Kigali: rumeurs de coup d’Etat contre le président Kagame

Le 1 mars 2011

Le Rwanda est-il entré dans une nouvelle période de crise, une génération après celle du génocide de 1994 ? Au coeur du dilemme, la recomposition des forces au sein de l'Armée patriotique rwandaise.

Moins de sept mois après avoir été triomphalement réélu président du Rwanda avec plus de 93 % des voix, le président Paul Kagame est-il menacé d’un coup d’Etat militaire ? La rumeur, qui courait avant même le scrutin d’août 2010, a été relancée par l’annonce de l’annulation de sa visite à Paris en mars.

Selon plusieurs diplomates en poste à Kigali et des proches du chef de l’État rwandais, ce dernier craint qu’un groupe de jeunes officiers tutsi profite de son absence pour le renverser. Il s’agirait de supporters du général Kayumba Nyamwasa, son ancien compagnon à l’époque de la rébellion. Il a pris la fuite voici un an alors que, ambassadeur en Inde, il venait d’être rappelé à Kigali pour interrogatoire – et une vraisemblable incarcération.

Un général plus populaire que le président Kagame

Fin février 2010, la défection de cet ancien chef des renseignements militaires, ancien chef d’état-major de l’armée rwandaise, plus populaire que Paul Kagame parmi les officiers, a constitué un coup très dur pour le régime de Kigali. Peu après, des attentats à la grenade restés mystérieux ont provoqué la panique dans la capitale du Rwanda. Le régime s’est empressé d’en attribuer la paternité au général Kayumba Nyamwasa, sans en apporter la preuve et surtout sans empêcher leur renouvellement, malgré un quadrillage policier généralement très efficace.

Depuis plusieurs années le président Paul Kagame, hanté par la crainte d’un coup d’Etat, s’est doté d’un dispositif de sécurité impressionnant. Dans un pays où les relais de la société civile ont été progressivement anéantis par le pouvoir ou phagocytés – et le gouvernement réduit à un théâtre d’ombres – l’Armée patriotique rwandaise (APR) constitue dorénavant la seule force de contestation.

Depuis la victoire de 1994 sur l’armée du génocide, les officiers supérieurs de l’APR participaient  à une sorte de gouvernement parallèle appelé « Network » où ils n’hésitaient pas à critiquer ouvertement les options du chef de l’Etat. Dans le Network, le général Kayumba Nyamwasa faisait figure de principal contestataire. Intelligent, brutal et séducteur (ce dernier trait lui donnant un incontestable avantage sur Paul Kagame) il a fini par exaspérer son supérieur qui l’a soupçonné de complot et exilé comme ambassadeur du Rwanda à New Delhi.

En février 2010, le général Nyamwasa s’est réfugié en Afrique du Sud où il a rejoint le colonel Patrick Karegeya, autrefois en charge du Renseignement extérieur, accusé d’avoir monnayé à son profit la restitution des biens de la famille de Félicien Kabuga, le « financier du génocide » (toujours recherché par le Tribunal pénal international pour le Rwanda). 

La menace constituée par les deux hommes a semblé suffisamment sérieuse pour que le général Kayumba Nyamwasa soit l’objet d’une tentative d’assassinat devant son domicile de Johannesburg le 19 juin 2010. Alors qu’il l’avait grièvement blessé, son agresseur n’a pu l’achever, son pistolet s’étant enrayé. Cette affaire intervenant en plein Mondial de football a durablement refroidi les relations entre le Rwanda et l’Afrique du Sud.

Le journaliste rwandais Jean Leonard Rugambage, qui a ensuite affirmé que le régime de Paul Kagame était derrière l’attentat, a eu moins de chance que Nyamwasa. Il a été tué de quatre balles le 24 juin 2010 devant la porte de son domicile de Kigali par des assaillants « non identifiés ».

Un nouveau parti anti-Kagame : le RNC

Autour du général Kayumba Nyamwasa et du colonel Karegeya,  divers expatriés rwandais ont créé un nouveau parti politique, le Rwanda National Congress (RNC) qui propose de fédérer toute l’opposition en exil, qu’il s’agisse de Tutsi déçus du régime ou des Hutu, jusqu’aux plus extrémistes de ces derniers, toujours décidés à prendre leur revanche, comme les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR), issues de l’ancienne armée «génocidaire» et qui ont mis en coupe réglée l’Est du Congo.

Rendu prudent sur sa sécurité, le général Nyamwasa s’est contenté d’une présence par vidéo-conférence à un meeting du RNC organisé à Bruxelles le 28 février dernier. Le principal orateur était l’ancien procureur général Gerald Gahima, qui a lui aussi fui le Rwanda récemment. Seul réel point commun à tous les participants, «la lutte contre le pouvoir dictatorial de Paul Kagame, président du Rwanda».

Cette fédération n’est pas dénuée d’ambiguïtés majeures. Anciens privilégiés du régime Kagame, pas plus Nyamwasa que Gahima ou Karegeya ne veulent s’expliquer sur les crimes de guerre massifs contre des Hutu dénoncés par le « Mapping Rapport » de l’ONU. De leur côté certains groupes d’expatriés hutu qui apportent leur appui au RNC n’ont pas renoncé à leur discours négationniste consistant à insinuer qu’il n’y a pas eu de génocide des Tutsi en 1994 au Rwanda, mais plutôt un génocide des Hutu.

Tout ceci s’inscrit dans un contexte de radicalisation des opposants de tous bords, qui laisse planer le spectre d’un nouveau bain de sang entre d’éventuels «liquidateurs» de Kagame. Mais elle répond aussi à la radicalisation du régime de Kigali et à l’exercice d’un pouvoir de plus en plus solitaire, voire erratique.

