OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 T’oublies or not to be http://owni.fr/2011/02/16/toublies-or-not-to-be/ http://owni.fr/2011/02/16/toublies-or-not-to-be/#comments Wed, 16 Feb 2011 08:24:22 +0000 xochipilli http://owni.fr/?p=34084 L’oubli nous évoque un phénomène inévitable, une sorte de dégradation naturelle de la mémoire comme l’érosion qui effacerait des traces sur le sable. Alors que la mémoire semble être le propre du vivant, un courageux effort contre-nature, on associe plutôt l’oubli au monde de l’inerte, à la nature qui reprend ses droits après la mort. L’analogie est tentante mais trompeuse. Je vous avais déjà raconté dans ce précédent billet sur les trous de mémoire combien l’oubli est un processus plus subtil que ça. Non seulement on peut oublier sur commande mais surtout l’oubli nous est bien utile pour s’adapter au changement, nous évitant le blanc devant le distributeur de billets lorsque notre code confidentiel a changé. Au hasard de mes lectures j’ai découvert bien d’autres cas où l’oubli s’avère être un auxiliaire à la fois discret et précieux de notre mémoire…

Le Babel des babils

Avant les années 1970, on pensait qu’un bébé apprenait sa langue maternelle à partir d’une page blanche, et que ce n’était qu’à force d’entraînement que son oreille parvenait à reconnaître tel ou tel son. Or on s’est rendu compte que dès l’âge de un mois un bébé sait distinguer des sons très proches comme “ba” ou “pa”. Et puis, en 1985: on a découvert qu’à six mois des bébés anglais pouvaient faire la différence entre des phonèmes étrangers (le Ta ‘rétroflexe’ et le ta ‘non rétroflexe’ en Hindi, ou deux phonèmes ki/qi tout aussi exotiques en langue Salish) qu’un adulte ne sait même pas distinguer! Cette capacité diminue avec l’âge et disparaît vers 12 mois: l’inverse exact de ce à quoi on s’attendait:

Contrairement à ce que l’on aurait pu croire, un bébé naîtrait donc avec une capacité innée à distinguer une très large gamme de phonèmes, une espèce de grammaire universelle, commune à toutes les langues. L’apprentissage d’une langue maternelle le contraint paradoxalement à “oublier” tous les sons non-significatifs afin de mieux se focaliser sur ceux qui sont pertinents. A six mois les voyelles non usuelles passent à la trappe et à un an c’est le tour des consonnes. Peu à peu les subtilités des autres langues disparaissent de son oreille et sa petite tour de Babel intérieure se volatilise progressivement. Une fois adultes les espagnols ne distinguent pas un v d’un b ou un u d’un ou, que les français n’entendent rien aux différents r hollandais, que les japonais confondent l et r, que les allemands ne font pas la différence entre b et p, s et z etc. Le mot “barbare”ne désignait-il pas pour les Grecs tous ceux qui s’exprimaient par onomatopées “bar-bar-bar”?

Ils se ressemblent tous!

Le même phénomène de désapprentissage est à l’œuvre pour ce qui concerne la reconnaissance des visages.

Les visages utilisés dans le test

Pourquoi confondons-nous les visages des Asiatiques ou des Africains? Cette difficulté à reconnaître les faciès des autres ethnies n’est pas liée à nos préjugés ou à notre mauvaise volonté car on la retrouve chez tous les peuples: pour un chinois, tous les visages européens sont identiques. Or cette indiscrimination n’est pas innée: les nourrissons de trois mois sont tout à fait doués pour distinguer les traits d’une grande variété de visages africains, chinois, européens ou du Proche-Orient. A mesure qu’ils grandissent, les bébés se focalisent sur les types de visages auxquels ils sont fréquemment exposés et ils perdent leur capacité à différencier les autres ethnies. A neuf mois les enfants sont devenus incapables de distinguer des visages qui ne sont pas européens. Cet étrange désapprentissage serait le prix à payer pour reconnaître très rapidement les membres de sa propre ethnie et y focaliser ses capacités d’identification. Comme pour les langues étrangères dont on n’arrive plus à percevoir les subtilités, on range mentalement les visages des autres ethnies dans la catégorie “pas de chez moi”, sans pouvoir les distinguer les uns des autres.

Oublier la symétrie gauche-droite pour pouvoir lire

Nous sommes câblés pour assimiler un objet à son image dans un miroir car à part le croissant de lune dont l’orientation indique si elle est croissante ou décroissante, la plupart des objets naturels se présentent indifféremment sous leur profil droit ou gauche. C’est la raison qu’avance Stanislas Dehaene pour expliquer pourquoi les enfants qui apprennent à écrire ont souvent tendance à tracer leurs lettres à l’envers, comme dans un miroir, et confondant les b et les d, les p et les q. Pour apprendre à lire et à écrire il faut donc là aussi désapprendre à considérer comme équivalents la gauche et la droite…

Oublier, ça s’apprend!

