Un point sur le débat sur la levée de l’anonymat des donneurs de gamètes

Le 27 novembre 2010

La levée de l'anonymat des donneurs de gamètes est l'une des mesure-phare du projet de révision de la loi de bioéthique de 2004. Elle divise les opinions autour d'un don qui a toujours été anonyme.

Donneur, receveur, enfant issu d’IAD (insémination artificielle avec donneur) devenu maintenant adulte : suite à la tribune-témoignage d’Albertine Proust publiée le 9 septembre sur Sciences et Démocratie, chacun a eu l’occasion de donner son avis pour alimenter un débat riche et parfois passionné. Et force est de constater qu’à la veille du vote par l’Assemblée Nationale du projet de loi proposé par Roselyne Bachelot, ex-Ministre de la santé, le débat est loin d’être encore clos.

Une quête d’identité incomprise, des limites obscures

Roselyne Bachelot a tenu à l’assurer plusieurs fois : “l’anonymat du donneur sera respecté“. L’idée principale étant que le donneur de gamètes ne verra son anonymat levé qu’avec son accord préalable.  Cet accord ne sera sollicité qu’au moment de la majorité de l’enfant issu du don, si ce dernier en effectue la demande. D’après l’ex-Ministre de la santé,

“le texte prévoit aussi l’accès à des données non identifiantes du donneur, comme son âge. Des informations plus précises d’ordre socioprofessionnel et concernant sa motivation ne seront recueillies lors du don que si le donneur l’accepte.”

Les réactions sont sans appel et le doute s’installe quant à la nécessité de lever l’anonymat de telles informations. Quelles seront les limites ? Dans sa tribune, Albertine va plus loin en exprimant clairement son incompréhension face à cette “quête d’identité” :

Nous ne comprenons pas que des enfants de receveurs puissent faire de la découverte de l’identité du donneur un combat“.

Selon elle, l’histoire de l’enfant se démarque totalement de son origine génétique et du don de gamètes qu’elle a effectué mais s’ancre dans l’histoire de ses parents, de leur projet de conception, de leur chemin parcouru. Un avis parfois partagé, comme le décrit paulineadrien, dans un long commentaire argumenté.

Il me semble que le principal intérêt de retrouver le donneur pourrait être non-pas de savoir que le donneur est tourneur-fraiseur ou un polytechnicien ou qu’il mesure 1m85 [...] le principal intérêt pourrait être dans ce qu’on désigne par informations médicales“.

Un avis aussi souvent contredit, parfois de façon assez passionnelle. Un « IAD » de la première heure, aujourd’hui adulte, témoigne de sa quête identitaire :

Nous ne souhaitons pas établir ou nouer de relation durable avec notre donneur que nous ne considérons pas comme notre père ou notre mère, mais seulement voir son visage pour savoir ce qui constitue notre singularité et notre appartenance à l’humanité“.

Beaucoup semblent accepter le désir de certains adultes de connaître leurs origines génétiques, sans forcément le comprendre. Mais quelles sont les limites de la quête de chacun? Un visage, une discussion, des échanges réguliers ?

Et là, paraît la question du “tout-génétique”… et de la consanguinité !

Le coeur de la pensée d’Albertine Proust repose sur un refus de la mode du “tout-génétique” entretenue actuellement (1). Partout, l’on peut entendre parler de “gène de l’obésité”, “gène de l’intelligence”, “gène de l’alcoolisme”, un mélange de dérive sémantique – il faudrait plutôt parler de prédisposition génétique – et de scientisme édulcoré, où la biologie prend abusivement le dessus au détriment du psychologique et de l’affectif

Anne, qui témoigne sur le site de PMA (Procréation Médicalement Anonyme), association défendant la levée de l’anonymat, illustre bien cette idée :

Le plus difficile c’est de savoir que je ne saurai jamais qui est mon “père”, car pour moi il n’est ni un géniteur, ni un donneur… c’est mon père, biologique évidemment, mais mon père tout de même.

Dès lors se pose la question de définir les notions de père, mère, d’identité ou d’origine. Une question dont on trouve des éléments de réponse parmi les commentaires de la tribune. Eric défend l’idée de ne pas

confondre le fait de vouloir connaître ses conditions de naissance et le fait d’attribuer à la biologie des effets déterministes sur l’identité.

Quant à l’accès aux informations sur les donneurs, Valgm s’interroge :

Quand on vous fait miroiter l’illusion que c’est important, que ça vous sera bénéfique, comment ne pas être tenté ? Et tout ça pour quelles conséquences ?

