OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Le porno retombe amoureux http://owni.fr/2011/02/14/le-porno-retombe-amoureux/ http://owni.fr/2011/02/14/le-porno-retombe-amoureux/#comments Mon, 14 Feb 2011 10:12:01 +0000 Stephen Desaulnois http://owni.fr/?p=46517 Saint-Valentin, fête des amoureux et des regards qui plongent. Sainte-Pornographie, fête des culs claqués et des regards non cadrés. A priori, peu de rapport entre les deux, l’industrie aux milliards de revenus n’a que faire de l’amour, le profit ne faisant pas dans les sentiments, sauf si ces derniers deviennent une niche.

Sale job pour Cupidon

Déjà quarante ans que le porno « moderne » est apparu, il commence dans les années 70 avec l’idée de filmer la sexualité, les films sont scénarisés et les réalisateurs travaillent dur pour amener et contextualiser les scènes hards, bien souvent filmées de loin, pour respecter un minimum le travail de Cupidon. Passerelle entre le cinéma traditionnel et la libération sexuelle récemment « acquise », ces films jouent au maximum sur des histoires sous-jacentes volontairement floues et cette espèce de concept un peu surnaturel qui veut qu’une femme bien sous tous rapports tombe dans le vice et le stupre. Behind the Green Door (Artie et Jim Mitchell), The Devil and Miss Jones ou Nine Lives of a Wet Pussy (Jimmy Boy L aka Abel Ferrara). Une certaine idée de l’amour, récemment rééditée.

A cette époque, le film porno explose au cinéma, il devient une industrie très lucrative et plus le profit devient élevé plus les producteurs se concentrent sur ce qui fait son succès : le cul, le cul, le cul. Les années 80 marquent l’arrivée du porno à prétexte parallèlement à l’arrivée de la VHS, on oublie vite pourquoi madame se retrouve nue avec monsieur et on ressert les plans. Les clients veulent du hard, ils veulent voir comment on tape dur dans les chaumières. La psychologie se réduit rapidement à des concours de circonstance, le plombier et la fuite d’eau, la babysitter qui a perdu sa culotte, papa qui joue avec sa fille. Oui… il reste encore un peu d’amour mais plus au sein de la cellule familiale, c’est le temps de la série Taboo (réa Kirdy Stevens) qui fait la part belle à l’inceste et à ses dérivés. Le plus gros succès de l’époque.

Les années 90 arrivent et c’est l’âge d’or des seins siliconés et des gros plans gynécologiques. Difficile de trouver l’amour dans la chirurgie et dans ces yeux vides. C’est aussi l’arrivée massive avec Internet du gonzo. Cupidon est recalé à l’entrée car le film devient une scène, avec absence volontaire de scénario (c’est la définition même d’un porno « gonzo ») pour répondre aux besoins des consommateurs qui commencent vraiment à croire qu’on se fout de leur gueule avec ces scénarios bidons. Le gonzo, c’est le porno à l’état brut, on se concentre uniquement sur la baise, un lieu, des gens et c’est dans la boîte. C’est le sexe comme un sport, c’est la performance qui compte et le reste passe totalement à la trappe. Succès incroyable grâce au net et aux caméras numériques. Les grosses boîtes se font damer le pion par des jeunes geeks (BangBros, Brazzers) qui ont compris que la niche est l’avenir, multipliant les consommateurs potentiels et inondant le marché. Le 14 février n’a jamais été aussi éloigné qu’en ces temps. Sale job pour Cupidon.

Plus proche de nous, l’industrie est en « crise », victime des tubes : Youporn qui ouvre la brèche, Pornhub, Xvideos et les autres qui s’y engouffrent, auto-alimentés par les nouveaux acteurs millionnaires du secteur et du piratage. Des grosses boîtes il n’en reste plus beaucoup, mais elles sont actives et elles ont compris que pour combattre le banal il fallait faire dans l’exceptionnel. Les budgets alloués vont à contre-courant du système gonzo et on oriente la production vers Hollywood. Voilà plusieurs années que ces boîtes veulent qu’on recommence à regarder leurs films en entier, elles veulent vendre un produit complet et plus un simple support masturbatoire. Elles misent sur la qualité de la réalisation, de plus en plus bluffante, le jeu des acteurs et les parodies qui cartonnent et collent à l’original (The Big Lebowski, Seinfeld, Big Bang Theory…) ainsi que sur une vraie interaction sur le plateau. Pour séduire le puritanisme américain et pour coller toujours au plus près de la réalité, la sodomie dans ces produtions est en diminution sans parler des doubles pénétrations de plus en plus rares (encore la norme en France).

