Ce soir, en première partie de soirée sur France 5, est diffusé le deuxième documentaire du duo Brigitte Rossigneux / Stéphane Horel. Après Les médicamenteurs , voici Les alimenteurs dont la bande-annonce est à retrouver sur le site de France 5. Centré sur les conflits d’intérêt et les lobbies de l’agroalimentaire, ce 52 minutes met en lumière les risques sanitaires issus de ce que nous mangeons. Owni a rencontré Stéphane Horel, la réalisatrice, qui raconte les coulisses et les raisons de leur travail.
Brigitte [Rossigneux, NDLR] et moi avions déjà travaillé ensemble pour Les médicamenteurs – diffusé en juin 2009 sur France 5 – un an avant le début du scandale du Mediator et c’est un des premiers documentaires qui parlait du conflit d’intérêt en médecine. Nous avions fait ça ensemble. Brigitte, travaillant depuis trente ans au Canard, suit ces questions-là. Moi je travaillais sur la pollution et les perturbateurs endocriniens. Avec Brigitte, on se connaît depuis plusieurs années, nous sommes amies et nous travaillons ensemble. Je ne sais plus comment est venue l’idée exactement. Mais c’est la suite logique du premier film. Je travaille aussi sur les conflits d’intérêt en santé publique, donc ça paraissait naturel de passer après les médicamenteurs aux alimenteurs.
Ça prend toujours très longtemps, mais au départ il y avait l’idée de recommencer avec cette question de conflit d’intérêt dans un thème de santé publique. Avec la nourriture, c’est idéal. On s’y intéresse, moi je m’y intéresse, je fais attention à ce que je mange, je lis les étiquettes et je me pose des questions comme tout le monde. Ça concerne encore plus de de monde que les médicaments, il y a cette espèce de prise d’otage qui fait qu’on est obligé de manger trois fois par jour. Les gens n’ont pas le choix. Et pas forcément les moyens non plus de n’acheter que du bio. J’ai pour principe de ne pas manger ce qui a, collé sur l’emballage, une étiquette que je ne comprends pas. C’est Michael Pollan, le journaliste chroniqueur qui disait dans son livre : “n’achetez jamais ce que votre grand-mère ne pourrait pas ajouter comme ingrédient”.
Il y a un même boulot d’enquête au départ. Notre première question ça a été : est-ce qu’on fait les alimenteurs sur le même principe au départ que les médicamenteurs ?
Ça pourrait vouloir dire qu’on avait un a priori. Mais je sais comment fonctionne le système des conflits d’intérêt en santé publique. Le temps de tournage est limité par le budget, lui-même limité. L’animation coûte aussi très cher. Donc il a fallu aussi tourner vite. Quinze jours de tournage en octobre 2011, c’est très peu. Puis le montage, avec peu de rushes, en tout cas moins que quand on reste plus longtemps sur le terrain. Et puis entre tournage, montage et diffusion, ça a été court ! Moins d’un an c’est plutôt bien. Et c’est mieux que pour le précédent.Brigitte précise que des industriels ont refusé de nous rencontrer. Nous n’avons pas essayé qu’une seule fois ! On a commencé en septembre pour caler les tournages. Nous n’avions pas de réponse, des “peut-être”, Jean-René Buisson [Le président de l'Association nationale des industries alimentaires, Ania, NDLR] est très pris… Et puis je leur ai dit : “voilà mon chef op’ part en vacances dans une semaine donc soit vous nous dites que vous ne voulez pas nous rencontrer, soit il est d’accord, soit je vous rappelle tous les deux jours”. On a fini par envoyer un courrier avec accusé de réception pour vraiment dire “on vous a contacté”. Ils n’ont jamais répondu.
