L’avenir des journaux : une question de process pas de taille de rédaction

Le 5 octobre 2010

Les rédactions doivent se réorganiser pour profiter du contenu déjà publié sur le web. Elles perdront moins de temps à la réécriture d'information et s'en libéreront pour “sortir” des infos et faire de l’investigation.

Dans son discours à ses équipes à l’occasion de la célébration des 125 ans du quotidien “Dallas Morning News”, le publisher Jim Romenesko affiche une vision apparemment moderne, mais il rate le fond du problème.

  • Les journaux qui survivront sont celles qui ne se considèreront pas comme des journaux. Ils se reconnaîtront comme des médias locaux. Ils  distribueront des contenus sur papier, sur Internet (en fait, il parle du web, NDLA), sur le web mobile, à travers des applications, ou sur tout autre support qui permettra demain au consommateur d’avoir accès à ses infos.
  • Ils devront se rendre indispensables en proposant des contenus locaux de qualité, que le consommateur ne pourra pas trouver ailleurs (il faudrait définir cet “ailleurs”, de plus en plus difficile sur Internet, NDLA)
  • La différence viendra de la taille de leurs rédactions.

Et Jim Romenesko de préciser que plus les journalistes sont nombreux, plus ils produisent des contenus de qualité, notamment des enquêtes. Ce qui ne serait pas le cas des télés locales, ou des rédactions comme le Huffington Post, qui ont des rédactions trop petites…

C’est là où le patron du Dallas Morning News rate l’essentiel.

Changer les méthodes de travail

La question n’est pas de savoir combien de journalistes travaillent dans le média, mais de comment ils travaillent.

Dans un monde fermé, effectivement, plus vous avez de journalistes, plus ils produisent de contenus. Sauf que dans le monde connecté, qui est le monde dans lequel nous vivons (1/3 de la population connectée sur Facebook, 1/3 sur le web mobile et les 2/3 sur le web), vous n’avez pas besoin de produire tous les contenus. Dès qu’une information devient publique, elle est partagée par des milliers d’utilisateurs en quelques secondes. Même si vous interdisez l’accès au contenu original, rien n’empêche un internaute, un autre média, de résumer cette info et d’y associer sa valeur ajoutée (un commentaire, une info croisée, une interview, un contenu vidéo ou photo…).

Ce qui pourrait passer pour une mauvaise nouvelle, est au contraire une bonne nouvelle. Dans un monde fermé, vos journalistes doivent traiter toutes les informations censées intéresser vos lecteurs. Conséquence : la grande majorité des contenus publiés dans un journal est en fait constituée de contenus déjà traités par les autres médias ou blogs au même moment que vous, quand il ne s’agit pas de réécriture de dépêches ou de sélection d’infos concurrentes auxquelles les journalistes vont devoir ajouter leur “patte”, à travers une illustration ou une analyse. Pourquoi ? Parce que vos lecteurs “doivent les avoir”…

Il ne reste donc que très peu de temps aux journalistes pour sortir des infos et des enquêtes. Vérifiez vous même…

La bonne nouvelle, c’est que sur Internet, les utilisateurs (experts, témoins et passionnés) peuvent prendre en charge une grande partie de ce travail de sélection, d’analyse, de témoignage et d’enrichissement, surtout en local (où, en France, 80% des contenus sont produits par les amateurs). Il faut évidemment des professionnels pour vérifier, éditer et mettre en scène ces contenus, mais beaucoup moins que si tout devait être réalisé par les journalistes. Il faut entre 3 et 5 fois moins de journalistes dans une rédaction qui s’appuie sur les communautés pour co-produire l’information.

Asseoir les rédactions dans l’écosystème digital

Ce travail de base, que l’on appelle “curation” (filtrage de l’info publiée sur le réseau) peut être co-produit par une communauté d’experts et de journalistes. Au Post.fr, 1 journaliste pouvait ainsi manager 11 contenus par jour. J’ai calculé qu’en améliorant les process, on pouvait passer à 18. Dans un pure-player traditionnel ce chiffre tombe à 2. Le Huffington Post qui fait beaucoup de “curation”, mais ne s’appuie pas sur les internautes, en produit 6.

Ce qui signifie que là où il fallait 5 journalistes pour produire 10 contenus basiques (déjà traités ailleurs), il n’en faut plus qu’un. Sur une rédaction de 100 journalistes, les comptes sont vite faits.
Pour produire vos 100 contenus filtrés, vous n’avez plus besoin que de 10 journalistes au lieu de 50. Ce qui permet de libérer 80 autres pour “sortir” des infos, faire de l’investigation. Les 10 ou 15 autres peuvent être utiliser pour mettre en scène les contenus sur le papier (secrétaires de rédaction) ou Internet (community managers et/ou front page editors).

Le problème ce n’est pas le nombre de journalistes, mais d’asseoir sa rédaction dans l’écosystème digital. Une des clefs du business model, c’est la réorganisation des rédactions.

J’ai déjà décrit en partie ces process dans mon article sur la “Google Newroom”, je reviendrai dessus en détail prochainement sur ce blog. J’irai d’ailleurs les présenter cette semaine à Hambourg, au Congrès Mondial des journaux.

> Article initialement publié sur la Social Newsroom

Photo FlickR CC : matt.hintsa

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