OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 L’infographiste se dissout dans le web http://owni.fr/2010/05/12/linfographiste-se-dissout-dans-le-web/ http://owni.fr/2010/05/12/linfographiste-se-dissout-dans-le-web/#comments Wed, 12 May 2010 16:38:29 +0000 Pierre-Alexandre Xavier http://owni.fr/?p=15100 Pour une majorité de gens, l’irruption du web dans la vie courante reste circonscrite à des usages relativement mineurs qui s’ajoutent aux médias existants. Mais pour certaines populations professionnelles, l’émergence de la société numérique sonne la fin d’une époque. Cette société numérique, dont les contours restent flous, secoue le monde des médias traditionnels de convulsions diverses. Une grande part des secousses touche, voire révolutionne, les statuts des uns comme des autres, qui journaliste, qui technicien, qui opérateur, qui entrepreneur…

Les définitions de qui est qui et de qui fait quoi sont fortement remises en question. L’infographiste, sorte de cheville ouvrière et souvent discrète, du monde des images et de l’information souffre au premier plan de cette redistribution des rôles, de la métamorphose des attributions et plus généralement de la disparition pure et simple de sa fonction.

L’infographiste est-il encore d’actualité dans l’univers de la communication numérique et plus particulièrement dans les dispositifs de mise en image et de matérialisation des supports de communication et d’information ?

La question mérité d’être posée à l’heure où les logiciels de composition et de traitement de l’image se dématérialisent radicalement et où la période créative et féconde des débuts de l’infographie fait place à une nouvelle ère de gestion de documents et d’utilisation de gabarits pré-fabriqués.

La société de la créativité cède le pas à la société de l’usage.

Là où les logiciels et les fonctions professionnelles invitaient à la création des images, du texte ou des compositions typographiques, on voit fleurir des banques de données, ou plutôt des bases de contenus, riches en volume comme en qualité, proposant pléthore d’éléments disponibles pour toutes les sortes d’usages.

Il y a quelques années encore, l’infographiste jouait un rôle central, sans pour autant obtenir la reconnaissance ou le salaire correspondant à cette fonction. Bien souvent et à son insu, il ou elle était la pièce maîtresse d’un dispositif de production visuelle reposant essentiellement sur ses capacités créatives. Les plus doués prenaient souvent le large, optant pour l’indépendance professionnelle.

L’infographie, discipline hybride, bricolée, à mi-chemin entre la typographie, la composition et le dessin de rough, symbolisait la victoire du numérique sur les techniques traditionnelles de production de documents. Capable de manipuler des logiciels de traitement de l’image et de la composition graphique, l’infographiste s’imposait comme l’articulation incontournable de la mythique chaîne graphique.

L’émergence de plate-formes éditoriales collaboratives

La sophistication des outils de recherche, puis la production absolument prodigieuse de toutes sortes de documents de référence, ont littéralement dissout l’infographiste dans l’océan numérique du web 2.0. L’explosion du savoir, de la mémoire collective et de la culture ont tué l’intermédiation nécessaire de l’infographiste. Plus besoin de lui pour fabriquer un document de communication. Plus besoin de lui pour composer ou articuler un message. Plus besoin de lui pour entretenir une relation professionnelle avec des prestataires d’impression ou de diffusion numérique.

En seulement quelques années, la fonction d’infographiste déjà mise à mal par tous ceux qui vivaient sur son dos s’est réduite à peau de chagrin. Il n’a concrètement plus rien à offrir qui ne peut être produit par des gabarits, des masques graphiques, des « templates », des « skins »… des modèles de documents créés à moindre frais et à l’attention du plus grand nombre par des infographistes à usage unique, virtuellement jetables.

Dans ces conditions, l’infographiste est-il encore un poste nécessaire dans un dispositif de production de contenu ?

La réponse immédiate est non.

A l’instar de nombreux autres postes des chaînes graphiques ou des chaînes audiovisuelles, la fonction d’infographiste n’était une étape dans la constitution d’outils souples, accessibles, disponibles à tout moment, ne nécessitant que peu de compétence technique. Il était simplement plus pratique de confier, pour un temps, à un élément autonome la création et l’exécution graphique des documents de communication. Ce temps est révolu.

Au travers d’un jeu d’applications et de plate-formes éditoriales collaboratives, les communicants ont maintenant accès à une panoplie d’outils performants, calibrés, prêt à l’emploi, pratiques. Ces outils proposent des modèles de documents et des gabarits correspondants aux attentes, souvent pauvres et sans ambitions esthétiques, qui caractérisent les demandes du plus grand nombre.

Tous infographistes !

Désormais, il n’est plus besoin d’être infographiste pour composer des documents propres, simples ou élaborés, conventionnels ou extravagants. Une foule d’outils et de modèles donne l’illusion de la maîtrise du texte, des images et de leur agencement. S’il est vrai que l’on puisse faire l’économie de l’infographiste, peut-on pour autant faire l’économie de l’infographie ?

Cette fois la réponse est non.

La disparition de l’infographiste ne signifie pas l’extinction de la discipline. Cette dernière subit une profonde mutation pour glisser davantage du coté du code informatique. Cependant elle continue de s’articuler sur de solides bases de dessin, de règles typographiques, de principes de complémentarité de couleurs et d’organisation des informations et des signes dans l’espace. L’infographiste saute, mais pas la lecture, un exercice millénaire en extension constante qui profite de l’avènement de la société numérique.

La conséquence de cette extinction relativement rapide est la baisse générale de la qualité de la communication aussi bien textuelle que graphique. La plupart des utilisateurs de ces nouvelles plate-formes éditoriales ne sont pas ou très peu formés aux règles élémentaires de la typographie, de la composition, de la sélection d’images ou de leur traitement. Les besoins de formation dans le domaine vont aller croissants dans des proportions encore jamais égalées.

Dans un registre analogue, l’émergence des plate-formes d’édition et des outils dématérialisés est semblable à l’introduction massive de la machine à écrire dans les services administratifs et dans les entreprises au siècle dernier. Mais cette fois les besoins ne sont plus seulement techniques, elles sont également culturelles. Il s’agira donc d’intégrer aussi bien les paramètres techniques (contraintes, règles, usages), mais aussi les pratiques tant professionnelles que sociales. Cet apport pédagogique ne peut provenir que des professionnels des secteurs concernés et non de professionnels de la formation.

Une révolution radicale mais discrète

Ce billet survole une révolution en cours. Les infographistes vont disparaître sans aucun doute possible dans les prochaines années. Ils sont déjà supplantés par des spécialistes de l’informatique des réseaux et de la diffusion en ligne peu ou pas formés à l’univers esthétique et codifié d’infographie. C’est sur cette dernière et son évolution vers une discipline composite et plus structurée que dépend la qualité des documents de communication des prochaines décennies.

Les infographistes étaient peu nombreux comparés à la horde d’utilisateurs qui attendaient de pouvoir fabriquer par eux-mêmes les documents dont ils ont besoin. Les prochaines étapes de cette révolution reposent également sur la volonté et surtout la perspicacité des entreprises à changer leurs pratiques et à percevoir les besoins en formation de leurs collaborateurs.

Faute de dynamique vertueuse de la part des entreprises, concernées au premier plan par la disparition de l’infographiste, ce sont les géants de l’informatique et spécialisés en infographie qui détermineront la nature, la forme et le type de communication. Ce ne seront pas leurs outils, dont j’ai déjà parlé ici, qui forgeront la communication de demain mais bien les modèles, les « templates », qu’ils mettront à la disposition des utilisateurs.

L’exemple le plus frappant de cette stratégie payante est l’outil de présentation de Microsoft, Power Point. xCombien de présentations laides, insipides et mortellement ennuyeuses ont-elles été créées au travers des modèles indigents proposés par cette application ? Des millions tous les ans ! Cette profusion lamentable est une forge de mauvais goût et de destruction du plus élémentaire sens esthétique. C’est contre cela que devront lutter les entreprises, les studios d’arts graphiques et les écoles et organismes de formation en communication et en nouveaux médias.

En dématérialisant les outils et les relations, le web a dissout l’infographiste. C’est certain. Mais la question qui se pose maintenant est de savoir s’il va dissoudre également l’infographie…

[Crédit Illustrations : CC - Pierre-Alexandre XAVIER / CC - Joe Mc CARTHY / CC- Mentat Kibernes]

]]>
http://owni.fr/2010/05/12/linfographiste-se-dissout-dans-le-web/feed/ 6
La typographie, grande oubliée du (livre) numérique http://owni.fr/2010/01/09/la-typographie-grande-oubliee-du-livre-numerique/ http://owni.fr/2010/01/09/la-typographie-grande-oubliee-du-livre-numerique/#comments Sat, 09 Jan 2010 18:32:07 +0000 Pierre-Alexandre Xavier http://owni.fr/?p=6854 2009, l’année noire pour l’édition, a vu se dessiner un paysage numérique nouveau, à défaut d’être innovant. Si les éditeurs indépendants, les libraires les plus dynamiques et certains professionnels à l’avant garde du livre ont su tirer parti de cette métamorphose, les conglomérats du livre, souvent impliqués dans la presse et surtout dans la distribution, ont souffert dans leur image de leur incapacité à proposer de nouvelles pistes pour l’avenir du livre.

Alors que les appareils et les dispositifs de lecture électronique se sont multipliés, offrant la multiplicité et la diversité, en dépit d’un prix relativement élevé, les éditeurs se sont montrés assez peu inventifs dans la numérisation de leurs ouvrages. Ce réel blocage ne provient pas seulement du manque d’imagination de l’édition. Il est également dû à la pauvreté des interfaces des lecteurs numériques et à leur ignorance d’une composante essentielle du texte sous toutes ses formes : la typographie.

La typographie constitue le train roulant du texte.
Sans elle, l’œuvre devient illisible sous sa forme imprimée et nous oblige à revenir au temps des scribes et des copistes qui uniformisaient l’écriture manuscrite afin de la diffuser plus largement. La typographie est le lien démocratique entre tous les textes, entre tous les lecteurs, entre tous les auteurs. Les caractères sont, par extension, les vecteurs de la plus large diffusion et les garants d’un déchiffrage égal par tous, pour peu que l’on sache lire.

Force est de constater que les efforts prodigieux produits durant des siècles par les fondeurs de polices, les dessinateurs et les graveurs de caractères, et les éditeurs amoureux des belles lettres, au propre comme au figuré, sont pour l’instant mis en suspens par la pauvreté, pour ne pas dire la misère, de l’usage de la typographie sur le Web et plus particulièrement sur les dispositifs de lecture numérique. C’est moche, mal foutu, peu ou pas adapté, fruste, quand ce n’est pas particulièrement illisible. Les textes numériques, qu’ils soient libres ou en téléchargement payant, n’échappent pas à cette consternante condition et ne présentent que rarement des textes embellis.

