La dette expliquée aux nuls

Le 29 août 2011

La gestion de la dette conditionnera les débats de la présidentielle, comme l'a montré l'Université d'été du PS. Un sujet complexe, pollué par les idées reçues et les croyances. Pour y voir plus clair, OWNI reprend les bases.

Lorsque l’on parle de dette, il est de coutume de dire que « l’État vit au dessus de ses moyens », que le modèle social français n’est plus soutenable, et qu’il faut donc réduire les dépenses.

Pourtant, la réalité est légèrement différente : sur 1 600 milliards de dette publique remboursée depuis 1974, environ 1 200 milliards d’euros ne sont constitués que des seuls intérêts.

L’effet « boule de neige » explique en grande partie ce phénomène. Afin de rembourser les intérêts, le Trésor fait « rouler » la dette, il émet de nouveaux emprunts pour rembourser ceux d’avant. Ce mécanisme est digne d’une chaîne de Ponzi : d’une part car cela alourdit toujours plus la charge de la dette jusqu’à la rendre insoutenable ; et d’autre part parce que cet accroissement de la dette nécessite que de nouveaux contributeurs rejoignent le système et mettent au pot à leur tour.

En réalité, hors paiement des intérêts, les budgets sont globalement à l’équilibre comme le montre le graphique ci dessous (issu du travail de André-Jacques Holbecq) :

Rembourser la dette, ce n’est donc pas payer en différé les dépenses d’éducation, de santé ou d’autres investissements. Payer la dette revient essentiellement aujourd’hui à donner de l’argent aux détenteurs des bons du Trésor français. Qui sont-ils ? En vrac, des banques, des assurances, les grosses fortunes, et également les détenteurs d’assurance vie. Notons aussi que, selon l’Agence France Trésor, environ 65% de la dette publique française est détenue par des investisseurs étrangers.

Rien d’étonnant à ce que les marchés soient rémunérés en prêtant leur capital. Mais rappelons tout de même que l’Etat n’a pas toujours eu besoin des marchés pour se financer.

Ce n’est qu’à partir de 1974, après adoption de la loi controversée dite « Pompidou-Giscard » que le gouvernement français s’est interdit d’emprunter gratuitement à la Banque de France.

A l’époque, l’idée de cette loi était de ne pas encourager les politiques dispendieuses (afin de limiter les risques d’inflation monétaire), en leur privant l’accès aux financements faciles de la banque centrale.

L’instauration d’un garde fou contre le clientèlisme est une bonne intention, mais son application fut en réalité plutôt désastreuse. L’effet boule de neige évoqué plus haut est en effet passé par là, faisant exploser la dette publique jusqu’à atteindre 85% du PIB aujourd’hui.

Revenir sur la loi de 1973 serait une bagatelle, si seulement son principe n’avait pas été repris par les traités européens, qui stipulent non seulement que la Banque centrale européenne ne peut pas octroyer des crédits aux États, mais également que la BCE doit tout mettre en oeuvre pour maintenir une inflation basse, à environ 2%. Pourtant, comme l’expliquent certains économistes tel Olivier Blanchard du FMI, un peu d’inflation ne ferait pas de mal aux économies européennes puisque cela ferait « fondre » la dette tout en dévaluant quelque peu l’euro, relançant ainsi les exportations.

L’ambiguïté du droit de la dette

Entre 2008 et 2009, le pourcentage de dette de la France est passé de 60 à 85% du PIB. Une grande partie de cette augmentation s’explique par les coûteux plans de relance des États pour faire face à la crise financière provoquée par les prises de risques inconsidérées des banques.

L’ironie de l’histoire, c’est que pour sauver la finance de la déroute, les États ont emprunté à ces mêmes acteurs financiers pour ensuite soutenir les banques et autres secteurs touchés.

Et pendant que l’on interdit à la BCE de donner un peu d’air aux démocraties en les finançant directement, celle-ci ne se prive pas de renflouer les banques à des taux incroyablement bas.

La dérive de la dette publique n’est pas seulement due au clientèlisme des politiques, ni même à la trop grande générosité de notre modèle social. Ces problèmes sont secondaires au regard de l’absurdité du système monétaire dont la dette publique est le résultat.

Ce système est dicté par des dogmes économiques dont les limites apparaissent aujourd’hui évidentes. Et pour reprendre le titre de l’excellent livre de André-Jacques Holbecq, la dette est une « affaire rentable »… pour les marchés financiers.

Trop longtemps ceux-ci ont pris pour acquis que les obligations souveraines étaient « sans risque » et aujourd’hui, ils se réveillent et, réalisant que ce n’est pas le cas, forcent les États à engager des réformes difficiles.

Une situation paradoxale : soit la dette est vraiment « sans risque », auquel cas le paiement d’une prime de risque est illégitime. Ou la dette souveraine serait « risquée », alors il est logique que des investisseurs essuient éventuellement des pertes.

Il y a toujours eu deux façons de se désendetter : la première consiste à ne pas payer ceux qui ont pris le risque de prêter leur argent ; la seconde, c’est l’austérité budgétaire, c’est à dire le sacrifice du peuple face aux marchés.

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Graphiques : André-Jacques Holbecq.

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