Classer les écoles de journalisme? Oui, mais…

Le 26 juin 2011

Street Press a publié un classement des 30 premières écoles de journalisme en France. L'idée est bonne vu l'abondance actuelle de l'offre, mais les critères de sélection pourraient être affinés, analyse Erwann Gaucher.

C’était le buzz de la semaine dans le petit monde journalistique. Un classement des écoles de journalisme, pensez-donc ! L’occasion de régler les vieux contentieux. Les Nordistes de l’ESJ et les Parisiens du CFJ n’en avaient pas assez de s’affronter sur des terrains de foot depuis des années (et je ne ferai à personne l’offense de rappeler certains scores), un classement allait mettre tout le monde d’accord sur l’institution qui allait pouvoir se vanter d’être “la meilleure école de journalisme de France”.

Et pas seulement eux ! Sciences-Po, le CUEJ, le Celsa, l’IPJ, les IUT et j’en oublie forcément, avec ce classement des 30 premières écoles de journalisme, Street Press s’assurait une lecture attentive, amusée et parfois énervée de milliers d’anciens de ces écoles. Le site ne s’en cache d’ailleurs pas, cet article, c’est aussi une façon d’appliquer aux écoles de journalisme cette manne des classements que les anciens de ces mêmes établissements sont les premiers à appliquer lorsqu’ils travaillent au Point, au Nouvel Obs, à Challenges ou à l’Express. Hôpitaux, universités, facs, universités, prépas, crèches, écoles de commerce, fortunes les journalistes adorent classer, souvent, beaucoup car cela fait vendre du papier (lire mon billet “Dans la tête des rédacteurs en chef des hebdos ?“).

Le classement des écoles de journalisme, c’était donc un bon coup éditorial, une idée amusante et inédite, je ne crois pas en avoir déjà lu un autre avant. Une poussée de visites et de pages vue pour le site, et il n’y a là rien de répréhensible.

Mieux, même, le classement réserve quelques surprises, comme cette belle 3è marche du podium revenant à l’IUT de Lannion qui talonne ainsi les deux “prestigieux” établissement lillois et parisien pour lesquels Street press se garde de trancher en leur offrant une (légèrement) hypocrite première place ex-aequo.

Et bien évidemment, le tout a buzzé dès sa mise en ligne, ce jeudi 23 juin. Twitter ne bruissait que de ça, ou presque, toute la matinée (ça m’apprendra à avoir autant de journalistes dans ma Time Line). Ca chambrait ici ou là, cela criait victoire pour les anciens de Lannion ou de Tours, cela criait au scandale pour les écoles qui n’étaient pas présentes dans le classement telles que l’IJBA de Bordeaux…

Une offre pléthorique

Alors, faut-il un classement des écoles de journalisme ? Oui, pourquoi pas, tant l’offre dans ce secteur est devenu pléthorique et souvent peu compréhensible. Mais cela ne suffira pas forcément à orienter les candidats à notre beau métier, comme l’explique Marc Cappelle, directeur de l’ESJ-Lille (1er ex-aequo du classement donc) :

Je crois important de mettre un peu d’ordre dans le paysage de la formation au journalisme en France. Il y a effectivement une centaine de lieux de formation, publics et privés, reconnus et non reconnus. Or, je ne suis pas certain que pour cela un “classement” soit suffisant pour éclairer la lanterne des futurs étudiants. Le travail mené par la CNMJ (Conférence nationale des métiers du journalisme) me semble ici autrement plus important. Il s’agit de mettre en place un référentiel commun de formation qui permettra d’harmoniser les critères de reconnaissance de la profession et les attentes du MESR (Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche). Les membres de la CNMJ (les 13 écoles actuellement reconnues, la Commission nationale paritaire pour l’emploi des journalistes, les services du MESR…) ont beaucoup travaillé depuis quelques mois sous la présidence de Patrick Pépin. Une réunion publique à Paris, le 29 septembre, permettra de livrer le résultat des travaux. Je pense qu’à ce moment-là, tout le monde disposera d’éléments d’appréciation qui permettront de dire si tel ou tel cursus de formation au journalisme est sérieux ou non.

Un avis partagé par Christophe Deloire, directeur du CFJ : “Pourquoi pas, mais il ne faut pas avoir la religion des classements. Il y a un vrai manque de clarté dans les 80 à 100 formations qui existent aujourd’hui en France et c’est un souci pour les candidats. Si un classement peut les aider, c’est un outil de plus, mais cela dépend vraiment des critères et de la méthodologie utilisées. Je pense que le travail menée actuellement par la CNMJ sera beaucoup plus utile pour y voir plus clair“.

Quant au classement de son école, Marc Capelle a le triomphe modeste : “La place de l’ESJ en tête de ce classement n’est pas vraiment une surprise. Je ne sais pas si le taux de placement des étudiants à la sortie de écoles était un critère, mais c’est aussi un point important (et sur ce plan aussi l’ESJ est fort bien placée). Il est intéressant de constater que des formations qui diplôment à des niveaux différents (l’ESJ et Lannion, par exemple) se classent bien. C’est en l’occurrence – pour l’instant – une spécificité française : la qualité professionnelle de la formation est plus important que le niveau de diplôme “.

