Eloge de la ville dense ou le déclin du paradigme urbain américain

Le 26 février 2011

Philippe Gargov revient sur les propos d'un économiste de Harvard qui a remis en question le modèle des suburbs pavillonnaires, emblématiques du rêve américain, lors de l'émission de satire politique Daily Show.

Je suis grand fan du Daily Show, émission de satire politique diffusée depuis 1996 sur Comedy Central (high five, Iris). Alors, quand Jon Stewart reçoit un économiste de Harvard pour dire du bien de la vie urbaine, vous vous doutez bien que je regarde attentivement. Edward Glaeser [en]était en effet invité, ce lundi 14 février, à présenter son livre au titre clair comme de l’eau de roche : Triumph of the City: How Our Greatest Invention Makes Us Richer, Smarter, Greener, Healthier, and Happier (Le triomphe de la ville : comment notre plus grande invention nous rend plus riche, plus intelligent, plus heureux et en meilleure santé. Rien que ça.).

L’émission aurait pu se contenter d’être drôle (malgré un Edward Glaeser sous amphét’). Mais si je vous en parle, c’est aussi et surtout parce qu’une telle interview est fortement révélatrice. Car pendant des décennies, le « rêve américain » n’a eu pour seul étendard que le modèle – désastreux – de la suburbia [en] pavillonnaire. Mais les temps changent, alléluia !

Ce n’est en effet une nouvelle pour personne : le paradigme urbain des États-Unis est en train d’évoluer, sous l’influence des crises récentes (subprimes + environnementale + prix du pétrole, etc). Les villes partent donc depuis quelques années à la reconquête des Américains (on note d’ailleurs plusieurs exemples notables dans la pop-culture, notamment les séries. Il faudrait que je pense à en faire un billet, pour prolonger ce que j’écrivais ici, en écho à cet article [en]).

Qu’un économiste vienne rappeler les vertus de la ville dense dans ce type d’émission est donc un signe fort (l’émission rencontre un certain écho auprès des jeunes adultes peu intéressés par les émissions politiques plus classiques). Cela se ressent parfaitement dans l’interview et les commentaires de Jon Stewart, en particulier à partir de 3’50.

Edward Glaeser le dit clairement : « C’est la raison pour laquelle j’ai écrit ce livre : j’espère vraiment que nous arriverons à dépasser l’idée que le seul “rêve américain” est le pavillonnaire périurbain. » (en gros) Il revient aussi sur le « fétichisme de la propriété », l’ineptie des investissements autoroutiers, les vertus des transports collectifs et de la marche, etc. Ce à quoi répond Jon Stewart, volontairement naïvement : « Les suburbs nous tirent donc vers le bas ? Les villes seraient donc la « vraie » Amérique ? » De là à exterminer les suburbs, comme le proposait Nogo Voyages pour le concours Reburbia [en] (image ci-dessous), il n’y a qu’un pas que Jon Stewart franchit avec insolence !

Après avoir fourbi ses armes dans l’ombre, la ville dense profite donc de la crise des suburbs pour passer à l’offensive, ce que traduit bien cette interview tragi-comique. Un discours qui ne passe pas forcément chez les défenseurs de ce fameux rêve américain des périphéries, comme en témoigne ce commentaire [en] grinçant (je me sentirai presque visé, hihi !) :

Ce livre s’adresse à tous ces bourgeois-bohèmes faussement sophistiqués qui veulent se sentir supérieurs à tous ces pecnos campagnards paumés au fin fond de la cambrousse. Ça me rend malade.

La guerre est déclarée.

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Je ne vous ai ici mis que l’interview d’Edward Glaeser. Mais je vous conseille vivement de regarder l’émission dans son ensemble, qui revient notamment sur le discours médiatique américain à propos de la révolte égyptienne. Mordant, et terriblement drôle.

Billet initialement publié sur [pop-up] urbain sous le titre “Les villes c’est chouette ça colle aux dents”

Image CC Flickr by jdnx

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