Le monde de l’informatique manque singulièrement de culture graphique, et la faiblesse du sens typographique n’en est qu’une facette. Le problème est que cette dernière pèse largement sur le degré de perception du texte. Son mauvais traitement menace doublement la culture littéraire et la diffusion du savoir. Elle oblige à redoubler d’efforts de perception et de déchiffrage et elle contribue à une baisse du niveau de la lecture, perçue comme de plus en plus rebutante.

Ce qui est le plus frappant, c’est l’absence d’intention, dans le domaine, des premiers concernés : les marchands de livres. Je ne parle pas des libraires qui continuent de préférer des livres beaux à des textes moches. Je parle des maisons d’éditions, des conglomérats qui ne prêtent pas plus d’attention à la typographie de leurs textes qu’ils ne prêtent d’attention à l’ampleur de la révolution numérique (à quelques exceptions près). Pour beaucoup de groupes d’édition, ce qui compte c’est le titre et bien entendu le nom de l’auteur. Puis une bonne couverture et un 4e plus ou moins soigné feront l’affaire. L’emballage prime sur le contenu, comme souvent, et il est toujours étonnant de voir combien les marchands de livres ne dérogent pas aux règles ineptes et déloyales de la grande distribution.

Enfin ce qui peut donner à réfléchir est moins l’absence d’attention à l’esthétique (et donc au confort) de la lecture que le mépris des règles strictes et efficaces du code typographique. Véritable signalisation de la navigation littéraire, le code typographique n’est pas seulement une convention de la langue française imprimée. Il est également le fruit de l’expérience, des contraintes de plusieurs métiers et d’habitudes prises au fil des siècles. Le code et sa typographie sont ainsi des biens d’héritage, un patrimoine qu’il conviendrait de préserver.

Mais ce sont là des considérations superflues dans un univers commercial et compétitif qui voit déjà ses marges grignotées par les « parasites » numériques, rognées par l’avarice des banquiers de la littérature et devenue peau de chagrin au moment des bilans et des comptes de résultats envoyés aux auteur(e)s. Dans un tel marasme, la typographie est une affaire secondaire, sauf bien sûr pour les éditeurs indépendants, les petites maisons et quelques autres qui aiment encore les rondeurs, les pleins et les déliés, les boucles et les pointes, sacrifiant une partie de leurs gains à l’embellissement du texte : volonté inutile et donc nécessaire…

» Article initialement publié sur Temps Futurs

» Illustration : “Typography One…” par MIAD Communication Design

]]>
http://owni.fr/2010/01/09/la-typographie-grande-oubliee-du-livre-numerique/feed/ 13
La fin du marketing, le retour de la propagande http://owni.fr/2009/12/02/la-fin-du-marketing-le-retour-de-la-propagande/ http://owni.fr/2009/12/02/la-fin-du-marketing-le-retour-de-la-propagande/#comments Wed, 02 Dec 2009 08:56:13 +0000 Pierre-Alexandre Xavier http://owni.fr/?p=5884 Le marketing est mort.

Après s’être d’abord préoccupé de conditionner le produit, marquant une influence sur le design, il a été repoussé par la technologie, par le savoir technique, permettant aux designers de générer des usages.

Avec l’émergence forte des technologies numériques dans le design, le marketing s’est orienté vers le conditionnement de l’offre et du produit. Mais l’émergence des technologies numériques de la communication ont rapidement atomisé le marketing produit. Le produit et l’offre sont rapidement devenus transparents et propriété du public, lui permettant de faire des choix échappant au conditionnement.

Alors, le marketing s’est concentré (sa vocation première) sur le conditionnement de l’acheteur en inventant une taxonomie (qui n’était qu’une question de point de vue) artificielle pour le faire entrer dans des catégories de valeurs. L’expansion massive du réseau mondial et l’appropriation des outils numérique par l’acheteur a explosé ces représentations marketing.

De ce point de vue, le marketing comme notion et même comme technique de modelage de l’offre est devenu obsolète. Le choc du futur étant très rapide et très sec, les acteurs du marketing sont comme un boxeur K.O. debout. Ils sont sonnés et ne parviennent pas à réaliser que le match est terminé. Ceux qui restent sur le ring risquent bien de recevoir un déluge de coups…

Alors que reste-t-il ? La propagande.

C’est la propagande qui domine le monde numérique. Le message le plus lu, vu, cru est celui qui l’emporte mais pour un temps très court. C’est la propagande pure et dure qui fabrique le consensus, déclenche l’adhésion, forge la fidélité. Le marketing disparaît au profit de techniques anciennes et de quelques usages nouveaux : la communication d’influence, l’intelligence économique, la médiation 101, l’économie de l’attention, le profilage progressif, la chronologie, le tracking, la mémoire collective… La technologie numérique vient soutenir, articuler et renforcer ce dispositif donnant naissance à une société numérique.

Enfin, ce qui revient en force, c’est l’obligation de créer une véritable culture de la confiance. Désormais, c’est la confiance qui créé le temps et donc la longévité d’un produit, d’un service, d’une idée, sans se soucier de son efficacité, de son avantage qualitatif, de sa « vérité ».
Et le produit lui-même n’est plus seulement un objet. Il est également une utilité qui connaît une inscription dans le temps. Même l’alimentation (terme désuet et en passe d’oubli) ou le divertissement (autre terme de l’ancien monde) se conçoivent comme des utilités durables et abondantes échappant aux cycles de l’éphémère.

En attendant, les résistances sont encore nombreuses. La transformation est en cours et à moins d’une catastrophe à l’échelle planétaire, elle est inéluctable. Car la société numérique s’impose partout. Sa force ne vient pas d’une dématérialisation du monde, mais de sa capacité à révéler ce qui était jusque là invisible. Et c’est ce que le marketing et la publicité de masses n’ont su qu’imaginer jusqu’à présent.

» Article initialement publié sur la soucoupe, chez temps futurs

»  Image de Une via Soniasonia sur Flickr

]]>
http://owni.fr/2009/12/02/la-fin-du-marketing-le-retour-de-la-propagande/feed/ 3
L’édition française est-elle encore soviétique ? http://owni.fr/2009/11/22/ledition-francaise-est-elle-encore-sovietique/ http://owni.fr/2009/11/22/ledition-francaise-est-elle-encore-sovietique/#comments Sun, 22 Nov 2009 16:44:37 +0000 Pierre-Alexandre Xavier http://owni.fr/?p=5625 statues_flamboyantes1Antoine Gallimard vient de donner lors du Forum d’Avignon une interview au Figaro (le buzz média – Orange – Le Figaro) sur l’avenir du livre numérique. Encore une, dira-t-on. Mais cette fois, les termes employés par le patron de la prestigieuse maison d’édition rejoignent presque complètement les propos du patron de la maison Hachette, Arnaud Nourry, qui s’était exprimé quelques jours auparavant lors d’un petit déjeuner INA-Odéon. Les deux hommes, séparés par une barrière conceptuelle apparemment irréductible, semblent étonnamment proches l’un de l’autre sur la question du livre numérique.

Tous deux s’insurgent contre la concurrence déloyale que viennent leur faire les géants  de la distribution en ligne, à la fois par une véritable guerre des prix (Amazon), et par un non-respect assez prononcé du droit d’auteur (Google). Tous deux redoutent les dangers du piratage tel qu’ils l’ont vu atomiser le marché physique de la musique. Tous deux s’inquiètent de l’actuel taux de TVA à 19,6% appliqué en France sur le livre numérique. Enfin ils semblent d’accord sur le fait de présenter un front uni, c’est-à-dire une plate-forme unique (ou des plate-formes interopérables) face à la concurrence anglo-saxonne.

Dans ce concert consensuel d’appels à la raison et à la défiance vis-à-vis de la révolution numérique, nos deux compères fustigent également le terrifiant Google Books et son accord américano-américain excluant le reste du monde (Le cas par cas étant plus facile à traiter quand on a la taille de Google plutôt que de devoir faire face à une fronde de tous côtés). Et en cela, Antoine Gallimard et Arnaud Nourry ont bien raison. Car Google est une machine de guerre bien entretenue et parfaitement équipée pour écraser n’importe quel concurrent sur son passage au jeu traditionnel de la confrontation juridique. Faute d’une véritable cohésion, l’édition française pourrait bien rapidement manger son pain noir et reculer sur tous les fronts à la fois.

Cette extraordinaire similitude entre les discours est inquiétante. Elle laisse entendre que les éditeurs-distributeurs français n’ont pas de discours propre, singulier, réfléchi sur la situation. Aucun n’a anticipé cette situation pourtant visible depuis plusieurs années. Enfin pas un seul des grands groupes d’édition française n’a daigné écouter les voix de ceux et celles qui prédisaient cette révolution en menant des expériences d’édition sur le terrain. D’où une étonnante incapacité à répondre de manière efficace aux problématiques actuelles et surtout de répliquer intelligemment à l’arrogance de Google et de sa filiale française.

La symétrie des discours pose un autre problème de taille, celui de la représentation que se font les grands de l’édition française de leur monde. Outre le paternalisme patent dans le discours des deux PDG vis-à-vis de l’édition indépendante, il y a cette agaçante collusion avec les appareils de l’Etat français qui seraient comme garants de la suprématie des français sur le péril étranger. Il y a là comme un soviétisme mou mais insurpassable qui lie l’institution et les éditeurs, et ce malgré la démolition progressive et discrète du CNL et de la DLL. La culture en France aurait un représentant officiel, le ministre. Et celui-ci défendrait les droits commerciaux des éditeurs (essentiellement les happy few qui tiennent le marché de la distribution). D’ailleurs, le ministre n’ a-t-il pas demandé sa part du gâteau du Grand Emprunt pour financer, à hauteur de plus de 750 millions d’euros, la numérisation du patrimoine culturel. N’est-ce pas là la réponse du berger à bergère ?

Cette étonnante ressemblance avec les dispositifs soviétiques de financement de la culture du défunt empire socialiste russe est frappante à la fois par les objectifs avoués (protéger la production nationale) et par le fonctionnement (conserver l’exclusivité et la supériorité nationales). Et c’est cet appareil déloyal du point de vue de la concurrence interne et externe qu’attaquent les tenants de l’économie globale de manière directe et indirecte.

Comme tous les appareils soviétiques, les dispositifs français se constituent en dehors de la demande et des attentes du public et surtout en marge de tout dialogue ou de toute possibilité d’intervention de ce même public. Les institutions et les grandes maisons jouent au jeu de la patate chaude, faisant des effets d’annonces pour démontrer leur bonne volonté commune, mais tout cela au détriment les acteurs sous-représentés de la profession (les éditeurs indépendants, les « petits ») et surtout au détriment des auteurs d’un côté et des lecteurs de l’autre.