Un  président hors contrôle

Ces derniers mois, Paul Kagame a perdu le soutien de la plupart des rescapés du génocide. En cause, un programme  destiné aux exilés de longue date et qui s’appelle en kinyarwanda «ngwino urebe» («viens voir») plus souvent exprimé en anglais «Come and see». Le gouvernement rwandais a notamment invité des personnes gravement soupçonnées d’avoir organisé le génocide tel Eugène Mbarushimana, co-fondateur des Interahamwe (la milice du génocide). Avec ses amis et d’autres, il a bénéficié de  billets d’avion gratuits et d’un accueil particulièrement soigné au Rwanda à la fin décembre 2010. Le chef de l’État rwandais avait notamment déclaré à Bruxelles :

Nous disons aux gens associés au génocide et à ceux qui trouvent qu’on ne les a pas assez aidés à surmonter les difficultés, que beaucoup peut être surmonté grâce aux conditions que nous avons créées.

Cette main tendue n’a pas pour autant satisfait les opposants irréductibles. Les Hutu jugés trop « tièdes », tels Eugène Mbarushimana et ses amis, on encore l’ancien Premier ministre Faustin Twagiramungu,  se sont vus interdire de participer au RCN et à ses réunions.

De nombreux Tutsi rentrés au Rwanda après la tragédie de 1994 sont eux aussi ulcérés du programme « Come and see », alors qu’ils vivent quotidiennement sous une véritable chape de plomb. Ainsi le régime voit-il progressivement fondre sa base sociale, ne parvenant plus à se dépêtrer d’un travail de mémoire qui tourne à l’exercice convenu.

Ce ne sont pas les seules épines qui ont poussé ces derniers temps sur le chemin de Paul Kagame. Confronté aux thèses négationnistes de l’avocat américain Peter Erlinder (qui accuse Paul Kagame d’être à l’origine de la destruction de l’avion qui transportait les présidents rwandais et burundais, événement déclencheur du génocide de 1994, NDLR) et de la candidate à la présidentielle Victoire Ingabire, le régime n’a pas trouvé d’autre issue que de les mettre en prison. Mais la loi qui sanctionne les propos négationnistes ou les appels à la division ethnique a été tellement dévoyée pour museler l’opposition  démocratique et les journalistes qu’elle a perdu toute crédibilité.

La pression du gouvernement des Etats-Unis a forcé Paul Kagame à relâcher Peter Erlinder, donnant une nouvelle aura à cette personnalité-phare du mouvement négationniste. Et en maintenant en prison Victoire Ingabire, le régime lui a conféré une auréole de martyre qui fait oublier ses propos provocateurs voire insultants envers les victimes tutsi de 1994. Si l’on y ajoute les déclarations tonitruantes et menaçantes de Kagame après la révélation du «Mapping report» sur les crimes de l’armée rwandaise au Congo, tout démontre que le président rwandais agit de façon de plus en plus impulsive, et qu’il n’a plus de conseillers aptes à lui signaler et lui faire corriger ses erreurs.

Jeunesse éduquée, baronnie corrompue

Le régime peut-il survivre au « trou d’air » actuel ? Il conserve de sérieux atouts, en particulier un programme de modernisation et de développement économique à marche forcée (+7% à +9% du PIB par an) dont les villes ne sont pas seules à profiter. En outre, contrairement à ce que croient des commentateurs européens mal informés, Paul Kagame bénéficie d’un statut de «protecteur des Hutu». Le partage du pouvoir, beaucoup mieux que symbolique avec les tenants de ce qu’on appelait autrefois «le peuple majoritaire» est d’ailleurs la principale véritable pomme de discorde avec des exilés tutsi «ougandais» comme Nyamwasa, Gahima ou Karegeya. En outre, les Rwandais jouissent d’une sécurité publique, sanitaire et alimentaire exceptionnelle en Afrique. La lutte contre la corruption y fait aussi figure de modèle.

Il n’en reste pas moins que la dérive autoritaire et solitaire de Paul Kagame contient des germes d’autodestruction. Outre les jeunes officiers qui ont soif de monter en grade, le danger vient d’une jeunesse de plus en plus éduquée qui risque de se retrouver désespérée, sans réelle perspective d’avenir. Une jeunesse condamnée à voir passer les 4×4 rutilants des barons du régime et de

leurs amis. Récemment, un jeune étudiant s’est pendu – fait rarissime – car on lui a supprimé sa bourse d’étude (20 000 francs rwandais, environ 27 euros). Et ce, alors que le régime dépense sans compter pour sa communication comme pour le programme «Come and see» (dont le budget est un secret d’Etat)…

Paul Kagame réunit actuellement son gouvernement en séminaire à Gisenyi, au Nord du Rwanda, pour tenter de lui donner une nouvelle impulsion. Mais à défaut de réformes réelles, d’une véritable démocratisation, de la réhabilitation de la société civile et de la libéralisation de la presse, de la reconstitution d’une justice et d’un Etat de droit  dignes de ce nom, il semble avoir peu de chances d’atteindre la fin de son second mandat (août 2017).

Plus raisonnable, le président ougandais Yoweri Museveni, s’est fait réélire pour un nouveau mandat de cinq ans le 19 février dernier avec «seulement» 68,38% des suffrages et de «vrais» challengers. Il a concédé à l’opposition et aux médias d’authentiques libertés. Moyennant quoi il est au pouvoir depuis 25 ans sans trop de difficultés…

Photos CC noodlepie : RPF rally in Gicumbi, Rwanda, & CC expertinfantry : President of Rawanda visits son at West Point.

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