Apprendre à vivre c’est aussi pouvoir surmonter ses peurs et ses angoisses, savoir oublier un aboiement effrayant, un chagrin d’amour ou une grosse frayeur à vélo. La manière dont un souvenir s’atténue dans notre mémoire est là encore assez différent de ce qu’on pourrait imaginer intuitivement.

Si vous entraînez un rat à avoir peur d’un son particulier en lui administrant un petit choc électrique chaque fois qu’il l’entend, vous pouvez assez facilement le “déconditionner” en l’exposant au son sans le choc, ou mieux en y associant de la nourriture. Au bout d’un moment, le son n’effraie plus notre ami le rat. Le conditionnement initial a-t-il été oublié? Pas du tout bien sûr: il revient au galop si longtemps après vous associez à nouveau un choc électric au son. Le conditionnement était simplement masqué, prêt à reprendre du service à la moindre alerte. L’observation de son petit cerveau confirme qu’après déconditionnement la peur originale est toujours bien présente (dans l’amygdale cérébrale, vous vous souvenez? On en avait parlé dans ce billet), mais qu’elle est inhibée par une autre zone du cerveau (le cortex préfontal). Ce qu’on prend pour de l’oubli est en réalité un nouvel apprentissage qui réfrène le premier comportement réflexe. D’ailleurs, en cas de lésion dans cette aire préfrontale, l’animal reste tout à fait capable d’apprendre une  nouvelle peur conditionnée, mais il est beaucoup plus difficile à déconditionner.

Pareil chez nous, les humains: on n’oublie pas une expérience traumatisante en effaçant ses traces de notre tête comme si c’était une ardoise. Un tel souvenir ne s’oublie pas, il s’apprivoise tout au plus. Pour qu’il perde un peu de sa charge émotionnelle et cesse de nous griffer, il faut apprendre à lui associer d’autres expériences positives ou neutres: remonter en selle tout de suite après sa chute, revenir sur les lieux d’un drame personnel, parler de ce qui nous a blessé etc. Bon, je ne me moquerai plus de ces fameuses “cellules d’aide psychologique” qu’on déploie de toute urgence dès qu’il y a une catastrophe quelque part…

Pas évident d’oublier dans le fond de son cerveau…

Credit: Deborah Hannula

Vous avez sans doute déjà joué à essayer de deviner l’objet qu’on a retiré d’une pièce ou d’une table que vous aviez bien observée au préalable? Et bien même si vous ne connaissez pas la réponse, vos yeux se poseront inconsciemment plus longtemps à l’endroit de l’objet manquant. On a fait l’expérience avec des volontaires à qui l’on a présenté 216 photos montrant des visages devant un paysage. Ensuite on demandait aux participants de choisir parmi trois visages, lequel ils avaient vu face à ce paysage. Pendant qu’ils réfléchissaient, les chercheurs ont analysé la direction de leur regard et ont découvert que lorsqu’ils regardaient au bon endroit, leur hippocampe (la petite zone du cerveau en charge de la mémoire) s’activait pile à ce moment précis, même s’ils optaient finalement pour un mauvais choix par la suite. Ils en ont conclu que le souvenir était bien présent physiologiquement, mais insuffisamment fort pour réveiller la conscience et faire le bon choix.

Oublier signifierait donc tantôt masquer, inhiber un souvenir, tantôt en perdre l’accès à la conscience. De la même façon “qu’effacer” un fichier informatique ne signifie pas gommer chacun des bits qui le compose mais supprimer l’index qui permet de les retrouver et de les mettre dans le bon ordre. Tout comme les experts arrivent à récupérer certains fichiers effacés par erreur ou malveillance, il arrive qu’une stimulation profonde de certaines zones du cerveau fasse ressurgir puissamment un souvenir qu’on avait complètement oublié. Drôle de bestiole décidément que l’oubli: il se niche là chez les nourrissons, lorsqu’on penserait qu’il n’y a rien à oublier et il se dérobe là où la mémoire semble justement faire défaut. Homer Simpson, grand connaisseur de l’âme humaine, avait raison: l’oubli est indispensable pour apprendre:

Cliquer ici pour voir la vidéo.

>> Article initialement publié sur Le Webinet des curiosités

>> Photo FlickR CC : ganesha.isis

]]>
http://owni.fr/2011/02/16/toublies-or-not-to-be/feed/ 4
Apprendre est un état d’esprit http://owni.fr/2011/02/07/apprendre-est-un-etat-d%e2%80%99esprit/ http://owni.fr/2011/02/07/apprendre-est-un-etat-d%e2%80%99esprit/#comments Mon, 07 Feb 2011 08:04:19 +0000 Emmanuelle Erny-Newton http://owni.fr/?p=44962 Quelle nouvelle chose avez-vous apprise dernièrement ? Une langue, un sujet particulier, une compétence physique, artistique ?

