OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Unité! http://owni.fr/2011/05/31/unite-molle-gramme-syseme-international-medecine-biologie/ http://owni.fr/2011/05/31/unite-molle-gramme-syseme-international-medecine-biologie/#comments Tue, 31 May 2011 14:18:06 +0000 boree http://owni.fr/?p=35033 Lorsque j’étais étudiant, j’ai appris que nous devions utiliser les unités du Système International (SI) pour les résultats biologiques. Que c’était le moyen d’unifier les données internationales afin d’échapper aux particularités locales. Que ce système était légal en France depuis 1961 et que la Société Française de Biologie Clinique l’avait adopté depuis 1978.

On pourrait croire que c’est un truc qui a été fait pour les Anglais vu que le système métrique est quasiment universel. Et qu’il est lui-même fondé sur des bases rationnelles, comme l’avaient rêvé ses concepteurs lors de la Révolution française. Mais c’est plus compliqué que ça parce que le gramme ou le mètre font eux-mêmes partie des unités de base du Système International.

Donner un résultat en “grammes par litre” est donc bien une expression de type “SI”. Mais elle est beaucoup trop simple et compréhensible du commun des mortels. Du coup, ce n’est pas drôle.

“Vous reprendrez bien 1 mole de sucre ?”

Ces nouvelles unités de mesure sont donc vraisemblablement sorties du cerveau de chimistes pour lesquelles le raisonnement en “moles” doit avoir du sens même si ça n’en a strictement aucun pour M. Tout-le-monde. “Vous me mettrez aussi 3 moles de sucre, Mme l’épicière.

Mais, soit. Puisque nous évoluons dans la mondialisation, adoptons cette langua franca biologique. Finis les grammes par litre. Bienvenue aux millimoles par litre.

Le problème, c’est que ce n’est pas aussi simple. Déjà, parce qu’il y a d’autres unités qui viennent se mêler à ça. Pour les ions, on peut aussi parler en milliEquivalents (mEq) qui dépendent de la charge électrique. Souvent 1 mEq = 1 mmol. Mais pas toujours. Pour le calcium, 1 mmol = 2 mEq. Ça amuse les chimistes.

Et puis, il y a aussi, les “Unités” pour les enzymes et pour certaines hormones. Mais pas pour toutes.

En matière d’unification, on repassera…

Pour certaines données, ça ne pose pas trop de soucis, on est à peu près tous sur la même longueur d’onde. Ainsi, pour le sodium ou le potassium, on parle tous en mEq. Pour l’hémoglobine, tout le monde en France en est resté aux grammes. Pour la glycémie aussi, en-dehors de quelques acharnés.

Pour d’autres, c’est un joyeux bazar. Lorsque j’ai un confrère hospitalier en ligne et qu’on parle du taux de créatinine, ça donne souvent ça :

- Il a 12 mg de créat.
- Ça fait combien, ça ?
- Euh… 106 µmol.
- Ah, ok.

Et là, je ne parle que des Français entre eux. Quand mes patients anglais me parlent de leur glycémie à « 6,2 », je vois à peu près ce que ça fait. Mais quand un patient hollandais m’a dit que sa dernière hémoglobine était « à 7 », j’ai cru que je devais appeler le 15…

Manque « d’unités », donc.

Mais il y a encore plus amusant. Histoire d’être originaux (et de garder leur clientèle), les laboratoires d’analyse français aiment bien avoir leurs petites coquetteries. Dans mon coin, quand un laboratoire me dit que les globules blancs de mon patient sont à 7 550 par mm3, le labo d’à côté trouvera plus chic de me dire qu’ils sont à 7,55 Giga par litre.

Quand l’un va me répondre “Protéinurie : 170 mg / l”, l’autre me dira “Protéinurie : 0,17 g / l”.

Le souci, c’est qu’aujourd’hui, la plupart des logiciels médicaux permettent d’intégrer automatiquement les résultats de prise de sang dans les dossiers des patients. Avec ça, on peut faire en deux clics de jolis tableaux qui permettent de voir les évolutions sur la durée. Du coup, quand le patient change de laboratoire, ces tableaux, ça devient un peu n’importe quoi.

Et, comme on peut toujours faire pire… Chaque laboratoire a ses propres normes. Pour le laboratoire X, la “norme” de la créatinine, c’est entre 7,4 et 13,7. Pour le labo Y, c’est de 7 à 12. Et pour le laboratoire Z, c’est entre 4 et 14.