Un premier regard et l’amour repart

Ce qu’on reprochait au porno c’était ce manque cruel d’échange: les acteurs baisent et se finissent. Point. L’amour s’efface quand on passe son temps à se regarder. Pas étonnant que le spectateur se soit tourné vers l’amateur ou la sex tape. L’industrie a eu du mal à comprendre que ses « clients » étaient des gens « normaux » et surtout que le marché potentiel avait explosé avec l’arrivée d’Internet. L’accès au porno n’a jamais été aussi facile que depuis dix ans et représente à lui seul presque la moitié du trafic mondial. La jeunesse s’en gave gratuitement, les actifs se détendent après le bureau, et la ménagère ? Elle continue à frétiller devant des séries à l’eau de rose. Pour l’industrie elle n’est qu’une milf, donc une actrice au mieux. Mais les temps changent.

Depuis peu, les boîtes de prod ont commencé à miser sur la réalité dans la fiction, le spectateur veut se sentir immergé, il sait où trouver du cul gratuit et efficace alors il demande autre chose. Il veut tomber amoureux de l’actrice, il veut être à la place de James Deen, il veut qu’on (re)contextualise la baise, qu’elle se mérite. On voit arriver des scènes de comédie qui tendent à être le plus crédible possible et où le spectateur devient voyeur face à un jeu d’acteur où la frontière entre le plaisir et le travail s’amincit (NSFW).

Si l’industrie se penche sur la question, c’est qu’elle veut séduire un nouveau public : surprendre la jeunesse nourrie au gonzo (avec pour idée de les convertir à l’achat), séduire le public féminin de plus en plus nombreux et retrouver ses lettres de noblesse égarées au tournant des années 80, où l’œuvre est devenue produit en perdant sa marque culturelle. Si les filles s’y mettent, si le porno veut devenir respectable et mainstream, pourquoi ne pas tenter la ménagère ? Délaissée depuis, mais une niche au pouvoir d’achat énorme. C’est l’idée qu’à eu New Sensations (petite soeur de Digital Sin, un des poids lourds du milieu) avec sa série Romance.

L’amour, terrain vierge à exploiter

Ce sont des histoires d’AMOUR. Tout tourne autour de l’AMOUR dans notre série Romance

Voilà ce qu’on trouve en arrivant sur le site, des histoires d’amour et des sentiments purs comme les américains savent en pondre. Un concept pour attirer les femmes; c’est écrit noir sur blanc. Un produit, car les américains ont l’avantage d’être honnêtes, fabriqué pour séduire la ménagère. Des scènes relativement courtes (15 min au lieu des 30-40min habituelles), pas d’éjaculation faciale qui est la norme de 95% de la production mondiale et surtout des femmes qui vous ressemblent. Enfin, plus précisément des femmes à la sexualité active et explosive, c’est à dire des « performeuses » mais qui ressemblent à votre voisine ou à votre meilleure copine, ce qu’on appelle communément dans le jargon pornographique la “girl next door”. Du moins dans un idéal de beauté cinématographique, qui tend à sublimer la réalité, on est d’accord.

Des termes quasiment jamais employés dans la profession sont mis en avant : intimité, passion, interaction. En plein contre-pied du porno hardcore sans tomber dans les violons de l’érotisme et malgré une bande son sirupeuse il est bien question de pornographie. La séduction est la clé pour draguer de nouvelles utilisatrices, le cheval de Troie de New Sensations pour amener un nouveau public sur son marché plus classique. Le studio insiste également sur la notion de couple, on regarde ces films ensemble, sous la couette pour se réchauffer, on se passionne pour l’histoire (qui est digne d’Arlequin) avant de passer aux choses sérieuses. C’est un porno tendresse, un porno avec des cœurs et un bel emballage, dans le plus pur cliché de la Saint-Valentin.

Question réalisation, ça tient la route, l’utilisation des nouvelles caméras numériques donne une qualité d’image et une profondeur de champ qui n’ont rien à envier aux séries américaines. Les regards se croisent, les acteurs ont l’air de s’aimer, ils prennent leur temps avant de se déshabiller. Ils mettent des capotes, ce qui est assez rare dans le porno US (contrairement à la France où c’est obligatoire pour toute télédiffusion, charte du CSA oblige), peu de gros plans, on insiste sur la douceur et les effets de flou. La femme ne veut pas d’éjaculation faciale, aucun problème, l’acteur finira sa perf sur ses fesses, les seins ou le ventre (la capote, ennemie du cadre). Honnêtement on s’ennuie pas mal et le scénario à l’eau de rose n’est pas sans rappeler la puissance de Plus Belle La Vie ou des telenovelas mais sur ce marché sursaturé, Romance Series a le mérite d’innover.

Produit de consommation de masse mais encore très mal diffusé dans la société, le porno tente en reprenant les reines de l’amour et en se positionnant comme le petit frère fripon d’Hollywood de trouver la médiatisation qu’il devrait logiquement obtenir vue sa fréquentation. Probable futur cadeau des amoureux, il emboîte le pas des sex toys pour essayer de se frayer une place convenable dans le tiroir de la table de chevet. Cupidon peut retendre son arc, le business repart.

>> Photos FlickR CC UggBoy♥UggGirl [ PHOTO : WORLD : SENSE ] et Gemelosrt

Retrouvez notre dossier et la photo de Une de Marion Kotlarski, CC pour OWNI :

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