Tout comme Christophe Deloire : “Pour être franc, nous n’avions pas besoin d’un classement pour nous confirmer que nous êtions dans les toutes meilleures formations, il ne faut donc pas lui donner trop d’importance. Les nombreux prix qui ont été remportés par les étudiants sont à mon avis plus révélateurs de la qualité d’une école. Cette année, le CFJ a tout raflé en télévision et en a reçu de nombreux en presse écrite et en radio“.

Critères en question

Les critères, voilà l’un des reproches que l’on peut adresser au classement de Street press qui n’en a retenu que trois, ce qui est bien peu : la sélectivité et l’attractivité, les moyens pédagogiques et l’avis des recruteurs. Ce sont de bons critères, mais ils ne sont pas assez nombreux et ne sont, pour certains, pas assez précis. Les moyens pédagogiques sont ainsi notés en fonction du nombre d’heures de cours, du nombre d’encadrants dans l’équipe pédagogique et du nombre de caméras vidéos par rapport au nombre d’étudiants.

Le spectre des écoles passées à la loupe est lui aussi trop étroit. Avec 30 écoles dans le classement et quatre qui n’ont pas répondu aux sollicitations du site, Street press n’a jaugé qu’un tiers des écoles de journalisme du pays, avec un gros manque : les formations professionnelles. Un “oubli” très représentatif d’un problème plus général dans la formation des journalistes en France, explique Marc Mentré, de l’Ecole des métiers de l’information à Paris :

Le classement de Streetpress ne tient pas compte des formations professionnelles en journalisme. Cela est du à plusieurs facteurs. Les écoles de journalisme ont construit leur modèle de sélection sur celui des écoles d’ingénieur, qui est un modèle d’hypersélectivité: classes préparatoires, concours où il y a mille candidats pour une cinquantaine de places, etc. Résultat de ce système, en France, le diplôme obtenu en formation initiale est prépondérant dans la construction d’un parcours professionnel, puisque ce sont les “meilleurs”, avec des guillemets, car les critères de sélection sont purement scolaires, qui ont été sélectionnés. Le journalisme n’échappe pas à ce modèle.

L’une des conséquences de ce système est qu’il est très difficile de changer d’orientation professionnelle, car celui qui le fait est toujours “suspect”. Il l’est tout d’abord, car il n’a pas le choix initial de s’engager dans telle ou telle profession et donc d’entrer dans le processus de sélection qui y mène. En quelque sorte, dans sa jeunesse, il n’a pas “joué le jeu”. Il l’est ensuite, car quelque soit la qualité de la formation professionnelle, il ne saurait prétendre se situer “à égalité” avec un diplômé d’une École, puisqu’il n’aura pas été dans sa jeunesse “hypersélectionné”. Je ne développe pas, des flots d’encre ont été écrits sur cette question.


En bref, cela signifie que dans notre inconscient collectif, il n’existe de formation qu’initiale, et que la légitimité de la formation professionnelle continue est toujours questionnée. C’est l’une des raisons de fond qui explique l’absence des écoles de formation continue dans le classement Streepress. En France, il existe 13 écoles reconnues par la profession, c’est-à-dire par la commission nationale paritaire de l’emploi des journalistes. Ce sont toutes des écoles de formation initiale. La commission ne s’est jamais penchée sur les formations dispensées dans le cadre de la formation professionnelle. Si l’on prend ce critère, on n’a aucune chance de retrouver avant 2211, au mieux, une formation continue “reconnue par la profession”. Cela dit, Streetpress ne s’est pas appuyé sur ce critère, puisqu’il y 30 écoles dans son classement. Alors pourquoi pas de formation continue ?

Gérard Larcher a lancé une réforme ambitieuse, baptisée “formation tout au long de la vie” qui se traduit concrètement par ce que l’on appelle la “certification”, c’est-à-dire que les organismes de formation continue doivent délivrer un “certificat de qualification professionnelle”, qui certifie que son titulaire “maîtrise les compétences, aptitudes et connaissances nécessaires à l’exercice d’une ou plusieurs activités qualifiées”. Il s’agit d’un diplôme d’État offrant une équivalence universitaire, qui est inscrit au Répertoire national des certification professionnel. Une réforme essentielle, mais longue et complexe à mettre à Å“uvre par les centres de formation, car elle exige de définir précisément les différentes tâches qui constituent un métier, d’en établir le mode de validation, etc.

Mais en dehors des cercles étroits de la formation professionnelle (et des journalistes sociaux) qui connaît réellement cette réforme et ses implications ? Tout cela n’empêche pas que les organismes de formation continue forment chaque année des dizaines de journalistes professionnels, qui s’insèrent dans les rédactions. Au fond c’est ça l’essentiel “.

Alors, faut-il un classement des écoles de journalisme ? Oui, pourquoi pas. Mais il lui faudra être plus large dans sa sélection et plus précis dans ses critères pour être véritablement pertinent. En attendant, les anciens contniuent de se “tirer la bourre”, et ça, c’est toujours amusant à observer !


Article initialement paru sur Cross Media Consulting
Crédits Wikimedia Commons by-sa Smilen.milev / FlickR CC by-nc-nd SDEurope

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