La dernière photo d’Henri IV et la vérité des images…

Le 21 décembre 2010

Sur Facebook, Gallica propose de “comparez la tête d’Henri IV récemment retrouvée aux portraits du roi disponibles”. Comparaison qui interpelle Olivier Beuvelet.

Sur son profil Facebook, Gallica diffuse une série de portraits d’Henri IV en proposant la chose suivante à ses amis : “Comparez la tête d’Henri IV récemment retrouvée aux portraits du roi disponibles dans Gallica.” Or, à voir la photographie ci-dessous de la tête d’Henri IV récemment retrouvée, le travail de comparaison proposé par le site de la BNF semble difficile. C’est qu’Henri IV a bien changé durant ces quatre derniers siècles…

Photographie de la tête momifiée d'Henri IV

Il s’agit bien sûr de comparer la reconstitution de la tête du roi effectuée à partir du squelette de la momie retrouvée (voir plus bas) et non, bien sûr de comparer la momie aux portraits. Cependant, l’invitation iconographique de Gallica, dans sa formulation raccourcie et ambiguë, met en évidence  une relation entre le modèle et sa représentation imagée qui ne manque pas de m’interpeller.

J’avais déjà été frappé par le dévoilement du “vrai visage” de Jules César, suite à la découverte à l’automne 2007 de son buste dans la vase du Rhône près d’Arles, ville fondée par l’Empereur en 46 av. JC. La ressemblance probable entre le buste et son modèle reposait alors d’une part sur la datation scientifique de la sculpture de marbre, correspondant au vivant de l’homme ce qui laissait supposer que la représentation avait pu bénéficier de la présence du modèle vivant, d’autant qu’il s’était réellement rendu en Arles, sa ville, et d’autre part sur le réalisme de l’ouvrage finement ciselé qui faisait apparaître des rides et d’autres signes de l’âge, ainsi qu’une expression mélancolique conférant à l’ensemble un air d’instantané photographique. Allant à l’encontre des représentations habituelles de César, fondées sur le buste post mortem de Tusculum, qui montraient un visage plutôt émacié et tranchant, celui-ci faisait de lui un bon vivant aux traits doux et latins… loin du César d’Uderzo. Elle avait donc l’aspect d’un dévoilement, d’une révélation. Et cette représentation jouissait de l’aura que lui conférait une possible présence de Jules César devant le sculpteur. C’est le portrait le plus proche, c’est-à-dire le plus proche d’un contact, d’un contact visuel entre le modèle et la représentation. La sculpture apparaissait alors comme une photographie, ou tout au moins sa crédibilité s’appuyait sur l’idéal photographique (son illusion essentielle), selon lequel l’image conserve une empreinte du modèle présent et ainsi, un peu de la réalité de sa présence. C’était le processus de représentation qui authentifiait la ressemblance.

L’apparition de la “vraie tête” d’Henri IV, avant hier, dans les colonnes des grands quotidiens nationaux, pouvait elle aussi ouvrir à un certain nombre d’interrogations concernant cette question de la ressemblance. Contrairement à l’icône ou à l’idole, la relique ne se soucie pas de fonder l’illusion de la présence dans une (même vague) ressemblance au modèle, au prototype, elle est un pur morceau de présence, dissemblable mais ayant réellement été en contact avec le modèle, voire, ayant été une partie du modèle et ce contact est traditionnellement établi par un récit. La relique est donc à la fois le modèle (ou son empreinte) et sa représentation dissemblable. On peut dire qu’avec l’apparition de la tête d’Henri IV, c’est le modèle lui-même qui est réapparu, à la fois comme relique et comme portrait photographique le plus récent. Or, bien que photographie de la tête de Henri IV, cette image publiée dans la presse ne ressemble pas, à première vue, aux portraits qu’on connaît du roi (heureusement pour le vert galant qui n’aurait pas été si vert si cela avait été le cas!) et on ne reconnaît pas le roi dans ce modèle précieusement conservé.

Son authentification n’est venue que d’une enquête scientifique qui a la particularité d’avoir procédé à partir des représentations comme témoins de la vérité pour authentifier le modèle. Ne pouvant établir sans conteste l’authenticité de cette tête par le biais d’une analyse d’ADN, l’équipe de chercheurs dirigée par le docteur Philippe Charlier, s’est principalement appuyée sur des portraits pour authentifier le modèle qui ne se ressemblait plus. Comme nous le dit l’article du British Medical Journal, “CT scanning enabled the team to image the skull, and from this build up a facial reconstruction to compare to portraits.” C’est ainsi à partir d’une reconstruction faciale faite sur la base d’un scanner des os du crâne que des comparaisons ont été faites avec les portraits connus du roi.

reconstitution faciale

Et cette étude débouche sur des conclusions qui confirment que la momie ressemble bien, malgré les apparences, aux représentations du roi : “A digital facial reconstruction of the skull was fully consistent with all known representations of Henri IV and the plaster mould of his face made just after his death, which is conserved in the Sainte-Genevieve Library, Paris. The reconstructed head had an angular shape, with a high forehead, a large nose, and a prominent square chin. Superimposition of the skull on the plaster mould of his face and the statue at Pau Castle showed complete similarity with regard to all these anatomical features.”