Cette importance accordée aux gènes donne naissance à une peur tout aussi profonde que relativement injustifiée : celle du demi-frère ou de la demi-sÅ“ur cachés avec lesquels l’adulte issu d’IAD craint un rapport incestueux. Cette problématique est d’ailleurs abordée très vite dans le débat des internautes, notamment avec Chloé qui pose une question essentielle :

Cela voudrait-il dire qu’un enfant issu du don, et le sachant, vivra dans la peur constante de s’éprendre d’un demi-frère et devrait alors se restreindre à choisir qui ne lui ressemble pas de peur d’être en couple avec un membre de sa famille génétique ?“.

A vrai dire, la probabilité que cela arrive est quasiment nulle. Le risque de consanguinité est d’ailleurs plus élevé pour une personne conçue “traditionnellement”, d’après Eric qui précise qu’il y aurait

3 % d’enfants dont le père n’est pas l’ascendant génétique suite à un adultère“.

En France, depuis 1973, date de création des Cecos (Centre d’étude et de conservation des Å“ufs et du sperme humains), 50 000 enfants ont vu le jour suite à une IAD grâce à 9000 donneurs. Les lois de bioéthique instaurées en 1994 brident chacun à cinq dons, limite relevée plus tard à dix dons pour faire face à la pénurie de donneurs. Autrement dit, une goutte d’eau sur le nombre de naissances total depuis le début des années 70 (environ 30 millions). Pourtant, cette peur de la consanguinité et de l’inceste qui pourrait en résulter existe bel et bien.

Encore une fois, est-ce que l’on accorde une trop grande importance à la génétique et aux chromosomes, oubliant toute notion anthropologique de ce qu’est une famille, un “frère”, une “soeur” ? Quid de la notion de filiation entre le receveur et son enfant ? Faut-il conserver le mode actuel basé sur la filiation dite “charnelle” qui ne différencie pas un enfant issu d’un don d’un enfant “biologique” ou bien opter pour un mode proche de la filiation adoptive, en révélant donc potentiellement l’identité du donneur sur le certificat de naissance de l’enfant ?

Rétroactivité de la loi, sentiment de trahison et peur d’une diminution des dons

Après l’annonce de Roselyne Bachelot, les anciens donneurs se sont un peu sentis trahis et déconcertés face à une mesure allant à l’encontre des préconisations du rapport Leonetti publiées en janvier 2010. Pour Albertine Proust :

Maintenant que nous avons compris que notre anonymat pourrait à tout moment être remis en cause [...] la réaction la plus intelligente serait de demander la destruction de ce qu’il reste de nos dons. Nous ne voulons pas nous y résoudre

Et 70 % des donneurs suivent peu ou prou cet avis en étant contre la levée de l’anonymat. 60 % renonceraient d’ailleurs au don s’il leur était imposé de dévoiler leur identité. Du côté des receveurs aussi, des réactions hostiles naissent. Un quart d’entre eux semblerait renoncer à leur projet d’enfant si l’anonymat était levé. Par peur de voir leur famille déstabilisée ?

La peur de voir les dons diminuer s’accentue dans un contexte où les temps d’attente atteignent déjà six mois à un an pour bénéficier d’une IAD. Pour certains, aucun doute qu’une telle mesure va conduire à la “fuite” des dons et au développement de filières parallèles de dons illicites, sans limite, sans suivi, sans accompagnement. `

Pourtant les chiffres de pays précurseurs dans le domaine semblent indiquer le contraire. En Suède, premier pays dans le Monde à voter le même type de loi en 1984, le nombre de donneurs s’est stabilisé un an après son entrée en vigueur. Le Royaume-Uni ne paraît pas non-plus avoir été touché statistiquement par la levée de l’anonymat en 2005.

Mais le problème est ailleurs :

ne vaudrait-il pas mieux accompagner les couples qui ont recours à ces banques de gamètes?

interroge très justement Chloé en réponse à Albertine Proust. Toute la question est là.

Peu de parents révèlent à leurs enfants la façon dont ils ont été conçus, à cause du tabou et parfois de la honte de l’infertilité et des difficultés rencontrées. Mais alors que l’intérêt des enfants est à présent le plus mis en avant, ne serait-il pas plus constructif de mettre en avant l’intérêt de la famille dans son ensemble, autour du projet parental ? Quelles pourraient être les solutions mises en place pour accompagner les “receveurs” dans leur démarche et tout au long de leur vie ? Ces interrogations restent en suspens.

>> Article initialement co-publié sur Sciences et Démocratie & Prisme de tête

>> Images CC Flickr : M i x y et wellcome images

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