Donc quand on a un patient qui avait un résultat à 12,5 chez Y et qui a maintenant un résultat à 14 chez Z, c’est plus ? C’est moins ? Pareil ? Qu’est-ce qui est dans les normes, qu’est-ce qui n’y est pas ?

Déterminer des normes

Tout ceci m’emmerde car ça nous complique la vie. A l’heure où nous avons des logiciels médicaux qui présentent des tas de possibilités pour améliorer le suivi de nos patients, ces singularités sont ingérables.

Alors, moi je veux bien faire des efforts. Si demain, on me dit qu’il faut que je donne mes glycémies en mmol, je ferai l’effort intellectuel, je m’adapterai. Je ne trouverai pas forcément ça très parlant pour les patients, sans aucun intérêt pour le clinicien que je suis, mais d’accord. Ça me prendra sûrement un petit moment, mais je m’y ferai. Comme, petit à petit, j’ai fini par oublier les francs pour raisonner en euros.

Mais, comme pour le changement de monnaie, comme pour les unités de poids avant la Révolution, on n’y arrivera jamais si chacun continue à faire sa petite tambouille dans son coin.

Moi, ce que j’aimerais, ce serait qu’on enferme tous les biologistes de France ou d’Europe dans un grand hangar. Qu’on les y enferme et qu’on ne les laisse sortir que lorsqu’ils se seront mis d’accord une bonne fois sur quelle unité de mesure et quelles normes pour quelle donnée. Et qu’ensuite on s’y tienne en arrêtant rapidement les systèmes de « double affichage ».

Ces gens là ont bien des syndicats et des sociétés savantes dont l’utilité dépasse peut-être les négociations tarifaires. Je ne vois pas pourquoi ils ne pourraient pas arriver à ça.

Et s’ils n’en sont pas capables parce que leurs petits intérêts particuliers et leurs confortables habitudes les en empêchent… Eh bien ! Il y a la loi pour ça.

P.S. En attendant le grand soir, je me suis fais un petit tableau Excel pour pouvoir plus aisément « traduire » les valeurs biologiques les plus courantes. Je vous l’offre !


Article initialement publié sur “Le blog de Borée” sous le titre “Unité !”.

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Mauvais sang http://owni.fr/2011/04/26/mauvais-sang/ http://owni.fr/2011/04/26/mauvais-sang/#comments Tue, 26 Apr 2011 15:39:46 +0000 boree http://owni.fr/?p=34679 Il faut croire que les hasards n’existent pas.

Alors même que j’étais plongé dans la rédaction de ce billet, j’ai reçu le message suivant :

Cher Borée,

Vital et irrem-plaçable, le Don de Sang permet chaque année de soigner 1 million de malades. Donner son sang est donc indispensable, cependant seulement 4% des français accomplissent ce geste.
Pour la 8ème année consécutive, l’EFS, l’Etablissement Français du Sang organise le 14 juin, la JMDS, Journée Mondiale du Don de Sang, préparant à cette occasion, un événement ludique et pédagogique à Paris, ainsi que 300 collectes dans toute la France.
(…)
Cette année pour la première fois, l’EFS renforce son interaction avec la communauté en mettant en place 4 chats pour répondre aux questions des internautes.
Le premier aura lieu mardi 19 avril sur le thème de « Qu’est-ce que la JMDS ? »
Vous êtes influent, vous partagez vos passions avec votre communauté de lecteurs. Ils vous apprécient pour votre liberté de ton et votre authenticité. C’est pourquoi, nous avons besoin de votre soutien bénévole en tant que bloggeur pour relayer l’appel de l’EFS. Ainsi, vous faites un geste solidaire et contribuez à un mouvement national.

Moitié colère, moitié humilié

Mon père a toujours été donneur de sang. Quand j’étais gamin, j’étais très fier de ça. En plus, il nous ramenait les gaufrettes du petit casse-croûte offert après le don. C’était la fête. Je me suis toujours dit que je serai, moi aussi, donneur de sang quand j’aurai l’âge. C’était une évidence.

Lorsque je me suis retrouvé en première année de médecine, il y a eu ces affiches un jour : « Faculté de médecine – Don du sang mercredi prochain ». J’y suis donc allé avec deux copines. Sans me poser aucune question. Puisque c’était une évidence.

En arrivant, on nous remettait des questionnaires qu’il fallait lire et remplir avant un entretien avec le médecin responsable.