Au départ, on a contacté l’Ania, puisque c’est le porte-parole des entreprises. Les entreprises individuellement ne s’expriment plus. Puis j’ai essayé Danone, Nestlé, Ferrero et je n’ai jamais eu de réponse ou des fins de non recevoir. J’ai aussi demandé de tourner dans des usines. J’ai beaucoup argumenté : ça fait des siècles que les gens ne voient plus comment sont fabriqués les aliments qu’ils mangent ! Il ne faut pas s’étonner que les consommateurs paniquent quand ils entendent qu’il y a un germe dans un steak haché. Il n’y a pas de problème d’hygiène, on le sait. Notre film ne porte pas sur l’hygiène. Je voulais juste filmer des céréales du petit déjeuner, je n’ai jamais vu comment ça se fabrique. Une usine qui fabrique des céréales c’était bien. Mais tous n’ont pas été réfractaires.
Une lobbyste qui a dit “oui” tout de suite. J’ai été agréablement surprise. Linda Pavy est américaine et vient de cette culture où on n’a pas de problème pour dire les choses. Je lui ai posé toutes les questions possibles et elle a été et est toujours fairplay. Elle ne m’en veut pas de faire mon travail. C’est ça la différence avec l’état d’esprit de l’Ania : ils restent dans leurs tranchées et c’est ridicule. C’est une position grotesque.
Il y a eu aussi avec les ministres que nous avons eu de la chance. Ce sont nos relations de travail avec les ministères qui ont joué. Qu’on avait déjà eu pour d’autres questions. Bruno Lemaire, on ne le connaissait pas, ni Brigitte, ni moi, mais il a dit oui parce que le sujet l’intéressait. Xavier Bertrand, il avait eu affaire indirectement à Brigitte avec le Médiator. Et puis Roselyne Bachelot, elle a entendu parler de notre boulot aussi. Elle avait refusé l’interview pour les médicamenteurs, peut-être qu’elle ne voulait pas se retrouver à nouveau dans cette position. Là, elle balance !
Ils ont tous répondu. Il y en a deux qui nous ont dit qu’ils n’avaient aucun – ou plus de – conflit d’intérêt. Arnaud Basdevant les a énuméré. Gérard Pascal travaille pour Nestlé et l’ILSI [International life sciences institute, NDLR]. Serge Hercberg dit qu’il n’a pas de conflit d’intérêt patent et Pierre Meneton est celui qui sourit en disant qu’il est ”juste payé par le contribuable”. Ils ont répondu à toutes les questions, oui. Gérard Pascal dit que ça influence de travailler pour l’industrie, il est extrêmement franc par rapport à ça. Ce que nous reprenons avec les logos dans le documentaire, c’est lui qui nous l’a dit. Après pour le souligner dans le documentaire, il a fallu trouver un procédé visuel permettant de préciser ce à quoi ils appartenaient ou avaient appartenu. C’est un peu violent pour les personnes intéressées. Il fallait qu’on trouve une solution pour visualiser les missions sans perdre dix minutes.
Nous avons fait quelques découvertes mais nous savions la majorité. Encore Gérard Pascal, il est à la retraite maintenant. Donc il n’a plus à mettre à jour ses déclarations d’intérêt. Il fait du conseil auprès de l’INRA, qui n’est pas dans cette culture-là du tout. Il n’y a pas de loi qui les oblige à ça.
Il y a beaucoup d’entreprises privées qui financent les recherches publiques. Le problème principal, ce n’est pas le conflit d’intérêt mais l’origine même du financement de la recherche. Il y a les contrats individuels d’une personne avec une entreprise et il y a aussi l’orientation des contrats de recherche : le lobby du sucre ne vas pas orienter une recherche sur l’obésité. Le financement biaise les résultats. Par exemple pour les médicaments, une étude financée par un laboratoire a quatre fois plus de chance d’être positive pour le médicament que si elle avait été faite dans le cadre d’une étude indépendante. Mais la transparence seule ne suffit pas. On peut voir les conflits d’intérêt sur des déclarations mais les conflits sont toujours là.
