Vous « tweetez » ?… Eh bien lisez maintenant !

Le 7 juillet 2011

Utiliser Twitter pour apprendre à lire et à écrire ? Professeur des écoles à Dunkerque, Jean-Roch Masson a tenté l'expérience avec une classe de CP. Et elle est concluante, comme il l'explique.

Persuadé qu’il n’y a pas de meilleur moyen qu’écrire pour apprendre à lire, je cherchais depuis des années un moyen efficace pour faire écrire mes élèves. Certes nous avions déjà un site d’école, mais écrire un article complet n’est pas accessible à la majorité des enfants de CP, si ce n’est en dictée à l’adulte. Il me fallait donc une production écrite plus courte. J’avais testé de petites créations sous forme de phrases poétiques mais je voulais aller plus loin en proposant aux élèves de réelles situations d’échange.

En 2007, lorsque j’ai découvert le « micro-blogging » via le réseau Twitter, j’ai immédiatement trouvé ce format idéal pour les enfants, car facilement accessible. J’ai donc créé sur le site de l’école une page de micro-blogging sur laquelle chaque classe pouvait diffuser une courte phrase, immédiatement publiée afin que les parents soient informés des activités quotidiennes des élèves (voir sur le site les : « P’tites activités »). Malheureusement, les élèves ne se sont jamais vraiment appropriés cette pratique, certainement par manque de réactivité, et par l’absence de connexions Internet dans les classes.

Il me fallait donc oser aller plus loin. Twitter m’est apparu comme étant une solution à mes attentes. L’observation d’expériences menées au lycée (expérience de Laurence Juin) et en cycle 3 (expérience d’Amandine Terrier lors d’une classe de découverte) m’ont définitivement poussé à me lancer cette année 2010-2011 dans l’utilisation complète de Twitter avec mes 24 élèves de CP.

Objectif atteint

Le piège en utilisant un réseau aussi particulier que Twitter était de faire passer l’outil avant les objectifs. Or, le but n’est pas de former les élèves à l’utilisation d’un mode de communication en vogue, mais bien de les faire écrire afin de structurer les apprentissages en lecture et permettre une utilisation quotidienne du code de la langue dans un contexte rempli de sens. Après cinq mois d’utilisation de Twitter, je peux dire que cet objectif est pleinement rempli : les élèves écrivent seuls des messages, lisent les réponses, et ne refusent jamais de se remettre à l’ouvrage lorsqu’il s’agit de « tweeter » ! L’autre objectif était de mettre en place des activités permettant de valider des items du B2i (Brevet Informatique et Internet).

Pour lancer les enfants dans l’aventure, je leur ai proposé de devenir à tour de rôle les journalistes de la classe, afin de faire connaître aux parents et aux visiteurs de notre site Internet, les activités vécues à l’école. Après avoir visité quelques pages du site de l’école, nous avons dégagé ensemble quelques « métiers » nécessaires :

  • « journaliste photo » : responsable de l’appareil photo numérique ;
  • « journaliste son » : équipé d’un micro numérique, il capte des ambiances ou réalise des interviews ;
  • « journaliste texte » : responsable du compte-rendu écrit des activités.

Je leur ai présenté Twitter comme un moyen de transmettre une information simplement, par l’intermédiaire d’une phrase courte. Les « tweets » générés seraient ainsi intégrés au site de l’école. Le choix de Twitter s’est avéré judicieux pour des élèves de CP. Produire un texte de 140 caractères, c’est surmontable, éventuellement avec l’aide de quelques outils, des pairs ou du maître.

Concrètement, chaque matin, deux enfants « écrivains » sont chargés de créer le tweet du jour. Il peut s’agir d’une information entendue dans les médias, d’une activité réalisée en classe, d’un événement personnel. Une fois le message écrit sur un « cahier d’écrivain », je corrige l’orthographe, la césure des mots et passe le relais à deux élèves « rédacteurs ». Ils ont pour mission de recopier au crayon le message sur une feuille conçue pour Twitter (140 cases, avec une lettre, une espace ou une ponctuation par case) afin de vérifier que le message ne soit pas trop long. Les rédacteurs s’assurent aussi de la présence des majuscules et de la ponctuation. Enfin, deux élèves « copistes » tapent le texte à l’ordinateur, et l’envoient sur Twitter.