Un des portraits proposés par Gallica

Dans un second temps, une comparaison a été établie entre des marques sur le visage et des éléments connus du portrait. Une boucle d’oreille à l’oreille droite comme c’était l’usage à la cour des Valois et une tache de 11 mm sur la narine droite ainsi que la trace d’une estafilade… L’article précise ainsi : “Two features often seen in portraits of the monarch were present : a dark mushroom-like lesion, 11 mm in length, just above the right nostril and a 4.5 mm central hole in the right ear lobe with a patina that was indicative of long term use of an earring. We know that Henri IV wore an earring in his right earlobe, as did others from the Valois court. A 5 mm healed bone lesion was present on the upper left maxilla, which corresponds to the trauma (stab wound) inflicted by Jean Châtel during a murder attempt on 27 December 1594.”


Comparaison entre les portraits et les marques retrouvées sur la tête momifiée d’Henri IV

D’autres études ont bien sûr été menées pour authentifier la tête, au carbone 14 par exemple, permettant de dater la momie entre 1550 et 1650, ce qui correspond bien à la date de la mort d’Henri IV, le 14 mai 1610. Par ailleurs des restes de plâtres témoignent des trois moulages successifs effectués sur la tête du mort, en 1610, 1793 et récemment par un des détenteurs de la tête. Il n’a pas été possible d’effectuer une comparaison de l’ADN, ce qui laisse le champ de l’interprétation encore ouvert, mais très peu.

Ce qui me frappe donc dans cette démarche, c’est la manière dont l’image vient témoigner pour le modèle revenu après coup. Ce qui est étonnant, c’est cette inversion des rôles de la représentation et du modèle, l’image devenant un modèle dépositaire de la vérité des apparences susceptible d’authentifier le modèle qui a perdu de sa ressemblance à lui-même et est étudié comme une représentation, sur des critères de correspondance des signes. Ce sont ces signes (piercing à l’oreille, tache, blessure) qui viennent comme des poinçons attester l’identité du modèle.

Alors que dans le cas du visage de César, la présence supposée du modèle au moment de sa confection authentifiait l’image comme ressemblance, selon les vertus illusoires du paradigme “photographique” de l’empreinte visuelle (ou de la peinture sur le motif/devant modèle) ici c’est l’image (comme recueil de la présence) qui vient authentifier le modèle et lui restituer une ressemblance perdue et, en fonction de cette dernière, son aura éventuelle. La relique n’est pas seulement un vrai morceau d’Henri IV, mais, malgré les apparences, elle lui ressemble, porte ses signes distinctifs et c’est de là qu’elle tient son aura. On peut maintenant regarder cette relique en se disant qu’on voit Henri IV, le vrai Henri IV. Dans les deux cas pourtant, c’est la croyance dans la capacité de l’image à conserver une empreinte visuelle (présence de César devant le sculpteur et d’Henri de Navarre devant le graveur ou le peintre) et donc à receler une vérité qui confère une authenticité à l’image… ou au modèle… Mais alors que pour César il s’agissait d’établir la vérité de la représentation, dans le cas de cette étude de la tête d’henri IV, la vérité de la représentation est un point de départ pour les expériences, la représentation est a priori exacte et vraie.

Certains extrêmistes de la République naissante avaient coupé cette tête momifiée de son origine en 1793, allant chercher toute les présences efficaces du roi jusque dans les tombeaux, ils avaient jeté le corps embaumé du bon roi dans la fausse commune comme ils avaient aussi décapité les rois de Juda sur la façade de Notre Dame, manifestant ainsi, de manière irrationnelle, leur croyance dans la puissance magique de la face royale qu’il s’agissait de mettre à bas…  Puis, la République renforcée s’était apaisée, considérant les rois comme de braves grands-pères devenus inoffensifs… seuls les royalistes croyaient en cette tête et en sa force…

Il est singulièrement saisissant que la tête momifiée d’un roi assassiné reparaisse aujourd’hui, retrouve son aura à travers un rayonnement médiatique, reconnecte la République à son inconscient monarchique et à cette “valeur mystique de la liqueur séminale” qui fondait le royaume ; comme le retour du refoulé d’une République dont la tête perd la tête, croit follement à ses propres représentations, et à sa lignée, une République en crise qui cherche, d’une manière étrange, à se fabriquer des reliques nationales sur la base d’une croyance idolâtre en la ressemblance et en l’identité.  La science vole ici au secours de l’idolâtrie en fondant la croyance sur des preuves objectives qui sont finalement les mêmes que celles qui ont toujours servi à authentifier les véroniques (vera icona) ; l’image authentique est l’image dont un récit nous dit qu’elle porte l’empreinte visuelle du modèle… qu’elle tient quelque chose de la relique…

Un film est à venir en février sur l’histoire de cette tête… Observons bien ce qu’elle deviendra par la suite…

Les illustrations scientifiques sont tirées de l’article du BMJ linké plus haut.

Lire sur cette question le livre de Hans Belting, La vraie image, (Le temps des images) Paris, Gallimard, 2007

Trouvé sur Le Figaro.fr … dans le genre problèmes d’identité nationale, c’est succulent, l’héritier de Henri IV en banquier américain…

Lire aussi cet article de Libé .

>> Article publié initialement sur Parergon, un blog de Culture Visuelle

>> Illustration CC FlickR : Nick in exsilio

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