OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 La Soucoupe s’est posée sur LeWeb10 http://owni.fr/2010/12/08/la-soucoupe-sest-posee-sur-leweb10/ http://owni.fr/2010/12/08/la-soucoupe-sest-posee-sur-leweb10/#comments Wed, 08 Dec 2010 07:38:26 +0000 [Enikao] http://owni.fr/2010/12/08/la-soucoupe-sest-posee-sur-leweb10/ Cette année encore, Le Web est l’occasion pour la planète nouvelles technologies de se retrouver à côté de Paris, aux Docks de la Plaine Saint-Denis, autour de start-ups et d’entreprises déjà bien établies, pour discuter des tendances, nouer des contacts, et écouter quelques speakers venus de divers univers.

L’événement organisé par Loïc et Géraldine Le Meur a pour thème cette année : les plateformes (et ce n’est pas un hommage à Houellebecq).

  • Les conférences de la plénière peuvent être visionnées en direct sur ustream.
  • Le hashtag sur Twitter à suivre est #leweb.
  • Le pearltrees officiel.

Cet article est mis à jour au fur et à mesure de la journée.

Carlos Ghosn, PDG de Renault et Nissan est le premier à intervenir. L’industrie automobile semble être moins innovante ? Le sentiment est en tout cas répandu, et le désamour semble profond dans l’opinion des pays développés : la voiture devient une nécessité pénible plus qu’une aspiration teintée d’affect. Le développement de la Mégane a coûté 2 milliards : Renault s’est inspiré des méthodes japonaises de Nissan : benchmarks, partage, automatisation.

Les questions énergétiques et environnementales, prégnantes dans l’opinion publique, sont devenues les premières sources d’innovation chez Renault et Nissan, en particulier dans le domaine des batteries électriques et du design, des matières et de la performance des moteurs. Les automobiles représenteraient 12,5 % des émissions de CO2, et sont les principales consommatrices d’énergies fossiles.

Selon Carlos Ghosn, il y a plus d’un milliard de voitures utilisées par jour en 2010, mais avec les progrès rapides des économies émergentes (Inde, Chine, Brésil…) la circulation passera à deux milliards de voitures d’ici 2010. Les villes et infrastructures vont devoir s’adapter.

La voiture électrique est très critiquée pour le moment, sur tous les fronts (fonctionnalités, autonomie…), mais Renault veut pourtant déjà en parler et la vendre sur un front marketing alors qu’elle n’est pas encore complètement au point, afin de préparer les esprits. Carlos Ghosn, faisant un parallèle osé avec le téléphone mobile, y croit pourtant dur comme fer.

Le secteur industriel automobile représenterait 2000 milliards de dollars, la voiture électrique devrait changer la donne et de nouveaux acteurs se feront une place. L’autre grande tendance est la personnalisation ultime de la voiture, pas ses fonctions propres : appareils électroniques embarqués, intérieur, extérieur… Mais les contraintes liées à la sécurité limitent l’innovation, en particulier les appareils qui peuvent détourner l’attention ou qui sont susceptibles de provoquer des dégâts en cas d’accident. Carlos Ghosn annonce que la voiture qui se conduit toute seule est déjà testée en laboratoire.

La Ze trône à l’entrée de Le Web, le modèle présenté a un petit quelque chose de Tron.

Ethan Beard, responsable du développent Facebook, est interrogé par Michael Arrington de TechCrunch. Avec Connect, Facebook est devenu une plateforme qui peut embarquer de nombreux contenus et qui devient un incontournable dans la musique (c’est le premier fournisseur de trafic vers Spotify), la vidéo, les jeux (Zynga et son célèbre Farmville) et même d’autres réseaux sociaux comme Twitter ou Foursquare qui s’insèrent naturellement dans les statuts.

Les utilisateurs de Facebook ont tendance à y rester et Ethan Beard souhaite les encourager à y retrouver leurs contenus favoris, à voir ce que font leurs amis et les contenus qu’ils y propulsent par recommandation.

Les prochains chantiers de Facebook sont à plusieurs niveaux Le graphe social est un enjeu pour Facebook et il prend corps avec la nouvelle version : connecter les gens entre eux, montrer leurs points communs, leurs événements communs.

L’achat d’objets virtuels à travers une pateforme unique, et donc une monnaie unique, sera la prochaine étape : Facebook Credits. Pour les développeurs, c’est aussi la garantie de travailler sur une plateforme unique sans disperser leurs compétences.

Jason Golgman, directeur produit Twitter, est interrogé par MG Siegler de TechCrunch

Jason Goldman continue à utiliser Twitdeck et d’autres plateformes de services, mais Twitter veut continuer à innover en proposant de nouvelles fonctions à ses utilisateurs : mobilité, contenus complémentaires, changement d’interface, contenu contextuel… L’enjeu est de taille car Twitter gère désormais 100 millions de gazouillis par jour.

Par exemple Twitter a acquis Tweetie en 2009, devenu Twitter pour iPhone pour être embarqué dans les smartphones. L’application web Hootsuite intègre les promoted tweets, messages promotionnels payés par des marques qui s’insèrent dans les flux des utilisateurs.

Pour Jason Goldman, le risque pour Twitter est de se complexifier : le projet de départ était simple, le partage d’un statut avec des amis ou des gens, et il ne faut pas rajouter trop de couches. L’API est ouverte et c’est aux utilisateurs de choisir les services annexes qu’ils souhaitent.

Mike Jones, PDG de MySpace, est interrogé par Robert Scoble

MySpace est historiquement le premier grand média social, lancé en 2003. MySpace a été racheté en 2005 par NewsCorp, la holding de Ruppert Murdoch, mais n’est resté jusqu’à présent qu’un gouffre financier. Mike Jone reconnaît qu’il stagne désormais, dépassé par Facebook, mais assure que NewsCorp continue à soutenir MySpace et continue à miser sur son avenir avec la nouvelle version, développée en 6 mois.

Le site s’est recentré sur la musique, la vidéo, et le partage de goûts artistiques. Comme MySpace est un lieu pour les artistes, cette nouvelle expérience est centralisée sur les sentiments à travers les “likes” et les statuts. MySpace est désormais connecté à des applications tierces comme Facebook, Twitter et Youtube. Entertainment.

Aujourd’hui, 30% des usages de MySpace se font sur une plateforme mobile. MySpace développe actuellement des applications spécifiques pour Android et iPad. De nouveaux acteurs qui ne sont pas originellement des médias vont changer le paysage et les habitudes de consommation de produits d’entertainment.


Stéphane Richard, PDG d’Orange, est interrogé par David Barroux des Echos.

Sur un ton morne et peu enthousiaste, Stéphane Richard annonce qu’Orange a vendu 3 million d’iPhones dans 13 pays, soit 6% des ventes totales mondiales d’Apple, ce qui ne lui donne pour autant pas une relation privilégiée avec la Pomme. Ne souhaitant pas parler de chiffres et affirmant qu’il n’y a pas d’objectifs de vente, il confirme cependant que l’iPad, qui vient d’arriver en offres subventionnées liées à un abonnement chez les opérateurs français, sera d’après lui un beau cadeau de Noël.

Pour Stéphane Richard, Orange se veut davantage qu’un grand tuyautier : l’avenir des opérateurs télécoms réside selon lui dans les applications et les contenus exclusifs.

Les opérateurs mobiles réfléchissent collectivement à la fin de l’Internet mobile illimité (qui ne l’est pas vraiment). Prétextant que 10 % des utilisateurs consomment 70 % de la bande passante, il annonce que les offres tarifaires vont devoir être revues, mais il compte également changer les habitudes des utilisateurs, sans préciser comment. Selon Stéphane Richard, le trafic de données mobiles devrait être multiplié par 10 d’ici à peine deux à trois ans.

Marko Ahtisaari, directeur du design de Nokia

Les interfaces tactiles sont immersives et requièrent une forte attention car l’utilisateur doit visualiser où il pose les doigts et clique : Marko Ahtisaari veut aider les utilisateurs à relever la tête. Nokia songe à réintroduire la souris dans ses appareils pour libérer de l’espace sur l’écran, qui n’est alors plus soumis à des contraintes de taille minimale.

Nokia mise massivement sur l’intelligence collective, en particulier pour améliorer les données de navigation sur son système de guidage et de cartes OVI Maps.

Nokia utilise les données des utilisateurs connectés pour détecter les zones de trafic trop denses et réorienter les trajets. Les utilisateurs d’OVI Maps ont parcouru 100 000 kilomètres en utilisant OVI Maps.

Malgré les difficultés de son système d’exploitation vieillissant Symbian, Nokia ne songe pas à s’appuyer sur des OS concurrents comme Windows Mobile ou Android et préfère réfléchir à un OS maison, en s’appuyant éventuellement sur la forte communauté de développeurs.

Osama Bedier, Vice-Président de Paypal, est interrogé par Milo Yiannopoulos du Daily Telegraph

Interrogé sur la suspension du compte de Wikileaks, Osama Bedier répond qu’il a simplement répondu à une demande de l’administration américaine. Il précise que proposer un service mondial unique de paiement en ligne et en mobilité est un challenge complexe, en raison des multiples législations existantes, et la conformité est une condition sinéquanone pour pouvoir opérer.

Marisa Mayer, Vice-Présidente de Google, est interrogée par Michael Arrington

Google a-t-il raté le tournant du web social ? Marisa Mayer préfère dire que Google est patient. Les grandes avancées du web est la recherche, la géolocalisation, le social, et le mobile. Google est présent sur trois segments, et même s’investit largement sur le mobile avec Android et un nouveau smartphone à venir, le Nexus 2.

Selon Marisa Mayer, la percée de Chrome et les applications pour ChromeOS montrent qu’il y a de la place pour des acteurs innovants. Google n’investit pas dans Foursquare, mais a investi dans Zynga car les jeux sont un relais de croissance potentiel et un moyen de capter l’attention.

Marisa Mayer, titillée par Michael Arrington sur Google Wave et sur la concurrence de l’iPhone, est confiante dans l’avenir d’Android en raison des développements que Google apporte directement à Android. Facebook n’est pas vraiment un ennemi ? La question est accueillie par un rire poli.

Christopher Smith, directeur de développement plateforme BlackBerry, est interrogé par Ryan Block d’Engadget

RIM a perdu 50% de sa part de marché sur les smartphones, même s’il garde une bonne place. Sur App World, la place de marché d’applications BlackBerry, il n’y a que 15000 applications contre près de 300 000 sur App Store pour Apple : Christopher Smith reconnaît que la pauvreté du portfolio laisse la place aux concurrents.

La multiplication des SDK (kits de développement) est un frein à l’unification de la plateforme et gênant pour les développeurs qui ne savent pas par où commencer. Une plateforme RIM 100 % web devrait permettre de redonner le goût aux développeurs et améliorer leur productivité en leur permettant de réaliser davantage de synergies dans leurs travaux.

La tablette BlackBerry, baptisée PlayBook, vise en priorité les professionnels malgré son nom. Mais les usages pourront se répandre dans le grand public, surtout s’il souhaite utiliser certaines fonctionnalités comme Flash.

Dennis Crowley, co-fondateur de Foursquare

Fourquare a atteint les 5 millions d’utilisateurs. 2 millions de check-ins par jour. Nous avons choisi de rester indépendants et avons refusé des offres très élevées de la part de plusieurs grands acteurs du web, nous avons même été harcelés pendant quelques mois.

Le modèle de marketing géolocalisé commence à s’affiner avec Foursquare : il ne suffit plus d’être le Maire pour bénéficier d’offres spéciales. Les commerces peuvent réfléchir à d’autres formats, comme par exemple faire venir 10 amis plutôt que venir 10 fois.

Pour le moment, Foursquare recueille beaucoup d’information, et il y a peu d’intérêt à part s’identifier sur un lieu et avoir des badges. Une API va bientôt être ouverte, ce qui devrait ouvrir la voie à des jeux et à d’autres usages. Pour une marque, il n’y a pas de prix fixe pour faire réaliser un badge.

Foursquare a signé un partenariat avec Endemol, qui est venu voir Dennis Crowley pour préparer une émission dont la mécanique utiliserait Foursquare. Pour le moment, 14% de l’activité est hors US. Les ambitions internationales sont importantes, la traduction de l’interface est en cours. Mais Dennis Crowley souhaite prendre un peu de temps : les levées de fonds ont été fructueuses et les 5 salariés de Foursquare viennent à peine de s’installer dans leurs nouveaux locaux de San Francisco.

Table ronde médias animée par Adrian Monck, World Economic Forum.

Les questions débutent sur Wikileaks, le droit à l’information, la pression technique, financière et légale des Etats contre Wikileaks et Julian Assange. Pierre Chappaz, se montre surpris par le silence massif de nombreux médias sur ces pressions et se montre catastrophé sur la liberté de la presse, dont Wikileaks est un rouage d’après lui. Julio Alonso se montre plus optimiste : il y aura toujours des moyens d’obtenir des informations, les fuites sont une vieille pratique que la presse utilise. Kenneth Estenson confirme que les médias ont de longue date des pressions et ont appris à faire avec.

