A-Listers: éloge de la transdisciplinarité et de l’action

Le 8 janvier 2011

Cecil Dijoux présente une série de "A-listers", ces incontournables de la blogosphère anglophone. Il apprécie chez eux leur capacité à mettre leurs compétences transdisciplinaires au service de l'action, un trait qu'il regrette de ne pas retrouver en France.

Ce qui fascine chez les A-Listers, ces bloggers incontournables de la blogosphère anglophone : le caractère multiple de leurs compétences et le fait qu’il s’agit de personnalités qui, au-delà de la réflexion, sont en permanence dans l’action.

La richesse de leur parcours improbable leur donne une perspective originale et une meilleure appréhension des choses électroniques. Et cette compréhension intime des changements sociaux que nous vivons  leur confère une plasticité professionnelle et une aisance naturelle pour réinventer continuellement leur vie avec des activités où s’entremêlent recherche, écriture, business, consulting, art et technologies. La vie 2.0, quoi.

Hypertextual l’avait énoncé dans sa profession de foi [fr] : nous ne retrouvons pas cette pertinence dans la blogosphère.fr [fr], et le sentiment est qu’indépendamment des raisons évoquées alors, un motif supplémentaire est ce manque de compétences transdisciplinaires au service de l’action.

Edgar Morin [fr] rappelait que la délimitation des disciplines [fr] a permis l’hyper-spécialisation et, ainsi, la modernité de la recherche scientifique. Modernité succédant à la phase classique où les savants savaient tout sur tout, avec une grande dispersion de l’énergie et la concentration.

L’expérience tendrait à montrer un certain retour au classicisme pour la discipline des sciences connectées, à la fois sociales et technologiques, où ceux qui ont le mieux et le plus tôt perçu les perspectives offertes par les outils collaboratifs d’internet présentent des parcours et des compétences riches, confinant parfois au romanesque.

Petit panorama :

Hugh McLeod : l’illustrateur de la blogosphère

Hugh Mc Leod : ancien publicitaire, illustrateur officiel de la blogosphère avec ses dessins gribouillés sur le dos des cartes de visite. Un des blogs Marketing les plus populaires et les plus pertinents. Après avoir vécu à New York et Londres, il vit aujourd’hui à Alpine, Texas. Il y a monté un atelier pour enfin faire de l’art et profite de sa notoriété pour en vivre en vendant depuis internet des exemplaires limités et signés.

En parallèle il écrit des self-help books inspiré de son parcours étonnant. Humour rustaud, chroniqueur impitoyable des médias sociaux et de l’entreprise,  Hugh a construit étape par étape sa vie et inventé son activité professionnelle. Ou plutôt : il a agrégé des activités différentes pour composer sa vie professionnelle : illustration, oeuvres d’art, livres et consulting en marketing avec des entreprises aussi différentes que Microsoft, Dell ou les vins Stormhoek.

Son fait d’armes : l’essai How to be creative (Hypertextual en parle ici) qui a inspiré son livre Ignore everybody.

Kathy Sierra : from fitness to Twitter

Kathy Sierra est diplômée en sciences physiologiques. Ses dix premières années professionnelles l’ont été dans l’industrie du fitness. Sujette à des crises d’épilepsie, elle se fascine pour les sciences cognitives et suit des cours à l’UCLA pour ensuite se diriger vers le monde des médias interactifs et participer à la conception de jeux vidéos. Elle entre ensuite à Sun Microsystems où elle devient instructrice dans le langage Java (le langage de programmation le plus utilisé dans le monde informatique depuis le début du siècle) et conçoit les sujets des certifications professionnelles du langage.

Elle monte le site communautaire JavaRanch en 98, site qui obtient instantanément un succès spectaculaire et assied devant l’éternel son statut d’icône auprès de la communauté des geeks. Elle entre dans ma vie professionnelle le 12 septembre 2001 : alors consultant indépendant dans les systèmes de réservations de l’industrie aérienne, quelque chose me dit que je ferais mieux de changer de branche. La collection qu’elle dirige chez O’Reilly (Head First Series) s’avère un outil extraordinaire (ludique et très visuel) et parfaitement complémentaire de JavaRanch pour préparer des certifications professionnelles et faire ainsi évoluer mes compétences.

Elle dirige ensuite le blog de marketing/brand management/community building Creating Passionate Users qui obtient un succès formidable jusqu’à la fameuse affaire des menaces de mort qui a secoué la blogosphère en 2007. Elle a été une des premières à entrevoir la puissance de Twitter où on peut la suivre aujourd’hui.

Ses faits d’armes : l’incroyable collection de formation Head First Series où elle met en pratique ses études des sciences cognitives avec des visuels rigolos, son sens de l’humour tongue in cheek, et une approche positive et volontariste qui confine au solaire (et qui lui a valu d’incessantes attaques – dont les menaces de mort). Et bien entendu l’inépuisable blog Creating Passionate Users.

