Marketeux: libérez vos données!

Le 31 août 2010

L'opendata appliqué au champ de l'e-commerce? Selon Alexis Mons, c'est souhaitable, et les systèmes d'informations touristiques (SIT) risquent d'être les premiers concernés.

C’est la fin de l’été et nous allons parler tourisme. Pourquoi? Parce que c’est un de mes domaines préférés, bien en pointe dans la mutation impulsée par les usages numériques et généralement révélateurs de ruptures. A ce titre, je vais vous expliquer qu’il va être le siège d’une nouvelle bataille dans l’accès à une ressource inattendue pour lui : les développeurs. Une compétention emblématique d’une approche marketing qui concernera bientôt pratiquement tout le monde. Bienvenue à l’ère des organisations plateformes.

Chez Google, on fête les développeurs avec des ballons

De l’art de fabriquer des silots à grain

Je lisais récemment de beaux papiers sur la performance des fonctionnalités de recherches sur les sites de tourisme. L’occasion de repenser aux SIT (Systèmes d’Informations Touristiques), dont le développement et l’énergie qu’ils engloutissent fait penser à Sisyphe.

Il y a l’hétérogénéité des systèmes et les modèles pas vraiment ouverts qui les peuplent. Passons. Il y a surtout, derrière l’idée de consommateurs experts, pour lesquels la décision sera d’autant plus acquise que les produits soient filtrables et triables à discrétion grace à un niveau de description super exigeant, sans parler des données chaudes que sont notamment celles des disponibilités.

C’est une erreur de s’enfermer dans cette approche à mon sens. Elle a en effet tous les attributs pour s’imposer une dictature des prix. D’une part en raisonnant en terme de produits banalisés interchangeables, d’autre part en externalisant l’expertise chez le client, donc en la perdant. Après, on vient me parler d’affinitaire, de marketing de l’expérience. Cherchez l’erreur. Cela dit, il y a aussi du low-cost ou du “meilleur prix”, sans parler des sites de comparaison. Comme en e-commerce en général, la pression est très forte pour exister aux yeux d’un public prétendument avide d’opportunités.

En tout état de cause, nous voilà avec des systèmes gavés de données, dont la maintenance est lourde et coûteuse, d’autant plus quand elle s’appuie sur une collecte associée à des organisations non liées par des liens de subordination.

Des apps à la pelle, mais pour quoi faire ?

Si l’on pouvait douter d’autant de moyens dépensés à nourrir les SIT, ce n’est plus le cas si l’on considère l’engouement associé aux applications mobiles. Il est tel, et suffisamment appuyé par des études définitives, que je vais vous épargner d’en faire des tonnes.

Ce qui est par contre certain, c’est que l’on assiste à la production de profusions d’applications clones, selon la conviction que le consommateur est inévitablement demandeur du guide touristique de la destination et que c’est de la responsabilité du management de la destination de le faire. En conséquence de quoi, les destinations dépensent de l’argent à développer des applications et à les promouvoir. Extension du domaine des plateformes me direz-vous. En effet, avec l’avantage que soit le contenu est parfaitement froid, soit il sort du SIT et qu’on peut même se dire qu’on fait une bonne affaire à valoriser cette montagne de données qui coûte si cher.

Il y a pourtant bien mieux à faire.

Libérer les données pour libérer les usages

Les grandes idées viennent toujours du terrain et c’est une vérité fondamentalee de l’économie moderne. On avait donc regardé avec amusement ou circonspection les promoteurs de l’open data, libération des données en bon français, ferrailler contre la puissance publique. L’exemple anglais est bien connu.

Depuis, l’opendata a fait son chemin et démontré ses possibilité. Les fondus d’e-government connaissent bien les initiatives de l’administration Obama ou encore FreeOurDatas. En France, l’exemple vient de Rennes.

De quoi s’agit-il ? Plutôt que d’inventer des services, de financer des applications et de s’évertuer à les faire adopter par le public qui n’a rien demandé, il s’agit d’investir dans la viabilité et la qualité du gisement de données, de l’ouvrir par des APIs et web services ouverts et de superviser l’appropriation par la société et l’économie. Ainsi, à Rennes, des tas d’applications mobiles sont nées en quelques mois, exploitant le gisement de données ouvertes concernant les transports publics. Aucune de ces applications n’a coûté à la collectivités.