La question judiciaire sera suivie de près : Julian Assange sera-t-il extradé, condamné ? Wikileaks est-il illégal, son renvoi de nombreux services (financiers, hébergement) est-il fondé en droit ?

[NDLR] Pour conclure

En conclusion de cette merveilleuse journée, nous ne pouvons que trop vous conseiller le billet de notre con-frère Alex “El Gonzo” Hervaud, sur Ecrans, qui rend hommage à la tradition de la titraille chère à Libé: “Le Web10: Flocon s’explique”.

Et on a beau dire, mais un évènement qui créé des mèmes mérite le respect. On peut le dire, en mots comme en images: le Web n’est pas mort.

Cours camarade, le vieux Web est derrière toi

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Crise d’identité dans les Balkans http://owni.fr/2010/11/12/crise-didentite-dans-les-balkans/ http://owni.fr/2010/11/12/crise-didentite-dans-les-balkans/#comments Fri, 12 Nov 2010 16:24:09 +0000 [Enikao] http://owni.fr/?p=35479 [NDLR] Il n’y pas que le tourisme qui fleurit en Croatie : libéré par les nouveaux canaux de communication, le nationalisme s’épanouit, empêchant la pacification avec les nouveaux voisins. Pour ouvrir notre dossier sur les identités dans les Balkans, Enikao nous offre un tour d’horizon des divers fronts de poussée de fièvre du nationalisme croate.

La Croatie a déclaré son indépendance le 25 juin 1991, souhaitant tourner la page de la fédération yougoslave et trouvant dans les premières élections multipartites de 1990 l’occasion propice pour cela. Ce petit pays de moins de 5 millions d’habitants, avant de redevenir une destination touristique à la mode, a connu la partition, une guerre avec son vieux voisin serbe qui souhaitait maintenir les États yougoslaves au sein de la fédération, l’occupation d’une partie de son territoire par l’armée Yougoslave, et surtout un processus de reconstruction identitaire particulièrement intéressant. Plusieurs acteurs jouent un rôle dans la recomposition identitaire, entre imaginaire collectif, fierté patriotique et messages politiques aux accents nationalistes.

Un divorce armé : les frères ennemis se séparent

La Yougoslavie, fédération comptant six républiques et deux autonomies (Kosovo et Voïvodine, afin de respecter les minorités albanaises et hongroises), a été un modèle complexe et multiculturel difficile à appréhender comme à gérer. Ce patchwork comportait plusieurs cultures que l’histoire a mis en conflit : Empire romain d’Orient et d’Occident, Venise, l’Autriche-Hongrie, l’Empire Ottoman, monde slave et monde latin, continent et Adriatique, chrétienté d’Orient et d’Occident… La population s’exprimait dans trois langues officielles (serbe, croate, slovène) et une espèce de melting pot construit progressivement baptisé serbo-croate, deux alphabets (latin et cyrillique), rassemblait quatre religions (orthodoxe, catholique, musulmane et une minorité juive) et vivait dans un régime communiste non-affilié au Pacte de Varsovie. La Yougoslavie de Tito se permit même en 1956 de proclamer, aux côtés de l’Egypte, du Cambodge et de l’Indonésie, son non-alignement avec les grandes puissances.

La chute du Rideau de Fer a entrainé à l’Est de nombreuses recompositions territoriales, et même des partitions comme la Tchécoslovaquie, qui donna pacifiquement naissance à la Slovaquie et à la République Tchèque. Dans le cas de la Yougoslavie, la partition se fit dans la douleur et par le réveil des nationalismes longtemps tus par la poigne du Maréchal Tito et de sa police politique. Le décès du dictateur en 1980 et l’instabilité politique qui a suivi en raison du système de présidence tournante instauré alors, ont laissé une chance et une place à prendre, sur l’échiquier politique croate, à la génération contestataire du printemps des peuples de 1971 et à ses revendications « patriotiques » réprimées jusqu’alors.

Alors qu’en Serbie les nationalistes diffusaient un discours panserbe, attisant les craintes des minorités installées dans diverses régions (au Kosovo, en Krajina), la Croatie connaissait de manière symétrique le début d’un processus de renationalisation des symboles et des esprits. Ces deux processus se sont effectué sur fond de revanche des deux précédentes guerres, mondiales, qui avaient vu les deux pays dans des camps différents à chaque fois. Langue, religion, structures de pouvoir, culture : plusieurs strates ont été travaillées par des entrepreneurs identitaires pour réveiller la fièvre patriotique. Le poids de l’histoire leur a simplifié la tâche et l’engrenage de la violence s’est déclenché rapidement, attisé par les radicaux de chaque camp.

Improviser une armée pour défendre la patrie

La guerre d’indépendance, que les Croates appellent « guerre patriotique », s’est étalée de 1991 à 1995, a causé plus de 20 000 morts et déplacé plus de 200 000 personnes en Croatie. Elle a bien évidemment laissé des traces physiques, mais aussi marqué durablement les esprits et contribué à forger et renforcer le nouveau sentiment d’appartenance. L’armée fédérale yougoslave étant très fortement encadrée par un état-major serbe centralisé, la Croatie dépourvue de structures a du improviser, faire le blocus des casernes pour récupérer du matériel, engager les volontaires et composer avec un pays occupé sur près d’un tiers de sa surface. L’armée fraîchement constituée a été la colonne vertébrale première d’un système de solidarité naissant, fournissant aux appelés vivres et vêtements, aux engagés volontaires des avantages plus importants comme le relogement dans des habitations de l’ancienne armée yougoslave et une couverture maladie efficace.

L’aura de l’armée croate a grandi encore suite à l’opération Eclair en mai 1995, puis à l’opération Tempête en août, deux blitz très bien préparés (d’aucuns y voient le soutien logistique et notamment l’appui d’images satellites de puissances étrangères) qui permirent à la Croatie de reprendre en quelques jours l’essentiel des terres occupées et de revenir à peu près dans ses frontières originelles. Ces faits d’arme restent présents dans les mémoires et sont régulièrement glorifiés dans les discours ou par des monuments et changements de noms de rues, de places. Nombre de cadres de l’armée de l’époque ont été accusés d’avoir participé à des exactions contre les Serbes et musulmans bosniaques durant cette période et inculpés par le Tribunal Pénal International de La Haye. Pourtant, la population les considère encore aujourd’hui comme des héros de guerre et voue un culte à son armée.

Le Général Ante Gotovina, en particulier, a joui du soutien actif de la population. Sa figure orne encore des bouteilles de vin blanc et des cartes postales visibles aux comptoirs des cafés. Certaines municipalités sont allées jusqu’à payer de grands panneaux indiquant qu’elles ne le livreraient jamais à des tribunaux jugés illégitimes et partisans. Certain de son impunité, l’ancien de la Légion Etrangère s’est même payé le luxe d’obtenir une audition papale durant sa cavale. Il a été dénoncé et arrêté en 2005 dans les îles Canaries, sa capture levant ainsi l’une des dernières barrières à une candidature officielle de la Croatie à l’entrée dans l’Union Européenne. Mais dans les esprits, Ante Gotovina reste le symbole d’un pays qui se bat seul. Faire partie des 500 000 vétérans de guerre officiels, un chiffre impressionnant (10% de la population !) masquant un clientélisme électoral du HDZ, demeure une source de fierté autant qu’un passe-droit.

Dieu et les croates, des retrouvailles politiques

Le Vatican fut un des premiers Etats à reconnaître officiellement la Croatie indépendante : Jean-Paul II vit là une occasion unique de renouer avec un pays catholique à plus de 90% et de signer un intéressant concordat. Le catholicisme est redevenu rapidement un ancrage très fort de l’identité croate, et même si le pays ne dispose officiellement pas de devise, l’expression Bog i hrvati (Dieu et les croates) reste très présente dans les esprits comme les écrits. Le catholicisme constitue un vecteur du renouveau nationaliste facile à mettre en œuvre car il distingue de l’orthodoxie du voisin serbe et de l’Islam des musulmans bosniaques. Le retour de la religion signe également une revanche contre l’époque communiste où la pratique et même l’affirmation de la croyance était socialement mal vue voire sanctionnée dans une carrière au sein de l’administration. L’Eglise croate a aisni pu s’imposer rapidement dans la sphère sociale et politique.

Dès 1992, le réseau Caritas (représenté en France par le Secours Catholique) a apporté une aide précieuse en nourriture, produits d’hygiène, aide aux blessés, veuves et orphelins, ce qui vint renforcer encore la popularité de l’Eglise. Celle-ci en a profité pour devenir un entrepreneur politique sourd et discret, appuyant sur divers leviers pour faire évoluer la société dans des sens nouveaux. Les Eglises furent parmi les premiers bâtiments à être rénovés dès la fin des bombardements, avant même les opérations de relogement des réfugiés. Les prêches des prêtres ont, pendant toute la guerre, pris des tournures étranges dans lesquels la justification de l’indépendance croate devenait un commandement divin voire une grâce mariale. Ces prêches aux accents politiques perdurent aujourd’hui encore.

On vit également apparaître au début des années 2000 des mouvements christiques et charismatiques, qui ont culminé avec la médiatisation d’un personnage étrange, le père Zlatko Sudac. Ce dernier cultive une apparence proche du Jésus popularisé par ses représentations traditionnelles en Occident et affirme avoir reçu des stigmates ainsi qu’une croix de sang sur son front. Le père Sudac (littéralement : le père Juge) a reçu un certain écho dans de nombreux médias grand public, ses messages traditionalistes en direction de la jeunesse ont été particulièrement repris au début des années 2000 et ont marqué une génération, contribuant à ancrer la religion comme valeur centrale de la société.

L’enseignement religieux à l’école obtenu grâce au concordat véhicule encore aujourd’hui, parfois jusque dans les manuels scolaires, des thématiques aux accents fortement nationalistes voire xénophobes, en particulier à l’égard des gitans et des musulmans. La critique systématique de l’avortement (dont la pratique est devenue dix fois moins courante en 20 ans) et de la contraception, l’homophobie et la stigmatisation des malades du SIDA ont été critiqués à plusieurs reprises par l’Union Européenne, sans effets. Quant à l’œcuménisme, il n’est clairement pas à l’ordre du jour.

Des carrés pour encourager le ballon rond

Parmi les héritages de l’époque yougoslave, le goût du sport, en particulier des sports collectifs (football, handball, basket, water polo) est demeuré très vif autant qu’il est devenu source de fierté et enjeu politique. Les sportifs yougoslaves, disposant de bonnes structures de formation et d’entrainement, ont longtemps été des « valeurs » recherchées par les équipes européennes. C’est ainsi par le sport que la Croatie a pu faire parler d’elle de manière positive à l’échelle internationale dans la seconde moitié des années 90, alors que la guerre venait de s’achever et que le pays cherchait à faire revenir les touristes sur ses côtes déjà célèbres à l’époque Yougoslave. La présence remarquée d’un Toni Kukoč dans l’équipe des Chicago Bulls ou d’un Dino Rađa chez les Cetics, le succès d’un Goran Ivanišević sur les cours de tennis, les excellents résultats de l’équipe de handball et surtout la troisième place de la Croatie à la coupe du monde de football en 1998 et le succès des joueurs emblématiques comme Zvonimir Boban ou Davor Šuker, constituèrent en réalité les premières brochures touristiques. Les grandes compétitions sportives firent également connaître un peu partout ces drôles de supporters portant des maillots à damier rouge et blanc, rappel du blason figurant sur le drapeau national.

Mais les succès sportifs masquent un double visage, en particulier dans le football. Les belles réussites ont vu naître en parallèle un comportement jusque là très marginal : le hooliganisme. En particulier, deux clubs se haïssent de longue date sur un mode ressemblant à la dualité PSG / OM en France. Le Dynamo de Zagreb, riche capitale administrative de l’intérieur des terres, et le Hajduk de Split, grande ville portuaire du Sud connue pour son « milieu » proche de la ‘Ndranghetta calabraise, s’affrontent sur les terrains comme dans les tribunes et sur les murs des villes. Ces violences touchent désormais les autres clubs que ces deux ville affrontent au cours des compétitions sportives.

Les ultras des deux clubs, radicaux et violents, sont composés en grande partie d’anciens militaires proches du grand banditisme, souvent impliqués dans le trafic d’armes et de stupéfiants. Les plus sages se sont reconvertis dans la sécurité privée dont les affaires fleurissent : les gardiens à l’entrée des banques et des sièges des grandes entreprises sont armés. Ce milieu bénéficie d’un certain soutien politique ou du moins d’un laisser-faire, les bandits d’aujourd’hui étant encore considérés par beaucoup comme des héros de la guerre d’hier.

