Le crowdsourcing, c’est aussi un jeu

Le 9 octobre 2010

Quels sont les mécanismes qui font la réussite d'un projet utilisant le crowdsourcing? Si la volonté de faire advenir la vérité et le sentiment d'appartenance à une communauté jouent à plein, la dimension ludique a son importance.

Pourquoi certains internautes passent-ils leur temps à écrire des articles sur Wikipédia? A partager des liens sur Digg? A analyser les notes de frais des députés sur le site du Guardian?

Ne feraient-ils pas mieux de travailler sur des projets payant, genre Mechanical Turk, pour arrondir leurs fins de mois?

3_lemmings1Les études sur le sujet mettent souvent l’accent sur le sentiment d’appartenance à une communauté et sur la volonté de « faire sortir la vérité ». Une étude du Georgia Institute of Technology (pdf) a montré en 2005 que les Wikipédiens travaillaient souvent dans le but d’obtenir une reconnaissance de la communauté. Une nouvelle étude (pdf) réalisée en 2008 portant sur 45 000 Wikipédiens offre des résultats similaires.

On sait bien que l’argent n’est pas une gratification recherchée. Google l’a appris à ses dépends avec l’échec de Google Knol.

Il existe un autre facteur incitant les internautes à contribuer: le jeu. En plus de la gratification de long-terme (la crédibilité, la reconnaissance des pairs), certains trouvent dans la collaboration une gratification immédiate, dans le divertissement.

Pas facile de définir un jeu. Mais on peut discerner certains éléments :

-          Règles. Sans cadre précis, on ne s’y retrouve pas. Cela dit, on peut définir la règle comme étant l’objectif. Wikipédia possède une dimension ludique alors que rien n’y est interdit (Ignore all rules en est l’un des 5 piliers).

-          Plaisir. On doit avoir envie d’y jouer.

-          Compétition. L’excitation provient de la mise en concurrence. D’autant plus si l’on fait connaissance avec les compétiteurs.

holiday_lemmings_19931Si certains Wikipédiens contribuent par amour de la connaissance, d’autres y trouvent un plaisir tout à fait ludique, selon Jose Zagal, chercheur spécialiste des jeux vidéos à l’université De Paul de Chicago, joint par téléphone.

Au sein même de la communauté Wikipédia, certains groupes sont très compétitifs, explique Zagal. Dès qu’un évènement a lieu, ils doivent être les premiers à écrire dessus, tout comme certains écrivent ‘prems’ sous les posts de blog. Là, l’utilisateur exhibe sa performance, dans le sens où il montre sa valeur aux autres. Un peu comme quand on arrivait au collège fiers comme Artaban après avoir battu le boss de Zelda.

De la même manière, Zagal constate que certains cherchent à terminer coûte que coûte le projet auquel ils contribuent. C’est, par exemple, le cas du Wikipédien qui va travailler d’arrache pied pour que chaque single de U2 ait sa fiche bien proprette, avec le nombre de CD vendus et le classement dans les charts. Un comportement que Zagal rapproche du slogan des Pokémon, ‘attrape-les tous’. Terminer une tâche ou un level à 100% est, là encore, un comportement typique du hardcore gamer.

Quel enseignement pour les professionnels de l’info?

Depuis à peu près 4 ans, le crowdsourcing est utilisé pour récolter ou organiser l’info. Des projets comme Ushahidi (observation d’élections) en font leur fond de commerce, mais certains médias utilisent le procédé pour des one-shots. C’est ce qu’a fait le Guardian avec les notes de frais des députés ou le HuffPost lorsqu’il a demandé à ses lecteurs de lire le rapport du Sénat sur le plan de relance.

Le crowdsourcing fonctionne mieux s’il n’est pas vécu comme une corvée citoyenne. Mettre son nez dans la paperasse, rechercher des infos saillantes, vérifier une info sur le terrain et sous la pluie… Autant d’activités moyennement excitantes pour le commun des mortels (c’est pour ça que dans le temps, on payait des gens pour ça – on les appelait journalistes).

Pour rendre la tâche plus légère, mieux vaut la voir comme un jeu. Shovelwatch, organisé par ProPublica, coordonne les rapports sur l’évolution des projets financés par le plan de relance de Barack Obama. Même si la réalisation n’est pas forcément à la hauteur de l’ambition affichée, ProPublica propose aux internautes d’adopter un projet et d’observer sa réalisation. Le concept ressemble au Tamagochi, non?

On peut travailler pour des buts nobles et grandiloquents comme la démocratie et le bien commun tout en s’amusant. L’info n’a pas besoin d’être ennuyeuse pour être utile.

draft_lens1904166module9118998photo_1208244661lemmings1Plus les règles sont fines, plus le jeu gagne en intérêt. Donner des bons points ou des ‘encouragements’, comme sur LePost.fr, c’est marrant 5 minutes, mais on en fait vite le tour. Habrahabr, le Digg russe, utilise un système de karma beaucoup plus intéressant.

Là, les internautes commencent avec un karma nul. Les autres utilisateurs peuvent donner ou retirer des points, suivant leur niveau de karma (en étant à 7 points de karma, on peut distribuer/retirer 7 points par jour). Avec l’élévation du karma, les utilisateurs obtiennent différents privilèges. (Plus de détails sur le système du karma sur l’article Wikipédia que je viens d’écrire.)

Alors que Digg a perdu 50% de son trafic lors des 18 derniers mois, Habrahabr est en progression de 30%.

La compétition stimule. La règle de base de l’économie s’applique aussi aux jeux. Il suffit de voir à quel point la blogo-twittosphère frétille à chaque fois qu’un classement est annoncé pour comprendre que l’égo est un puissant facteur de motivation.

My.BarackObama.com, le réseau social de la campagne et de soutien au président US, est organisé comme un gigantesque jeu de rôle. Les volontaires reçoivent une liste d’actions à accomplir au cours de la journée, puis obtiennent une note de 1 à 10, qui prend en compte leur activité récente. Le système était encore plus compétitif au début 2008, les internautes y étant classés par ordre d’activité.

Nul doute qu’un message du style « Vous êtes le 214 987e volontaire le plus actif » titille l’amour propre de tout obamiste et le pousse à redoubler d’efforts.

Le crowdsourcing peut être une expérience ludique. Mais au final, il faut surtout que les participants sachent ce qu’ils vont retirer de leur effort, souligne Jose Zagal. Les contributions doivent avoir un but, que ce soit l’argent (Mechanical Turk), l’avancement de la connaissance (Wikipédia) ou le divertissement.

Aux architectes du projet de crowdsourcing d’utiliser au mieux les motivations des contributeurs pour arriver à leurs fins !

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