Frein à main sur la voiture sans pilote

Le 17 septembre 2012

Google voudrait éviter la sortie de route de sa driverless car, sorte de promesse d'un futur où circulent des voitures sans conducteur. En Californie, le projet est chahuté par les défenseurs de la vie privée qui voit dans ces véhicules de nouvelles possibilités pour fliquer le quotidien des citoyens.

Eric E. Schmidt Président exécutif, Larry Page PDG et Sergey Brin co-fondateur, dans la Google self-driving car en janvier 2011

Une association californienne de défense des consommateurs a mis le turbo pour interdire la voiture sans conducteur élaborée par Google, au titre — comme souvent — de la protection de la vie privée des utilisateurs. Et joue clairement la carte de David contre Goliath.

C’est en effet seule contre tous que l’association Consumer Watchdog a contacté très officiellement [pdf] la semaine dernière le gouverneur de Californie Jerry Brown pour lui demander d’apposer son veto sur le projet de loi “SB 1298“. La loi, si elle devait être adoptée, permettrait à l’État de tracer, sur le long terme, sa première autoroute automatisée remplie de véhicules-robots. Mais surtout, sur un plus court terme, de laisser rouler des voitures sans pilote sur les routes californiennes.

Dit comme ça, le projet paraît sortir d’un bouquin de science-fiction, mais il est pourtant sur le point d’aboutir. Déjà, des constructeurs comme Toyota, Audi, BMW, Lexus, Volvo ou encore Cadillac sont sur les dents pour produire des véhicules “autonomes” d’ici cinq ans. Le projet de loi, soumis par le sénateur démocrate Alex Padilla, est appuyé par certaines associations de promotion de la sécurité routière — mais pas toutes.

En tout état de cause, Google communique largement sur les statistiques de sa voiture sans conducteur (VSC) qui aurait quasiment atteint les 500 000 kilomètres sans incident, tandis que celles du conducteur étasunien sont moins bonnes : en moyenne, Average Joe fait face à un accident de la route tous les 250 000 kilomètres.

Situation enjolivée

Pourquoi Consumer Watchdog souhaite envoyer dans le décor un projet en apparence si futuriste et prometteur, réclamé par les statistiques donc, mais aussi par les lecteurs de SF, le gouvernement californien et le Sénat de l’État ? “Parce qu’un loi qui régule des véhicules autonomes doit s’assurer que les voitures sans conducteur rassembleront uniquement les données nécessaires à faire fonctionner l’automobile, et ne mémoriseront pas les données davantage que nécessaire”, clame John Simpson, directeur de la branche “vie privée” de l’association. Selon lui, le business model de Google :

c’est de monter des dossiers numériques sur nos comportements personnels et de les vendre aux annonceurs. Vous n’êtes pas le client de Google ; vous êtes son produit, qu’il vend aux entreprises désireuses de payer n’importe quel prix pour vous atteindre. (…) La technologie sans conducteur se contentera-t-elle de nous mener d’un point à un autre, ou traquera-t-elle comment nous y sommes allés et ce que nous avons fait durant le trajet ?

Dans le rétroviseur

Consumer Watchdog pense avoir des raisons de s’en faire au vu de la relative légèreté affichée par le géant du web en matière de vie privée. Et de rappeler deux évènements particulièrement fâcheux qui ont fait récemment déraper Google.

  • La première affaire est Wi-Fi Spy : il a été établi que les voitures qui circulent autour du globe pour photographier chaque rue et (re)constituer la fabuleuse base de données “Street View” ont été également conçues pour récolter des données personnelles sans aucun rapport avec leur mission. Ce que Google a voulu initialement faire passer pour le logiciel expérimental d’un ingénieur isolé était en fait — telle que l’a découvert la Commission fédérale des communications (FCC) — une fonctionnalité parfaitement intégrée au système.
    Résultat : en passant à proximité des habitations, ces Google cars se connectaient aux réseaux Wi-Fi ouverts qu’elles rencontraient et sauvegardaient toutes les infos qu’elles y trouvaient — y compris les mots de passe ou les e-mails.
  • La deuxième affaire sensible pour Google concerne l’espionnage organisé du navigateur Safari utilisé par Apple sur son iPad et son iPhone, qui représente environ 50 % du marché des navigateurs sur mobilité. Le méfait : utiliser du code pour tromper le navigateur qui, par défaut (et c’est un des rares), protège ses utilisateurs des cookies tierce partie, ceux-là même qui envoient des informations sur nos comportements et notre navigation aux réseaux de publicités en ligne. Et donc de détourner lesdites informations contre le gré des internautes et mobinautes.
    Pour ce “petit” secret, la firme tentaculaire a été condamnée le mois dernier à une amende de 22,5 millions de dollars [pdf] par la Federal Trade Commission (FTC). Une misère qui représente 0,2 % de ses revenus au deuxième trimestre — pour relativiser — et qui met un terme à une bévue dévoilée en février dernier par le Wall Street Journal.
  • Deux affaires de détournement des données privées, avérées et répréhensibles, en contrepoint de l’image lissée d’une entreprise dont le slogan (don’t be evil — “ne fais pas le mal”) résonne comme celui d’un parangon de probité. C’est pourquoi Consumer Watchdog réclame, de la part du Goliath et des autorités qui filent à tombeau ouvert avec lui, que le prochain joujou soit surveillé de (beaucoup plus) près.

    Apprenti maître-de-l’univers enthousiaste et maladroit, ange et démon, carburant aux passions humaines, slalomant entre l’absolue volonté de nous rendre à la fois libres de nos entraves et esclaves de nos petites libertés quotidiennes, Google titille encore son monde, avec cet air innocent et enfantin de ceux qui jouent à faire briller les chromes de la Buick pour parader dans Main Street. Bref, rien de nouveau sous le soleil californien : on lui passera sans doute cette facétie-là.


    Photo de la Google Car via Google Inc.

    Laisser un commentaire

    Derniers articles publiés