Un air patriotique enflammé : la musique endurcit les mœurs

La musique a également servi de vecteur pour les messages nationalistes. Le cas le plus emblématique reste celui de Marko Perković dit « Thompson », en hommage à la mitrailleuse du même nom dit la légende. Chanteur rock très populaire auprès de toutes les tranches d’âge, Thompson a composé des chansons et ballades aux thèmes ouvertement nationalistes qui ont plu très rapidement. Ses déclarations fracassantes contre les communistes, les Serbes de Croatie ont reçu un fort écho dès le départ.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Ce chanteur est véritablement né de la guerre et a participé en tant que soldat à l’Opération Tempête. Dix ans après la prise de Knin, ancienne place forte serbe de la minorité vivant en Krajina, la ville organisa une grande fête à l’occasion de la Saint-Roch et Marko Perković, qui fut l’un des premiers soldats croates à entre dans la ville, était le clou du spectacle. Le concert en plein air rassembla plus de 20 000 personnes, la sécurité était assurée par des gros bras au crâne rasé arborant des T-shirts faisant référence aux Oustachis, mouvement nationaliste fasciste fondé par Ante Pavelić qui s’allia avec l’Axe et participa au massacre et à la déportation des Serbes, Tziganes, Juifs, musulmans de Bosnie et Monténégrins qui fit environ 800 000 victimes de 1941 à 1945.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Čavoglave, au stade Maksimir, Zagreb 2007. A 1’41’’ le spectateur qui arbore un drapeau porte clairement un T-shirt de la Légion Oustacha qui se porta volontaire pour le front de l’Est aux côtés de la Wehrmacht.

Le concert débuta d’ailleurs par un hommage appuyé à Ante Pavelić et à l’ancien président Franjo Tuđman, père de l’indépendance croate souvent accusé de révisionnisme et qui n’hésitait pas à déclarer « je suis heureux que ma femme ne soit ni serbe ni juive ». Son entrée en scène fut saluée par de nombreux bras tendus et saluts romains. Ces débordements sont monnaie courante et Thompson a l’intelligence de garder le plus possible ces moments de directs hors de portée des caméras et micros afin d’éviter les procès. A plusieurs reprises, ses concerts ont été annulés hors de Croatie et à l’occasion de matches de football. Il ya quelques mois encore, les fans du chanteur ont lapidé des journalistes et des Serbes à l’occasion du quinzième anniversaire de l’opération Tempête.

Une télévision très nationale

Les médias et les journalistes ne sont pas en reste dans le processus de reconstruction identitaire. En particulier, la programmation des deux chaînes de télévision nationale, HRT1 et HRT2, montre des choix partisans. Plusieurs émissions, sous couvert de culture ou de pédagogie, sont l’occasion de mettre en avant le folklore et c’est surtout dans les commentaires des présentateurs, dans la voix off ou dans les insinuations des invités en plateau que se niche le discours nationaliste.

Le « calendrier » quotidien, émission éducative diffusée avant le journal du midi, relate les temps forts de l’histoire du monde et inclut ainsi souvent une vision de l’histoire orientée. Autre exemple fort : les reportages de Goran Milić, qui prend différents angles pour partir micro à la main à la découverte du monde entier, des peuples et des cultures, sont autant d’occasion de glisser des idées infondées et des comparaisons partisanes sur le ton badin de la discussion avec ses interlocuteurs. Le travail d’implantation des idées par le soft power s’effectue ainsi depuis déjà près de 20 ans.

Des esprits maintenus dans le conflit

Ainsi, malgré des apparences paisibles, une économie assainie et un tourisme fortement reparti à la hausse autour des destinations phares de sa côte, la Croatie n’est pas devenue une nation apaisée. Les relations avec certains voisins comme la Serbie sont à peine normalisées, elles demeurent conflictuelles avec la Slovénie pour des raisons de zone de pêche dans le golfe de Piran. Les négociations d’adhésion à l’Union Européenne divisent fortement la société : une certaine élite y tient mais une large part de la population ne souhaite pas abandonner une souveraineté si récente. Sous couvert de particularismes locaux, la culture et les pratiques sont ainsi teintées d’un fort nationalisme lancinant et d’un sentiment de revanche.

Les entrepreneurs identitaires poursuivent un travail qui est assuré d’un certain succès populaire, mais qui mine par ailleurs le retour du pays sur la scène internationale et son insertion politique. Les dérives sont encore nombreuses et l’interpénétration des milieux nationalistes, sportifs, mafieux et politiques laisse planer une forte inquiétude pour l’avenir et la stabilité du pays, qui n’a toujours pas fait un pas en direction de son voisin serbe. La visite récente du Président Serbe à Vukovar et ses excuses publiques, dans une ville chargée d’un fort pouvoir symbolique, n’a pas été bien accueillie. Il n’y a pas eu à ce jour d’excuses réciproques. La réconciliation des anciens ennemis, qui fut pour l’Allemagne et la France un moteur de croissance et un projet politique engageant, n’est toujours pas à l’ordre du jour dans cette partie des Balkans malgré les bonnes intentions de certains courants politiques. Certains veillent activement à ce qu’elle ne le soit pas.

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[SPIIL] Journée de la presse en ligne http://owni.fr/2010/10/22/spiil-journee-de-la-presse-en-ligne/ http://owni.fr/2010/10/22/spiil-journee-de-la-presse-en-ligne/#comments Fri, 22 Oct 2010 07:26:39 +0000 [Enikao] http://owni.fr/?p=32854 A l’occasion de la première journée de la presse en ligne organisée par le SPIIL, Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne qui fête sa première année à la Maison des Métallos, la Soucoupe est venue assister aux débats qui animent la profession. Précision utile : Owni a rejoint le SPIIL depuis 48 heures.

Cet article a été mis à jour tout au long de la journée

Suivez la journée sur Twitter avec le hashtag #SPIIL.

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9:25 - Maurice Botbol introduit la journée et rappelle la raison d’être du SPIIL, créé peu après les Etats Généraux de la Presse : indépendance vis-à-vis des groupes de presse, information en ligne. Le SPIIL avait 10 membres au départ, il compte une soixantaine de membres aujourd’hui, avec un processus de choix selon des critères intangibles : modèle économique dès la création, au moins un journaliste ayant une carte de presse dans l’entreprise. Sites au contenu gratuit, payant, sites d’information locale, le SPIIL présente une vraie diversité aujourd’hui.

9:30 - Pierre Haski anime la première table ronde “Les enjeux professionnels de la presse en ligne : quels bouleversements pour demain ?”

Frédéric Filloux, Emmanuel Parody, Cyril Zimmermann, Francis Pisani.

Qu’y a-t-il d’excitant actuellement sur le net ?

9:45 – débats autour de Ruppert Murdoch, du modèle payant fermé qui freine la circulation virale.

Frédéric Filloux entrevoit des conteneurs Internet fermés, des environnements clos et des plateformes propriétaires (applications), au risque que l’Internet gratuit s’appauvrisse.

Francis Pisani pense qu’on n’est pas obligé d’envisager toutes les tendances comme inéluctables, l’innovation vient de la capacité générative des confrontations de techniques non contrôlées.

Cyril Zimmermann est fasciné par Murdoch, qui prend le risques de tester. S’autodistribuer est un véritable enjeux : conquérir ses abonnés, engendrer de l’adhésion à l’acte. Le problème vient en partie de l’offre, et de la frontière choisie entre ce qui doit être payant ou gratuit.

Emmanuel Parody rappelle qu’on a pris comme acquis que les contenus du web étaient ouverts parce que techniquement, le web est du lien. Il y a une tentation à mettre des liens en périphérie des articles, ce qui est une régression. Mais le débat gratuit/payant est trop binaire : la course à l’audience originelle (pages vues = pub, mais les rendements sont décroissants) s’est arrêtée car il y a moins de capitaux d’investissement, on est donc arrivé au revenu par utilisateur. Le payant ne veut pas dire que ce qui était gratuit de vient payant : il faut trouver des activités supplémentaires, complémentaires (mobilité, nouveaux contenus…).

10:00 – Pierre Haski rappelle qu’aujourd’hui on parle de l’affaiblissement et de la mort des marques dans l’industrie, et que ce discours arrive à peine pour les médias. La moitié du lectorat de Rue89 arrive par la recommandation. Le lectorat est diversifié : les fidèles, ceux qui arrivent par les réseaux sociaux, et ceux qui viennent de manière plus aléatoire par les moteurs de recherche. Leur implication n’est pas la même.

Internet a été présenté comme un chaos, mais la profusion de contenus justifie que les marques existent, comme point de repère.

Les médias sociaux permettent de rappeler à soi d’autres lecteurs qui ne viennent pas souvent.

Cyril Zimmermann pense qu’il y a eu un énorme marché de dupes entre les éditeurs de contenu, Google et les médias sociaux, parce qu’il y a eu une captation de la rente publicitaire. L’indexation gratuite contre du trafic a focalisé le sujet sur le nombre de vues, qui rapporte trop peu. C’est une spoliation avec l’assentiment fasciné des créateurs de contenus, Google le fait, Apple le tente et Facebook le fait déjà. Le déséquilibre économique vient d’un très beau marketing et du fait que l’enjeu de ce marché de dupes n’était pas directement monétaire (ce qui aurait réparti les revenus), mais simplement des clics.

Frédéric Filloux rappelle que tous les clics ne sont pas égaux. L’approche publicitaire est grossière, et indifférenciée. On est encore dans la religion du clic, que l’on obtient avec des manipulations minables comme des jeux. Mais quelle est la proportion de visiteurs à valeur, qui viennent avec une logique de marque ?

Emmanuel Parody : Facebook ne ramène pas des trafics, c’est vraiment infime, 1,25% à peine ! Facebook n’est pas la relève de Google, il est surévalué dans sa capacité de renvoi d’audience. C’est un lieu où s’organisent des échanges sociaux, c’est donc autre chose. La moitié des utilisateurs vient jouer en ligne sur Facebook, le webmail est un usage croissant, mais ce n’est pas un lieu de consultation d’information. Facebook crée du lien qualitatif, pas du clic en masse.

Francis Pisani suggère que l’on remettre en question l’article : la matrice d’un article est une matrice espace-temps. La distance virtuelle et le temps réel bouleversent ce when et ce where que l’on apprend dans les écoles de journalistes. Twitter, c’est du fragment qui vient de partout en temps réel. Les récits modulaires sont peut-être la vraie base de réflexion pour l’avenir de l’information : l’article viendra nous chercher sur les écrans que nous utilisons, le journalisme est un process et l’article n’est donc plus monolithique.

Frédéric Zimmermann rebondit sur la question du prix de l’article abordé par Francis Pisani : la vente à l’article va poser une question très gênante, celle de la rentabilité des journalistes car on verra clairement les articles qui marchent. Il faut donc s’en prémunir pour ne pas faire des journalistes salariés des pigistes chargés de tirer du trafic sans faire leur vrai métier (l’information) dans des conditions satisfaisantes.

10:30 - Les débats s’ouvrent dans le public sur Google : il n’y a pas de contrat, il est à la fois tacite et léonin. Il est possible de se désindexer mais puisqu’il n’y a pas d’accord. Le plateau s’anime et commence à débattre avec la salle.

Frédéric Filloux charge Huffington Post et ses 6 000 blogueurs non payés, qui n’est pas un modèle du tout. La spoliation est ailleurs : le Huff’Po draine à lui les commentaires et le trafic, en pillant ou en faisant piller les contenus créés ailleurs.

Emmanuel Parody : le modèle de la course à l’audience, c’est la revente ! Ariana Huffington l’a compris, c’est pour cela qu’elle ne parle pas de valeur de l’article. Entrer en bourse, faire la culbute, c’est quand même un classique, il faut assumer cette question de la bulle et regarder les chiffre en face.

Francis Pisani interroge Pierre Haski sur l’arrivée à la rentabilité de Rue89 : la crise a fait chuter les revenus publicitaires, la diversification est donc venue de la formation (aujourd’hui 30% des revenus) et la production de sites pour d’autres structures. L’accès reste gratuit car la moitié du trafic vient de la recommandation, la circulation virale reste donc importante car nous sommes un jeune média, et le modèle freemium n’est pas encore mature. Le mensuel papier (qui procède d’un reverse publishing) que nous avons lancé n’est pas encore pris en compte même s’il est rentable dès le premier numéro.

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11:00 – Atelier “Audience et trafic, les dernières évolutions”

Hélène Froment (Mediapart), Emmanuel Parody (BCS Interactive) et Franck Si-Hassen (Médiamétrie e-Stat)

Affinage de la mesure d’audience.

La mesure des vidéos a longtemps été limitée au compteur, qui ne prend en compte que le temps de chargement. Désormais Médiamétrie peut savoir quel est le temps de visionnage réel. Les marqueurs e-Stat de Médiamétrie prennent en compte depuis peu les applications mobiles iPhone, iPad, iPod Touch, Androïd, et bientôt Blackberry.

Le wi-fi compte pour environ 20 à 30% des applications : le téléphone a beau être mobile, il est parfois utilisé de manière fixe.

Alenty a développé une application pour calculer le temps de visionnage des publicités (emplacement), cette technologie est désormais intégrée pour l’analyse de visualisation des contenus d’une page, en particulier dans les homepage qui évoluent sur les médias en ligne.

