinente, mais de conduire l’internaute à multiplier les clics publicitaires.

Avec Adwords, les entreprises paient pour bénéficier d’un bon placement publicitaire. Elles
savent donc à quoi s’attendre  !

Pas du tout. Google a mis en place un système d’enchères pour acheter des mots-clés. En principe, plus vous paierez cher, plus vous serez visible. Mais personne ne connaît le prix payé par ses concurrents.  Et le fait d’être le mieux-disant ne garantit de toute façon ni le meilleur emplacement, ni l’affichage. Car selon le contrat qui s’applique aux clients Adwords, Google se réserve toutes les marges de manœuvre pour organiser le « ciblage » des annonces publicitaires, et donc la répartition de son audience entre les sites. Google se doit de donner de la satisfaction à chacun de ses annonceurs, en leur faisant trouver des prospects, et cela quelle que soit la qualité de leurs propositions. D’où la mise en place d’un microciblage des liens sponsorisés, que Google décide d’afficher, ou pas, sur l’écran de chaque internaute. Les résultats de recherche sont affinés en fonction d’une analyse comportementale à l’échelle de chaque utilisateurs. En donnant des gages à tout le monde, ce système est conçu pour induire une montée générale des mises sur Adwords. A mes yeux, il est loin de favoriser la compétitivité. Il est même digne d’une économie planifiée  !

Avez-vous tenté d’aller voir la concurrence  ?
Bien sûr. J’ai testé Yahoo et Microsoft, mais j’ai observé les mêmes dérives. Sur certains mots-clés, Microsoft me recommande d’enchérir à 25 euros par clic  : cela devient absurde !

Redoutez-vous l’expansionnisme de Google, qui construit des téléphones, opère des réseaux, crée son navigateur, etc.  ?
Google Earth, Google News… Beaucoup d’outils Google sont très séduisants. Le problème, c’est que ces programmes ingénieux sont financés par Adwords.  Or c’est un système fondé sur l’annulation des facteurs de compétitivité des opérateurs. La stratégie de Google consiste à multiplier les projets qui font rêver afin de détourner l’attention de sujets que met en danger le fonctionnement d’Adwords  : la juste rémunération de la compétitivité, le jeu de la concurrence, le respect de la vie privée.

Pourquoi Google menace-t-il de se retirer de Chine ?
Je suis prudent car je ne connais pas le fonds de l’affaire. Mais je constate que le business de Google consiste à contrôler et à organiser l’information sur Internet à des fins publicitaires. Dans un pays comme la Chine, avec un vrai historique de régulation de l’information, Google travaille sur le même terrain que le gouvernement. Pas sûr que les deux démarches soient compatibles. Le piratage des boîtes Gmail n’était qu’un prétexte à mon sens.  Et la défense de la liberté d’opinion a bon dos  : tout de même, Google n’a pas attendu quatre ans en Chine avant de se poser la question des droits de l’Homme !

Propos recueillis par Solveig Godeluck

Article initialement publié sur Mon écran radar

Photo de une Irish Typepad sur Flickr

Laisser un commentaire

Derniers articles publiés