En fait, plutôt que de mobiliser les quelques 3 000 maisons dites « indépendantes » au travers d’une politique plurielle, sectorielle et d’envergure menée par le SNE, les « grands » préfèrent la stratégie éculée du white washing. Ils montrent patte blanche, criant au loup, proposant chacun leur plate-forme de distribution, imitant à la perfection les modèles anglo-saxons et espérant que l’institution publique se chargera de verrouiller le marché et de tuer la concurrence étrangère. De cette manière, Google et les autres devront négocier avec un Etat souverain (et s’exposer à une extension de la confrontation aux relations internationales avec les Etats-unis). De leur côté, les « petits », les auteurs, les libraires et les lecteurs devront se résigner à la perpétuation du monopole de quelques uns sur un marché juteux.

statue_romaineLes risques d’une telle posture protectionniste, qu’elle soit française ou européenne, sont nombreux.

En tête, celui de voir la population des lecteurs migrer progressivement, sur une période de dix ans, vers des contenus gratuits en langue anglaise. Ce risque est d’autant plus grand que la France mène une politique de contraction et de coupes budgétaires sur les institutions culturelles à l’étranger (Centre culturels et Alliances françaises) qui ont fait son rayonnement pendant plus d’un siècle. L’invasion culturelle anglo-saxonne sera alors presque totale. Après les secteurs du cinéma, de la musique et de la télévision, le livre qui formait une sorte de dernière ligne de défense sera soumis à la dictature de la culture anglo-américaine. Dans un contexte européen, seuls les espagnols tireront leur épingle du jeu, car ils disposent d’une forte culture littéraire au niveau mondial et surtout d’une représentation déterminante sur le sol américain.

Le deuxième risque est de voir la guerre des prix et la balkanisation de l’offensive de Google complètement asphyxier les petites maisons d’édition et les librairies. Plus d’une sera tentée de rejoindre les géants et de s’écarter des modèles traditionnels français pour adopter les modèles parallèles dématérialisés. Si pour la plupart le gain en frais fixes sera une aubaine, ils seront cadenassés par les CGU de ces mastodontes qui ne s’encombrent ni du droit moral de l’auteur, ni d’une politique culturelle de prix unique du livre. Seules les grosses structures pourront résister aux chocs successifs qui s’accompagnent de l’inéluctable numérisation du monde scientifique, des publications scolaires, des parutions spécialisées en droit, en finance, en comptabilité, en informatique… Mais aussi tout le secteur pratique et touristique qui est salement mis en échec par l’arsenal des applications pour smart phones. Autant de niches qui disparaîtront définitivement des offres de l’édition classique.

La troisième menace sera, comme le craignent Antoine Gallimard et Arnaud Nourry, le piratage systématique et parfaitement incontrôlable par les dispositifs policiers voulus par les lobbies de la musique et du cinéma (HADOPI). Le piratage sera la solution première chaque fois que l’offre légale ne sera pas disponible, comme le démontre le rapport de Mathias Daval publié par le MOTif. Et dans l’incapacité de faire fi d’une chronologie des sorties de livres (d’abord en papier, puis en numérique), les maisons d’édition de tailles intermédiaires seront mises à mal sur les derniers pans de leurs métiers.

D’autres risques liés à la diversité des méthodes de référencement et d’archivage des publications, à la lenteur de la numérisation des fond patrimoniaux, à l’absence de politique cohérente et unifiée sur la gestion du patrimoine culturel, et au rôle des bibliothèques viendront aggraver les difficultés des maisons d’éditions et des groupes de distribution du livre. Seuls, des entités à niveaux multiples et à forte composante financière comme Hachette Livres et comme Editis-Planeta, disposant d’une réelle dimension internationale, pourront restructurer leurs actifs et prendre une part sur les marchés du livre numérique à un niveau mondial. Cela se fera dans la douleur de devoir couler quelques fleurons de l’édition française du vingtième siècle.

Antoine Gallimard et Arnaud Nourry ont raison de se méfier des hordes barbares numériques. La révolution numérique en marche comporte de nombreux périls. Mais ces derniers proviennent essentiellement de la marge de manœuvre laissée aux nouveaux entrants et surtout au manque de clairvoyance et d’anticipation dont font preuve les grosses maisons, persuadées comme les tribuns romains d’antan que l’Empire était inaltérable… Sic transit gloria mundi.

Il est temps pour les décideurs de se réveiller et de travailler, au delà des représentations et des clivages traditionnels, avec les acteurs du terrain. Ils sont ceux et celles qui effectuent le travail de fourmi et disposent de données et d’expériences propres à mettre en échec les tentatives hégémoniques des colosses aux pieds d’argile que sont les Google, les Amazon et autres du monde numérique. La révolution numérique change énormément de choses périphériques mais finalement peu de l’essentiel, et cela les patrons de grandes maisons, assis la-haut dans leurs perchoirs ont tendance à l’oublier…

]]>
http://owni.fr/2009/11/22/ledition-francaise-est-elle-encore-sovietique/feed/ 3
Le livre numérique est un livre comme les autres http://owni.fr/2009/11/13/le-livre-numerique-est-un-livre-comme-les-autres/ http://owni.fr/2009/11/13/le-livre-numerique-est-un-livre-comme-les-autres/#comments Fri, 13 Nov 2009 00:38:51 +0000 Pierre-Alexandre Xavier http://owni.fr/?p=5419 Le livre va-t-il disparaître ? La question est posée de manière incessante depuis plusieurs mois devant la montée en puissance des messages d’apocalypse du livre. Il y a bien des voix pour dire que le livre est encore là et qu’il n’est pas prêt de disparaître. Mais peu écoutent la raison et beaucoup versent dans le catastrophisme, appelant chacun(e) à défendre le livre et les livres contre l’invasion numérique. Enfin certains démontrent comment le livre a toujours été un objet de transition et que sa forme importe peu tant que sa mission de diffusion de la mémoire est accomplie.

Je ne vais pas revenir sur Google, Amazon, Barnes & Noble, Sony, ou bien Hachette livres, Gallimard, La Martinière et tous ceux qui tantôt nous promettent des lendemains glorieux, tantôt nous vouent aux gémonies, chacun ayant ses raisons et son intérêt. Et je ne vais ni faire l’apologie du papier de Gutenberg, ni celle des encres électroniques des technophiles. En dernier lieu, je n’ai aucune sorte de considération pour la mode du iPhone et de ses clones plus ou moins bien réussis qui ne m’apparaissent que comme des objets de transition dans une évolution technique constante des appareils de communication. La lecture d’ebooks sur ces supports ne m’impressionne pas plus que la prise de notes dans les premiers Palm de 3Com.

En revanche, je reste tout à fait intéressé par la remarque cynique mais terriblement efficace de Steve Jobs concernant les lecteurs de livres numériques : les gens ne sont que rarement intéressés par des appareils limités à une seule tâche. Et c’est là une des limites majeures de toutes les « liseuses ». Sortis de cette mission, les lecteurs de livres numériques ne servent à rien, sinon comme presse-papier pour le courrier en retard… celui en papier et essentiellement composé de factures.

Je suis assez d’accord avec Jobs pour dire que les utilisateurs attendent patiemment qu’émergent des appareils à fonctions multiples dans un format idéal pour lire le journal, regarder la télé, voir un film, écouter de la radio ou de la musique, faire une présentation, etc. faciles à glisser dans une sacoche. De là à dire que la « slate », ou quel que soit le nom qu’Apple lui donne, est la panacée, il ne faut pas exagérer. De nombreuses sociétés de micro-informatique ont tenté ce genre d’expérience et jusqu’à aujourd’hui, personne n’a réussit à trouver l’angle idéal pour créer l’usage (et non le besoin).

La raison est tout simple. Le livre de poche n’est pas soluble dans le monde de l’informatique. Et surtout, il n’a pas besoin de l’être. Le livre de poche restera le livre de poche pendant les trois ou quatre prochains millénaires sans jamais être remplacé par un support électronique. Est-ce suffisant pour disqualifier le livre numérique ? Pas du tout.

De nombreux explorateurs d’un genre nouveau se sont lancés dans toutes sortes d’expériences d’édition en se servant du Web, de l’informatique et des outils en réseau pour tenter de de formuler des pistes de réflexion et de travail littéralement inédites. Ces expériences, ces réflexions et ses tentatives démontrent que le livre de poche n’est pas le seul support, ou vecteur de la diffusion de la mémoire. Et il faut vraiment souffrir d’amnésie pour croire que le livre de poche soit l’aboutissement de l’industrie de l’édition.

Alors qu’est-ce qu’un livre ? C’est la question que se pose tous les jours François Bon qui multiplie les expériences numériques sur le site du Tiers livre. C’est aussi la question que se posent des chercheurs et des éditeurs américains ou britanniques. Nombre de cerveaux cogitent à cette interrogation dans le cadre désormais étendu aux réseaux de communication. Plutôt que d’emprunter aux uns et aux autres, je préfère prendre la liberté offerte par le Web et apporter ma propre pierre à l’édifice.

Le livre est, depuis les origines, un ensemble de textes. Qu’il soit produit manuellement ou mécaniquement n’a pas d’importance sinon esthétique. Que les textes contenus dans le livre soient ou non organisés selon une thématique, un sujet, une démarche ou un fil narratif est également secondaire à la nature du livre et accessoire à son usage. Car le livre, depuis les tablettes babyloniennes, dépend essentiellement de l’usage, donc du ou des lecteurs. Sans lecteurs, le livre ne vaut rien. Il n’est rien. Il est mort.

Inutile d’entrer dans un cours fastidieux sur les origines du livre et son histoire, la multiplicité de ses supports, l’extraordinaire flexibilité de sa nature ou l’incroyable résistance de sa forme : un recueil de textes. Le livre ne se caractérise pas par le support, ni par l’organisation interne, ni par sa forme. Il existe en tant qu’assemblage et il n’est finalement qu’une construction. Cette dernière ne trouve sa force réelle que dans la lecture et surtout dans l’adhésion produite par cette lecture. Ce qui fait du livre, depuis ses origines, un objet de culte. En effet, le succès, la longévité, la vitalité et l’impact d’un livre se mesure à l’aune de la foi, de la confiance, de la sympathie et de l’adhésion qu’il suscite.

Le livre est un tissage de textes. Il ne dépareille en rien du tissage qui constitue tout ce qui existe sur le Web. Poussé à l’extrême, le Web est un livre. Complexe, composite, foisonnant, étonnement divers et pluriel, le Web a cette caractéristique extraordinaire d’être constitué de textes. Si en façade, l’utilisateur voit des images, des typographies, et même des films. En coulisses, il n’y a que du texte en code. Et si les images et les animations sont largement appréciées par le plus grand nombre, elles restent minoritaires en rapport avec la masse de textes compilés sur le Web.

Le Web est un livre. Et pour ajouter à la provocation, il est comme la Bible : une compilation de textes organisés autour d’un credo. Chacun des textes de cette dernière peut être pris indépendamment des autres et considéré à lui seul comme un livre. Mais il s’inscrit dans une intention première, celle des Pères chrétiens de l’Eglise. L’un des exemples marquants de cette mise en abîme est le Bhagavad Gita, qui est un livre autonome mais existant et exposé au sein du Mahabharata, livre fondateur de la civilisation indienne. Plus tard, si les encyclopédies des Lumières suivent à la lettre les mêmes critères et les mêmes principes d’assemblage elles constituent des ouvrages d’un type nouveau et tranchent radicalement avec l’organisation Biblique. L’encyclopédie retient cette faculté d’être lue par prélèvements et toutes ces parties sont autant de livres ou de promesses de livres.