Pour Mediapart, au-delà des 40 000 abonnés désormais atteints, la mesure de l’audience est un enjeu particulier : l’économie de moyens ne permet pas une mesure fine avec des outils coûteux. L’engagement de dépense se concentre sur les éléments classiques : nombre pages vues, durée des visites, mais aussi zones. La base abonnés permet de vérifier les Adwords qui fonctionnent, et donc calculer le coût d’acquisition des nouveaux abonnés : cela a débuté en juin avec l’affaire Bettencourt. Ces données guident les investissements dans les campagnes d’achats de mots clés.

La mesure de fidélisation se fait sur l’écart entre les consultations connectées et non connectées. L’aspect hybride du modèle est donc évalué avec l’entonnoir pour vérifier le taux de transformation, et les éléments qui sont rédhibitoires. Les applications iPad et iPhone de Mediapart arriveront cet automne.

Questions du public : quelle utilisation éditoriale des chiffres pour orienter les choix de contenus ? Quels sont les apporteurs de trafic (Google, Facebook, Dailymotion…) ? Pour Mediapart, il y a un mix à trouver pour rester un site d’information générale, il faut équilibrer les sujets pour ne pas devenir “le média Bettencourt”. Cet été, la notoriété de la marque Mediapart a tiré les abonnements, le travail de CRM par les relances e-mail, les Adwords et les offres proposées sur Facebook et Dailymotion viennent après.

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14:00 – Atelier “Formation : tout ce que les journalistes web doivent apprendre et que leurs collègues ignorent”

Table animée par Philippe Couve.

Philippe Couve, Soizic Bouju, Alice Antheaume, Marc Mentré, Eric Mettout

Alice Antheaume : l’enseignement au web en école de journalismes inclut plusieurs sujets larges. La vérification des sources, le fact checking accéléré sur les chiffres, mais aussi détecter un sujet rapidement pour prendre de vitesse l’AFP. En deuxième année, on passe au choix des outils de publication, on réfléchit aux formulations pour les demandes aux  développeurs, à comment optimiser son référencement Google. Les digital natives, c’est une forme de fantasme, il faut avoir des comptes sur les médias sociaux bien sûr, c’est même un prérequis, mais on apprend surtout à faire de l’info.

Eric Mettout : il faut aussi apprendre les relations avec la communauté et les lecteurs, le marketing, l’utilisation des outils disponibles comme les Google Maps, les nouvelles formes d’écriture, parce qu’aujourd’hui le journalisme web est un journalisme Shiva. La formation évolue désormais très vite.

Marc Mentré : il faut d’abord savoir ce qu’est le journalisme web : réseaux sociaux, mobilité ? Ce qui est sûr c’est qu’il ne peut y avoir une compétence unique centrée sur le web. Participer à la communauté est indispensable, et ça nécessite une spécialisation. On ne peut pas être un spécialiste des généralités. Les sites ne peuvent pas exploiter dans leurs médias respectifs certaines compétences comme les nouvelles formes de narration.

Soizic Bouju : la réactivité pour la profondeur, c’est là la ligne de partage. Il faut être formé à tout mais on ne peut pas tout faire. L’expertise a un sens car elle fait la différence.

Philippe Couve : la formation au dialogue entre journalistes et développeurs est indispensable, bien sûr les fonctions ne sont pas les mêmes mais il faut trouver les zones de contact.

14:30 – Questions du public  : le transmédia est devenu plus facile grâce aux outils matériel, mais cela ne change rien au fait que la pratique elle-même. Comment faire ?

Pour Marc Mentré, on va revenir aux équipes de journalistes, c’est d’ailleurs ce qu’on voit sur les projets de webdocumentaire. La diffusion des savoirs et des savoir-faire en interne est un vrai enjeu, il faut des passeurs de technique et des personnes capables de mener des projets en interne. L’éclatement de la bulle web au début des années 2000 a aussi freiné les demandes de formation web pendant des années.

Pour Soizic Bouju, il y a une phase de transition générationnelle, c’est sûr, mais ce n’est pas la ligne de partage et les résistances existent là où on ne les imagine pas : le management intermédiaire s’interroge encore beaucoup. Le projet doit être éditorial.

Marc Mentré : le web est horizontal, les rédactions sont verticales, ce qui crée des confrontations hiérarchiques. Il faut donc commencer par former la rédaction en chef, et la laisser réfléchir à l’organisation.

Les pigistes peuvent aussi bénéficier des formations web.

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15:00 – Atelier “Eclatement des supports de diffusion : réseaux sociaux, mobiles… papier !”

Benoît Raphaël (Le Post), Laurent Mauriac (Rue89), Walter Bouvais (Terra Eco)

Walter Bouvais : il faut se concentrer sur le contenu, les angles, le ton, la question des supports et des canaux doit venir après. Cela suppose qu’on ait des conférences de rédaction musclées, et uniques, print et web réunis. Cela signifie publier moins vitre et moins souvent mais viser une forme de qualité.

Laurent Mauriac : pour l’instant, le mobile est une déclinaison du web, mais des fonctionnalités complémentaires arrivent. Nous avons des visiteurs qui ne nous lisent que par ce qu’ils voient des médias sociaux. Sur le papier, on a une commodité du format, et on doit quand même attirer des gens pour les faire payer un contenu qu’ils pourraient trouver gratuitement en ligne. Il faut quand même adapter les contenus aux plateformes, car les plateformes sont liées directement à des modes de consommation des médias.

Benoît Raphaël : Internet a été présenté comme un nouveau réseau de distribution, mais les contenus changent de nature à partir du moment où les canaux deviennent interconnectés : mobile, Internet, réseaux comme Facebook, demain la télévision connectée. L’information est devenue liquide, donc en salle de rédaction il faut apprendre à être plus agile, mais le mode de production doit le devenir aussi. Les nouveaux outils permettent de gagner beaucoup de temps, c’est pourquoi il faut se poser la question de la production, pas seulement de sa distribution. Le journaliste peut s’appuyer sur les internautes et se décharger d’une partie de ses fonctions : angles, témoignages, récupération, veille.

Le Post a longtemps recyclé et retravaillé une information générale déjà disponible, même si l’angle et l’enrichissement peuvent différer d’un média à l’autre. Puis il a fallu agrandir les équipes pour coproduire avec les journalistes, et enfin aller vers l’enquête plus spécifique.

Laurent Mauriac : l’éclatement des commentaires sur les différents supports devient difficile à gérer, car il y a le site, Facebook, Twitter… La conversation est difficile à animer. Sur Rue89, on a un outil pour mettre en valeur les commentaires pertinents, et même on en édite certains dans le mensuel papier quand ils apportent quelque chose.

Benoît Raphaël : le commentaire anonyme génère énormément de parasites, le contenu est souvent mauvais et très agressif. Le travail de la communauté dans les commentaires, sur l’actualité courante, est souvent assez pauvre. Supprimer l’anonymat par un système de commentaires réservé aux abonnés allège un peu ces mauvaises participations. Être présent près du lecteur, sur Facebook ou Twitter, c’est simplement aller le chercher là où il est, c’est du bon sens. Quand l’information est produite nativement en digitale, on peut l’adapter.

Éclatement des supports et monétisation  : pour Laurent Mauriac, il ne faut pas regarder la rentabilité par mode de diffusion. Le mensuel a fait connaître la marque à de nouveaux publics et assuré un autre visibilité auprès de nouveaux publics et des régies publicitaires.

Question du public : quelle relation avec les internautes, quel rapport au droit d’auteur ?

Laurent Mauriac : ils sont des capteurs mais il ne sont pas journalistes et n’ont pas vocation à être rémunérés parce qu’ils ne produisent pas stricto sensu. Rue89 n’adhère pas à cette idée de journaliste citoyen. Les CGU prévoient que les commentaires peuvent être repris dans un article en ligne ou même dans le mensuel.

16:00 – “Les enjeux démocratiques de la presse en ligne : prêts pour la campagne de 2012 ?”

Débat animé par Ewy Plenel.

Benoît Thieulin, Dominique Cardon, Edwy Plenel, Antonio A. Casilli, Xavier Moisant

Dominique Cardon : on a élargi le nombre de personnes qui prennent la parole à davantage de profils, qui désormais peuvent être anonymes, et on a ajouté la conversation, ce qui est proprement démocratique même si on change de qualité en libérant les subjectivités, en ouvrant la parole en présupposant l’égalité de parole. L’espace public a changé, mais toute la hiérarchie d’information demeure : la hiérarchie est celle des agissants. Le contrôle ex post a par contre fait son entrée. L’espace public a donc changé, et on voit nettement des réseaux catégoriels se constituer autour d’intérêts. Mais au final, Internet a surtout joué un rôle important dans la liberté d’expression par la massification des usages, Internet a procédé à un décentrement de la société, les individus s’auto-organisent de manière incontrôlable. Internet ressemble peut-être un peu plus à la société qu’avant où le témoin de la rue devait être poli, présentable et représentatif à la fois.

Antonio Casilli : il faut préparer un internaute civilisé à un Internet civilisé. Sur Internet, on est dans une situation de contrôle, de surveillance de soi de manière paternaliste et infantilisante, on retrouve en quelque sorte le “surveiller et punir” de Michel Foucault. Le trolling, le vandalisme sur Wikipedia, montrent que l’enjeu est important, c’est un effet de stimulation qui nécessite une réaction, même si elle doit être mesurée, dans ses efforts et dans le temps. Sur Internet, les polarisation sont plus fortes : contre-culture américaine, mini comu nippons, gauche radicale en Europe, trolls républicains professionnels… Ce vandalisme et cette viralité ont un rôle dans la place publique.

Xavier Moisant : l’incompréhension et la non-compréhension des candidats politiques ne sont pas des histoires anciennes, surtout à l’échelle nationale. On en est parfois à faxer des e-mails ! Il y a plusieurs réactions possibles. Il y a eu le “débrouille-toi” en 2002, qui donnait une grande liberté. On est passé depuis 2007 à des sites de campagne qui servaient de purs relais. Avec les médias sociaux plus implantés, ça va changer : Nicolas Sarkozy a déjà plus de 300 000 fans sur Facebook, ce qui est une base de mobilisation militante.

Benoît Thieulin : Internet est perçu comme un nouvel outil de communication, pas comme la possibilité de changer de paradigme. Move On, Howard Dean ont été des avancées qui ont montré des capacités de mobilisation de la société civile et de libération de la parole qui auraient dû faire bouger les mentalités. Internet a été l’outil des mouvements et candidats les moins favorisés des médias. En France, aucun candidat n’est encore un praticien du web (c’est un effet générationnel) alors que ce n’est pas le cas en Grande Bretagne et aux Etats-Unis. Notre classe politique, dans sa formation intellectuelle et dans sa carrière, qui passe souvent par de grandes administrations centrales, n’est pas formée au web. La société civile s’est réarmée par le web autour de logiques affinitaires, puis il y a eu un traitement médiatique, la politique est arrivée plus tard. Mais développer une stratégie complexe ne peut venir que de la pratique même, sinon on ne fait que décliner sur le web des stratégies préexistantes.

Dominique Cardon : Obama est un universitaire et il s’est inscrit dans les conversations, en sollicitant la participation, mais c’est aussi une bête de télévision. On est à la fois dans le participatif et dans la mise en avant d’une personnalité, sa victoire est le fuit d’une ambivalence.

Les réflexions sur les trolls sont nombreuses : modération, comment l’isoler, pourquoi troller est avant tout un verbe (on trolle) plutôt qu’un individu (tout le monde troll d ‘une manière ou d’une autre). La longue traine du web ouvre ces espaces dans la politique, mais elle permet aussi la communication directe pour des candidats moins connus. La discussion d’un élu qui a un capital politique élevé est plus rare et cette rareté risque d’avoir un effet déceptif.

D’autres compte-rendus :

Archives :

Illustration CC FlickR par Bill on Capitol Hill

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http://owni.fr/2010/10/22/spiil-journee-de-la-presse-en-ligne/feed/ 8
Voilà, c’est fini http://owni.fr/2010/08/04/voila-est-fini/ http://owni.fr/2010/08/04/voila-est-fini/#comments Wed, 04 Aug 2010 07:38:37 +0000 [Enikao] http://owni.fr/?p=23777 Il y a quelques temps déjà, je listais ma surconsommation de médias et Philippe Couve venait glisser en commentaire un élément qui allait mettre un peu de temps avant de faire son chemin. Sur le moment, quand il a parlé de finitude, j’ai un peu déliré sur la tristesse de la finitude des choses. Quand on est curieux, quand on a une soif intarissable de savoir, quand on se désespère de rater tant de choses parce que l’on n’a matériellement pas le temps de tout ingurgiter (sans même parler de mâcher ni de digérer et d’assimiler), on peut concevoir que la finitude est davantage une tristesse qu’autre chose. Et puis on peut accepter la fin, voire la désirer pour telle. Il y a Gengis Khan pleurant sincèrement quand il n’eut plus de terres à conquérir, il y a les rôlistes qui pestent contre les systèmes qui bloquent toute progression une fois un certain sommet atteint, il y a ceux qui veulent toujours plus (« moar ! » lirait-on sur certains forums), il y a cette envie tenace du cran au-dessus, en quantité comme en qualité. Au final c’est peut-être bien une forme de caprice infantile. Schopenhauer a écrit des choses intéressantes à analyser mais sa théorie sur le malheur profond et insurpassable de l’homme est d’un rare enfantillage. Pour lui, nous ne pouvons connaître le bonheur car nous oscillons périodiquement entre désir inassouvi qui engendre en même temps la frustration et l’envie douloureuse qui n’a de cesse que d’être satisfaite, et par la suite l’ennui qui suit la courte période de satisfaction. Cet ennui dure jusqu’à la prochaine lueur de désir et jusqu’à la prochaine lubie. La roue tourne et on recommence.