C’est une question très complexe, la base de notre réflexion c’est la démission du secteur public de la recherche. C’est ce que disent les rédacteurs de Prescire pour les médicaments, c’est ce que dit Pierre Meneton sur la recherche. Le public a démissionné de la recherche. Quand on laisse les entreprises privées rentrer dans les universités par exemple… ou que la condition pour le grand emprunt c’est d’avoir au moins un partenariat avec le privé. On marche sur la tête. C’est l’inverse de ce qu’il faudra faire pour l’intérêt général et la santé publique.
Oui c’est pessimiste, c’est pour ça qu’on essaye de mettre un peu d’humour… Après, que ce soit vain, c’est une des questions évidemment que je me pose. Vus les sujets sur lesquels je travaille, “à quoi ça sert que je me décarcasse ?”. J’ai profondément besoin de sens dans mon travail. Ces domaines là sont un peu abandonnés, désaffectés par les journalistes alors que ça a un poids assez important ! 60 % des lois, à peu près, dérivent des lois de l’Union européenne. Quand on voit que les perturbateurs endocriniens, ça fait vingt ans que les chercheurs disent “ok, il y a un problème”. En 1999, la Commission [européenne, NDLR] avait dit “il faut qu’on s’y mette, peut-être qu’il se passe un truc grave”. L’industrie a entretenu un faux débat en polluant la science et en faisant du lobbying. Et en 2012, on en est à “ce serait bien qu’on fasse une définition des perturbateurs endocriniens” pendant des conférences qui durent deux jours. Alors que ce n’est plus un débat seul qu’il faut faire. On a un degré de connaissance scientifique pour prendre des décisions. Et on le fait pas.
Mais évidemment si je pensais que ça servait à rien, je ne travaillerais pas. Là où je me dis que ça sert à quelque chose c’est que, par exemple, les médicamenteurs ont bien tourné. Je fabrique des outils pour informer les gens. Ce n’est pas nous qui organisons les rencontres mais les gens, les associations locales, les petits festivals de documentaire “écolo” au sens large et qui peuvent programmer les films, ça permet à plein de gens d’échanger. Le principal c’est que les gens se sentent un peu moins désarmés quand ils font leurs courses. Et aussi pour savoir pour qui ils votent. Je ne fais pas des films de sciences ou de santé, je fais des films politiques.
—
Illustration Copyright (c) BCI Communication
]]>L’Open Data est en passe de se démocratiser et peut surtout se décliner à l’envi dans plus ou moins n’importe quel domaine, touchant l’intérêt général.
Mais il est une base de données qui n’existe pas et qui concerne en moyenne trois fois par jour la majorité des terriens : celle sur l’alimentation et les composants de produits transformés – appelés unanimement ingrédients sur les étiquettes des produits que nous consommons chaque jour. Loin des stratégies de com’ des géants du secteur, Open Food Facts a décidé d’ouvrir la porte de l’Open Data alimentaire. Et de constituer une des bases les plus complètes en matière d’information nutritionnelle et de composition des aliments, consultable et exportable pour une exploitation exhaustive des données, en toute liberté.Pour l’alimentation, Open Food Facts a décidé d’entamer sa première opération avec l’agrégation de données sur la composition des sodas. Une collecte de données se déroule à partir de ce lundi et jusqu’au 24 juin. Elle a pour but de répertorier toutes les données relatives aux différents sodas pour qu’Owni puisse réaliser une datavisualisation. Par exemple, votre soda a-t-il la même composition qu’il soit acheté dans les DOM-TOM ou en métropole ? En fonction du lieu de production ? Quels additifs chimiques y trouve-t-on ? En quelles quantités selon la législation en vigueur ?