De manière schématique, la Bible était le livre du premier millénaire, l’Encyclopédie celui du deuxième millénaire, le Web celui du troisième. Ces trois livres ont généré non seulement des structures de pensées et d’exposition des raisonnements mais ils ont également imposé des constructions narratives et des façons de diffuser le savoir. Leurs influences sur le monde est indéniable et, du moins pour les deux premiers, il est possible de voir leur empreinte sur la construction des sociétés. Le Web, pour le peu que nous en voyons aujourd’hui, présente les mêmes caractéristiques que ses deux prédécesseurs.

Que tirer comme enseignement de cette succession ?
— D’abord que le livre du premier millénaire est toujours là. Et que celui du deuxième millénaire aussi. Il est donc naturel de penser qu’ils persisteront quels que soient les évolutions des supports.
— Ensuite que le Web, à l’instar des deux autres, est également composé d’une multitude d’ouvrages mais que leurs formes, structures et intentions ne sont pas semblables à ce que produisaient la Bible et l’Encyclopédie.
— Enfin, que le point commun entre tous ces livres est l’organisation des textes qui les composent et c’est la nature de cet arrangement qui les différencient de manière singulière.

Je crois donc que le livre numérique n’est rien d’autre qu’un livre. Et tout comme on ne lit pas la Bible et l’Encyclopédie de la même manière, il n’est certainement pas possible de lire le Web en se servant des principes de lecture et de navigation des anciens livres. Ceux qui essayent se cassent rapidement les dents. Et ceux qui s’en plaignent n’ont toujours pas compris les articulations de leur propre histoire. Les jérémiades des uns comme des autres portent sur des problèmes triviaux de commerce et de monopole(s) qui n’ont rien à voir (de près ou de loin) avec la production intellectuelle et sa nécessaire dissémination.

Le livre du premier millénaire s’inscrivait dans le Temple et s’est articulé sur la copie. Le livre du deuxième millénaire s’inscrivait dans la Bibliothèque et s’est articulé sur l’édition. Le livre du troisième millénaire s’inscrira dans la Nébuleuse de calculs (Computing Cloud) et constitue sous nos yeux ses articulations, ses modes de lecture, de navigation, de repérages. C’est de cela qu’il est question lorsqu’on parle de livre numérique et non d’une gamme d’avortons d’ordinateurs sur lesquels les marchands de papier essayent de vendre des manuels scolaires et des romans de gare.

P.S. :
1] J’aime les manuels scolaires que j’espère numériques depuis des années afin d’en finir avec ces cartables inutiles d’un autre temps.
2] Je suis un lecteur de romans de genre et continue à admirer les auteurs de l’ombre… plus que les auteurs de tables et de vitrines.
3] Je n’aime pas ceux qui vendent mal les livres et sans respect ni pour leurs auteurs ni pour les lecteurs.

[Credits photo : Blue Bibles by Bob Jagendorf • Creative commons licence]

]]>
http://owni.fr/2009/11/13/le-livre-numerique-est-un-livre-comme-les-autres/feed/ 10
L’édition française contre le péril numérique… http://owni.fr/2009/11/02/ledition-francaise-contre-le-peril-numerique/ http://owni.fr/2009/11/02/ledition-francaise-contre-le-peril-numerique/#comments Mon, 02 Nov 2009 01:25:41 +0000 Pierre-Alexandre Xavier http://owni.fr/?p=5077 La fin de semaine étant rarement un moment de folle activité pour l’information régionale, Le Monde en profite pour sortir un volant d’opinions au titre accrocheur : le livre survivra-t-il à Internet ? Son casting est impressionnant : Arnaud Nourry [patron de Hachette Livre], Antoine Gallimard [héritier émérite et P-D.G. du groupe du même nom], Bruno Racine [patron de la BNF], Arash Derambarsh [Directeur de dépt. au Cherche-Midi], Rémy Toulouse [Directeur des éditions Les prairies ordinaires] qui font suite à Roger Chartier qui les a précédés de quelques jours.
L’édition française et les principaux représentants du livre sont là, en ordre de bataille, chacun avec ses arguments, pour lancer un bombardement massif contre Google et le péril numérique. Il y a cependant quelques absences notables comme celle de Editis, qui ne manque certainement pas de portes-paroles, ou celle de La Martinière, en procès avec le géant américain…

BNF sideDevant une telle mobilisation et une concentration inhabituelle, on serait en droit d’attendre du grand spectacle, un authentique blockbuster ! On espère des projets d’envergure, des partenariats inédits, des actions au niveau international et la forge d’un nouveau discours du livre. Et c’est ce que nous vend le titre, tel une bande annonce hollywoodienne : têtes d’affiches, pitch percutant, promesse de divertissement, succès assuré…
Mais voilà, comme beaucoup de productions cinématographiques d’outre-Atlantique, tout est dans le titre et rien n’est dans le film. Bien que la situation de l’édition française ne ressemble pas à la situation de l’édition musique et vidéo d’il y a cinq ans, la communication et les réflexes sont les mêmes. Les quelques points clés sont courus d’avance :
— l’édition ne se laissera pas spolier par l’ennemi étranger,
— les éditeurs sont les gardiens des droits des auteurs, les cerbères du patrimoine,
— le livre résistera au « tsunami » numérique,
— la garde meurt mais ne se rend pas…

Si Bruno Racine tempère les passions en bon énarque et que Rémy Toulouse relativise l’impact réel sur les petits éditeurs, le reste de la troupe mène une campagne napoléonienne. Faisant preuve d’une imagination très limitée, d’un discours convenu et d’une argumentation faible, voire fébrile, malgré des effets de manche, les « grands » de l’édition française peinent à démontrer des axes clairs et d’éventuelles actions solidaires. Tout le monde est d’accord pour désigner l’ennemi, mais personne ne propose de terrain commun, ni de politique conjointe.

Personne, sauf Hachette, qui fort de sa mainmise sur la distribution papier, n’hésite pas à ouvrir la porte de sa tour d’ivoire à qui voudra bien en passer le seuil. Arnaud Nourry n’y va pas par quatre chemins et écrit : « Habitués à tort à se méfier d’Hachette, mes confrères sauront-ils percevoir le danger que les bouleversements en cours font peser sur toute la profession ? Ma porte leur est grande ouverte. » Si l’intelligence se mesure à l’aune du chiffre d’affaire, évidemment les confrères de Hachette Livres sont particulièrement bêtes. Mais sa stratégie ne se limite pas à la politique de la main tendue, comme si sa position dominante ne pouvait être remise en question.
Arnaud Nourry va plus loin, faisant la liste des dangers qui menacent : la guerre des prix, la concurrence déloyale de Google (qui méprise le droit d’auteur) et d’Amazon (qui emprisonne les lecteurs dans son Kindle), le diktat de la politique de distribution… Hachette ne craint pas ce péril numérique car il est le leader français du stockage et de la commercialisation des livres numériques. Et qui plus est, Hachette n’est plus un groupe français mais international, un acteur majeur du marché américain. Il ne craint personne depuis qu’il a, à l’instar de Google, signé son propre accord avec Lightning source, filiale du géant Ingram, leader incontesté de la distribution américaine et grand rival de Amazon sur le livre.

Le discours de la grande braderie est le même chez Gallimard, qui convoque aussi bien les antiques que les classiques pour défendre l’honneur et l’intégrité des œuvres. Car chez Gallimard, les œuvres ont connaît. Et elles n’ont rien à craindre de Twitter et autres médias sociaux pour illettrés : « Sans craindre que les cent quarante caractères imposés par Twitter ne viennent inhiber le lecteur d’une “Pléiade” de 2 500 000 signes, on peut s’interroger sur les conséquences de l’absence d’une véritable pratique de l’écriture, sur la disparition des correspondances et du temps de lecture qui leur est consacré. » nous dit-il. Ça fera plaisir à Thierry Crouzet et c’est occulter les résultats les plus récents qui démontrent que les possesseurs de Kindle achètent (et lisent) plus de livres que les lecteurs conventionnels.
En tous cas, pas question de pactiser avec le diable (Google) ou avec la pieuvre verte (Hachette) : « Ces temps-ci, on reproche aux éditeurs d’arriver dans le désordre, en multipliant le nombre de plates-formes de distribution. Mais on se trompe de cible : il s’agit, au contraire, d’une précaution élémentaire, légitimée par un siècle et demi de pratiques éditoriales. L’alternative, en matière de distribution, est salutaire, même au plan national. » déclare Antoine Gallimard, qui comme son homologue n’en est pas un paradoxe près. C’est ainsi que l’auguste maison compte, avec ces alliés (Flammarion et La Martinière/Seuil), combattre elle aussi le péril numérique. Ici ce ne sont pas les millions qui seront décisifs mais la volonté.

tour_belemArash Derambarsh, directeur du département politique et personnalités publiques au Cherche Midi, fait sobrement l’état des lieux. Mais en tentant de se faire le médiateur diplomate entre les positions conservatrices des uns et l’inévitable virage numérique, il ne fait qu’amplifier le décalage qui existe entre les deux mondes : celui du papier et celui des réseaux numériques. A mesure qu’il avance dans son propos, Arash Derambarsh nous dit d’une manière presque naïve que la mutation est inéluctable, qu’il faut s’y préparer, et qu’une offre légale payante est la seule issue. C’est l’aveu de l’impuissance de l’industrie toute entière.

En seulement cinq papiers et une tribune offerte par Le Monde, la pensée unique et obsessionnelle de l’édition française (et même européenne) apparaît clairement : c’est à l’Etat d’intervenir et de mettre en coupe réglée toutes ces hordes barbares débarquées depuis l’autre rive de l’océan. Ce réflexe de déresponsabilisation du secteur privé devient une mode aussi coûteuse qu’intolérable. Quand les banques jouent aux apprentis sorciers dans la finance, c’est l’Etat qui trinque et les contribuables qui payent. Quand les majors de la musique détruisent leur réseau de détaillants avec des politiques sanguinaires et cannibales, et au moment de l’addition, c’est à l’Etat de bricoler des lois liberticides pour sauver leur business. Cette fois, ce sont les groupes d’édition (et dans la foulée les titres de presse) qui n’ont rien anticiper de ce qui se déroulait devant leurs nez, et c’est à l’Etat de trouver des solutions. C’est ahurissant de voir des groupes financiers de taille respectable démontrer leur incapacité totale et faire peser sur la collectivité (c’est-à-dire leurs clients !) le poids de leur incompétence.