La finitude est bonne, elle est souhaitable

Ce sont des foutaises de sale môme mal élevé, ou de toxicomane qui cherche la sensation suivante et gère son manque et sa tolérance. Si l’humanité était réduite à des satisfactions aussi basiques, sans pour autant qu’elles soient primales (l’objet du désir peut tout à fait être complexe, comme un coucher de soleil dans un cadre enchanteur, un sourire et un regard appuyé d’une personne chère, ou une jolie paire d’escarpins qui irait tellement bien avec le morceau de tissu italien ayant coûté un bras), alors nous ne serions pas bien différents de créatures, disons, plus sommaires. La finitude est bonne, elle est souhaitable. Manger alors qu’on a atteint un stade de satiété tout à fait correct, pourquoi pas si on satisfait une forme de gourmandise. Ou bien si l’on se gave pour des raisons sociales incontournables, par exemple si la grand-mère ne comprend pas que l’on ne reprenne pas une quatrième fois du plat qu’elle a préparé avec amour et demande insidieusement si on est malade ou si on n’a pas aimé. Boire un peu plus pour ressentir le effets de l’ébriété ou pour accompagner un toast, pourquoi pas. Faire des cochoncetés malgré une certaine fatigue physique parce que l’autre a encore de la réserve et qu’on veut lui faire plaisir, c’est tout à fait envisageable. Là encore tout est question d’équilibre. Hélas nous ne sommes pas dans une société qui prône la mesure. Le progrès se mesure en ratio, en pourcentages de progression (parts de marché, valeur des actions…), en rapidité accrue, en gain, en croissance, en taille plus compacte (miniaturisation dans l’électronique) ou au contraire en taille démesurée (pensons aux projets hôteliers à Dubaï). Davantage, c’est mieux. Moins, ça fait timoré, ça manque d’ambition, c’est presque suspect, c’est presque rétrograde. Dommage. S’arrêter a du bon. Un bon panneau stop pour ne plus faire un pas. Dire non à ce qui est superflu. Mesurer l’effort à produire pour l’étape d’après et juger que ce n’est pas nécessaire. Ni même satisfaisant. Couper les ponts de relations toxiques.

Lire sur des formats finis a changé quelque chose

Et voilà, j'ai fini ma revue. Je peux maintenant gratter mon chat.

Et voilà, j'ai fini ma revue. Je peux maintenant gratter mon chat.

Dans un domaine où la croissance est exponentielle comme l’information, il faut bien trouver son propre point d’équilibre si on ne veut pas simplement disjoncter, le cerveau encombré de flux qu’il n’arrive plus à traiter dans le peu de temps qu’on lui accorde. Ou bien fixer arbitrairement une limite. Étant parti quelques jours dans une île, et ne tenant pas à engloutir le budget annuel de l’Angola en connexion 3G, j’ai fait le plein de livres et de magazines. Ne pas se connecter pour lire en ligne et lire sur des formats finis a changé quelque chose. Une part de stress s’est évaporée : pas de liens contextuels (quelques URL ici et là dans les magazines, bien sûr, mais pas tant que ça), par de « pour aller plus loin », pas d’articles en rapport. Une fois qu’on est arrivé au bout de son journal, on commande une autre boisson et on plie. Ou on relit un encadré, ou on revient sur une page que l’on a passée sans la lire. Mais on arrive au bout de quelque chose. Il n’y a pas d’après, et c’est appréciable.

La fin, c’est ce qui permet de regarder en arrière

C’est quelque peu difficile à expliquer car la sensation est diffuse dans sa puissance autant que répandue et enveloppante, mais il y a là le sentiment du travail accompli. C’est littéralement que l’on tourne la (dernière) page. L’acte n’est pas en suspens, ce n’est pas un flux temporairement retenu par un barrage jusqu’au prochain moment de connexion. C’est un acte isolé, complet, qui se suffit à lui seul, du moins dans l’espace-temps qui lui est alloué. C’est peut-être là-dessus que misent les concepteurs de magazines électroniques sur plateformes mobiles comme l’iPad. Le moindre site de média en ligne est une mine sans fond : le contenu accessible et les liens à explorer sont riches, mais peut-être trop pour celui qui a la tentation du clic. Alors que le magazine numérique, celui qui est vraiment multimédia et pas un simple PDF, embarque des contenus sonores, vidéo, des liens potentiels, mais apporte également la finitude. La fin, c’est ce qui permet de regarder en arrière. C’est ce qui donne tout le temps nécessaire au bilan, à l’analyse, à la satisfaction pleine et entière de ce qui a été accompli. Quitte à ce que la conclusion soit un recommencement ultérieur, sur d’autres bases ou à l’identique : il y a de petites fins, et des fins définitives. Savoir imposer une fin est un bon coupe-faim quand celle-ci devient gloutonne, immodérée et grotesque. D’ailleurs, il est temps d’achever ce billet. Fin. — Billet initialement publié chez [Enikao] Image CC Flickr caribb et postaletrice

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http://owni.fr/2010/08/04/voila-est-fini/feed/ 6
William Gibson:|| cyberculture, || une “poésie des bas-fonds” http://owni.fr/2010/05/21/william-gibson-la-cyberculture-une-poesie-des-bas-fonds/ http://owni.fr/2010/05/21/william-gibson-la-cyberculture-une-poesie-des-bas-fonds/#comments Fri, 21 May 2010 09:58:34 +0000 [Enikao] http://owni.fr/?p=16211 A l’occasion d’une séance de dédicace du trop rare William Gibson, j’ai eu l’occasion de l’écouter brosser un panorama de ses inspirations. Simple et abordable, il s’est montré loin de l’idée que l’on se fait d’un auteur qui a tant parlé d’informatique, de cyberespace, de clonage et de sociétés multinationales montant des coups tordus. Moins technophile que rêveur, imprégné par la Beat Generation et Burroughs, effrayé par l’ère Reagan, Gibson revendique avoir créé une “poésie des bas-fonds”.

Dans les uchronies, on imagine souvent ce qui se serait passé si le Japon et l’Allemagne avaient remporté la Seconde Guerre Mondiale. Mais personne n’a essayé de décrire un monde où nous vivrions dans une chanson du Velvet underground“.

Le cyberpunk est né avec le premier roman de William Gibson en 1984 : Neuromancien. Particulièrement salué (Prix Nébula, Prix Hugo et Prix Philip K. Dick), les grandes lignes du genre sont posées. Dans un avenir proche, l’État a abdiqué presque partout, le monde est aux mains de grandes multinationales. L’informatique s’est particulièrement développée, le cyberespace est un lieu où les hackers osent tout.

Clonage, nanotechnologies, implants cybernétiques et intelligences artificielles ont changé les paradigmes sur l’humanité. Les héros sont des parias désabusés des bas-fonds, missionnés pour de sales boulots d’espionnage : entre thriller et complot.

La musique rock et les drogues de synthèse (voire virtuelles) sont présentes en filigrane.

Entretien.

Bonjour, je suis William Gibson, et je vis dans un univers coloré

E : Comment est né Neuromancien, un roman qui a fait date dans l’histoire de la littérature en initiant le mouvement cyberpunk ?

WG : Je n’avais aucune référence de départ, c’est pourquoi il m’a fallu partir d’une armature. Pour cela je suis parti de deux sous-genres (rien de péjoratif) que sont le thriller et l’espionnage pour avoir une trame solide. L’histoire a eu rapidement sa propre dynamique qui m’a un peu échappé, j’ai bien vu des années plus tard qu’elle était difficile à transcrire en script de film. Mais finalement je n’aime pas m’en tenir aux règles d’un genre et je préfère jouer avec les codes pour les mélanger.

E : On vous prête l’invention du cyberespace et des prémisses des mondes virtuels d’aujourd’hui. Êtes-vous un nerd ? Un passionné de science ?

WG : J’ai une solide réputation de visionnaire et de technophile, mais elle est très exagérée. Certes, ça aide à vendre… (rire)

Ce que j’écris du monde des sciences, je le tiens en réalité de mon entourage qui travaille dans tel ou tel secteur. En revanche, je sais reconnaître la nouveauté quand elle me passe sous les yeux. Et puis j’ai une interprétation poétique des langages de la technologie qui me pousse à extrapoler. La première fois que j’ai entendu les mots interfacer en tant que verbe, ou virus informatique, j’ai trouvé ça fascinant. Pour ce dernier, j’ai imaginé qu’il s’agissait de masses de données se reproduisant sur d’autres données, infectant plusieurs endroits à la fois et générant des effets néfastes comme le fait un virus biologique. Bon, j’ai eu de la chance, il se trouve que c’est le cas… Une réputation tient à peu de choses ! (rire)

E : D’après vous, quel rapport entretient la science avec la science-fiction ? Laquelle influence le plus l’autre ? Qui devance qui ?

WG : Je crois en réalité qu’il y a moins de symbiose entre science et science-fiction qu’entre business technologique et science-fiction. La science-fiction invente des trucs que l’on peut montrer au banquier quand on cherche des financements. Les patrons de start-ups posent quelques livres sur la table en disant : “Lisez ça et ça. Ce n’est pas tout à fait ce qu’on peut faire, mais presque. On veut du cash pour le développer”. Et même, certains patrons de sociétés technologiques me disent qu’ils ont été inspirés par nos écrits. Pas tellement les chercheurs… Aujourd’hui, une grande partie de l’énergie créative a migré ailleurs. Il y a eu la science-fiction, puis la musique, aujourd’hui c’est peut-être dans le cinéma et l’animation qu’il faut regarder les progrès techniques significatifs.

E : La plupart de vos héros sont apatrides, est-ce lié à vos lectures sur l’itinérance comme Kerouac ?

WG : C’est plus profond que cela. J’ai grandi dans un tout petit village très sudiste, très religieux, très traditionnel et très blanc. Cet univers fermé aux influences extérieures était oppressant, voire fantasmatique : il était irréel. Aussi, à l’adolescence, je me suis tourné vers la musique, le cinéma, les comics et la science fiction qui avaient pour moi plus de consistance que mon quotidien. Mon refus d’aller faire la guerre au Vietnam en 1968 m’a par la suite poussé sur les routes et je suis parti pour le Canada. En général, je me suis toujours mieux senti avec les gens sans racines ou aux cultures mélangées, et je fuis comme la peste les nationalistes.

E : Quelles ont été vos principales influences littéraires ?

WG : Un auteur qui fait bien son métier digère et assimile, à tel point qu’il n’est plus capable de remonter la filiation. J’ai presque plus de facilité à dire qui ne m’a pas influencé. Bien sûr, Philip K. Dick m’a beaucoup marqué, en particulier Le Maître du Haut Château, mais je lui préfère Thomas Pynchon, que je qualifierai de “parano raffiné”. Mes vraies références sont poétiques, et si un auteur m’aborde pour parler d’abord poésie plutôt que science-fiction, il y a des chances qu’on s’entende bien. Mes romans sont plein de noirceur, de coups tordus, de bidonvilles et de personnages en marge : je crois avoir donné naissance à une forme de poésie des bas-fonds.

E : Le vaudou revient souvent dans vos romans, pourquoi ?

WG : A l’âge de 14 ans, j’ai acheté un manuel vaudou de la Nouvelle Orléans, il comportait des descriptions précises des rites et des schémas et des diagrammes pour les cérémonies. Comme je faisais un peu de bricolage électronique, j’ai trouvé que ça ressemblait à des plans d’assemblage, et je me suis toujours demandé ce qui se passerait si je réalisais mes circuits sur le modèle d’un diagramme vaudou… Et puis je trouve fascinant qu’au XXème siècle, une religion polythéiste soit aussi vivante et contemporaine, répandue dans plusieurs endroits du globe.

E : Vous avez tenu un blog jusqu’en 2005, avez-vous essayé de nouvelles formes d’écriture comme l’hypertextuel ?

WG : Je crois qu’aujourd’hui tout texte est hypertextuel. Tout ce que nous écrivons est une requête Google potentielle. Nous avons pris l’habitude de référencer et de lier, de chercher au hasard. Je ne sais jamais où je vais arriver quand je suis sur le web, et je suis fasciné par ces nouvelles formes d’échange écrit que sont les newsgroups, les blogs et les e-magazines. Pour moi, l’hypertexte est une réalité étendue, même pour les livres papier.

E : Après avoir décrit dans les années 80 un cyberespace, quelle est votre expérience personnelle des univers virtuels dans les années 2000 ? Quel est votre niveau de présence en ligne ?