La force des réseaux sociaux

Dès les premiers messages envoyés sur Twitter, nous avons pu observer la force de l’expression « réseau social » : nos quelques abonnés commentaient nos messages, nous posaient des questions ou retweetaient les messages. Cette réactivité du réseau est un vecteur de motivation : pour un élève, voir que l’une de ses phrases est partagée ou commentée est beaucoup plus gratifiant qu’une simple évaluation de l’enseignant. L’acte d’écrire devient un geste social, et pas seulement un geste scolaire.

Dès le début, j’ai fait le choix d’un compte unique pour la classe. Cela me permet de vérifier toutes les informations qui y circulent : les messages envoyés, mais aussi les réponses ou les mentions faites aux élèves par d’autres utilisateurs du réseau. Sur Twitter, pour lire les messages d’une personne, il faut s’abonner à son compte. Un abonnement n’est pas forcément réciproque, c’est-à-dire qu’on peut lire les messages d’une personne sans que celle-ci ne lise les nôtres. Pour plus de pertinence dans les messages reçus, j’ai donc limité les abonnements de la classe à d’autres comptes de classes. Parallèlement, de nombreuses personnes se sont abonnées à notre compte classe (enseignants, blogueurs, parents ou observateurs).

Concernant l’aspect technique, j’avais au départ du projet un ordinateur personnel, une connexion internet, et un vidéo-projecteur. Ce matériel a été suffisant pour commencer. Mais la production écrite s’est accélérée avec l’arrivée dans l’école de sept ordinateurs portables circulant entre les sept classes, ainsi que d’un TNI qui fonctionne pratiquement toute la journée.

J’utilise un logiciel spécial pour accéder à Twitter : Tweetdeck. Il permet d’avoir sous les yeux une colonne contenant les tweets de la Timeline de la classe (envoyés par les élèves d’autres classes), une deuxième colonne comporte nos mentions et nos réponses ; nos messages privés s’affichent dans une troisième. Un signal sonore et une fenêtre popup annoncent l’arrivée d’un nouveau tweet (un regard rapide me permet de contrôler préalablement si celui-ci est bien destiné aux enfants). Les élèves identifient généralement l’expéditeur grâce à son avatar.

Envie et réussite

L’utilisation de Twitter en classe donne du sens aux activités de production d’écrit. Twitter joue pleinement son rôle de motivation : les élèves comprennent pourquoi ils écrivent et s’investissent plus facilement dans les apprentissages. En 10 ans de pratique de CP, c’est la première année où tant d’élèves veulent écrire, et réussissent à le faire !

Cependant, beaucoup de pratiques restent à inventer, afin d’explorer d’autres pistes d’apprentissage. De nombreux échanges ont lieu avec d’autres classes de primaire qui utilisent le même réseau. D’autres nous rejoignent depuis quelques semaines, nourrissant les échanges, y compris au sein de l’école (ma collègue de maternelle utilise Twitter comme cahier de vie pour rapporter les activités vécues par sa classe de moyenne section). Ainsi en 140 caractères, nous échangeons du vocabulaire, des énigmes mathématiques, nous diffusons des phrases poétiques ou jouons aux échecs !

À l’usage, bien-sûr, le fonctionnement et les outils évoluent. Par exemple, j’ai très vite fait adopter l’utilisation de Google Docs par les élèves copistes, afin de pouvoir travailler depuis n’importe quel ordinateur et éviter les mauvaises manipulations qui feraient partir un tweet trop vite sur le réseau. À force d’écrire, l’étape intermédiaire de « rédaction » devient parfois inutile, car les élèves progressent.

À ce stade de l’année, la plus grande difficulté est la gestion du temps : l’activité « Twitter » est prioritaire sur toutes les autres. Par exemple, si un enfant doit répondre à la question d’un abonné, il le fera même si une autre activité est en cours. Cependant, pour certains élèves, l’écriture d’un tweet reste un véritable défi qui prend du temps et demande des ressources. Il arrive donc qu’un message pensé le matin ne soit posté que l’après-midi voire quelques jours plus tard mais, dans l’ensemble, les apprentissages sont nombreux et l’entraide entre les élèves s’affirme quotidiennement.