Jean-Marc Ayrault, notre nouveau Premier ministre, a déterminé des valeurs déontologiques à respecter par les ministres. L’Open Data en fait partie, de manière explicite. Pourrions-nous rêver à ce que le ministère de l’agriculture et celui de la santé trouvent un intérêt à suivre cette belle intention et permettent une ouverture des données plus fringante que par le passé ? Les bases de données concernant les additifs, les composants naturels et le reste pourraient alors être rendus publiques et exploitables. Pour le bien commun.
L’industrie agro-alimentaire a ce défaut qu’elle est plus opaque que le nucléaire. En atteste la base de données de l’Observatoire de la qualité de l’alimentation (Oqali) créée en février 2008, et dont l’équipe – cordiale – de communication a répondu à Owni, il y a quelques semaines :
Bonjour,
La base de données Oqali n’est pas accessible librement. En revanche, des informations sur la base Oqali, son contenu et plus généralement sur le projet sont consultables sur le site internet : www.oqali.fr, dans les rubriques “Base de données Oqali”, “Partenaires”…
Bien cordialement,
L’équipe Oqali
Les partenaires du programme sont visibles sur le site d’Oqali mais la composition de chaque aliment n’est pas publique. Et donc encore moins exploitable. Parmi ces partenaires, les grands groupes tels que Kellogs, Andros, Nestlé, Mars, Lu, Ferrero, Pepsico. Qui renseignent, outre la composition de leur produit, les nouveaux produits et ceux retirés de la vente.
Digne de l’intérêt général et entrant dans le champs de la santé publique, l’accessibilité des données permet à tout citoyen de consulter la composition de ce qu’il ingère au quotidien. Et de faire un choix plus éclairé qu’il ne peut le faire sans cet outil. Rendre les données sur l’alimentation permet aussi dans une moindre mesure de prendre conscience que les relations entre industriels et décisionnaires de la santé alimentaire ne sont pas dénuées de conflits d’intérêts.
Récemment, Diana Banati, l’ancienne président de l’Agence européenne de sécurité alimentaire (EFSA), deux ans après le scandale soulevé par José Bové au Parlement européen sur ses relations avec le plus gros lobby mondial de l’agroalimentaire, l’International Life Sciences Institute (ILSI), a démissionné de son poste à l’EFSA. Pour … prendre des fonctions de direction à l’ILSI Europe.
Autre exemple, la Californie a rappelé à l’ordre Coca en mars dernier. Soupçonné d’introduire un caramel provocant des cancers et leucémies chez les rats, Coca n’a pas hésité à se défendre en s’appuyant sur une étude de l’EFSA, plutôt très liée avec l’ILSI. ILSI qui a été présidé entre 1978 et 1991 par l’un des vice-président de Coca-Cola.
Avec l’Open Data dans nos assiettes, les conflits d’intérêts ne seraient pas ramenés à zéro. Mais le choix d’un aliment au détriment d’un autre pourra se faire moins à l’aveugle qu’auparavant. Un pari auquel nous sommes sensibles, comme le rappelait récemment sur son data blog l’équipe des journalistes de données d’Owni :
Grâce à cette conscience collective et par le fait de la fabuleuse interconnectivité permise par internet, des données éparpillées balisant le quotidien de l’humanité se constituent, des réflexes de nomenclatures complexes voient le jour, le grand catalogue des faits s’enrichit dans un mouvement silencieux et continu. Chacun se prend au jeu de l’accès libre aux données, encouragé par l’impression commune qu’internet est le porte-drapeau de la liberté et de la gratuité. Le sentiment diffus que les informations appartiennent à tous, comme une deuxième lame de la glasnost gorbatchevienne, conduit aujourd’hui à une véritable popularisation du concept de libération des données publiques (“Open Data“) et privées, premier étape/étage de la transformation générale vers une démocratie – ou gouvernance – ouverte (“Open Gov“). Dont le journaliste de données est par essence et par usage un fervent militant.
Pour suivre l’opération sur Facebook : par ici.
Photo par Thomas Hawak [CC-bysa] via da galerie Flickr
]]>