WG : Je n’ai essayé que Second Life, que j’ai trouvé peu intéressant. L’expérience du blog était passionnante mais est arrivée à son terme. Je continue à participer et à interagir virtuellement sur des forums, de manière anonyme la plupart du temps. Je trouve les échanges souvent riches, et je suis toujours intrigué de trouver des gens qui se connaissent si bien sans s’être jamais rencontrés physiquement.

Humain, post-humain

E : Vos romans se passent souvent dans un avenir assez lointain, les derniers se situent dans un avenir plus proche. Est-ce parce que tout évolue plus vite et que vous n’arrivez pas à vous projeter aussi loin qu’avant ?

WG : Je suis content d’être perçu comme un visionnaire, mais il faut poser une bonne fois pour toutes : la science-fiction, même très futuriste en apparence, ne parle que de notre présent ou de notre passé. Neuromancien était un roman de présent-fiction, Code Source se situe… dans un passé proche. Il ne s’agit pas de prédire ni de décrire mais de regarder dans un autre prisme. C’est en quelque sorte un travail sociologique avec un regard décalé.

Toute représentation de la réalité nécessite une part de spéculation de la part de celui qui observe. Mes premiers romans sont dans un temps lointain car je ne voulais pas qu’ils soient trop vite datés, ni que l’on identifie clairement a posteriori à quel moment ils pouvaient avoir lieu. La fiction est comme l’histoire, elle change à mesure que notre regard rétrospectif évolue. Si je voulais ramener un seul élément du futur, ce serait le regard historique, stratifié et analysé de nos descendants sur ce qui est notre présent. Il faut avoir les outils de la science-fiction, créés au XXème siècle, pour comprendre le monde contemporain.

E : A propos de cybernétique, pensez-vous que les implants que vous décrivez dans vos romans seront une réalité un jour ? Comment seront-ils acceptés ? Serons-nous encore vraiment humains une fois cybernétisés ?

WG : C’est difficile à dire. Les premiers à réclamer l’usage concret de recherches cybernétiques seront sûrement les personnes handicapées. Il sera difficile de refuser à un aveugle un oeil cybernétique. Mais comme toujours, c’est le regard a posteriori qui déterminera quand nous avons changé.

Nos arrière-petits-enfants détermineront la frontière entre humain et plus qu’humain, entre marge et pratique courante.
> Article initialement publié en octobre 2008 chez Enikao

> Illustrations CC Flickr par HAZE – Comatose et Frederic Poirot

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http://owni.fr/2010/05/21/william-gibson-la-cyberculture-une-poesie-des-bas-fonds/feed/ 3
(R)évolution de la langue grâce au clavier:l’hybridation des codes http://owni.fr/2010/05/01/revolution-de-la-langue-grace-au-clavier-lhybridation-des-codes/ http://owni.fr/2010/05/01/revolution-de-la-langue-grace-au-clavier-lhybridation-des-codes/#comments Sat, 01 May 2010 09:16:18 +0000 [Enikao] http://owni.fr/?p=13647 Un jour on reçoit un courrier électronique, que l’on appelle courriel, e-mail voire mail par paresse. Il semble rédigé dans une novlangue étrange. Et plutôt que de sauter au plafond d’étonnement, d’appeler l’Académie Française pour outrage ou encore de filer vers la Bibliothèque Nationale pour compulser dictionnaires et ouvrages de sémiologie, ma réaction fut différente et enthousiaste.

Il est effectivement temps de faire un petit point sur les nouvelles formes créatives et culturellement hybrides d’écriture et d’expression.

Voici le contenu :

De : Nicolas Voisin

A : [Enikao] & Alphoenix

Copie : Media Hacker

L’un de vous deux+trois ou les deux-1 *et j’y suis pour rien* {vous/tu/ne rédigerai/riez} pas 1 (billet /-) _précis de typographie signifiante_ à destination de kevin -> parce qu’un jour lui aussi <- issu de la LOLculture et autres /b/ et #tuvoiscequejeveuxg33k [hein] ?

</plus j’y pense plus je me dis>

une bit.ly sur la bouche

(test Monoyer adapté : parlez-vous le geek ?)

Etonnante missive numérique de prime abord pour qui serait étranger aux codes d’Internet… mais qui m’a réjouit.

#Quandjaicompris le contenu de ce message

#Quandjaicompris le contenu de ce message qui mêle divers codes au sens propre comme figuré : langage HTML, smileys et symboles issues des messageries instantanées comme MSN et autres chats, #hashtag de Twitter, langage issu des forums et de 4chan… Il contient de nombreuses typographies du clavier, de celles que la génération des doigts (manettes de jeu vidéo, digicodes, claviers d’ordinateurs, concours de SMS et autres interfaces tactiles) aime à glisser dans ses textes tapés et qui ressemblent à du chinois pour le néophyte. Dans sa structure aussi, il diffère du français académique car ce message est dans une écriture non linéaire : en lisant de gauche à droite et de bas en haut on obtient des éléments contextuels dans un ordre inhabituel. Et effectivement, le langage de la génération LOL peut paraître déroutant au néophyte.

 (fossé générationnel de la contestation, allégorie de Michaelski)

Traduction dudit message dans la langue de Jean Ferrat :

Camarades, l’un de vous deux+trois ou les deux-1

Une idée me travaille depuis un moment </plus j’y pense plus je me dis> (fermeture d’une division en code HTML : vous voyez bien que ce morceau de texte à la fin doit être remis au début)

et de manière insistante *et j’y suis pour rien*

J’ai besoin de votre collaboration pour un exercice d’écriture éventuellement collective, selon les modalités de collaboration qui vous conviendront le mieux : seul, à deux ou trois mains. l’un de vous deux+trois ou les deux-1 {vous/tu/ ne rédigerai/riez} pas

Il s’agit d’un billet pour owni. un (billet /-)

Sous couvert de parler à la jeune génération dite « kikoolol », il s’agit d’analyser et de décoder les nouveaux usages linguistiques à destination de ceux qui les caricaturent. _précis de typographie signifiante_ à destination de kevin

Il faudra donc recontextualiser -> parce qu’un jour lui aussi <-

et rappeler que les références culturelles, notamment numériques, humoristiques, parodiques voire fantasmatiques divergent. issu de la LOLculture et autres /b/

Nous glisserons tout ceci dans la rubrique « vague but exciting », n’est-ce pas ? #tuvoiscequejeveuxg33k [hein] ?

Je vous salue affectueusement, vous que je lis et que je lie. une bit.ly sur la bouche

C’était pourtant limpide, non ?

#Quandjaicompris l’enjeu de ce qui se déroule

#Quandjaicompris l’enjeu de ce qui se déroule et l’ampleur du mouvement de pénétration d’autres cultures textuelles dans nos pratiques écrites des claviers. Petit panorama de ces nouveaux codes de langage, sans ordre particulier.

Le jargon de la grande volière volage Twitter entre dans des pratiques écrites voire orales : tweet-clash pour se brouiller avec quelqu’un, twitpiquer signifie prendre une photo avec son smartphone (et pas forcément l’envoyer sur Twitter, d’ailleurs), RT ou retwitter indique que l’on va répéter, faire suivre aux amis, fake pour indiquer une contrefaçon ou une fausse qualité. Par exemple un SMS contenant le message brunch l8 demain ? check 4², amis welcome, plz RT signifie Je pensais organiser un brunch demain matin tard, qu’en pensez-vous ? Pour le lieu consulter mon profil Foursquare. Tu peux venir accompagné et rameuter des copains, fais passer le message à qui de droit.

Ca peut sembler être une lubie de technophile hyperconnecté, geek et autre nerd, mais introduire des #hashtags, ces marqueurs contextuels de Twitter, dans un courrier électronique pour donner une information supplémentaire n’est pas si étrange. C’est aussi un moyen d’attirer l’attention sur une notion en particulier, ou de dire dans quel(s) cadre(s) on doit comprendre la phrase en question. Le fameux #fail indiquant un échec manifeste est devenu un classique du genre. Oups, on n’avait pas rendez-vous il y a une heure ? #fail indique que l’on est conscient de sa boulette, c’est même un mea culpa en règle.

Dans la vie courante, nous commençons à voir des acronymes venir coloniser d’autres univers écrits et même oraux. En particulier, les acronymes des forums et chats : le très répandu LOL (laugh out loud) et son pendant français MDR, mais aussi le bien franchouillot OSEF (on s’en fout), VDM (vie de merde) et son homologue anglophone LABATYD (life’s a bitch and then you die), les bien connus ASAP (as soon as possible) et BTW (by the way) que l’on croise souvent dans le monde professionnel, NSFW (not safe for work, sous-entendu : contenu à caractère pornographique), OMG/OMFG (oh my god/oh my f*cking god), AMHA/IMHO (à mon humble avis/in my humble opinion), WTF (what the f*ck), STFU (shut the f*ck up), RTFM (read the f*cking manual), AKA (also known as). Certains ont un peu disparu : ASV (Age/Sexe/Ville) et ASVP (avec une photo) n’ont plus de sens à l’heure où les réseaux sociaux affichent des profils complets et pas seulement un simple pseudonyme, ROFL (rolling on the floor laughing) n’a pas vraiment perduré mais son équivalent français PTDR (pété de rire) se trouve encore, BKAC (between keyboard and chair, sous-entendu : le problème n’est pas technique mais humain, sous-entendu : tu es une tanche) se fait plus rare, AFK/AFKbio (away from keyboard : je m’absente du clavier mais reste connecté, la précision “bio” indique que l’on satisfait un besoin biologique) également, TGIF (thank god it’s friday) n’a pas eu de succès dans l’Hexagone. Et bien sûr, ces exemples ne sont pas exhaustifs.

(RTFM : read the f*cking manual)

Le jargon des joueurs de jeux vidéo est aussi présent, sous forme d’onomatopées ou d’expressions dérivées insérées à l’intérieur de phrases : GG pour good game (bien joué), n00b pour newbie (débutant), pwnd/powned/pwn3d (tu t’es fait avoir, je t’ai battu), TK ou team kill (dommage collatéral), skin (habillage d’un avatar, ou plus largement la personnalisation d’une interface), roxer (dérivé de l’anglais it rocks, l’expression roxer du poney est devenue un classique et proviendrait du jeu Dark Age of Camelot), OOM (out of mana, à court d’énergie magique, pour indiquer que l’on est sans argent ou trop fatigué), loot (trouver quelque chose), être stuffé (être paré, équipé), ou encore faire level up ou gagner des XP ou PEXer (gagner de l’expérience, progresser) pour ne prendre que les plus courants et faciles à placer.

Le leet speak ou 1337 5|°34|<, langage qui substitue un caractère par une graphie similaire ou détournée (le 3 est un E à l’envers, le 2 est un R sans la barre verticale, le k se décompose en |<), s’introduit en partie dans les mots, pour quelques lettres, sans forcément effectuer un remplacement complet. Par exemple les comptes Twitter d’Electron Libre (devenu 3l3ctr0nLibr3) ou Owni (devenu 0wn1). Ces interversions constituent un marqueur social qui indique quelque chose comme : je suis technophile et appartiens à la culture Internet. C’est aussi un moyen de parler un langage codé que ne comprennent que quelques initiés : pr0n est une façon de parler (presque) discrètement de pornographie, en travestissant porn.

Plutôt que de répondre à quelqu’un qui vous agace “va te faire voir chez les endettés”, j’ai entendu récemment un camarade lâcher très nettement un bon “/rude” (lire slash rude), en référence aux commandes de gestes dans les jeux en ligne dits MMORPG (les fameux… meuporg /-) qui font faire à votre personnage un geste disons… injurieux. Les autres commandes ont un succès proportionnel à leur expressivité et à leur simplicité de prononciation /bow pour je m’incline, /wave pour je vous salue à la cantonade, /quit pour je dois vous laisser

Les images, dessins et textes en ASCII (American Standard Code for Information Interchange) consistent à faire un assemblage de caractères du clavier utilisant ce standard afin d’obtenir un graphisme, un peu sur le même principe que le canevas. Fréquent il y a 15 ans à l’époque où les pages ne permettaient pas de grande liberté de mise en forme, où le haut débit n’existait presque pas et où les images étaient rares, cela a disparu progressivement sauf pour les nostalgiques acharnés des contre-cultures du web qui y voient là une forme d’impressionnisme numérique. Les smileys participent de cette même idée.

(page d'accueil du site de hackers Cult of the Dead Cow, fin des années 1998)

Les smileys (et leurs variantes japonaises verticales, les kao moji) se glissent un peu partout dans les courriers électroniques, dans les billets de blog, dans les commentaires, dans les SMS… et jouent un rôle de ponctuation ou de nuance. On a par exemple des :’-( ou :-( ou :-/ oue encore T_T pour ça m’attriste, :-P pour notifier une espièglerie ou un caractère coquin, :-) ou ^_^ ou ^^ pour la joie, :-D ou XD pour la satisfaction à pleines dents, :-0 ou o_O pour l’étonnement, \o/ pour la victoire, la liste serait longue. L’usage des émoticônes a connu une belle expansion grâce aux salons de chat pour rajouter de l’expression de sentiment dans du texte jugé trop froid, les outils de dialogue en ligne comme ICQ, puis les messageries instantanées plus élaborées comme MSN Messenger et Skype ont fortement popularisé les émoticônes, de même que les téléphones mobiles grâce aux SMS. Notons que le symbole cœur <3 est un grand classique que l’on retrouve également sur les blogs, profils MySpace voire dans les conversations : comment va ton plus petit que trois ? pour comment va ton chéri / ta chérie ?