Nous sommes ici typiquement dans une logique ouverte qui consiste à créer un écosystème économique, permettant de démultiplier le champ des initiatives au maximum, de ne surtout pas se priver d’une bonne idée et d’impulser une offre de service riche et diversifiée. Une offre que le détenteur des données ne pourrait même pas s’imaginer mettre en oeuvre en rêve.

Evidemment, la contrepartie, on perd du contrôle, d’une part, et on gagne d’autre part l’obligation de garantir le service d’accès aux données. Une obligation que l’on avait déjà tacitement de toute façon. En retour, les service et les usages se développent beaucoup plus vite, à coût très faible, suscitant de fait l’espérance d’avoir là un vai moteur de développement économique, confère ma sortie dans RSLN Mag en ce début d’année, quand je disais que la puissance publique cherche de la croissance alors qu’elle est assise dessus : libérons les données publiques !

Comme vous l’avez compris, ce que je dis, c’est que les destinations feraient mieux d’investir dans l’opendata que de s’ingénier à dépenser l’argent qu’elles n’ont pas dans des applications qui se ressemblent toutes et que personne n’a demandé.

Je le pense tellement fort que je sais que l’accès aux données, mais aussi aux contenus, est un sujet récurrent et déplaisant au sein du management interne de la destination. Les professionnels, à qui on demande de fournir de la données, toujours plus de données d’ailleurs, voient souvent cela plus comme une obligation bureaucratique que comme une contribution à la qualité du bien commun qu’est la destination, sans parler de valeur de marché. S’ils pouvaient bêtement réexploiter eux-même ce gisement, grâce à un framework simple sinon de bêtes widgets, sans doute verraient-ils d’un autre œil l’exercice et l’effort qu’on leur impose.

Les applications, nouvelle fracture numérique entre les destinations

Je le pense tellement fort que je ne peux que constater qu’il n’y a pas que les destinations qui produisent des applications. C’est un vrai marché, surtout sur les endroits qui sont porteurs, bien entendu. Il suffit d’aller taper n’importe quel nom de ville ou de territoire dans l’app-store et de compter les applis. Essayez, c’est éclairant !

Outre l’hétérogénéité des données, donc de l’information et de l’image de la destination que l’on observe entre ces applications, la mise à disposition de données ouvertes permettrait au management de la destination de s’assurer d’un minimum de cohérence dans l’information et le contenu.

Mais surtout, on ne peut que constater déjà, qu’il y a fracture entre destinations riches, naturellement génératrices d’applications, et les autres qui doivent se les payer ! Au moins les secondes peuvent-elles espérer, avec de l’opendata, abaisser l’équation économique qui pèse sur la non-réalisation d’application. L’exemple de Rennes a bien montré que cette approche faisait émerger des services de niches, impensables autrement, outre la vitesse, sans comparaison aucune, avec laquelle le bouquet de services se développe.

Sortir de l’impasse, changer de modèle, prendre le risque de l’innovation

Tout ceci est très séduisant pour nous qui baignons dans l’IT, qui sommes à l’aise avec les licences libres, creative commons, sans parler du Saas ni du Cloud. C’est même excitant d’envisager les modèles de développement crowdsourcés ou similaires à l’open-source qu’ils représentent. C’est ce que l’on appelle (donc) les organisations plateformes, car elles se positionnent comme des écosystèmes de développement de services.

Nous, agences, sommes parfaitement à l’aise avec cela car il est dans notre nature de gérer l’hétérogénéité de compétences que cela requiert, plus la culture du réseau. Il en va autrement pour le politique ou le manager de destination. S’imaginer que l’avenir d’un CRT réside dans l’animation de communautés de développeurs ne va de soit.

C’est pourtant ma conviction qu’à l’instar du datajournalism qui disrupte les médias actuellement, le marketing va vivre une nouvelle révolution à l’aune de l’opendata et des organisations plateformes. Le tourisme me paraît plus concerné que d’autres.

L’avenir appartient aux audacieux. Qui veux jouer avec moi ?

Article initialement publié sur le blog d’Alexis Mons, hébergé par la soucoupe, sous le titre “Le marketing des destinations à l’heure des données ouvertes”

Illustrations CC FLickR par Ludovic Toinel, tobybarnes

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