Remy Toulouse donne une piste de travail : « …cela passe aujourd’hui sans aucun doute par la défense du livre papier, ainsi que par une vigilance critique renouvelée face à une industrie du livre dont les dysfonctionnements sont légion. » N’est-ce pas à ce niveau que l’Etat devrait intervenir et édicter des règles ? Il s’agit alors d’imposer à la grande distribution des contraintes dures sur la vente des livres. Il s’agit aussi d’appliquer les principes de base de la concurrence dans la distribution du livre et protéger les libraires de la mainmise des uns et des procédés de requins des autres. Enfin il s’agit d’instituer de nouvelles dispositions pour le droit des auteurs et de redonner à ces derniers le pouvoir de bénéficier pleinement et de contrôler les œuvres qu’ils et elles ont produites. Mais tout porte à croire que ce n’est pas de ce genre de dispositions dont veulent les groupes d’édition français.

Récemment, Mark Coker, pionnier de l’édition numérique, se fendait d’un billet dans le Huffington post portant un titre évocateur : Do Authors Still Need Publishers? [Les auteurs ont-ils encore besoin des éditeurs ?]. Il y expliquait par le menu pourquoi les “publishers” (qui n’ont pas d’équivalent en France tant l’éditeur et le diffuseur sont enchaînés l’un à l’autre) devaient passer d’une culture d’entreprise tournée vers les actionnaires et les marchés à une culture d’entreprise tournée vers les auteurs et les lecteurs, sous peine de disparaître purement et simplement de l’équation. Il n’est pas le seul à penser ainsi, loin de là. Mais apparemment, cette pensée là ne parvient pas à pénétrer les bureaux feutrés de nombre de groupes d’édition européens. Le réveil sera difficile et la chute promet d’être vertigineuse.

]]>
http://owni.fr/2009/11/02/ledition-francaise-contre-le-peril-numerique/feed/ 3
Google Books : des fantasmes et des légendes… http://owni.fr/2009/10/15/google-books-des-fantasmes-et-des-legendes/ http://owni.fr/2009/10/15/google-books-des-fantasmes-et-des-legendes/#comments Thu, 15 Oct 2009 14:43:37 +0000 Pierre-Alexandre Xavier http://owni.fr/?p=4659 La cadence des coups de théâtre se précipite. L’imaginaire enfle comme le crapaud de la fable et pourrait bien exploser avant d’avoir atteint la taille du bœuf. La presse s’indigne. L’édition mass-market se divise. Les politiques ne savent plus où donner de la tête ou de la pommade. Tout le monde panique. La peur, irrationnelle et viscérale, semble paralyser la raison et laisser libre court aux fantasmes les plus débridés. Elle devient la forge de légendes contemporaines et technophobes.

Deux mythes tenaces criblent l’actualité et les papiers qui paraissent dans la presse française et étrangère en plein milieu de la foire internationale de Francfort. Le premier est celui de l’invulnérabilité de Google dans son blitz stratégique sur le terrain des livres numériques. Le second est celui de l’inéluctable disparition de l’objet livre tant sous sa forme physique que sous sa forme conceptuelle sous l’effet conjoint de l’apparition d’une variété de dispositifs informatiques de lecture sur écran d’une part, et de la numérisation massive des œuvres littéraires de la planète.

eagleeyeL’invulnérabilité de Google est une illusion d’optique technophobe entretenue par les marchands de tous poils qui mesurent la force d’une entreprise à la taille de sa surface financière. C’est oublier les cuisantes et récentes disparitions d’entreprises que l’on croyait indestructibles, faites pour durer, immortelles, comme General Motors ou, dans un autre registre, MySpace. Rien ne dure, pas plus Google que les autres entreprises champignons qui fleurissent à l’Automne ou au Printemps de chaque année qui passe.
Comme toutes les entreprises, Google doit faire face à deux ennemis : le calendrier et le chronomètre. Le calendrier lui dicte le rythme auquel l’entreprise doit renouveler son offre sous peine de perdre d’importantes parts de marché. Le chronomètre lui impose les délais toujours plus courts de réaction aux changements planétaires dans les usages, dans les investissements, dans les besoins. Google n’est pas invulnérable, loin de là. Et sa politique de développement tous azimuts, sur des fronts multiples, essuyants échecs comme célébrant victoires, démontre sa soumission au calendrier et au chronomètre.
Google vit sur un concept clé. Ce n’est ni le ranking, ni la multiplicité des services, ni sa capacité d’acquisition des technologies naissantes, ni sur sa masse financière. Google vit sur la simplicité d’accès à l’ensemble de ses usagers. Sa simplicité fait loi. S’il est plus facile de trouver ce que l’on cherche (ou même ce que l’on ne cherchait pas) sur Google que sur un autre service, et bien on ne cherche plus ailleurs. Et Google n’a rien inventé. Avant lui Apple, Microsoft, mais aussi Netscape, AOL ou Yahoo! avaient réalisé exactement la même chose. En simplifiant la vie de l’usager, le succès est au rendez-vous.
Il est donc tout à fait possible de concurrencer Google sur des niches, sur des pans entiers de la connaissance et de l’information où le ranking est caduque, où la masse de documents sature, où la multiplication des services est une nuisance. Twitter est un exemple de cette concurrence possible et il n’est pas le seul. L’invulnérabilité de Google est un mirage entretenu par les perdants, par ceux et celles qui se sont déjà effondrés et dont la vision étroite ne parvient pas à voir la réalité de l’assemblage astucieux mais fragile qui constitue Google.

Le second mythe de l’inéluctable disparition de l’objet livre est une farce. Cette perception rudimentaire du livre comme support versatile et pratique est une fabrication de la culture marketing qui empoisonne notre époque. Le livre, ça n’existe pas. Il n’y a pas le livre, mais des livres. Et leurs formes sont multiples depuis que l’homme s’est doté d’un code pour pouvoir compter et consigner le nombre de têtes de bétail qu’il détenait et pouvoir les négocier avec son voisin. On trouve toutes sortes de livres depuis les origines de l’écriture. Le papier n’est que l’un des nombreux supports développé à travers l’Histoire. Et s’il a gagné en surface et en domination, c’est essentiellement dû à sa propriété d’avoir été longtemps difficile à falsifier et moins coûteux à produire que les autres. Ce qui a favorisé son adoption par les chancelleries et les administrations.
L’objet livre, du point de vue conceptuel, est une idée indestructible. Si le support physique vient à manquer alors le livre se fait homme, au travers de la mémoire d’individus spécialisés qui conservent dans leurs cerveaux l’histoire des leurs, de leurs traditions, de leurs cultures. Toutes les grandes traditions religieuses, philosophiques et culturelles ont été transmises aussi bien oralement par les individus que par leurs écrits. Et même dans des périodes de profondes ténèbres comme notre Histoire en a connues, la transmission du savoir a toujours persistée.  Il n’y a donc aucune chance de voir disparaître l’objet livre avant que l’on ait trouvé le moyen de télécharger notre mémoire dans des supports accessibles à d’autres mémoires ou bien que la technologie nous offre le miracle de la télépathie. Et quand bien même, il nous faudrait des centaines d’années pour transférer le patrimoine d’un support à un autre.
Les livres ne disparaîtront pas demain, ni après-demain. En 6 ans, et au prix d’une politique de numérisation à la Attila le Hun, Google est parvenu à digitaliser 10 millions de titres, dont une majorité de domaines publics, une bonne proportion d’ouvrages orphelins, d’épuisés et une minorité d’ouvrages soumis aux droits de propriété littéraire [tels qu'ils sont pratiqués dans les pays occidentaux]. Le chiffre peut sembler impressionnant, mais il est ridicule face aux centaines de millions de livres publiés par les populations des cinq continents depuis la démocratisation de l’imprimerie ou l’usage du papier. Le nombre d’œuvres publiées est tel qu’il est impossible de le chiffrer approximativement. Les 10 millions de bouquins de Google Books, devenu pendant la foire de Francfort Google Edition, ne représentent qu’une maigre part du patrimoine mondial. Ce qui rend caduque le projet de Google Book search et logique sa transformation en librairie en ligne.
Les livres numérisés par Google sont devenus un stock. Et Google s’est retrouvé dans la position de n’importe quel commerçant : comment valoriser et monétiser tout ce stock qui a coûté cher à numériser ? Simple, imiter les autres et devenir une librairie géante. Plutôt que de faire disparaître le livre ou son objet, Google produit l’effet inverse. Il a mis en lumière les défauts majeurs de l’édition mass-market, jeté de la lumière dans les oubliettes des fonds de catalogues et ramené en plein jour tous les squelettes de la gestion du patrimoine savant et littéraire de la planète. Je ne pense pas que cela faisait partie de sa stratégie, mais plutôt d’un effet incontrôlé de la serendipité caractéristique des entreprises qui cherchent…

En développant ce projet de bibliothèque numérique mondiale, Google est devenu la forge d’une mythologie de fin du monde pour de nombreux groupes d’édition. D’autant qu’il a eu le mérite de montrer que face à l’inconnu, la plupart de ceux qui se disent leaders et acteurs du marché ne savent rien inventer de neuf, ni prendre le risque de s’aventurer sur des terres inconnues. Et ils n’ont aucune excuse, car Google n’est pas l’UNESCO, ni une institution culturelle, portées par des deniers publics et sans obligation de résultat. Google est une entreprise capitaliste qui use de toutes les ficelles financières et juridiques pour générer le plus de profit possible pour ses actionnaires.
Ces groupes d’édition crispés sur leurs actifs, sur leurs stocks et sur leurs circuits de distribution, qui jettent des anathèmes, sont également des sociétés commerciales capitalistes. Et plutôt que d’anticiper le marché, que d’avoir développé des offres, que d’avoir projeter les mutations et accompagné les changements, ces mêmes groupes sont maintenant pris dans une tourmente numérique. Et faute d’imagination, ces sociétés produisent des scénarios fantasmatiques et stériles qu’ils tentent de faire relayer par les titres de presse qu’ils contrôlent par le capital ou par la distribution.

Le livre numérique ne signe pas la fin du livre, mais une transformation radicale du métier d’éditeur. Le livre numérique ne condamne pas les libraires au chômage, ni les auteurs au bagne. Au contraire, il ouvre des perspectives nouvelles et affranchit les libraires comme les auteurs de l’esclavage entretenu par une poignée de distributeurs et de diffuseurs. Enfin le livre numérique ne remet pas en question la nature de l’œuvre littéraire ou de la littérature savante. Il provoque, comme d’autres inventions avant lui, des aménagements et permet de nouvelles fonctions inédites.
La propagande de crainte et de suspicion entretenue par les gros n’a d’autre but que d’effrayer les petits. Et la question qu’il convient de se poser devant la quantité considérable de fictions que l’on est amené à lire au sujet du livre numérique est : que cache ce discours offensif et apocalyptique ? Qu’essaye-t-on d’occulter derrière le mythe de la fin de la culture ou du monopole du savoir ? La force d’un projet repose sur l’imagination que l’on à mis au service de la créativité et de l’innovation. En revanche la faiblesse d’une position se mesure à l’agressivité avec laquelle on la défend.
C’est vrai : Google n’est pas un saint. Mais ses détracteurs ne sont pas de preux chevaliers défenseurs des veuves et des orphelins.