Certains textes utilisent sciemment les caractères barrés, par exemple le point 6 du manifeste Internet de journalistes web et blogueurs allemands affirme : Internet change améliore le journalisme. Ce n’est pas un barrage d’erreur, mais bel et bien une façon d’indiquer l’opinion dominante ou le préjugé pour le dépasser. Ici, il faut comprendre : Internet fait plus que changer le journalisme, il l’améliore ! Il est parfois difficile de distinguer l’ironie de l’erreur dans les textes barrés, mais justement leur schizophrénie les rend délicieusement ambigus et ce doute fait partie intégrante du texte lui-même. Alors que barrer à la main n’est qu’une rature. On perd du sens et du sous-entendu.

On peut voir des morceaux de code HTML jusque… dans des manifestations contre la guerre en Irak ! Ici, la fin de la division <war>, sous-entendu Arrêtons la guerre.


Il peut paraître étonnant de trouver des morceaux de calcul mathématiques comme le célèbre +1 (qui n’a rien à voir avec le Plussain de Dofus) et sa déclinaison pour geek lettré, le verbe plussoyer. Signifiant je souscris pleinement à ton assertion, je te rejoins, il a le mérite d’être simple, court et efficace. Il permet aussi de compter le nombre de participants à un événement  _Je sors manger à la pizzeria du coin, qui vient ? _+1 ! Pour mettre de l’emphase on pourra également employer des +1000 et autres +∞ (symbole infini).

Les médias sociaux ont aussi leur part dans le changement de vocabulaire : il y a eu le fameux I’m blogging this il y a 5 ans qui n’a pas connu grand succès en zone francophone, mais en peu de temps avec le succès de Facebook et Twitter on a vu arriver dans les conversations et les échanges en ligne ça se twitte, ça se twitpique, j’aime/je like, on se poke on se rappelle, il m’énerve je l’ai désamifié.

#Quandjaicompris la spécificité structurelle des pianoteurs de clavier

La culture de l’écrit à la main laisse en apparence davantage de liberté, par le simple fait que les lignes, formes, traits n’ont de limite que l’imagination de celui qui tient l’instrument d’écriture. On peut songer aussi à des formes plus artistiques et originales, comme Apollinaire et ses calligrammes, ou les calligraphies arabes et japonaises qui sont des arts à part entière.

De son côté, l’écriture au clavier permet de développer des pratiques à plus grande échelle parce qu’il y a standardisation de l’écriture (une touche ou une combinaison de touches donne un caractère) autant qu’ouverture des possibles (chacun peut effectuer des compositions à partir d’un existant). L’écriture à la main ne procède pas de ce double mécanisme et ne facilite donc pas la réappropriation, la modification et la vie des codes d’écriture et de langage.

Il y a une dimension véritablement hiéroglyphique dans ces nouvelles formes d’écrits, par la simple utilisation de symboles qui apportent du sens par leur aspect graphique, et du contexte par les sous-entendus et présupposés culturels qu’ils impliquent.

#Quandjaicompris l’aspect mémétique de ces nouvelles pratiques

La théorie des mèmes de Richard Dawkins fait de nos esprits des supports de mémoire tout comme notre un corps est un support de patrimoine génétique, ainsi gènes comme mèmes font partie d’une famille plus grande baptisée “répliquants”. Mémétique et génétique partagent des processus similaires : reproduction, mutation, lutte pour la survie et parfois mort. Les mèmes sont des comportements sociaux qui tendent à se produire et à subir des modifications, ils participent à une culture commune et on compte parmi eux les mythes (et les religions pour les athées les plus militants), les proverbes, les comptines, la chanson Happy Birthday, l’humour de répétition, les images célèbres (Mona Lisa, les photos à la Warhol, l’iconographie des campagnes de propagande du début du XXème siècle), le symbole ♥ et tout un tas de pratiques et habitudes dont on ne se souvient jamais vraiment du moment où on les a adoptées. Le marketing viral s’appuie par exemple sur la puissance mémétique. Bien entendu, par le pouvoir de duplication rapide du copier/coller et les outils de retouche, et grâce aux médias sociaux permettant de propulser les contenus, Internet est devenu une formidable machine à mèmes humoristiques, des LOLcats à La Chute en passant par Captain Obvious et autres Chuck Norris Facts.

Les nouveaux codes de langage issus des univers numériques s’inscrivent directement dans cette perspective, à ceci près qu’ils ont aussi un rôle cathartique à jouer. Aussi, s’opposer de manière frontale à la réappropriation créative de la langue et critiquer l’intrusion de nouveaux codes au nom de la tradition (qui n’est parfois que le synonyme d’un conservatisme passéiste, irrationnel et figé) n’est sans doute pas le meilleur service à rendre à la langue de Bobby Lapointe. Bien sûr, on connaît des langues codifiées et figées, bien rigides, avec leurs gardiens du temple. Il s’agit d’ailleurs… de langues mortes.

Une langue vivante, au sens où on utilise cette expression dans l’enseignement, mute et évolue. Face à leurs voisins anglophones, nos amis de la Belle Province manient subtilement le travail normatif pour faire la chasse aux anglicismes inutiles et la traduction / adaptation : e-mail devient l’élégant courriel, chat devient le superbe clavardage. Quand la technique entre dans nos vies, il faut bien nous les approprier et donner un nom est un bon début pour cela : au début fut le verbe

Au-delà de la lutte contre une préservation cocardière de la langue de Serge Gainsbourg, qui participe d’un esprit de clocher bien gaulois de lutte contre l’envahisseur, il faut peut-être regarder l’aspect pratique. Car c’est bien l’usage qui fait l’innovation, pas l’invention. Une invention qui ne sert à rien devient rapidement un souvenir ou une pièce de musée, tandis qu’un usage qui se développe participe au changement. Le regretté Douglas Adams, auteur d’ouvrages de science-fiction burlesque proche des Monty Python et personnalité excentrique, avait entamé un travail avec le joueur de tennis John Loyd baptisé The meaning of Liff pour tenter de mettre des mot sur des expériences humaines bien connues mais qui ne portent pas encore de nom. Voilà qui est créatif, drôle (clunes : catégorie de gens qui ne partent jamais alors qu’on aimerait les voir partir, sconser : personne qui vous parle en regardant autour s’il n’y a pas quelqu’un de plus intéressant avec qui parler, thrup : faire vibrer une règle sur un coin de bureau en la rapprochant progressivement pour qu’elle fasse un bruit plus rapproché et sec), et surtout qui comble un potentiel manque. Ces mots sont créés pour indiquer une réalité jusqu’alors sans nom spécifique, et on se demande d’ailleurs bien pourquoi parce qu’elles correspondent à des réalités tangibles.

En un mot, on définit une idée parfois complexe, et c’est bien dans cet esprit hiérogplyphique ou idéogrammatique que se situent les codes venus du clavier. Ils rajoutent des couches d’information et disent beaucoup tout en étant économes en espace occupé. Du smiley au +1 en passant par les acronymes, on ajoute du sens aux signes en comprenant les codes venus de divers univers. C’est donc bien une langue, avec ses étymologies et ses usages grammaticaux. Et elle est vivante, elle évolue grâce à ses locuteurs.

Pour revenir à la missive d’origine, il devient évident qu’il ne s’agit pas de faire pour Owni un dictionnaire. Certains s’y attèlent déjà avec une certaine créativité et une justesse qui forcent le respect, comme le Dictionnaire du futur. Mais il n’en est pas question ici. Après ce que je viens d’écrire, figer les codes serait du plus beau ridicule. Aussi, en guise de conclusion, je vais simplement répondre au message d’origine. Comprenne qui pourra.

/lit/ > done {</body> & in the dark } \o/

Vraiment #OOM car *mine de rien* l00ter des pic et bit.ly ->pour faire de la pédagogie<- c’est nécessaire /-) mais |<20n0|°|-|463.

Kevin va pouvoir aider _sur des arguments solides AMHA_ la GenX à PEXer en #LOLculture. GG @Loguy 4 [JPEG]

</work> AFK.

8^)

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#iPlay: le poisson d’avril auquel vous avez échappé (ou pas) http://owni.fr/2010/04/01/iplay-le-poisson-davril-auquel-vous-avez-echappe-ou-pas/ http://owni.fr/2010/04/01/iplay-le-poisson-davril-auquel-vous-avez-echappe-ou-pas/#comments Thu, 01 Apr 2010 18:08:00 +0000 [Enikao] http://owni.fr/?p=11431

Il fallait s’y attendre : la demande d’extension de la marque à la pomme auprès de l’US Patent and Trademark Office (équivalent de notre INPI) n’était pas pour des prunes. Apple s’apprête en effet à concrétiser son dépôt de marque qui concerne des « unités de poche pour jouer à des jeux électroniques« , « unités de poche pour jouer à des jeux vidéo« , « machines de jeu indépendantes« , « machines de jeu LCD » et « jeux électroniques autres que ceux adaptés pour récepteurs de télévision ». Le tout en une seule bécane, rien que ça.

Nous en avons eu la confirmation par 3 sources différentes (un game designer d’un grand éditeur de jeux vidéos installé dans la ville de naissance de Vanessa Demouy, un programmeur chez un éditeur d’applications mobiles et quelques indiscrétions trouvées en ligne) : Apple lancera pour Noël 2010 une console de jeux vidéo dont le nom de code est iPlay.

Quand on y songe, ce n’est pas si inattendu : ordinateur de bureau et portable, baladeur audio, baladeur multimédia, téléphone mobile, tablette… il ne manquait, pour jouer dans la cour des très grands et contrer définitivement Sony, que la console de jeu. Le hardware pour jeux vidéos, une première pour Apple ? Pas vraiment, mais il est vrai que peu se rappellent la très éphémère console de jeu Pippin.

L’iPlay se présenterait sous la forme d’une box qui se connecte à Internet et iTunes : Apple étendrait ainsi son écosystème de place de marché à de nouvelles catégories d’applications payantes. Ce choix risque de ne pas tellement plaire aux distributeurs de jeux vidéo traditionnels, des spécialistes comme Micromania au généralistes du multimédia comme la FNAC ou Virgin, puisqu’ils seront ainsi totalement écartés du business. A date, on ne sait pas encore si la dématérialisation des produits se traduira par des prix de vente plus attractifs.

La box serait dotée d’une capacité de mémoire importante, notre camarade game designer parlant de plusieurs centaines de giga-octets, afin d’accueillir jeux, applications tierces, mais aussi podcasts et enregistrements vidéo car l’iPlay devrait faire office de magnétoscope numérique.

Sur le front des commandes, il semble que la capture de mouvement soit à l’ordre du jour, ce qui semble devenir un standard, mais surtout l’iPlay permet de connecter les iPhones / iPod Touch et les iPads en Bluetooth : on se doute que le toucher et le multitouch offrira de nouvelles perspectives de gameplay.

Dernier point technique : les autres informations concordent sur un point qui risque de beaucoup changer l’univers des jeux tel qu’on l’a connu. Un peu comme Avatar risque de beaucoup changer les films que nous connaîtront par la suite. L’iPlay sera full 3d ! Autant dire que cela risque de changer pas mal de chose dans la conception (et les game designers ont déjà plusieurs projets en cours) et que les écrans 3d déjà annoncés par Sony pour juin pourraient avoir un bel allié inattendu.

A suivre !

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Du clash au catch : une époque d’inconsistance désinvolte http://owni.fr/2010/03/10/du-clash-au-catch-une-epoque-d%e2%80%99inconsistance-desinvolte/ http://owni.fr/2010/03/10/du-clash-au-catch-une-epoque-d%e2%80%99inconsistance-desinvolte/#comments Wed, 10 Mar 2010 10:49:37 +0000 [Enikao] http://owni.fr/?p=9775

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Parfois des éléments et tendances récents ne prennent corps dans un grand tout qu’à la lecture de vieilles références.

Gilles Lipovetsky rassemble dans « L’ère du vide« , paru en 1983, les grands traits de l’ère postmoderne qui est caractérisée essentiellement par l’émergence et la prise de contrôle de l’individualisme égoïste autant que sensible, au sens de sensiblerie.

Depuis, on peut lui apporter un petit complément pour aller plus loin.

La thèse de Gilles Lipovetsky s’attache à décrire les transformations de la société qu’il observait au début des années 80 pour caractériser l’ère postmoderne, qu’il qualifie durement de « vide » parce que davantage vide de sens que les époques précédentes. Aux logiques engagées et collectives succèdent l’indifférence et le narcissisme, à la solennité idéologique et au rire succède le cool et le fun décontractés, à la violence  exutoire succède l’empathie pathologique et l’hypersensibilité à la violence, aux rapports sociaux et aux logiques de socialisation codifiés succède la consommation d’information et de produits. La frontière entre le sérieux et le non-sérieux s’estompe, l’hédonisme l’emporte sur les logiques collectives, le symbolique est récupéré et détourné et le sacré disparaît, le figuratif et l’engagement pérenne laissent place à l’abstrait et au happening, le thérapeutique et l’analyse narcissique prévalent sur le raisonnement calculateur et la stratégie à long terme.

