Vers des objets open-source

Le 20 août 2010

Et si on appliquait aux objets bien matériels les règles des logiciels open-source, en rendant accessible les processus de fabrication, en libérant la distribution, la fabrication et la copie ? Un projet pas si fou que ça.

Depuis quelques mois maintenant se joue une guerre passionnante (à plus d’un titre), qui risque bien de révolutionner le monde de l’électronique et de l’informatique tel que nous le connaissons aujourd’hui, avec l’avènement d’un mouvement qui sera difficilement stoppé, celui de l’OpenSource Hardware (ou Matériel OpenSource, que nous résumerons par HSW).

Les exemples sont nombreux : prenez l’iPad ou le nouvel iPhone, avec un écran tactile multi-touch vraiment précis ou une batterie qui font rougir nos ordinateurs portables avec une longévité de plus de 8 heures (contre 2-3 maximum pour les autres batteries)… Ajoutez à cela un design bien pensé et des processus industriels maîtrisés et vous avez un véritable bijou technologique à la portée de (presque) tous.

Tout cela est très bien à une seule exception près, ces merveilleux gadgets sont tous “bloqués” aussi bien au niveau logiciel que matériel. Aucune possibilité de modifier ne serait-ce le code source des logiciels qui le pilotent, que de modifier, bidouiller le matériel que vous avez acheté.

Il y a peu, une cour de justice américaine a légalisé le fait de “jailbreaker” votre iPhone (de passer outre la restriction logicielle), mais avec le risque de se voir annuler la garantie par Apple.

Reprendre la main sur la technologie

Faites un tour de votre chez-vous et comptez le nombre d’appareils électroniques qui le truffent, des appareils de plus en plus sophistiqués, que ce soit votre téléphone (de plus en plus smart et qui sert de moins en moins à téléphoner), vos ordinateurs (portables ou non, avec différentes capacités, différents systèmes d’exploitations disponibles), votre télévision (dont l’arrière avec ses nombreux branchements ressemble de plus en plus à une navette spatiale), votre frigo (qui régule tout seul la température, la consommation optimale d’énergie et vous indique l’heure), votre lave linge (qui calcule automatiquement le poids de votre linge et le cycle le plus adapté)… etc.

Tous ces appareils sont des ordinateurs en puissance déportés et ils vous envahissent de plus en plus. Rien de mal à cela, puisque pour la plupart ils nous aident dans nos corvées quotidiennes… Nous sommes donc entourés par les nouvelles technologies, qui nous aident et nous permettent de faire plein de choses.

Seul problème: la plupart des gens sont perdus, voir noyés sous cette débauche de technologie. Mes parents étaient déjà largués quand il fallait programmer un magnétoscope, aujourd’hui brancher une télévision, ou réparer un frigo ressemble plus à une galère qu’à une réelle avancée technologique, un peu comme le changement dans les voitures il y a de cela quelques années. Je me souviens de mon père et de sa Renault 12 blanche, un vieux tacot, avec dans le coffre un chiffon, un marteau, un tournevis et une pince bécro… C’était le matériel nécessaire pour réparer 80% des pannes usuelles. Aujourd’hui ouvrez votre capot et vous vous trouverez bien embêté de réparer ça, puisque sans la mallette électronique de diagnostic, impossible d’initier la moindre réparation (à part changer l’huile et encore) sans passer par le garagiste agréé.

Je ne dis pas qu’il faut revenir aux technologies du Moyen Âge, revenir au feu de bois et au cellier, mais que pour pouvoir se libérer de la technologie il faut une technologie accessible, pas spécialement simple, mais accessible et c’est là tout le sens du combat de l’OpenSource Hardware.

Définition et utilité

De ces quelques remarques est né un mouvement semblable à celui du monde du logiciel, mais qui s’applique à tout le matériel qui nous entoure (et spécifiquement à l’électronique) en reprenant le système qui a fait ses preuves d’OpenSource.

