[eGov] UK, US, EU : Le jour, la nuit et le Moyen-âge

Le 5 octobre 2010

Les leaders de l'innovation gouvernementale de trois capitales ont ouvert le Personal Democracy Forum. Washington est resté flou et lyrique, Londres pragmatique et Bruxelles tristement immobile.

Lors de la session d’ouverture du Personal Democracy Forum de Barcelone, le 4 octobre dernier, les organisateurs ont donné la parole à trois poids lourds de différents gouvernements, chacun racontant comment les nouvelles technologies leur permettent de rendre le monde meilleur. L’Américain a parlé des possibilités ouvertes par les nouvelles technologies, l’Anglais a raconté très pragmatiquement comment ils procédaient pour rendre leur administration plus digitale. Quant à l’Européen, il a péniblement justifié son inaction.

Alec Ross : « Nous en sommes à la première page du premier chapitre »

Au sein du Département d’Etat, le ministère des affaires étrangères américain, Alec Ross s’est taillé un job sur mesure : conseiller à l’innovation. Après avoir suivi Obama pendant sa campagne, il a été pris sous l’aile d’Hillary Clinton et se charge de réinventer la diplomatie à l’heure d’internet.

Il a développé le concept de 21st century statecraft, « la manière de gouverner du 21e siècle ». Selon lui, le monde est partagé entre les partisans de ‘l’ouvert’ et ceux du ‘fermé’ depuis toujours. Comme à Princeton en avril dernier, il prend l’exemple de l’imprimerie, qui a permis l’avènement des Lumières, qui représentent l’ouverture, mais a provoqué l’Inquisition en retour. Aujourd’hui, tout le problème est de permettre aux forces de l’ouverture, que nous représentons, nous les geeks, de prendre la haute main sur celles de la fermeture.

Derrière cette perspective historique flatteuse, que fait vraiment la diplomatie américaine sur le web ? Alec Ross n’a pas été bavard sur ce point là. Il avoue quand même qu’il serait naïf de croire que les médias sociaux vont changer le monde grâce à leur seule présence. Les manifestations en Iran n’ont pas été le seul fait de Twitter, explique-t-il, mais les médias sociaux ont joué un rôle important de relais.

Il a néanmoins donné un exemple concret de ce qu’il faut imiter sur le web, en parlant d’une mobilisation en Syrie ayant réussi à faire virer un professeur après qu’il a frappé un élève – les coups avaient été filmés et publiés sur Facebook. Difficile de trouver cet exemple convaincant, étant donné que le gouvernement Syrien n’hésite pas à bloquer Facebook quand il le juge nécessaire.

J’ai demandé à Alec comment il comptait faire pour transformer le département d’Etat en une force qui compte sur le web. Après tout, si l’on veut utiliser les nouveaux médias pour influer sur les affaires du monde, il vaut mieux commencer par les maitriser soi-même. Alec explique qu’Hillary Clinton a choisit de placer – et de protéger – plusieurs jeunes à divers endroits-clés de son administration et les laisse évangéliser les différentes équipes. Cela a-t-il causé des problèmes ? Pas du tout, répond Alec, tout le monde est même « très enthousiaste. »

Pourtant, le fiasco de Haystack montre à quel point le Département d’Etat ne dispose pas des compétences nécessaires pour jouer sérieusement sur le web. Les bonnes paroles d’Alec risquent de rester lettre morte et le 21st century statecraft une coquille vide si ces trous béants ne sont pas comblés rapidement.

Constantijn van Oranje-Nassau : « Je ne suis pas sur Tweeter »

Le second intervenant représentait la Commission Européenne. Constantijn van Oranje-Nassau est le conseiller de Neelie Kroes, commissaire à la société numérique. Il raconte que son boulot, et celui de Kroes, consiste à créer l’environnement dans lequel la société numérique va pouvoir fleurir, c’est-à-dire de mettre en place le cadre législatif adéquat et de financer la recherche.