L’essai est long, documenté, argumenté, parfois mal écrit (ça jargonne à tout va et procès remplace processus sans que l’on comprenne pourquoi) mais on ne s’ennuie pas et surtout… c’est un formidable point d’appui car il est daté. Daté d’avant le web que l’on connaît, d’avant 2001, d’avant la surveillance généralisée et organisée, d’avant la prise de conscience écologique à grande échelle. C’est un peu comme avoir une encyclopédie Universalis datée des années 1987 ou 1988, avant la chute du Mur de Berlin et ce que cela a changé dans le monde politique et de la pensée, c’est une relique à conserver précieusement.Et sous un faux air de conservatisme passéiste, l’analyse mérite d’être regardée de près.

Deux décennies plus tard, deux engouements populaires dénotent une plongée plus profonde encore dans le mouvement global de pacification et de détachement que Lipovetsky signale dans la dernière partie de cet essai. Quand l’Etat et la civilisation prennent tout en charge par leur mainmise sociale, régulent et codifient, la violence est de moins en moins acceptée à l’échelle de l’individu autant que socialement réprouvée : vengeance, violence envers les animaux, violence politique, violence exutoire… L’auteur va jusqu’à parler d’escalade de la pacification, qui paradoxalement laisse une place grandissante à une violence de l’image et des imaginaires (notamment au cinéma).

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Premier élément, le goût pour le clash : venu semble-t-il du rap et des invectives / interpellations entre groupes dans une chanson, le clash s’est répandu en tant que tel (nommément, avec cet anglicisme-là) et en particulier dans les médias sociaux. Les billets croisés et commentaires provocateurs (trolling) furent le premier avatar de cette tendance à la provocation, le terme clash s’est semble-t-il popularisé plus tard. Si l’on recherche dans Google un nom de personnalité un peu polémique, « clash » fait souvent partie des suggestions du moteur de recherche. Dans Youtube, on obtient plus de 160 000 occurences sur le terme, il s’agit souvent d’extraits d’émissions (talk, interviews) où un ou plusieurs invités en viennent à un affrontement verbal voire une réaction physique violente.

Sur Twitter, machine à gazouillis, pensées instantanées et humeurs du moment, le tweet clash est devenu une figure de style qui a ses amateurs et ses orfèvres, des journalistes (Xavier Ternisien, Eric Mettout), des blogueurs (Versac) et bien entendu des politiques (l’inénarrable troll Frédéric Lefèvre). Un compte Twitter et un site sont même dédiés à cette pratique. Et même, il semble que ces prises de bec numériques soient addictives car elles génèrent du manque.

Autre signe, qui peut sembler anecdotique, mais c’est aussi le caractère des signaux faibles, c’est l’engouement récent en France pour le catch. Beaucoup de spectateurs, un affrontement entre adversaires bien identifiés, et des gestes qui doivent faire mouche au cours d’une passe d’armes physique et non pas verbale. On connaissait déjà avec Canal + dans les années 80 le catch avec la WWF, la Lucha Libre a également son lot de fans depuis peu.

Quel est le point commun entre ces deux pratiques qui ont tant de succès ?

> c’est un affrontement-spectacle, sans spectateur catch et clash perdent tout leur intérêt
> c’est une violence par procuration mise en scène et sublimée par l’arbitre dont le rôle, même effacé, est crucial
> c’est un combat qui provoque l’ironie et les commentaires humoristiques plus ou moins fins des spectateurs
> c’est une lutte pour le plaisir de la lutte, il n’y a pas de réelle finalité ni d’objectif identifiable, c’est un combat de l’instant
> c’est autant un travail d’intimidation que de lutte réelle, il faut une phase où l’on se jauge avant que les prises et attaques ne s’enchaînent
> il y a clairement un gagnant à la fin, mais les partisans du perdant ne seront pas complètement déçus s’ils jugent la prestation de leur champion honorable.
> on peut faire rentrer sur le ring des compères qui prennent le relais
> on ne se fait pas vraiment mal, on respecte des règles factices au profit du public, qui en redemande et qui sait que tout est calculé
> il n’y a pas vraiment d’enjeu, la défaite n’a pas grande conséquence mis à part la réputation, bien que celle-ci puisse représenter beaucoup si la réputation est un fond de commerce, par exemple pour une personnalité politique, le clash Bayrou / Cohn-Bendit a fortement nui si ce n’est enterré le premier dans l’opinion publique et dans son propre camp

Catch et clash sont donc peut-être emblématiques d’une époque OSEF, où l’on se fout de tout car rien n’est vraiment grave. Et de toute façon, l’affrontement en lui-même était inconsistant : la violence était contenue, maîtrisée, circonscrite et sans but. A l’inverse, on semble supporter de moins en moins les vrais combats politiques et idéologiques qui engagent profondément et durablement, les endroits où il y a du sang et des morts pour de vrai. L’apathie mi-amusée, mi-engourdie du spectateur qui se distrait temporairement avant de revenir à son petit nombril et à son quotidien en petits cercles égocentrés a peut-être pris la succession des winners cool et branchés des années 80.

> Article initialement publié chez Enikao

> Illustrations par colodio par onesecbeforethedub

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http://owni.fr/2010/03/10/du-clash-au-catch-une-epoque-d%e2%80%99inconsistance-desinvolte/feed/ 3
Charges contre Internet : le mégamix http://owni.fr/2010/02/28/charges-contre-internet-le-megamix/ http://owni.fr/2010/02/28/charges-contre-internet-le-megamix/#comments Sun, 28 Feb 2010 18:30:30 +0000 [Enikao] http://owni.fr/?p=9211 Les plus belles phrases immortalisées et mises en musique de la grande maladie de ce début du millénaire, la célafautaunet.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

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Ceci n’est pas une pipe (d’ailleurs on n’avale pas la fumée) http://owni.fr/2010/02/23/ceci-n%e2%80%99est-pas-une-pipe-d%e2%80%99ailleurs-on-n%e2%80%99avale-pas-la-fumee/ http://owni.fr/2010/02/23/ceci-n%e2%80%99est-pas-une-pipe-d%e2%80%99ailleurs-on-n%e2%80%99avale-pas-la-fumee/#comments Tue, 23 Feb 2010 18:03:35 +0000 [Enikao] http://owni.fr/?p=8866 La dernière campagne de lutte contre le tabac chez les jeunes, commandée par l’association Droit des non-fumeurs et réalisée par BDDP & fils a fait… un tabac du bruit. Dans le dispositif, la vidéo est plutôt bien vue et fait passer un message fort en jouant sur la communication de crise, les déchets toxiques et la crédulité des jeunes.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Là-dessus, peu à dire, c’est très efficace sur le plan des messages que de la scénographie, qui montre le cynisme et rajoute un peu de théorie du complot. Noirceur. Et un message fort : « Ne vous faites pas rouler par la cigarette ».

article_esclave

C’est la partie affiche qui pose problème : elles présentent de jeunes personnes agenouillées devant un homme, cigarette aux lèvres et regard interrogateur, la main de l’homme posée sur la tête, dans une posture évoquant la fellation. La signature est : « Fumer c’est être l’esclave du tabac ».

Les réactions ont été vives, en voici un petit panorama :

- Familles de France (Christiane Therry) : « Mélanger l’addiction au tabac et le sexe est un raccourci ridicule et scandaleux » (+1)

- Enfance et Partage (Christiane Ruel) : « C’est cruel et déplacé. Les publicitaires ont-ils pensé à la réaction d’une victime de sévices sexuels face à cette affiche ? »

- Office français de prévention du tabagisme (Bertrand Dautzenberg) : « Cette campagne va choquer les adultes sans faire peur aux ados » (+1)

- Chiennes de garde (Florence Montreynaud) : « Cette image d’un vieil homme posant sa main sur la tête d’adolescents est insupportable »

- Mouvement de libération de la femme (Antoinette Fouque) : « A ma connaissance, pratiquer une fellation ne provoque pas de cancer » (+1)

On notera que personne n’a songé / osé interroger une association homosexuelle, alors que deux visuels sur trois montrent un jeune garçon dans la position incriminée.

Ce qui a choqué, c’est l’association imagée des deux actes : le tabac et le sexe, que récuse efficacement Antoinette Fouque.

Passons sur les déclarations de Gerard Aduro, qui ne voit dans ces images « aucune connotation sexuelle » mais simplement l’autorité et la soumission. Là, on se demande bien ce qu’il lui faut.

Passons également sur les explications de Marco de la Fuente sur la soumission docile, qui ne voit dans ces images aucune allusion à un acte forcé. L’ambigüité sur le viol tient à la main posée sur la tête, il aurait suffi de l’enlever pour que l’on soit dans la simple suggestion et non la contrainte. Rappelons qu’au regard de la loi, un viol est aggravé s’il est commis par un ascendant (père, beau père, grand père…), ou par une personne ayant autorité sur la victime (enseignant, moniteur…). Autant dire que de toute façon l’imagerie choisie par BDDP & fils est très vite à la frontière…

Pour Marco de la Fuente : « Dans l’imaginaire collectif, la fellation est le symbole parfait de la soumission ». Ah. Parce que ça peut se pratiquer à genoux ? Parce qu’en apparence un seul des participants (deux, trois, douze…) prend du plaisir ? Et pourquoi le cunnilingus n’est pas un acte de soumission, lui ? Le sexe oral serait-il asymétrique dans le rapport à l’autre ? La fellation comme symbole parfait de soumission, dans son imaginaire, sûrement, mais dans l’imaginaire collectif on demande à voir. Etude à l’appui. La soumission au pouvoir de l’image et de la publicité, en revanche, c’est étrange mais ça semble nettement plus crédible…

On peut utilement renvoyer à des réflexions plus poussées et plus documentées sur la fellation (références culturelles à l’appui). En renversant la perspective, c’est un acte d’abandon et de mise en faiblesse : ne se soumet pas forcément qui l’on croit…

En 2010, pareilles calembredaines ont de quoi faire bondir. C’est être bourré de préjugés : pratiquer la fellation peut tout à fait être un plaisir. C’est manquer d’imagination : on peut sucer assis, couché, lové, en faisant le poirier, à quatre pattes, attaché, on peut faire d’autres choses pendant (lire, se limer les ongles, s’en griller une, regarder un débat animé par Arlette Chabot…), on peut simuler le fait d’être forcé, et on n’a pas besoin de main pour être guidé quand on aime ça.

L’image d’une cigarette sans fumée, c’est un bien mauvais choix.

Enfin, ce qui est dangereux dans ce message, c’est la confusion. Une double confusion. Une grave confusion. Le message peut être compris d’une manière différente :

- La cigarette, c’est comme une bonne pipe, c’est cool et sympa, il suffit de s’y mettre. Bravo, c’est un beau contresens par rapport à l’objectif initialement visé.

- Le sexe, c’est comme le tabac, c’est toxique. Turlutu-tue. Le sexe qui se partage comme un acte d’amour, le sexe récréatif pour le plaisir et pour le plaisir de faire plaisir, le sexe furtif et marrant, ça n’existe pas ? Criminaliser le sexe est le meilleur moyen de saper les discours des associations sur la protection contre les infections sexuellement transmissibles. Si c’est mal, c’est tabou, si c’est tabou on ne peut plus en parler. Bravo bis. Comme si on n’avait pas déjà des publicités qui font passer le sexe pour un venin ou les séropositifs pour des criminels contre l’humanité.

Après tant de bêtises et d’énervement, on apprend finalement que tout ça c’était de la blague, que choquer était un moyen d’obtenir une couverture médiatique gratuitement. Et bien entendu, ces retombées polémiques seront analysées et transformées en équivalents publicitaires. Plusieurs services comme l’Argus de la Presse proposent cela, en convertissant l’espace médiatique occupé en argent : 1 minute au JT de 20 de TF1 équivaut à tant si cela avait été une publicité sur la même chaîne au même horaire ou à un horaire équivalent. BDDP pourra alors se vanter de l’argent ainsi économisé en achat d’espace publicitaire.

Sauf que… sauf qu’en attendant, l’association et l’agence passent pour les gens qui ont donné envie de régurgiter, en pratiquant l’amalgame catastrophique, les déclarations caricaturales. En attendant leur e-réputation sera durablement entachée de toutes les réactions et de toutes les idioties au premier degré qu’ils auront semé ici et là, et qui auront été repris ici et là. Ceux qui feront une recherche tomberont-ils en premier sur leurs simagrées ou sur le correctif ? S’ils tombent sur leurs crétineries, iront-ils plus loin où en resteront-ils à la première impression ? Mentir pour la bonne cause, ça jette le doute sur tout le reste.

Pareil cynisme les rabaisse au même niveau que les industriels du tabac qu’ils entendaient dénoncer.

Et ça, ça mérite bien une taffe baffe.

[Enikao]

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