]]>
http://owni.fr/2009/10/15/google-books-des-fantasmes-et-des-legendes/feed/ 11
Pourquoi personne ne dit non à Google? http://owni.fr/2009/10/11/pourquoi-personne-ne-dit-non-a-google/ http://owni.fr/2009/10/11/pourquoi-personne-ne-dit-non-a-google/#comments Sun, 11 Oct 2009 12:59:08 +0000 Pierre-Alexandre Xavier http://owni.fr/?p=4480

Titiou Lecoq publie un papier très intéressant dans Slate. Elle souligne à quel point les rouages réels de l’industrie du livre échappent à la perception pourtant exercée de la plupart des observateurs. Et elle nous fait la démonstration de la fascination mythologique qui entoure Google. Invoquant l’excellent et apocalyptique papier d’Olivier Ertzscheid, dans lequel il développait récemment une analyse de la stratégie de Google Books, Titiou Lecoq nous annonce une victoire certaine de Google et la fin du monde du livre… encore.
Reprenant, pour l’essentiel, la conclusion de Ertzscheid, le papier nous fait la liste de toutes les exactions que s’apprête à commettre le géant de l’Internet et de la complicité inavouée et inavouable des fabricants de tablettes et de gourous du nouveau socialisme numérique. Ce papier qui semble pourtant spontané et sincère est un parfait exemple des fantasmes qui se développent dans les médias traditionnels.

Toutefois, dans un argumentaire assez inconsistant, la journaliste relève le seul point important de toute l’affaire Google : « …personne n’est allé négocier avec la firme pour lui imposer des devoirs à respecter en contrepartie de sa situation monopolistique. » Et curieusement elle ne poursuit pas dans la logique de ce raisonnement, ou bien comme beaucoup de professionnels du livre, elle ne souhaite pas aborder la question cruciale, celle qui fâche : pourquoi personne ne dit non à Google ? Il y a bien ceux qui le traitent de tous les noms, ceux qui lui demandent de l’argent, ceux qui veulent une compensation technologique, etc. Mais personne ne dit tout simplement : non merci. Remballez votre accord, éliminez les œuvres françaises dont vous n’avez pas les droits et allez vendre votre camelote ailleurs…

Car à bien y regarder, il n’y a pas de véritable urgence à numériser le fond patrimonial francophone, même si la BNF (à l’époque sous la houlette de J.-N. Jeanneney) s’est complètement plantée dans sa stratégie de digitalisation des œuvres. Et même s’il faut cent ans pour numériser le patrimoine, quelle importance ? Nous n’avons pas besoin de Google pour cela. Et nous n’avons certainement pas besoin de digitaliser 10 millions de titres de langue française pour nous assurer de la pérennité et de la présence de la francophonie dans le monde (sauf si nous continuons à faire disparaître les alliances françaises et les centres culturels à l’étranger). Et notre patrimoine pourra même être sur Google Books en consultation partielle ou totale, selon notre choix institutionnel. Nous n’avons aucun retard du point de vue patrimonial. Le seul intérêt à accélérer la numérisation est de permettre une plus large diffusion d’œuvres inconnues, épuisées, ou tout simplement délaissées par les marchands de soupe de l’édition de masse.
Alors où est l’urgence ?
Elle se trouve justement dans le domaine commercial et industriel. Les grands groupes d’édition français ont parfaitement négligé la mise en route du programme de numérisation de Google en 2004. Et ils se sont confortés dans l’idée que le livre papier était là pour durer encore 2 000 ans de plus. Et que seuls une poignée de geeks seraient concernés par ce projet. Donc pas de danger. La reprographie n’avait pas tué le livre, Google Books n’aurait pas plus de chance… Mais voilà, les gens de Google ne sont pas nés de la dernière pluie. Cherchant à monétiser au maximum leur investissement à moyen et long terme, ils ont commencé par le domaine public, incluant les œuvres orphelines et une quantité importante d’ouvrages rares ou confidentiels et plutôt recherchés. Sur les uns personne n’aurait rien à dire. Sur les autres les lecteurs avertis seraient les premiers à acclamer le géant du Web. Et la poignée de geeks, par un prompt renfort, est ainsi devenue légion.

En seulement cinq ans, Google a été capable de formuler une offre non-payante capable de drainer une grande partie du public des lecteurs professionnels et/ou assidus dans un monde occidental où la lecture est en lente érosion. Les maisons d’édition de livres (et pas les groupes de communication et de marketing, type Reed Elsevier) se sont retrouvées comme la cigale de La Fontaine. Démunis devant une concurrence massive et partout présente sur leur terrain à un tarif imbattable…

En quelques mois, tout le monde a compris que le stock de propriété intellectuelle sur les épuisés, les orphelines et les ouvrages du domaines publics ne valaient plus rien du tout en l’état, c’est-à-dire en vue d’une éventuelle exploitation commerciale papier. En revanche, de son côté, Google a été capable de monétiser l’ensemble de son stock numérique selon son procédé adsense sans pour autant rendre l’accès payant. Les principaux groupes d’édition européens et américains ont instantanément tiré la gueule. La suite, on la connaît. Et la conclusion de la saga tient dans le titre du papier de Slate : Google Books a déjà gagné… la bataille de la numérisation du moins. Ni le droit territorial (vestige des usages capitalistes anciens), ni les cours de justice américaines ne pourront rien n’y changer. Google dispose désormais d’un stock inépuisable d’os à jeter aux chacals et aux chiens qui aboient sur son passage. Et contrairement à Microsoft qui s’est planté deux fois en essayant d’abord de verrouiller la propriété de la navigation puis de mettre un copyright sur le concept d’encyclopédie, Google a retenu la leçon et continue d’offrir une ouverture totale.

Alors on peut invoquer la paranoïa de la surveillance, pleurer sur le sort de l’édition de masse, se crisper sur le droit d’auteur, mais la réalité est brutale et incontournable : Google Books emporte le morceau sur la numérisation. Ses concurrents, réunis dans cette farce de l’Open Book Alliance, tentent maintenant de le combattre non sur le terrain de la digitalisation mais sur celui de la commercialisation. Ce qui met en relief la faiblesse des réactions et des gesticulations juridiques des groupes d’édition français, mais aussi allemands, anglais, espagnols et même américains. Les tribunaux européens n’ont pas l’ombre d’une chance et les sommes demandées, à titre d’exemple, par La Martinière sont ridicules dans les économies d’échelle d’une entreprise de la taille de Google. De leur côté, les cours de justice américaines ne statueront que sur le monopole du commerce du livre, pas sur celui du monopole de la culture et de sa diffusion…

Pendant ce temps, les groupes d’édition et les institutions ne feront rien. On se concertera. On se réunira. On fera des déclarations tantôt mitigées, tantôt fracassantes et on ne fera rien du tout… Car Google est devenu le parking des commerces du monde. Vous vous souvenez de : « No parking, no business ». Maintenant, il faudra dire : « No Google, no business ».
Enfin l’article de Slate laisse entendre que Google Books va tuer les libraires, les éditeurs et même les webstores de type Amazon grâce un Deus ex machina appelé la désintermédiation de la chaîne du livre. Cette rhétorique reprise par les communicants de l’industrie du livre traduite en bon français signifie surtout que si vous faites sauter le distributeur (qui est aussi le groupe financier qui détient les maisons d’éditions et qui contrôle toute la chaîne) c’est la fin du livre en librairie. C’est absurde.

Le distributeur est la raison de l’immobilisme et de l’agonie des libraires. Ces derniers ont tout à gagner à pouvoir bénéficier d’un catalogue robuste, complet, accessible et imprimable à la demande sans avoir à payer la marge exorbitante de l’intermédiaire dont la valeur rajoutée est marginale. C’est ce qu’Amazon et ses clones ont réalisé en éliminant purement et simplement les intermédiaires. C’est aussi ce que comprend Google en signant avec EBM et son partenaire catalogue, Lightning Source, filiale du géant américain de la distribution Ingram. Enfin, c’est le mouvement que Hachette essaye de suivre en signant lui aussi un accord avec Lightning source pour alimenter sa propre filiale numérique, Numilog.

Cette explosion de la chaîne de fabrication du livre profite à tous ceux qui composent la chaîne et pas à ceux qui la contrôlaient jusqu’à maintenant. Et contrairement à l’argument de Olivier Ertzcheid, l’aplatissement de la planète livre ne nivelle pas les différences éditoriales mais seulement les disparités de moyens techniques et financiers, introduisant en effet un nouveau type de capitalisme décrit par Yann Moulier-Boutang, mais surtout en permettant une démocratisation de l’édition elle-même.

Comme le métier de Google n’est pas de vendre de la recommandation comme Amazon mais de vendre des liens publicitaires. Et il lui sera toujours plus simple de vendre des liens vers des ouvrages physiques et des ouvrages numériques chez Amazon, ou chez l’éditeur ou même chez votre libraire de quartier (via ses outils de géo-localisation) que de devoir réinventer l’eau chaude, c’est-à-dire de faire le métier de l’éditeur. Pour Google, l’éditeur est également un utilisateur. Alors que l’intermédiaire de distribution est un obstacle obsolète.

L’article de Slate arrive naturellement à la conclusion provocante et apocalyptique du billet de Olivier Ertzscheid : la fin des livres et la fin des libertés ! Il faudrait quand même rappeler qu’il s’agit d’une hypothèse de travail et non d’une prédiction ou d’un scénario prospectif. Ne pouvant ni connaître les objectifs de Google Books, ni ceux de ses fondateurs, ni même avoir de certitudes dans l’actuelle situation de profonde mutation que subit le livre, une conclusion aussi décapante permettait de compter les points. Mais pour notre journaliste, cet état des lieu est devenu la forge d’une nouvelle mythologie… Dommage. ]]> http://owni.fr/2009/10/11/pourquoi-personne-ne-dit-non-a-google/feed/ 2 Le lecteur s’impose : de l’avenir pour l’édition numérique… [2] http://owni.fr/2009/10/06/le-lecteur-simpose-de-lavenir-pour-ledition-numerique-2/ http://owni.fr/2009/10/06/le-lecteur-simpose-de-lavenir-pour-ledition-numerique-2/#comments Mon, 05 Oct 2009 22:35:01 +0000 Pierre-Alexandre Xavier http://owni.fr/?p=4250 Ce billet est le deuxième d’une série consacrée aux transformations des métiers du livre. Ce deuxième volet s’intéresse à la montée en puissance du lecteur et au déclin du comptable.