Toutes les personnes dans ce mouvement répondent à quelques règles simples:

— Tous les fichiers de conception du matériel sont en libre accès à tous, distribuables, modifiables à volonté.

— Ces fichiers sont accessibles à tous sans discrimination ni échange monétaire.

— Vous êtes libre de fabriquer, distribuer, vendre, modifier le matériel du moment que vous citez sa source.

Le but est de libérer complètement le matériel et offrir la possibilité à tous de pouvoir se fabriquer (ou faire fabriquer) n’importe quel matériel, de pouvoir modifier, améliorer, adapter le matériel déjà disponible.

Soyons clair : l’innovation, la vraie, se fait dans les garages ou sur le bord d’un coin de table (je ne parle pas de la recherche fondamentale mais de l’innovation) puisque le plus souvent le but est de répondre à un problème simple, par une solution plus ou moins simple.

Aujourd’hui si vous voulez modifier ou améliorer un produit, vous pouvez le faire dans un contexte privé avec deux limitations : votre garantie est foutue et vous ne pouvez pas distribuer ou vendre votre trouvaille. Le but donc de l’OpenSource Hardware est double : redonner la main aux gens sur la technologie et booster l’innovation via les milliers de geeks qui peuplent le web, travailler sur la collaboration, l’intelligence collective plus que sur la concurrence et la guerre commerciale nourrie de brevets.

C’est certes pour l’instant encore un peu obscur et réservé à une minorités de technophiles (comme pouvait l’être Linux il y a encore une dizaines d’années) mais le mouvement prend de l’ampleur.

Deux exemples: le RepRap et l’Arduino

Le premier exemple est un appareil un peu étrange, un projet initié par un professeur de l’université de Bath en Angleterre : une imprimante 3D auto-réplicatrice. Le RepRap est une imprimante 3D qui vous permet d’imprimer via des couches successives de plastique fondues un objet : une tasse, un porte-manteau, une salière… Vous construisez votre objet sur un logiciel 3D et comme pour le papier, vous lancez votre impression et quelques minutes ou heures plus tard vous avez votre objet.

Le matériau utilisé est du filament ABS principalement (le plastique utilisé pour les briques de Lego, particulièrement dur et résistant, mais ils utilisent aussi d’autres plastiques, ainsi que des plastiques végétaux, comme le PLA), mais surtout la machine peut imprimer la moitié de ses propres pièces (toutes les pièces plastiques en fait) pour permettre à une autre personne de se construire à son tour sa propre imprimante 3D.

Nous n’en sommes pas encore au stade ou ma mère va imprimer son assiette ou son pot de fleur, ce système étant pour l’instant assez compliqué (même moi, bien que fasciné par le projet, j’avoue que j’ai du mal) et nécessitant un niveau technique élevé. Mais la troisième version de cette imprimante 3D est en cours de développement (de façon collective et collaborative) avec un prix de 350 euros environ (contre 15 000 pour un produit commercial) et surtout avec en point de mire le recyclage parfait : pouvoir utiliser les plastiques que vous récupérez tous les jours pour créer de nouveaux objets.

Le deuxième exemple est tout aussi technique mais beaucoup plus accessible. Arduino est une plaque électronique très simple qui vous permet de connecter plus ou moins n’importe quoi (des capteurs, des boutons, des relais, des moteurs, etc.) en entrée et en sortie et de tout contrôler via un langage de programmation très simple.

Vous pouvez ainsi sans trop d’effort faire un système lumineux qui vous prévient de l’arrivée d’un e-mail (via une diode et un EthernetShield, une plaque pour vous connecter au réseau), rajoutez un capteur d’humidité et votre plante verte vous twitte quand elle a besoin d’eau… Les applications sont virtuellement illimitées, avec une communauté très active et un prix d’entrée à 25 euros, ce qui la rend très abordable.

