OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Métier: journaliste héroïque http://owni.fr/2010/06/17/metier-journaliste-heroique/ http://owni.fr/2010/06/17/metier-journaliste-heroique/#comments Thu, 17 Jun 2010 15:54:55 +0000 Isabelle Otto http://owni.fr/?p=19129 Un exemple britannique

Ami lecteur, me revoilà, toute pimpante et revigorée ! Oui, j’ai passé une semaine merveilleuse à lire des blogs de journalistes défendant les blogueurs, de blogueurs-stars se la jouant modeste et défendant les blogueurs médiocres, de blogueuses sensuelles défendant les blogs pour tous, journalistes ou pas.

J’aime être rassurée, entendre que mon blog minable est beau et désirable et qu’il y a un but profond à mes élucubrations parfois délétères. Bon pour mon égo tout ça. Voui voui voui. Le merci !

Journalistes sérieux, je vous kiffe

Mais bon, ça va bien cinq minutes. Si je respire un bon coup et que j’utilise le neurone qui me reste après avoir essayé d’installer Google Analytics, je dois en déduire qu’il me faut de toute urgence écrire un billet à la gloire du journalisme. Oui, le Huffington Post et tout ça, c’est bien pour remplir le creux d’une dent, mais il faut bien admettre que ça flirte avec le nul quand même. Prétendre faire de l’info avec une équipe journalistique rachitique, c’est de la SF ou du SM. Ça fait du fric, me direz-vous: il y a donc quelque chose de bon à en tirer -> du jus de soussous.

Puis, les blogs indépendants, journaleux ou pas, j’adore, croyez-moi, mais comme on aime un bon vin pour accompagner de la grande cuisine. Et boire du vin sans manger, c’est mauvais pour la santé.

Pour me nourir, moi, je veux du billet long du New-Yorker, de l’enquête du New-York Times, de l’article de fond du Monde, et des couvertures sans filles à poil de Wired (etc). Journalistes sérieux, je vous kiffe, et j’invite fermement le reste du monde à faire de même. Educateurs des masses, transistors des ondes du monde qui bouge trop vite, porte-voix des gentils et des vilains, phares dans la tempête. Vision idéaliste ? Pas du tout, voyons, que du contraire ! J’en rajoute une couche, tiens ! Parfois, journalistes, vous êtes tout bonnement héroiques, si héroiques que vous changez le monde. Et voici un bel exemple.

L’exemple du scandale des notes de frais au Royaume-Uni

Trois journalistes peuvent être crédités d’avoir déterré, et rendu public au printemps 2009, le scandale absolu qu’était la manière dont les Membres du Parlement (MPs) britannique se rémunéraient eux-mêmes. En faisant cela, ils ont changé la donne des dernières élections législatives, et probablement de toutes les élections qui vont suivre. Mais surtout, ils ont forcé la Grande-Bretagne à commencer d’évaluer son déficit démocratique. Chapeau !

Voyez-vous, ces petits coquins de MPs, plutôt que d’adopter une loi impopulaire augmentant publiquement et légalement leur salaire, s’étaient concoctés un petit système de remboursement de notes de frais pas piqué des vers. Tout cela était bien hush-hush, personne n’en savait rien sauf eux. Certains avaient même soutenu qu’il aurait été destructif de modifier ce système, car plus personne ne voudrait plus se présenter comme MP s’il n’y avait pas de petits a-coté juteux si le public pouvait pénétrer dans leur sphère privée en obtenant leurs notes de frais.

Puis, en 2005, le Freedom of Information Act est entré en vigueur, donnant accès, sur demande, aux documents émis par des institutions publiques. Trois journalistes ont immédiatement fait des requêtes de documents à la House of Commons (chambre basse du Parlement) sur les notes de frais des MPs. Leurs noms: Heather Brooke, free-lance  l’époque, Ben Leapman du Daily Telegraph et Jonathan Ungoed-Thomas du Sunday Times. Leur achèvement est tellement immense que la BBC en a fait un film, diffusé en février cette année. Leur combat a pris des années: ils se sont pris moult portes dans la figure et ont dû entamer une action en justice. Entretemps, la House of Commons a même tenté a deux reprises de s’exempter du Freedom of Information Act. Un comble du genre ! ”Fais ce que je dis mais ne fais pas ce que je fais”. Puis, les journalistes ont gagné, et tout est sorti dans le Daily Telegraph.

Sans la mise en lumière de ces abus, il est probable que les LibDems auraient obtenu beaucoup moins de voix aux élections du 6 mai, et qu’il y aurait eu un gouvernement majoritaire bien fort. Beaucoup plus de “vieux de la vieille” seraient restés au Parlement, qui ont dû être remplacés à la dernière minute par leurs partis parce qu’ils s’étaient rendus trop impopulaires avec leurs abus de notes de frais. En somme, il s’agit là d’une belle bouffée d’air démocratique. Espérons que ça dure .

