Les bio-bidouilleurs s’enracinent

Le 15 septembre 2011

La première communauté de biologistes hackers a vu le jour il y a quelques mois en France. Greffés au /tmp/lab, entre la Gaieté Lyrique et les locaux de l'Electrolab à Nanterre ils défrichent la génétique, pour le bien du citoyen.

Un bain-marie, des agitateurs, une centrifugeuse, deux frigos (dont un pour les bactéries), une machine PCR (polymerase chain reaction, réaction en chaîne par polymérase, qui permet de séquencer le génome)… Tout le matériel, ou presque, accumulé par La Paillasse, le premier biohacklab français, vient de Génopôle, LE lieu de la recherche en génétique en France. Un donateur institutionnel et généreux dont la directrice de la recherche salue la « démarche citoyenne » des défenseurs du DIY (Do It Yourself, faites-le vous même) et de l’open source.

« Il nous manque encore les consommables, des enzymes, des bactéries. Je ne sais pas comment on va s’approvisionner auprès des fournisseurs, ils n’ont pas l’habitude de traiter avec des associations. C’est l’inconnu, nous sommes les premiers en France », explique Théotime, l’un des co-fondateurs de La Paillasse qui, greffés au /tmp/lab, pionnier des hackerspaces en France, est aujourd’hui accueilli par l’Electrolab, hacklab situé dans la zone industrielle de Nanterre.

DIYbio, kesako ?

Le mouvement naît à Boston, aux Etats-Unis, il y a 3 ans autour du DIY Biogroup, fondé par des chercheurs du MIT et de Harvard. Après les kits de petits chimistes, l’astronomie du dimanche, le lancement du modèle réduit de Saturne en avril 2009, les amateurs s’emparent aujourd’hui des laboratoires de génie génétique. On peut en effet  désormais, grâce aux progrès dans la connaissance de l’ADN depuis sa découverte, en 1953, imaginer créer des circuits génétiques chez soi, avec du matériel de laboratoire assez simple :

L’idée est que la biologie est devenue une technologie, on n’a pas fait mieux que les cellules, explique Thomas, thésard en biologie de synthèse et formé à Normale Sup et co-fondateur de la Paillasse. Cette miniaturisation est la seule nanotechnologie qui fonctionne. Et comme on dispose de pièces modulaires pour fabriquer des circuits génétique, il est possible de créer des circuits chez soi, avec du matériel de laboratoire assez simple.

C’est autour de la biologie synthétique que la Paillasse est née. Une nouvelle discipline, à la croisée entre biologie, chimie, informatique et ingénierie. Elle consiste à modifier les génomes de micro-organismes, bactéries ou levures, en y introduisant des gènes supplémentaires, de manière à les détourner de leurs fonctions naturelles. Exemple : faire produire de l’artémisinine, utilisée dans la lutte contre le paludisme, à une bactérie dont les voies métaboliques ont été modifiées par la main de l’homme.

Pour ça, achetez un génome de synthèse, produit chimiquement et conçu par informatique, en quelques clics sur Internet. Comptez de 300 à 500 €. Ou, en mode Do it yourself, faites-le vous même grâce au répertoire de composants biologiques standards, open-source, de la fondation BioBricks mis au point par chercheurs et enseignants du MIT : « C’est très simple de manipuler le vivant », rappelle le thésard en biologie de synthèse.

Bien sûr, « le risque est différent en biologie qu’en électronique ou en mécanique. Une cellule bactérienne génétiquement modifiée qui tombe par terre peut interagir avec son environnement ».

D’où le crédo affiché sur la page d’accueil de diybio.org [en], « l’institution des biologistes amateurs » : accessibilité, citoyenneté, amateurisme, ingénierie, ouverture, sécurité et code de conduite. « Il faut des autorisations pour faire modifier génétiquement des organismes, et on ne veut pas se heurter aux règlements. Mais on peut avoir des approches très intéressantes de la génétique, même sans faire de mutations actives » :

On va faire quelques manipulations, mais gentiment. Nous sommes des gens curieux, nous voulons explorer la nature, nous avons des outils à notre disposition, il n’y a pas de raison de s’en priver.

Il y a un truc dans mon yaourt

Une fois la petite communauté parisienne créée autour de ce noyau dur, les premiers projets émergent : un microscope open-source, avec une lentille de téléphone portable, ou encore des yaourts dont les ferments lactiques sont génétiquement modifiés pour produire la GFP (green fluorescent protein) : éclairé par une lumière bleue, le yaourt se colore en vert, et brille… Effet garantit en boîte de nuit.

L’idée est de favoriser l’accès à l’information qui nous constitue, nous et notre environnement. Aujourd’hui la biotechnologie est devenue routinière. On établit des diagnostics à partir du séquençage d’un génome, les OGM nous entourent. Or ce sont des termes difficiles à comprendre. L’information génétique est partout et personne ne peut y accéder.

Aujourd’hui la Paillasse veut être un laboratoire de biotechnologie ouvert et transparent. Les citoyens doivent avoir dans leurs mains un contre-pouvoir pour participer aux choix sociétaux concernant l’utilisation de ces technologies. D’ici 10 ou 15 ans nous aurons peut-être notre génome encodé sur notre carte Vitale. Si elles sont complètes, ce sont des informations qui peuvent être dangereuses puisque elles nous sont propres.

Une démarche qui a tout son intérêt semble-t-il, si l’on se fie au dernier sondage Le Monde/La Recherche, intitulé « Les Français et la science » : 25 % des Français ignorent ce que sont les nanotechnologies, dont les nanoparticules sont pourtant présentes dans certaines raquettes de tennis, rouges à lèvre, des crèmes solaire, produits d’entretien pour chaussures qui « nourrissent, protègent et ravivent les couleurs pour toutes les matières »… Autre constat, les Français se fient à la science, mais pas aux chercheurs. Et aux biohackers ?

Musique, maëstro

« Nous sommes ouverts aux nouveaux projets, tout le monde est bienvenu » (aux réunions hebdomadaires, à 20h tous les jeudis à la Gaité Lyrique, NDLR). L’accueil est chaleureux dans ce temple parisien des nouvelles technologies. On y parle beaucoup, et on boit quelques bières. Face à son ordi, Sam, neurohacker, à mi-chemin entre le Tmp/Lab et la Paillasse, teste son interface cerveau-machine.

Il mesure l’activité électrique de nos cerveaux grâce à un casque équipé d’une électrode, acheté 150€ sur Internet. L’infrarouge proche éclaire l’intérieur du cerveau et détermine sa consommation d’oxygène. En distinguant l’activité musculaire de notre gros muscle et ses ondes cérébrales, il peut modéliser celles-ci, en musique, grâce au programme, libre, qu’il a développé.

Cela permet de détecter les changements d’états mentaux. La suite de notes est pré-écrite, on change d’octave en fonction de l’activité du cerveau. Les sons aigus correspondent à la réflexion, les sons graves au repos.

L’idée, c’est d’interpeller les gens. On peut visualiser son état mental avec de la musique, on peut voir à l’intérieur du cerveau en quelque sorte, ce qui est interdit. Ce n’est pas le contrôle qui m’intéresse,  l’idée est de créer des choses intéressantes musicalement, de faire réfléchir les gens sur les émotions que peuvent produire leur cerveau, et réagir à celles-ci.

Allez, un petit son pour la route, avec Neurohack au repos, puis en activité :
Sleep by Owni Son
Activity by Owni Son


Images CC-BY-NC macowell et CC-BY-SA Mac, sons Neurohack /tmp/lab.

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