Comme on le voit, aujourd’hui ce sont des dispositifs encore limités (tout le monde n’a pas besoin d’une imprimante 3D ou d’être prévenu via Twitter quand sa plante à soif, encore que…) et qui demandent une certaine technicité pour être réalisés, mais tous les jours de nouveaux projets se lancent dans des domaines toujours plus divers les uns que les autres et se rapprochant de plus en plus de nos besoins.

Un business qui marche

J’entends déjà vos cris: “Ouais des trucs qui servent pas à grand chose, et puis tu te fera jamais de fric avec ça…” et là vous vous trompez.

Vu que les design des différents appareils sont disponibles pour tous, rien n’empêche à une grosse firme chinoise de les prendre, de les fabriquer et de les vendre et cela ne pose aucun problème, et ce pour deux raisons :

— Le but de l’OpenSource Hardware comme pour le logiciel est d’être distribué au plus grand nombre pour leur permettre de profiter des avancées technologiques ou des innovations (et aussi la possibilité de les modifier, bidouiller et de re-distribuer le nouveau design amélioré)

— On oublie le principe de communauté, très fort ici, et qui fonctionne très bien. Si vous savez (puisque c’est dans la licence) que cet appareil est fait par machin, et que vous pouvez l’acheter à différents endroits, il y a de grandes chances que vous alliez l’acheter directement chez le concepteur, plutôt que chez un obscur distributeur que vous ne connaissez pas.

Aujourd’hui il y a 13 distributeurs d’OpenSource Hardware aux États-Unis qui font un chiffre d’affaire supérieur à un million de dollar (ce qui est loin d’être négligeable, voir cette présentation de LadyAda de AdaFruitIndustries) ce qui valide sans problème que ce business model est viable, un business model équitable, qui démontre que donner gratuitement et vendre ne sont pas incompatibles.

Pour exemple en France, Hackable Device vend tout un tas de produits bidouillables et libres, des ordinateurs libres (dépourvus complètement de brevets, que ce soit pour le matériel, les drivers ou les logiciels), de l’Arduino, au premier téléphone libre, en passant par le TV-B-Gone (une télécommande universelle pour éteindre toutes les télés) et plein d’autres trucs…

Cela reste aujourd’hui encore au stade embryonnaire, adopté par quelques fadas dans mon genre, mais les avancées sont significatives et surtout cela montre qu’un autre mode de conception (collective et intelligente), de fabrication (où les usines sont là pour fabriquer et non pour nous emprisonner) et de vente (respectueux du concepteur, sans brider la vente à une seule entreprise) est possible.

Cela laisse aussi présager pour les années à venir, des projets passionnants qui verront le jour et qui je l’espère envahiront peu à peu nos salons. Cela nous permettra surtout de nous rapprocher de tous ces objets, des gadgets électroniques qui aujourd’hui font plus artéfacts (qu’on ne touche qu’avec attention et précaution) qu’outils.

Reprendre la main sur la technologie n’est jamais une mauvaise chose, le faire de façon collaborative et éthique,c’est encore mieux.

Notes

- Vous pouvez aller voir les articles de Adafruit sur l’OpenSourceHardware : http://www.adafruit.com/blog/category/opensourcehardware/ (qui est à la pointe en matière d’OpenSource Hardware)

- Ou encore les drafts de définitions de l’OpenSource Hardware : http://freedomdefined.org/OSHW

- Voir sa tentative de traduction sur LaGrotteDuBarbu : http://www.lagrottedubarbu.com/2010/07/14/open-source-hardware-oshw-ebauche-de-definition-traduction/

- Voir la définition sur Wikipedia : http://en.wikipedia.org/wiki/Open-source_hardware

- Le projet RepRap : http://reprap.org/wiki/Main_Page

- Le projet Arduino : http://www.arduino.cc/

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Olivier Chambon, plus connu sous son pseudonyme Babozor, sévit dans la Grotte du barbu, mais cet article a été initialement publié sur Minorités, sous le titre “iPad contre Anduino, la révolution du matériel open-source“.

Crédits Photo CC Flickr : Leo Reynolds, Zoomar, Eric Gjerde.

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