La diffusion massive des outils de communauté(s), ou social media, transforme la nature des rapports que nous entretenons avec l’information et avec le savoir. D’une société de la connaissance relativement verticale, nous passons à une société de l’information très horizontale. D’une méthode de transmission et de diffusion décidée par un centre, nous passons à des méthodes de transmission et de diffusion multiples élaborées par le chevauchement de ces mêmes méthodes et par les usages qu’en font les utilisateurs. Cette transition a parfaitement été identifiée et intégrée par une firme comme Google qui joue sur ces leviers multiples permettant aux utilisateurs de faire triompher leurs désirs.

ecritoiresDans ce nouveau paysage de la dissémination et de l’échange des informations, la place centrale détenue hier par l’économie est très fortement restreinte, mais sans pour autant disparaître. Elle devient progressivement invisible et n’occupe plus la place déterminante de base comme le prouvent l’émergence de projets d’envergure mondiale dont le modèle de rentabilité économique reste encore à déterminer. Certains projets passent même l’essentiel de leurs temps de vie dans cet état de work in progress opérationnel, de version Beta perpétuelle, pour finalement devenir la propriété d’une compagnie ou d’une autre qui dépense sans compter pour ce qu’elle pense être la poule aux œufs d’or. Parmi les cas d’école : MySpace, dont le succès a été énorme, puis son rachat par Rupert Murdoch et puis son déclin rapide face à la montée en puissance d’un autre projet d’envergure : Facebook. L’économie ne règne pas sur le monde numérique, ou du moins pas comme elle le voudrait, comme dans le temps, de manière impériale et univoque.

Tous ces outils de mises en relation entre les individus, qui secondaient hier le téléphone et qui le supplante désormais totalement,
représentent une menace bien réelle pour les groupes financiers qui fondent leur économie sur la propriété culturelle. La fluidité et l’horizontalité des relations qu’ils imposent minent et contreviennent à toutes les règles verticales et hiérarchiques imposées par les méthodes traditionnelles d’exploitation des œuvres culturelles. Cela a été fulgurant et évident pour la musique. C’est également vrai pour le cinéma et la photographie. Pour des arts plus adaptés à une interaction dans l’espace comme la peinture, la sculpture, les spectacles vivants, la danse, le théâtre… les outils communautaires, et plus généralement le Web, offrent une porte d’entrée par cooptations, par relations, par affinités et parfois même par un travail pédagogique de proximité entre les connaisseurs et les curieux. Si la télévision et le divertissement restent les sujets de prédilection dans les échanges sociaux, les arts n’en sont pas absents, loin de là et sont aussi un signe de reconnaissance entre individus d’une même tribu.

Pour la musique, le cinéma et la photographie, les technologies de l’information ont également permis un partage total des ressources,
sans aucune limite physique de support ou d’espace. Cette capacité de partage a été complètement diabolisée par les détenteurs de droits qui l’ont immédiatement assimilée à du vol, à du piratage, tout en admettant qu’il pouvait y avoir des similitudes avec le prêt et l’échange qui préexistaient dans le monde de la distribution traditionnelle d’œuvres culturelles. Dans ces conditions quand est-il du livre ? Ce dernier est-il condamné à devenir également un objet immatériel qui pourra être disséminé dans le flux incessant des échanges numériques qui saturent le Réseau ? La réponse est évidente et il n’est pas besoin de s’interroger sur le support de lecture final pour formuler une conclusion. Le livre numérique sera lui aussi et de manière massive l’objet d’échanges, de partages et donc de piratages. Il l’est déjà aux Etats-unis où les ouvrages techniques et universitaires sont disponibles de manière systématique en version électronique peu de temps après leur parution papier, si ce n’est avant la sortie de cette dernière.

On peut polémiquer encore longtemps sur la nature du support final de lecture du livre numérique.
Ces querelles rejoindront celles des inconditionnels de la photographie argentique contre les adeptes des appareils numériques, ou bien des cinéastes de pellicule contre les utilisateurs de caméras numériques, etc. Ces débats parfois intéressants mais souvent stériles renvoient à des différents encore plus anciens sur d’autres innovations de l’histoire. Que ce soit sur papier (par impression à la demande, impression privée) ou sur un appareil électronique (ordinateur, tablette, netbook, lecteur électronique), cela ne changera rien à la volatilité acquise des livres numériques.

Ce qui change également et de manière radicale, c’est la place de chacun dans le dispositif du livre.
La chaîne de fabrication traditionnelle fortement Taylorisée (découpée en segments performants et les plus rentables possibles) a donné, et donne encore, une place très importante à l’économie et à ses experts. Mais l’irruption des technologies de l’information, un moment apprivoisée par l’industrie du livre, va débarquer les contrôleurs de gestion et les comptables pour rendre la place aux lecteurs. Ce phénomène gagne de l’ampleur à mesure que ces mêmes lecteurs s’engouffrent allègrement dans la brèche créée par les « médias sociaux ». Affranchi de l’engeance du plan média et des canaux traditionnels de diffusion et de partage de l’information, le lecteur tisse ses propres relations avec les œuvres qui lui sont présentées tantôt par affinité, recommandation, ou bouche à oreille électronique. Il/elle tisse également ses propres liens avec d’autres lecteurs dont il/elle partage les goûts et les lectures.

Demain, au cœur de l’économie numérique du livre, le lecteur s’impose comme le pivot de l’ensemble du secteur de l’édition.
Il se manifeste sous la forme de trois « avatars » :
— l’éditeur,
— l’auteur,
— le libraire.
Ces trois types de lecteurs seront les grands vainqueurs de la métamorphose numérique du livre. Dans un paysage technologique permettant la publication à des coûts marginaux et en offrant une personnalisation accrue, les lecteurs disposent de tous les outils nécessaires pour numériser l’œuvre, la conditionner, la diffuser en mode libre ou restreint, lui faire de la publicité localisée, massive ou confidentielle, l’intégrer dans un univers créatif et imaginaire, ou dans un univers technique et référencé. Le lecteur devient roi, et l’univers du livre lui est rendu dans toute sa dimension littéraire.

Mais résistons un instant à l’idéalisme technophile de cette approche visionnaire et revenons à des contingences plus immédiates.
On pourrait croire que les trois formes sont trois fonctions que le lecteur peut occuper tour à tour et devenir ainsi homme-orchestre du livre. Mais c’est oublier que ces formes ne sont pas que des rôles, elles sont aussi des passions et par extension des métiers. Il est probable que nous verrons dans l’économie numérique du livre apparaître des prodiges capables à la fois de produire une littérature de qualité, éditer par goût et avec intelligence la littérature des autres et ajouter à cela une grande capacité à organiser la vente numérique et/ou physique des ouvrages auprès du plus grand nombre. Ces prodiges seront fort heureusement rares. Mais il sera moins rare de rencontrer des auteurs-éditeurs ou des éditeur-libraires, ou même des auteurs-libraires. Pour rester pragmatique disons que l’édition est une affaire de collaboration(s). Car ce qui relient les trois facettes du lecteur, c’est la capacité imaginative et c’est aussi là dessus que s’articule le sens de toute entreprise. Se pose alors la question des moyens dont disposent les lecteurs pour construire cette économie nouvelle ?

Les équipements d’impression à la demande existent et sont développés depuis plus de dix ans par les plus grandes enseignes de la reprographie.
Nombre de prestataires d’impression proposent depuis plusieurs années déjà des services à des tarifs très compétitifs des impressions en petits tirages, voire en tirages uniques. Le Web 2.0 offre une panoplie d’outils intégrés (CMS) pouvant servir aussi bien de plate-forme de vente, de site de divulgation, de blog(s) et/ou de vitrine. Et les médias sociaux ouvrent des possibilités incontestées pour générer du bruit, des effets d’annonce, des communications virales et toutes sortes d’initiatives qu’il est déjà impossible de les consigner toutes. C’est à ces possibilités que s’attaquent aujourd’hui les lecteurs, c’est-à-dire une foule d’éditeurs indépendants, de libraires atypiques, d’auteurs visionnaires et d’excentriques en tous genres… Et les groupes financiers ne seront pas absents de cette recomposition à condition de calibrer autrement leur offre à la fois dans sa nature et dans sa complémentarité avec le travail des lecteurs.

Cette révolution n’ira pas sans résistances. Nous connaissons déjà celle des détenteurs de droits.
J’en ai parlé dans le premier billet de cette série. Et d’autres résistances sont à prévoir. Elles viendront à la fois de la nature conservatrice des institutions publiques en charge de valoriser et de défendre le patrimoine culturel. Elles viendront également des sociétés et syndicats civils ayant pour mission d’agréger les composantes professionnelles du secteur qui ne pourront que se cristalliser sur les méthodes traditionnelles et sur les codes en vigueur.
En même temps qu’ils devront s’approprier les outils et les espaces de travail, les lecteurs devront également convertir les institutions et les associations professionnelles. Par cette conversion à l’économie numérique du livre, il sera possible d’envisager une transformation des dispositifs de subventions, des mécanismes d’aide et des conventions de conservation et  de dépôt. Le plus difficile sera naturellement un chantier âpre concernant les droits de propriété intellectuelle.

Le processus que je décris ici n’est pas de l’ordre de la prospective. Il est déjà à l’œuvre partout. Les réactions françaises tant de la part des maisons d’édition que des institutions sont la preuve manifeste que la transformation a débuté. Mais pour l’instant, la mutation se fait un peu dans la douleur et le bébé a bien l’air de se présenter assez mal. Rien n’est perdu et les agitations et manœuvres guerrières des mastodontes de l’informatique et du Réseau ne peuvent absolument rien contre la barrière naturelle de tous les patrimoines culturels : celle de la langue. Il y a donc encore du temps pour mettre en place les articulations nécessaires à une révolution en douceur et profitable pour tous.

Le livre est une affaire de lecteur(s).
Pendant une courte période (moins d’un siècle), les marchands ont crû pouvoir s’approprier le livre comme objet d’une économie de masse. Les avantages notables et bénéfiques ont été de permettre une éducation et une information de masse. Mais les effets pervers ont été nombreux et indésirables. Avec l’explosion numérique, le livre cesse de nouveau d’être une affaire de comptables et de commerçants pour redevenir une affaire de lecteur(s). Il n’y a rien à déplorer dans ces mutations successives. Elles apportent toutes leur lot de bénéfices. Il faut en revanche, le moment venu, les accepter sans se crisper, ni tenter de s’enchaîner au passé. Comme lors d’un deuil, il faudra lâcher prise et tourner la page.


N.B. : Dans ce billet, j’ai employé très (trop) souvent le masculin pour désigner le lecteur et ses avatars. Cela n’est pas la marque d’un caractère sexiste, mais la triste réalité d’une langue et d’une culture. Je reconnais volontiers le rôle majeur des femmes dans l’univers du livre, dans toutes les formes de la lectrice et dans toutes les langues que j’ai la chance de comprendre. Je compte sur leur bienveillance et leur indulgence.