Heather Brooke est considérée comme la chef de file du combat pour obtenir la transparence du Parlement britannique, parce qu’elle y a passé le plus de temps et mis le plus de moyens. Elle mérite d’être présentée:

Heather Brooke, activiste du manque de transparence

Il était une fois une jeune femme nommée Heather Brooke. Elle était née aux Etats-Unis de parents britanniques, et était devenue journaliste, d’abord à Olympia, dans l’Etat de Washington, puis en Caroline du Sud. A la fin des années 90, après avoir couvert plus de 300 meurtres pour le Spartanburg Herald-Journal, elle était vannée, et décida de rejoindre son père, qui était reparti vivre au Royaume-Uni après la mort de sa femme.

C’est le merveilleux article du New-Yorker du 7 juin 2010, Party Games, dont vous pouvez trouver un extrait ici, qui m’a fait redécouvrir Heather, dont j’avais vaguement entendu le nom l’an dernier, quand le scandale des notes de frais des parlementaires britanniques avait été mis à jour.

Lorsqu’elle était journaliste aux Etats-Unis, Heather faisait souvent des requêtes de documents publics, et avait pris l’habitude… de les obtenir facilement.

Après son arrivée au Royaume-Uni, c’est un problème dans son voisinage qui lui a fait découvrir le manque de transparence (euphémisme) des institutions locales et nationales. Précisons quand même que pour gérer ce problème de voisinage, elle a utilisé tous les trucs qu’elle avait appris en tant que journaliste pro.

En 2003, une jeune femme avait été assassinée dans son parc local, et Brooke avait demandé à la police et aux autorités locales des informations chiffrées sur les crimes similaires dans le quartier. Elle y mis beaucoup de temps, de patience et d’énergie et obtint… que dalle. Puis, plutôt que de devenir gaga et de broyer du noir, elle décida d’écrire un livre expliquant aux britanniques comment utiliser le Freedom of Information Act qui allait entrer en vigueur deux ans plus tard.

De là à s’intéresser aux notes de frais des parlementaires, il n’y avait qu’un pas. Grâce à son succès dans ce combat, elle a obtenu plusieurs prix, et a pu écrire son nouveau livre “The Silent State”.

Voilà, c’était ma modeste présentation d’un bien joli combat pour la transparence, et contre la condescendance des élites gérant le pays. Un combat mené par des journalistes, et il y a plein d’autres exemples.

Journalistes : continuez, moi, je ne peux pas vivre sans vous.

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Billet originellement publié sur La Patrouille Internationale.

Crédits Photo CC Flickr : Ashley Rosex, Levork.

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Google prétend (toujours) vouloir sauver le journalisme http://owni.fr/2010/05/19/google-peut-il-sauver-le-journalisme/ http://owni.fr/2010/05/19/google-peut-il-sauver-le-journalisme/#comments Wed, 19 May 2010 07:39:47 +0000 Isabelle Otto http://owni.fr/?p=16000 Allez, avouez que le titre de ce billet vous fait frémir. Non mais quoi, Google nous rentre déjà par tous les pores de la peau, et en plus – quel culot - le moteur de recherche tout-puissant serait le messie rédempteur de la presse ? C’est vrai que j’ai moi-même ressenti un brin d’irritation en lisant le titre de l’article très fouillé “How to save the press“ (James Fallows, The Atlantic, juin 2010) qui, de manière d’ailleurs énervante, ne mentionne même pas Google dans son titre .

Nous sommes, après tout, habitués à lire le contraire : Google est en train d’étouffer la presse et en tirera jusqu’au dernier souffle de vie. Une fois cette opération réussie, je schématise, l’info serait une purée uniforme régurgitée par autant de clones photoshopés sans conscience, des espèces d’anti-Hunter S. Thompson terrifiants de naïveté et d’égoïsme, manquant d’imagination au point de se laisser avaler totalement par la machine à fric esclavagiste. Brrr, cela fait peur, non ?

Malgré mon dégoût initial, j’ai décidé de lire attentivement l’article de Fallows. Une fois correctement saucissonné, il se divise facilement en deux parties : d’une part le constat de Google sur l’état de la presse, et de l’autre, les solutions proposées .