Écrire pour être lu

L’un des points les plus intéressants de ce projet est de responsabiliser les élèves dans l’utilisation des réseaux sociaux. On se plaint souvent de leur mauvais usage par nos enfants : « Il dit n’importe quoi sur Facebook… » « On l’a insulté dans les commentaires de son blog », etc. Utiliser Twitter dès le CP, ce n’est pas seulement apprendre à écrire, c’est apprendre à écrire pour être lu. Assez vite dans l’année, des points importants ont été dégagés, concernant la politesse, le respect de la vie privée, la loi ou la sécurité. Nous avons élaboré un « code de Twitter », qui à l’image du code de la route, donne quelques règles quant à son utilisation. Les élèves sont sensibilisés aux conséquences d’une publication sur un espace public. Les écrits engagent l’élève (la plupart des tweets sont signés d’un ou deux prénoms) mais aussi l’image de toute la classe. Les méchancetés ou les bêtises ne sont pas les bienvenues. Un soin particulier est apporté à la politesse et au respect des personnes qui nous lisent.

Ce point est important et c’est généralement sur celui-ci qu’on m’interroge. À la question : « N’est-il pas dangereux de mettre des enfants ainsi en public sur Internet ? », je réponds souvent en comparant le Net à la rue. On peut en effet enfermer nos enfants ou choisir de leur donner la main, de leur expliquer les règles pour traverser et les comportements de sécurité à adopter. En utilisant un réseau social public, toujours en compagnie d’un adulte, les élèves apprennent à bloquer un utilisateur inconnu et à se méfier lorsqu’ils reçoivent un lien isolé dans un message. Les mots « spam » ou « virus » ne leur sont pas inconnus.

Dès les premières semaines d’utilisation en classe, des enfants ont voulu, sous la responsabilité de leurs parents, se créer des comptes personnels afin de correspondre avec leurs camarades de classe depuis leur domicile. Des pratiques semblables à celles de la classe sont apparues : échanges de devinettes, d’énigmes, de courts récits d’activités personnelles, de vidéos…

Il m’a fallu rapidement intégrer les parents dans le projet, en leur demandant lors d’une réunion d’information de « jouer le jeu » de l’écriture, en favorisant la création personnelle de l’enfant mais aussi en respectant les règles de notre « code de Twitter ». Aujourd’hui 17 élèves sur 24 ont créé un compte, mais seulement une petite dizaine l’utilise régulièrement pour écrire. J’ai également créé un « compte prof » pour pouvoir interagir avec cette petite communauté sans utiliser le compte commun de la classe.

Cette pratique « hors les murs » offre de véritables pistes pédagogiques. On dira peut-être avec inquiétude : « encore quelque chose à gérer en plus en dehors de la classe », mais cela ne me demande aucun investissement en temps, juste une réponse ou un lien à proposer lorsqu’on passe sur Twitter. Le reste est à la charge des parents. J’y vois la possibilité d’un véritable rapprochement entre les familles et l’école.

Lors de petites interviews faites auprès d’élèves sur l’utilisation de Twitter en classe, les enfants se montrent souvent sensibles aux règles d’utilisation : choix de l’avatar, politesse, respect de la vie privée… Mais l’idée qui revient le plus souvent concerne le plaisir d’écrire. L’utilisation de l’ordinateur y est pour quelque chose : les enfants s’amusent à chercher les lettres sur le clavier et à former les mots. Cependant, l’acte d’écrire dans un contexte de communication réelle domine dans le projet. Je l’ai vraiment senti à la réponse d’un élève privé d’ordinateur pour non respect du « code de Twitter ». À la question : « Est-ce que Twitter te manque ? », il a répondu très naturellement et sans aucune malice :

Bah non, de toute façon, je peux encore écrire dans mon cahier !

Utiliser Twitter en classe n’a rien de révolutionnaire par rapport à des pratiques déjà fréquentes dans les écoles (blog, correspondance scolaire, publication de journaux de classe…). Cependant la particularité de l’outil, son accessibilité pour des élèves de CP, sa réactivité sociale et son côté ludique en font un outil d’apprentissage apprécié par les enfants. Mon attente est aujourd’hui d’accueillir dans nos échanges d’autres élèves qui, avec leur enseignant, oseront faire les premiers pas dans ce monde d’échanges et de communication !

Article initialement paru sur Moniteur 92
Cr̩dits Photo FlickR by-nc-sa Brunsell / by-nc Freeparking / by Michael 1952 / by-nd D. Clow РMaryland

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