Quand ce fut mon tour, je lui tendis le questionnaire complété et elle me demanda avec un sourire :

- Bon, pas de problème alors ?
- Euh… si… je suis homosexuel, je ne peux pas être donneur alors ?
- Ah non, en effet, je suis désolée.
- Mais pourtant, je me suis toujours protégé.
- Oui mais ça ne change rien. C’est comme ça. On ne veut prendre aucun risque.

Et je suis donc reparti, passant entre les tables alors que je venais seulement d’arriver. Moitié colère, moitié humilié.

C’était en 1992. Aujourd’hui, en 2011, et malgré de vifs débats, la loi n’a toujours pas changé.

Les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes ont toujours l’interdiction de donner leur sang. De même d’ailleurs que leur moelle osseuse. Pour leurs organes en revanche, en cas de décès, pas de problème et si je me laissais aller à faire du mauvais esprit, je pourrais en conclure qu’un homosexuel acceptable est un homosexuel mort…

La France n’est pas un cas isolé

La majorité des pays développés a le même usage. Certains ont opté pour des limitations plus nuancées. Seules certaines régions espagnoles et la pourtant machiste Italie ont abandonné toute restriction fondée sur l’orientation sexuelle.

Les Britanniques pratiquent eux aussi la même exclusion. Mais leur loi semble sur le point d’évoluer. Amère consolation. Désormais, les homosexuels devraient être autorisés à donner leur sang… à condition de ne pas avoir eu de rapports sexuels depuis au moins 10 ans.

Et là, je dois bien avouer qu’à tout choisir, je préfère encore la logique d’exclusion complète. Parce que cette non-avancée britannique me paraît totalement surréaliste et vexatoire et, surtout, je ne vois absolument pas sur quelles données scientifiques elle pourrait se fonder.

De toute manière, les rares études ayant abordé la question, celles qu’invoquent les décideurs politiques, sont discutables et déjà datées dans un domaine qui connaît des évolutions techniques constantes.

Car il n’est peut-être pas inutile de rappeler que les échantillons de sang sont systématiquement testés, entre autre, pour le VIH. Et que, si les habituels tests de dépistage peuvent mettre jusqu’à six semaines pour se positiver, le circuit de la transfusion sanguine utilise une technique de diagnostic génomique viral (DGV) qui se positive dès le douzième jour (et jamais au-delà de 3 semaines) suivant une éventuelle contamination. Il n’y a ainsi presque aucune place au doute.

Je veux bien qu’on prenne une marge  de sécurité confortable, pour être sûr de ne pas passer à côté des zéro-virgule-quelque-chose % de tests faussement rassurants dans les délais habituels, mais qu’on m’explique quand même de quel chapeau ils ont sorti ces dix ans !

Oui, le VIH est toujours présent

Et oui, proportionnellement, les homosexuels masculins sont bien plus fréquemment touchés. Pire, parmi les différents modes de contamination, c’est le seul groupe pour lequel le nombre de nouveaux cas continue à augmenter. Ça ne sert à rien de le nier.

Non seulement ça ne sert à rien mais c’est même un tort. Refuser cette évidence au nom du « tous égaux, tous pareil », c’est rester dans une démarche de prévention tout public et, donc, largement inefficace. Les messages de prévention marchent quand ils sont ciblés.

Reconnaître qu’il y a toujours, trente ans après le début de l’épidémie, une spécificité de l’impact du VIH parmi les homosexuels, c’est permettre le développement d’une stratégie adaptée. Mais revenons-en au don du sang.

Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que la transmission du VIH par la transfusion sanguine a été un drame mais que ce problème est aujourd’hui largement maîtrisé. Le risque résiduel est évalué actuellement à environ 1 risque théorique pour 3 millions de transfusions. Sauf, qu’en 2008, le CDC a décrit le premier cas de contamination identifié depuis 2002, et alors même que les USA pratiquent environ 14 millions de transfusions par an.

En comparaison, les accidents de transfusion qui présentent un risque vital se produisent environ 1 fois pour 100 000 transfusions et le risque de décès directement consécutif à une transfusion est de l’ordre de 1 pour 300 000 (chiffres pour la France et les USA).

Que, malgré tout, l’on soit prudent au sujet du VIH et que les politiques mouillent leurs petites culottes depuis l’affaire du sang contaminé, je peux le comprendre.

Mais quand même…

L’Établissement français du sang, pour justifier l’exclusion des gays, invoque un chiffre absolument effrayant de 17,7% de prévalence (la proportion de personnes atteintes) du VIH parmi « les homosexuels masculins ». Point. Sans aucune nuance ni précision.