Le constat de Google sur l’état de la presse

Pas d’avenir économique pour la presse écrite. Hal Varian, le “Chief Economist” de Google, dit ceci du modèle économique sur lequel fonctionne la presse écrite : “Si on faisait table rase et qu’on recommençait, on ne choisirait jamais le modèle actuel. Faire pousser des arbres, en faire de la pâte à papier, puis expédier les rouleaux du Canada ? Faire passer les rouleaux dans des rotatives qui coûtent les yeux de la tête, les couper en tranches qui doivent être distribuées illico à des milliers de gens, kiosques, boutiques, ou les surplus du jour précédent deviennent immédiatement obsolètes et doivent être jetés ? Qui dirait que ça a le moindre sens ?” J’ajouterais, à titre personnel : faire travailler des enfants très tôt le matin, avant l’école, pour assurer cette distribution ? Les Français qui se plaignent de ne pouvoir avoir leur journal dans leur boite aux lettres avant sept heures du matin n’ont jamais vu ces enfants, le plus souvent élèves à l’école primaire, distribuer porte-à-porte parfois à partir de cinq heures du matin. Moi, oui, et je trouve ça dégueu : d’ailleurs, j’achète plein de journaux mais je n’ai pas d’abonnement.

Val Harian ajoute un élément dont je ne me rendais pas complètement compte : à cause, notamment, de ces coûts énormes d’imprimerie, la plupart des journaux dépensent seulement 15% de leur revenu sur ce qui est leur seul véritable actif de valeur : les journalistes. Comme contre-exemple, il cite le Wall Street Journal et le New York Times, qui dépensent plus pour leurs journalistes que pour les frais d’imprimerie et de distribution. Mais ils constituent une exception.
Ajoutez à cela la révolution Internet  et la baisse des revenus publicitaires de la presse écrite de ces deux dernières années, et vous avez la réponse Google : il ne s’agit pas nécessairement pour les éditeurs de laisser tomber la presse écrite, mais elle ne fera probablement pas partie du futur modèle économique des journaux. Il s’agirait (et ce sont mes mots pas ceux de Google) d’un poids mort dont il faudrait faire en sorte qu’il ne pèse pas trop sur les finances.
Des problèmes pour lesquels la presse ne devrait pas se battre le flanc. La vision de Google de la cause des problèmes n’est pas condescendante : les médias traditionnels ne sont pas une arrière-garde obsolète, et les journalistes ne sont pas un tas de losers antédiluviens pathétiques. Comme Fallows l’écrit, la perception prépondérante chez les cadres de Google est que “ce qui arrive à la presse est dû à d’énormes changements technologiques, et non à la myopie ou à la vision réactionnaire des éditeurs, rédacteurs et propriétaires de journaux.”
La solution est à chercher online. Pas très étonnant et pas trop neuf non plus, les pontes de Google disent à la presse de favoriser l’expérimentation d’une solution sur la partie en ligne de leurs affaires, qui est d’après eux la seule qui sera, à terme, économiquement soutenable. Mais ils admettent que les prochaines années n’auront rien de simple.

Entre deux feux. Les journaux sont maintenant entre deux feux : (1) le coût énorme de la machine ancienne dont ils ne peuvent pas encore se débarrasser et (2) l’expérimentation onéreuse en ligne, qui rapporte des revenus publicitaires et en abonnements encore frugaux par rapport aux temps les meilleurs de la presse écrite. Dans le marché actuel, par exemple, les coûts administratifs pour placer une pub en ligne peuvent atteindre jusqu’à 30% de la valeur de la pub, contre seulement 2 ou 3% dans la presse écrite.

Trop d’uniformité ? Krishna Bharat, qui est le cerveau derrière le tentaculaire “Google News”, considère que l’un des autres problèmes majeurs de la presse, surtout en ligne, est la production de contenus trop uniformes. D’après lui, les journaux se jetteraient tous sur les mêmes nouvelles, traiteraient l’information de manière similaire et pousseraient leurs journalistes dans une logique de production acharnée d’articles fades et sans valeur ajoutée. Je ne peux pas dire que je ne perçois pas la même tendance, et nombre d’entre vous savent à quel point j’aimerais pouvoir dire le contraire…

Il y a une solution. Eric Schmidt ajoute qu’il a énormément d’espoir pour la presse, tout simplement parce que le problème ne se situe pas dans la baisse de la demande d’information, au contraire. La demande est là et c’est ce qui compte. Selon lui, il suffit de trouver un “business model” pour rentabiliser les “globes oculaires”, c’est-à-dire le nombre de personnes qui lisent tel ou tel article. En résumé, pour Google, il n’y a pas le moindre doute que d’ici dix ans, la presse sera robuste et mieux financée. Ce qui arrivera l’année prochaine est moins clair. Leur conseil à cet égard : expérimenter, expérimenter et expérimenter de nouvelles solutions en ligne.

