Russie: nouvelle “règle des 24 heures” pour censurer les commentaires

Désormais, les médias en ligne doivent supprimer ou éditer les commentaires “inappropriés” de leurs sites dans les 24 heures suivant notification, sous peine de perdre leur immatriculation comme média.

[Liens en russe sauf mention contraire] Une décision [en anglais] de la Cour suprême de Russie du 15 juin qui “exonère” les sites d’information de toute responsabilité pour les commentaires de leurs visiteurs s’avère en fait être l’introduction d’une procédure de censure à grande échelle. Roskomnadzor, un service fédéral qui surveille Internet et les média traditionnels pour le ministère russe des Télécommunications, a introduit une nouvelle “règle des 24 heures” selon laquelle les médias en ligne doivent supprimer ou éditer les commentaires “inappropriés” de leurs sites dans les 24 heures suivant notification, sous peine de perdre leur immatriculation comme média.

Les sujets interdits sont énumérés à l’article 4 de la loi “Des médias d’information” et incluent l’incitation à la haine, le terrorisme, les liens vers de la pornographie et la révélation de secrets d’État.

Roskomnadzor a envoyé son premier avertissement officiel au site Apn.ru par e-mail le 23 juin, mais il n’était pas encore clair à l’époque si une requête officielle pouvait être envoyée par e-mail et quels étaient les délais pour supprimer le commentaire.  Le 6 juillet, Roskomnadzor a donc publié les lignes directrices de la nouvelle procédure dans un document au titre pompeux de “Procédure pour envoyer des notifications aux entités des médias d’information présentes sur les réseaux de télécommunications et sur Internet relativement à l’inadmissibilité des abus à la liberté d’information”. (version intégrale)

Voici cette procédure:

  • Un employé de Roskomandzor fait une capture d’image du commentaire inapproprié, la sauvegarde sur son disque dur et l’imprime.
  • Un officiel “responsable pour le contrôle gouvernemental et le respect de la loi en ligne”, approuve alors le bien-fondé de “l’abus de la liberté d’information” (le texte dit clairement “approuve” et non “juge” ou “décide”).
  • Ensuite, le département envoie un e-mail et un fax au propriétaire du site avec l’ordre de supprimer ou modifier le commentaire en question.
  • Si le site du média n’obéit pas à l’ordre dans les 24 heures, une notification légale est envoyée.  Après plusieurs notifications, la justice est saisie.  Si Roskomnadzor gagne le procès, le site perd son immatriculation de média.

Ni la loi “Des Médias d’Information“ ni Roskomandzor ne précisent si le site serait fermé s’il perd son immatriculation, mais pour la plupart des sites privés, cela signifierait l’incapacité de fonctionner légalement (facturer la publicité, payer les salaires des employés, etc.).

Sergey Sitnikov, responsable de Roskomnadzor, explique que le but de son département était de “prévenir la circulation d’informations contraires à la loi”, mais nombre de blogueurs russes sont concernés par cette idée et en parlent sur Habrahabr, un portail dédié aux services informatiques.

Quelques blogueurs ont essayé de rester optimistes (sans succès). StrangeAttractor écrit :

Si la loi interdit d’inciter au terrorisme ou au hooliganisme, c’est OK et c’est bien.  Mais si elle interdit d’exprimer une opinion sur quelque chose… ou d’être fier de son héritage national…, alors c’est clairement de la bêtise et de la provocation.

Newpravda écrit :

D’un côté, c’est une bonne idée, laissez-moi m’expliquer, de ne pas laisser un terroriste s’exprimer librement. Mais connaissant notre réalité, ils [Roskomnadzor] vont s’en servir [de la ‘règle des 24 heures'] pour tous les articles qu’ils veulent, je ne serais pas étonné s’ils interdisaient Gena et Cheburashka [en anglais] [héros de dessins animés à succès] pour propagande ou quelque chose.

Les divers effets et implications de la loi sont aussi discutés. Vitaliidaniuk est sceptique quant à l’efficacité de la loi, avançant qu’il serait très difficile de contrôler les commentaires Twitter que l’on retrouve souvent publiés près d’un article ou intégrés à des systèmes gestionnaires de commentaires (comme Disqus ou IntenseDebate).

Voldar a suggéré que le futur moteur de recherche national [en anglais] pourrait être utilisé pour détecter les commentaires inappropriés et envoyer des notifications aux auteurs automatiquement. XaosSintez écrit sur la possibilité que de fausses notifications de Roskomnadzor soient utilisées pour bloquer n’importe quelle discussion.  Et xoco partage son histoire sur la façon dont les autorités surveillent et contrôlent déjà ce qui se dit en ligne et dans la vie réelle :

Tout cela est très triste.  Ayant pris part à la création de la communauté en ligne de la ville de Lyubertsy [en anglais] (banlieue de Moscou), j’aimerais partager mon histoire.  Sur le forum, on discutait de l’état des routes, des nouveaux immeubles, de la désorganisation des marchés.  Et donc, les utilisateurs du forum considéraient l’idée de descendre dans la rue pour attirer l’attention sur l’état des routes avec des nids de poules profonds de plus de cinquante centimètres, et se demandaient s’ils devraient bloquer la circulation avec une manifestation.  Le jour même, nous avons reçu un message des autorités qui demandait les informations sur des activistes du forum – adresse IP, heures d’accès au forum, etc.  Comme si ces gens étaient mêlés à des activités extrémistes.  Qu’est-ce qui se passera ensuite ? Il n’y a pas la plus petite liberté d’expression.

Suite à ces discussions, les blogueurs ont créé un hashtag (mot-clép sur Twitter #ru_cenz pour répertorier tous les incidents liés à cette nouvelle mesure ainsi que la censure du Web russe en général.

Non seulement les dernières initiatives de Roskomnadzor violent la constitution russe, qui interdit toute forme de censure, mais elles semblent aussi contredire le point de vue du Président Medvedev sur ce sujet.  Ce cas est représentatif du régime politique en place : ignorance des lois et des droits humains, contradiction entre les textes et les actions, et finalement, une claire volonté d’influencer et de contrôler le web russe.

Billet initialement publié sur Global Voices ; image CC Flickr M i x y

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