Ces chiffres se fondent sur l’enquête Prevagay. Cette enquête a été réalisée « au sein de la population des hommes ayant des relations sexuelles avec les hommes qui fréquentent des établissements gays parisiens (bars, saunas, backrooms). »

Ne pas faire du Marais une généralité

Quelqu’un pourrait expliquer à nos pros de santé publique que Paris ce n’est pas la France, et que le Marais ce n’est pas « les homosexuels masculins » ?

Qu’on fasse une enquête dans ce milieu, tout de même assez particulier (12% des hommes enquêtés ont eu au moins un rapport anal non protégé dans l’année avec un partenaire occasionnel, 18% ont eu au moins une IST dans l’année), pour mieux le connaître et pour pouvoir y développer une prévention spécifique, c’est très bien.

Mais qu’on étende à tous les homos de France des chiffres de prévalence récupérés dans des backrooms parisiennes, ça me paraît juste dramatique.

Qu’est-ce qui fait le risque, l’orientation amoureuse ou les pratiques sexuelles ?

Je vis depuis plus de dix ans en couple stable et fidèle. Comme des milliers d’autres. Et comme des milliers d’autres, je ne pense pas être plus « à risque » que mon frère ou que mon voisin qui vivent en couples hétérosexuels.

Peut-être faut-il rappeler qu’il n’existe pas de test pour « détecter l’homosexualité ». Et que, de toute façon, ces données sont donc déclaratives.

Quand l’Etablissement français du sang demande « Avez-vous eu des rapports avec un autre homme ? Oui/non », ils sont bien obligés de faire confiance aux réponses des gens. Parce qu’ils n’ont de toute façon pas d’autre choix.

De la même manière, qu’ils demandent s’il y a eu un changement de partenaire depuis quatre mois.

Sauf que cette question ne concerne que les rapports hétérosexuels. Imagine-t-on que les homos seraient plus menteurs ? Mais alors, pourquoi ne le seraient-ils pas aussi pour la question précédente ?

Et, au final, c’est quand même la question d’un éventuel changement de partenaire récent qui nous intéresse si on veut limiter les risques liés à la transfusion, non ? La FDA étatsunienne elle-même reconnaît que les possibles rarissimes risques résiduels de transmission du VIH via la transfusion sont dus quasi-exclusivement au problème de  la courte période « silencieuse » (une douzaine de jours) suivant une éventuelle contamination.

Les seules questions valables seraient donc celles visant à écarter les donneurs qui pourraient se trouver dans cette situation, éventuellement en prenant une marge de sécurité raisonnable, telles que : « Avez-vous eu un(e) nouveau(elle) partenaire au cours du dernier mois ? «

Le don du sang est gratuit, ceux qui y participent le font par altruisme. Comment imaginer qu’ils proposeraient de donner leur sang en sachant qu’ils ont pu avoir une conduite à risque dès lors que la définition de ces conduites à risque est suffisamment précise, sérieuse et fondée ?

Les études se sont basées sur une estimation du risque théorique comme si les donneurs potentiels allaient donner leur sang de manière aléatoire, quelle que soit leur activité sexuelle les jours et les semaines précédents. La logique même du don est fondée sur la confiance et le sens des responsabilités des donneurs. Comment ne pas croire que ceux-ci puissent choisir de donner ou pas en fonction de leur vie intime récente ? Pour autant que les règles qui seraient posées soient logiques, compréhensibles et non discriminatoires et qu’il n’y ait alors aucune raison de vouloir les transgresser.

A moins qu’il ne s’agisse pour les décideurs de faire oublier « l’affaire » et, désignant un groupe bouc-émissaire, donner l’illusion à la population que toutes les mesures nécessaires à la protection sont prises.

Non, décidément, je n’arrive pas à trouver de solide raison scientifique, rationnelle et logique, à tout ceci.

C’est donc avec un réel plaisir que je vais relayer l’appel de l’EFS et, en effet, inviter mes lecteurs à participer aux chats et à l’ensemble des manifestations autour de la Journée Mondiale du Don du Sang. Et plus particulièrement, je vais les inviter à poser une question bien précise…

Le don du sang, le don de moelle sauvent des vies. Faire ce don est un geste de profonde générosité et, sans raison valable, il n’est pas normal de stigmatiser ainsi des donneurs potentiels. A quand la fin de cette discrimination idiote, nuisible et qui n’est plus fondée sur des preuves scientifiques ?

Merci à celles et ceux qui ont bien voulu participer à la relecture de ce billet : DrCouine, Asclepieia et Jean-Marie de Grange Blanche

>>Article initialement publié sur le blog de Borée

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