]]>
http://owni.fr/2009/10/06/le-lecteur-simpose-de-lavenir-pour-ledition-numerique-2/feed/ 1
Tout doit disparaître : de l’avenir pour l’édition numérique … [1] http://owni.fr/2009/09/30/tout-doit-disparaitre-de-l%e2%80%99avenir-pour-l%e2%80%99edition-numerique-%e2%80%a6-1/ http://owni.fr/2009/09/30/tout-doit-disparaitre-de-l%e2%80%99avenir-pour-l%e2%80%99edition-numerique-%e2%80%a6-1/#comments Wed, 30 Sep 2009 10:39:29 +0000 Pierre-Alexandre Xavier http://owni.fr/?p=4052 Ce billet est le premier d’une série consacrée aux transformations des métiers du livre. Le premier s’intéresse au rôle des grands groupes d’édition.

L’explosion numérique, doublée de l’explosion de la communication, bouscule le monde de l’édition. C’est le moins que l’on puisse dire. Mais curieusement, plutôt que de chercher à comprendre quels sont les termes et les changements qui vont s’opérer dans les prochaines années, les tenants de titres sont obsédés par les causes de la bousculade et cherchent plutôt à réduire, ou tout du moins à minimiser, de nouveaux risques. Le regard tourné vers le passé et le dos au futur immédiat, les groupes d’édition européens et anglo-saxons espèrent résister et conserver l’intégrité de leurs univers derrière un bouclier juridique obsolète, localisé et impraticable du point de vue planétaire.

Pourtant, cette double explosion ouvre pour tous les acteurs du métier du livre des perspectives sans précédents. C’est peut-être cette caractéristique de nouveauté absolue qui empêche les professionnels installés de réfléchir en termes autres que ceux qu’ils ont eux-mêmes forgés dans un passé relativement lointain. Cette culture professionnelle est au cœur de la viscosité naturelle que le monde de l’édition produit afin de faire fonctionner son activité dans le cadre d’une certain nombre de règles.

Au risque de simplifier mais afin de permettre au plus grand nombre de comprendre les mécanismes élémentaires des métiers du livre, essayons de cerner ensemble (au travers d’éventuels commentaires) les axes du monde de l’édition.
La publication d’un livre s’articule :
— sur la mise en relation d’un auteur et d’un éditeur,
— sur la cession de droits d’exploitations de l’auteur envers l’éditeur,
— sur la production et la commercialisation de l’œuvre de l’auteur auprès d’un groupe identifié (ou non) de lecteurs.

Jusqu’ici, cette chaîne reposait sur une certaine lenteur des échanges. Et même si l’explosion de la communication a précédé l’explosion numérique, une véritable accélération ne s’est produite qu’à partir du moment où les auteurs ont pu accéder à un espace d’exposition public sans le concours direct de l’éditeur.

Le tableau ne serait pas complet sans parler de l’édition indépendante (bien qu’il faudrait préciser de qui elle est indépendante). Cette dernière embrasse une myriade d’éditeurs, c’est-à-dire des personnalités, capables de mobiliser du temps, des ressources et des moyens pour publier des textes ou des objets qui les passionnent. Et cela en dehors des circuits de distribution de masse et de leurs règles et techniques de vente. L’édition indépendante se comporte ainsi comme un composant contrariant qui vient apporter le lubrifiant vital et propre à maintenir la viscosité de l’ensemble de la sphère du livre, l’empêchant de sombrer dans une paralysie partielle ou totale.

Dès les débuts du Web 2.0, les éditeurs indépendants se sont emparé des outils et ont commencé leurs activités favorites : les expérimentations. Que ce soit pour agréger du talent, des avis, des lectures, des critiques ou encore des participations, les indépendants ont tiré parti de toutes les innovations techniques qui émergeaient. Ils/elles ont également tenté d’intégrer ces outils dans la culture du livre, avec plus ou moins de succès et en combattant toutes sortes de résistances et de conservatismes, confinant parfois à la stupidité. Ils/elles ont souvent payer cher leur indépendance.

La prise en main des médias numériques par les grandes multinationales du secteur a été considérablement plus lente, au point qu’elle n’est toujours pas complètement réalisée à ce jour. Cette lenteur propre aux grands dinosaures d’une époque révolue n’a pas empêché ces mêmes multinationales de s’arroger les services de certain(e)s éditeurs indépendants ou de consultants suffisamment vifs pour devancer et anticiper les changements en cours. Mais une fois englués dans les corporatismes inhérents, ces derniers ont dû poursuivre le combat en multipliant les contraintes et les obstacles.

Ce petit jeu s’est considérablement modifié de par l’intrusion d’acteurs étrangers aux métiers du livre puis l’invasion du secteur par les géants du Web. Il est inutile, dans ce billet, de revenir sur l’impact ni l’histoire de cette invasion, ni sur les multiples réactions épidermiques ou inexistantes qu’elle a générées. Ces brèches ouvertes par les Google, Amazon et consorts, ont créé de multiples opportunités pour des acteurs restés dans l’ombre depuis assez longtemps. C’est ainsi que les bibliothèques, parents pauvres de l’activité du livre, se sont retrouvées sur le devant de la scène, assises sur un tas d’or mais désarmées devant tant de sollicitude. C’est ainsi aussi que les auteurs, les éditeurs et les porteurs de projets se sont également retrouvés observés car susceptibles de démontrer davantage d’indépendance vis-à-vis des cadres traditionnels. C’est ainsi enfin que les anciens prestataires de services des grosses maisons se sont retrouvés à proposer du service à la personne : auteur, éditeur, créateur… et même lecteur !

Les seuls à ne pas comprendre réellement les enjeux et à rester à la traîne semblent être une bonne majorité des journalistes qui réfléchissent en termes de gain/perte, émergence/disparition, vainqueur/vaincu. Et s’il est vrai que la période est à la guerre (commerciale et culturelle), les termes et les issues possibles ne se mesurent pas en dommages et en destructions, bien au contraire. Ce qui se joue est la visibilité (et donc l’accès) et l’invisibilité (et donc la détention) des biens et des services liés au livre. Le passage d’une partie des prérogatives traditionnelles dévolues aux maisons d’édition vers le domaine public est le théâtre des opérations.

Le premier des enjeux au centre des combats est la propriété intellectuelle. Conçue à une époque où l’exploitation s’étendait sur une période assez longue de plusieurs générations, les règles et les codes de propriété intellectuelle heurtent de plein fouet les modèles de droits partagés, la gratuité, la réduction radicale des délais d’exploitation, la concurrence accrue en volume et en qualité et à un renouvellement si rapide que personne ne peut plus suivre le rythme. Il apparaît assez clairement que le droit de propriété intellectuelle doit se modifier en profondeur et surtout se négocier à un niveau international en prenant en compte la diversité des usages du public et des formes d’expressions des auteurs.

Le deuxième enjeu est la structure de la chaîne de fabrication et de publication du livre. Aujourd’hui, la chaîne du livre est encore pensée selon un modèle linéaire et même romanesque allant de la rédaction de l’œuvre jusqu’à sa publication en librairie. Et bien que les spécialistes du marketing, toujours à l’affût d’un gain plus immédiat, aient introduits des principes de raccourcissement de la chaîne, cela n’a rien à voir avec l’absence de chronologie prédéterminée du web, avec son horizontalité, sa capacité d’interaction ou encore avec la dématérialisation de l’œuvre originale qui peut, tour à tour, se manifester sous la forme du livre, du film, de la BD, du récit interactif, et de bien d’autres encore. Les grandes maisons ne peuvent plus concevoir l’édition comme une agrégation centralisée et concentrée autour de la capacité de diffusion physique du livre, ni comme une extension d’un volant d’activités médiatiques.

Ce qui amène tout naturellement au troisième enjeu, celui de définition de la mission de chacun des acteurs dans le monde du livre. Jusque ici le modèle pyramidal traditionnel de la maison d’édition assujettissait l’ensemble des corps de métiers participant à la publication d’une œuvre. Les questions esthétiques et éditoriales s’effaçaient derrière les contraintes techniques et commerciales. La maison d’édition était conçue comme une entreprise industrielle particulière par le type d’objet qu’elle fabriquait. Mais avec l’explosion numérique, la pyramide explose également. Les nombreuses composantes du métiers n’ont plus l’obligation d’être intégrés dans un dispositif traditionnel pour porter des projets d’édition sur lesquels ils pourront eux aussi agréger des talents indépendants et des moyens techniques allégés par la numérisation.

Les groupes d’édition vont-ils pour autant disparaître ? C’est très improbable. Cependant, ils vont devoir s’adapter à une grande volatilité des composantes même de la chaîne du livre et sortir du schéma industriel pour entrer très probablement dans un schéma purement financier. Cela n’a rien de nouveau. Ce qui est nouveau sera d’accepter une nouvelle forme de concurrence et une plus grande part de risques. C’est ce à quoi les sociétés de production audiovisuelle sont confrontées depuis plusieurs décennies aussi bien pour la télévision que pour le cinéma et maintenant pour le web. Les sociétés de production audiovisuelles sont devenues des banques d’affaire spécialisées, cédant la place aux professionnels indépendants pour tous les aspects techniques de la production. Il est tout à fait probable que les grandes maisons d’édition européennes suivent ce même chemin, d’autant qu’elles ont à leurs têtes des spécialistes de la finance plutôt que des éditeurs de terrain. Toutefois, ils leur faudra combattre le contre-exemple déplorable de la musique où les majors continuent de s’accrocher à des principes de propriété artistique dépassés et des mécanismes de marché totalement déconnectés de la réalité.

Une telle transition permettra aux groupes d’édition actuels de développer leur activité financière et de proposer des modèles d’investissements multiples selon les projets éditoriaux, les talents et les œuvres. Ils devront pour cela abandonner le contrôle qu’ils exercent sur la distribution. Ils pourront prendre exemple sur les majors du cinéma américain ou sur les groupes média japonais, ou encore créer un nouveau type d’acteurs du livre au niveau international.

La question est de savoir combien de temps il faudra aux groupes d’édition européens pour comprendre et accepter la nouvelle donne, puis commencer à transformer leur métier. Car la crispation sur des affrontements juridiques ne va pas dans le sens d’une évolution des pratiques du monde de l’édition. La feinte ignorance des courants qui agitent la profession n’est pas non plus un signe encourageant. Enfin, occulter les nombreuses expérimentations du monde des éditeurs indépendants et des nouveaux entrants apparaît comme une politique de l’autruche nuisible à l’image et à la crédibilité des groupes d’édition. Ces stratégies perdantes pourraient finir par entamer durablement et surtout négativement les relations que les groupes d’édition entretiennent avec les créateurs et avec les prescripteurs de leur secteur d’activité.

Il est temps pour les groupes d’édition français, et plus généralement européens, de changer de discours et peut-être d’amener de nouvelles idées à une prochaine rencontre internationale. Et pourquoi pas au salon du livre de Paris 2010 qui, jusque ici, ne s’annonce pas sous les meilleures auspices ?

> Article initialement publié sur Temps Futurs, un blog interne à la soucoupe

> Illustration via “brewbooks” sur Flickr

]]>
http://owni.fr/2009/09/30/tout-doit-disparaitre-de-l%e2%80%99avenir-pour-l%e2%80%99edition-numerique-%e2%80%a6-1/feed/ 0