Penelope Trunk : volley ball, syndrôme d’asperger et generation Y

Penelope Trunk (c’est un pseudo – on tout de voit tout de suite le sens de la prosodie) a commencé à écrire en 99 dans eCompany ou The Boston Globe. À l’époque executive dans de grandes entreprises (après avoir été joueuse professionnelle de volley-ball) il est ensuite assez difficile de la suivre : sa biographie fluctue en fonction des moments et des patronymes successifs dont elle s’est affublée.

Elle est aujourd’hui à la tête de Brazen Carreerist, une start-up proposant un réseau social professionnel pour la Generation Y, génération qui la fascine et sur laquelle elle est intervenue dans un certain nombre de conférences.

Des dizaines de milliers d’abonnés à son blog sont subjugués par son ingénue transparence : elle y parle tour à tour de son business, son syndrôme d’Asperger, ses aventures amoureuses avec son fermier du Wisconsin, son experience du 11 septembre (elle était alors sur le site du WTC), ses avortements ou encore de comment son père a abusé d’elle. Billet dans lequel elle a cette phrase incroyable : “I don’t have more stuff that is difficult to talk about. I just have more difficulty not talking about difficult stuff.”

Son fait d’armes : son tweet en direct où elle raconte qu’en plein board-meeting elle est en train de faire une fausse couche, tweet qui a suscité un tollé et pour lequel elle a répondu avec un panache remarquable en direct sur CNN.

David Heinemeier Hansson : small is the new big en action

David Heinemeier Hansson fait partie de ses geeks qui ont contribué à rendre l’informatique terriblement sexy. Tout au moins aux États-Unis (avec Wired donc) où c’est aujourd’hui communément admis qu’il s’agit d’une occupation créative. Je vous laisse mesurer le chemin qu’il nous reste culturellement à accomplir…

Anyway : fraîchement émoulu de sa business school Danoise, DHH part avec sa chérie à Chicago où il rejoint le non moins remarquable Jason Fried et transforme 37Signals d’une Web Agency dont le manifesto cite Vladimir Nabokov et David Ogilvy en une start-up florissante qui ne fait rien comme tout le monde pour des résultats à l’insolente réussite.

Tout le monde développe des applis web en PHP ou en Java [fr] ? DHH récupère le langage Ruby [fr] et invente le framework Ruby on Rails qu’il offre à la communauté open source. Pour mesurez le truc essayez d’imaginer un diplômé d’HEC qui a) conçoit un framework de développement web et b) préfère l’offrir à la communauté open source plutôt qu’accepter une offre mirobolante d’un éditeur.  Framework qui décuple la productivité et qui dispose d’une communauté de milliers de développeurs et de millions d’utilisateurs : Twitter et Slideshare par exemple sont développés en RoR.

Son fait d’arme : le framework RubyonRails bien sûr mais surtout son insolente gouaille GenY qui lui permet de mettre en boîte Michael Arrington, le chroniqueur officiel de la Silicon Valley au terme d’une étincelante présentation à la Start-up school 2008 de Stanford.

danah boyd : Erwing Gofmann sur BoingBoing

Sociologue des médias sociaux et pure geek capable de hacker son Mac OS X. danah boyd (qui insiste pour que son noms et prénom soient orthographiés en minuscule) est une spécialiste de la relation des ados avec le monde connecté. Il s’agit aussi d’une experte et d’une actrice majeure de la culture électronique du XXIe. Je cherche encore quelqu’un chez nous citant à la fois Lawrence Lessig ou Cory Doctorow et Erwing Goffman ou Hannah Arendt.

À la manière des autres A-listers dont on parle ici, et de la génération Y dont elle est un magnifique étendard, danah est d’une transparence touchante sur son blog : on a ainsi appris en temps réel l’obtention de son PHD, ou ses problème de burning lap des suites de l’utilisation abusive de son MacBook.

Elle participe à l’ouvrage collectif Rebooting America [pdf] une autre pierre philosophale de la culture connectée.

Il aura fallu attendre 2009 et son essai [pdf] sur l’analogie entre la désertion de certains quartiers et celle de MySpace par les communautés WASP pour en entendre parler dans les médias français.

danah travaille aujourd’hui au centre de recherches de Microsoft à Boston et est membre du Berkman Center for Internet and Society de l’université d’Harvard.

Son fait d’armes : un essai sur la reproduction des classes sociales dans le monde connecté avec une division qui prend la forme des groupes subalternes chez MySpace et hégémoniques chez Facebook. Hypertextual en parle ici et là. Supernormal [fr] en a fait une chanson : Nos vies électroniques [fr].

Les autres

On pourrait rajouter ici, mais la place et le temps manquent :

Bon surf !

Billet initialement publié sur #hypertextual

Image CC Flickr Lollyman

Laisser un commentaire

Derniers articles publiés