Les solutions proposées n’impliquent pas Superman

Les solutions proposées par les cadres de Google – telles que présentées dans l’article de Fallows – n’impliqueraient en rien le remplacement de nos bons vieux journalistes terriens par des petits supermans Kriptoniens cachant des justaucorps en spandex derrière des allures de reporters myopes. Non, rien d’aussi spectaculaire. Les journalistes pourraient garder leur âme, considérée comme la clé de voûte du système, ou les fondations. Comme un truc vachement important pour tenir la baraque ensemble, en tout cas. Ouf.

Essayer tous azimuts

En bref, l’esprit de Google est en premier lieu, de croire qu’il y a une solution, ou plusieurs, et d’essayer, tout ce qui pourrait être une solution. Car, “rien ne marchera sûrement mais tout pourrait peut-être marcher” (Clay Shirky, Newspapers and thinking the unthinkable, 2009).

Oui, vous avez bien lu : il faudrait E-SSA-YER, oui, essayer tout et son contraire, essayer pour vérifier ce qui marche et ce qui ne marche pas. Trêve de blablas improductifs : il s’agit d’agir. Dans tous les sens. Maintenant. Hier. Allez, zou! Le problème que perçoit Google avec cela (là c’est moi qui schématise) c’est que les éditeurs et journalistes sont plus habitués à développer des idées qu’à se lancer à corps perdu dans de nouveaux plans d’affaires risqués… Meuh non ! Il faut juste les aider un peu et leur donner des raisons d’espérer, moi je dis !

Mais attention, ils restent très modestes, les petits gars de Google. Ils ne veulent pas se faire mordre, vous savez. Prenez par exemple Nikesh Arora, président des opérations globales de vente. Il admet que Google ne connaît pas aussi bien les journaux que les journaux se connaissent eux-mêmes, et qu’il est en conséquence improbable que Google puisse résoudre les problèmes de la presse mieux que les spécialistes du secteur .

(là c’est le point dans l’écriture où j’éprouve une tentation quasi-irrésistible de vous dire d’aller lire l’article vous-mêmes…mais je tiens bon ! Argh) .

Distribution, engagement, monétisation

Vous avez déjà entendu l’adage “Distribution, Engagement, Monétisation” (D.E.M.) mille fois. Il vous lasse et vous fait bailler. Pire, il vous rappelle la fac. Qu’à cela ne tienne: le voici à la sauce Google. C’est pour votre bien.

Distribution : trouver des moyens d’attirer plus de lecteurs sur les sites d’information sans qu’ils s’aperçoivent trop que c’est juste pour avoir du flux à montrer aux publicitaires.
Engagement : rendre l’information plus intéressante, et engager le lecteur sans qu’il se rende trop compte qu’à terme, c’est pour lui soutirer son argent. Ça c’est la partie que les gestionnaires de journaux ont vraiment du mal à cerner. Oui, là-dessus, je l’avoue, je suis plutôt bien d’accord avec Google. Y a encore du boulot à faire…
Monétisation : convertir tout ce boulot de subjugation du lecteur en cash bien mérité. Pour cela, il faudrait améliorer grandement la pertinence, la qualité et la rentabilisation des pubs en ligne et mettre en place des systèmes d’abonnements pas trop lourds pour les journaux qui souhaitent charger pour leur contenu .

Bah, moi je dis, ”Oui à D.E.M !”. Je veux bien payer ou être utilisée pour attirer des publicitaires. Mais, attention, seulement si c’est pour rémunérer des journalistes qui font du boulot de qualité, qui ne sont pas des clones lyophilisés par la logique du flux (à ce sujet, voir le billet-plaidoyer de Jean-Christophe Féraud, I wanna be a Gonzo Journaliste, mars 2010),  et qui me laissent faire un petit commentaire laminatoire de temps en temps sans me traiter avec condescendance.

Mais : je n’ai pas envie de prendre un abonnement par ci, et un abonnement par là, et je ne veux pas non plus être pieds et poings liés à un seul journal. Au kiosque, je peux changer de journal tous les jours, non mais quoi ! Une solution à cela ? Je ne l’ai pas trouvée dans l’article, mais évidemment, les choses intéressantes, les agents de Google vont les garder pour eux-mêmes, pour les développer en secret et être les premiers à en tirer du cash quand le moment viendra…

En attendant, journaleux, prenez l’espoir que nous donne Google dans le journalisme : ”LOOK UP” !

Billet initialement publié sur La Patrouille internationale sous le titre “Google peut-il sauver le journalisme ?”; photo carte postale CC Flickr postaletrice

À lire aussi : Révolutionner la presse : la “Google Newsroom”

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