"Neelie Kroes aime Twitter", dixit Constantijn

Comme on ne montre jamais aussi bien la voie qu’en l’empruntant soi-même, Andrew Rasiej, qui lui posait les questions, lui demande comment est appliquée la directive PSI, qui réglemente la réutilisation des informations publiques et dont la modification prochaine mobilise la DG de Kroes. Constantijn répond à côté, en expliquant que c’est plus de la faute des États-Membres que de la Commission si la directive n’est pas appliquée parfaitement. Après quoi, dans une envolée que Frédéric Lefebvre n’aurait pas reniée, il nous informe que « sur le mobile, ça va exceller » (sic).

Après son intervention, j’ai demandé à Constantijn si un rapport d’étape avait été effectué suite au règlement 1049/2001, qui oblige la commission à divulguer ses propres documents. Manque de bol, il ne connaissait pas l’existence de ce texte. Il admet que les plans de la Commission sur l’open data restent à très long terme ; ils se calent sur l’agenda de révision de la directive PSI. En d’autres termes, rien ne sera fait avant son examen en 2012. A ce moment là, on aura « peut-être » un concours d’applications. « Peut-être » que la Commission mettra en place un data.eu.

A la Commission, tout reste embryonnaire, et les actions évoquées sont loin d’être convaincantes. Pour prendre l’exemple de Twitter, Constantijn a simplement dit que beaucoup s’y étaient mis, et qu’ils y passaient parfois « trop de temps ». Et lui ? « Je ne suis pas sur Twitter ».

Jimmy Leach : « Adapter la technologie à l’institution »

Homologue d’Alec Ross au Royaume-Uni, Jimmy Leach est à la tête de l’engagement digital au Foreign Office, le ministère des affaires étrangères britannique.

Sur la page du site du Foreign Office, on peut lire qu’ils «résolvent les problèmes diplomatiques grâce à internet ». C’est un peu beaucoup, de l’aveu même de Jimmy, mais ils tentent d’appliquer le soft power via internet. Ils ont par exemple effectué des campagnes Facebook autour de la Birmanie, proposant aux utilisateurs d’envoyer des cartes d’anniversaires à Aung San Suu Kyi. « Ca ne change pas grand-chose, » mais c’est un moyen de faire passer le message politique du ministère.

Offline pendant 230 ans.

Au-delà de ces actions de communication, Jimmy explique les raisons qui le poussent à rénover la politique web de son employeur. « Nous avons 257 sites web, dans plus de 100 pays et en presque autant de langues. » Nous n’avons pas d’autre choix que d’exister sur le web, dit-il en substance.

La principale différence entre Jimmy et les intervenants précédents tient à sa clairvoyance. « Nous développons des principes qui rendront la diplomatie digitale plus utile. » Plutôt que de mettre à plat les structures existantes, Jimmy admet que « l’on ne peut pas changer une institution sans en reprendre ses processus ».

Son boulot consiste en fait à traduire les compétences du Foreign Office sur les nouveaux médias. « Les gens du ministère savent parler aux gens, par exemple. Il suffit de leur donner les moyens de le faire en ligne. » Concrètement, cela transparait par les 4,000 articles de blog publiés ces 4 dernières années. Jimmy et ses équipes considèrent que les utilisateurs finaux vont prendre leurs responsabilités éditoriales et les laissent faire sans interférer. Et, à en croire Jimmy, ça marche.

Il va encore plus loin, prenant véritablement ses distances avec le discours habituel des responsables web. « Nous n’avons pas besoin de trafic sur notre site, nous avons besoin d’informer les gens. » En prenant l’exemple du nuage de cendres, qui a bloqué Heathrow plusieurs jours, il avoue avoir été surpris de voir la BBC republier les infos du Foreign Office sans attribution. « Il y a un an, j’aurais été furieux, dit-il. Aujourd’hui je suis content, car l’info circule. »

Photos CC American Congress / Parlement Européen / belowred / beco

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