D’où l’impulsion vous est-elle venue ? Souci d’arrondir votre pratique professionnelle ? Volonté de développer une nouvelle facette de votre personnalité ?

Une fois l’apprentissage commencé, l’envie est-elle restée ? Avez-vous continué malgré les difficultés -inévitables dans la maîtrise d’une compétence-, ou avez-vous abandonné ?

Pourquoi ?

Ces questions restent non seulement pertinentes, mais sont essentielles, lorsqu’on réfléchit à la maîtrise de compétences dispensées par l’école : comment motiver les élèves ? Comment leur donner, et leur faire conserver l’envie d’apprendre –une question au cœur de la prévention du décrochage scolaire ?

Dans l’article publié par l’OCDE Motivation et émotion : deux piliers de l’apprentissage en classe [pdf], Monique Boekaerts, de l’université de Leyde, lie directement la motivation de l’apprenant à ses émotions : la motivation d’un apprenant à mener à bien une tâche dépend des émotions qu’il associe à la matière. Avoir une affinité naturelle pour le sujet est important, mais ce n’est qu’un point de départ : à cela s’ajoute la perception que l’élève élabore de ses échecs et de ses réussites dans cette matière, tout au long de sa scolarité. Et cette perception, il ne l’élabore pas seul : ses enseignants successifs y contribuent également.
La recherche montre qu’un élève qui a tendance à expliquer un échec par une cause externe -« J’ai raté parce qu’il faisait trop chaud », « On n’avait pas assez de temps » « Je n’avais pas assez travaillé »-  est plus susceptible de se remettre de cet échec qu’un élève qui lui impute une cause interne -« J’ai raté parce que je ne comprends pas, parce que je ne suis pas bon. »
Fait intéressant : la recherche montre que l’attribution causale interne est dommageable également lorsqu’il s’agit d’expliquer une réussite [en].

« Le point crucial ne réside pas dans la capacité, mais dans la façon dont vous appréhendez cette capacité »

Carol Dweck [en], professeure de psychologie à l’université de Standford, travaille depuis plusieurs décennies à mettre à jour les caractéristiques mentales associées à l’échec et à la réussite en apprentissage ; ses recherches l’ont amenée à dégager deux types de « mentalité » (« mindset ») selon lesquelles nous interprétons nos capacités : une mentalité fixe (« fixed mindset ») et une mentalité perfectible (« growth mindset ») [en] : « La recherche montre que le point crucial ne réside pas dans la capacité, mais dans la façon dont vous appréhendez cette capacité (…) »

Si vous la voyez comme quelque chose d’inhérent, un « don » (fixed mindset), vous aurez alors tendance à moins y travailler – l’effort, c’est bon pour les gens qui ne sont pas doués ! De là, si vos performances commencent à baisser, vous aurez tendance à ignorer vos erreurs, car à la lumière de cette mentalité, elles menacent non ce que vous faites, mais ce que vous êtes. Pour un élève, une « mentalité fixe » se traduira par l’abandon aux premiers échecs, ainsi qu’une propension à plus tricher aux examens.

Si par contre vous envisagez vos capacités comme quelque chose qui peut être développé (growth mindset ), échouer n’est pas ressenti comme une menace envers votre identité : l’échec est une information qui vous permet de mieux développer des stratégies de réussite.

Dans un article de 1975, qui reste le plus cité de la psychologie contemporaine, Dweck décrit l’expérience [pdf, en] qu’elle a menée dans une classe de primaire, auprès d’élèves présentant une mentalité fixe :  « S’ils tombaient sur une série de problèmes de math qu’ils ne pouvaient résoudre, ils ne pouvaient plus non plus résoudre des problèmes qu’ils avaient résolus auparavant, et ce pendant des jours. À travers une série d’exercices, les expérimentateurs entraînèrent la moitié de ces élèves à attribuer leurs échecs à des efforts insuffisants –et à réussir. Le groupe contrôle, quant à lui, ne montra aucune amélioration. (…) Ces résultats, dit Dweck, appuient totalement l’idée que les attributions (causales) sont une composante-clé de la maîtrise d’une compétence.” » (traduction de l’auteur)

Une des plus émouvantes expériences de l’histoire de l’éducation

À la lumière de ce modèle psychologique, j’ai revisité une expérience qui reste pour moi une des plus émouvantes de l’histoire de l’éducation : celle de Jane Elliott [en]. Au lendemain de l’assassinat de Martin Luther King, Elliott, enseignante d’une petite ville blanche de l’Iowa, décide de donner à ses élèves une leçon de tolérance. Mais comme la tolérance n’est pas une leçon à apprendre, mais un état à ressentir, Elliott décide de faire ressentir à ces enfants blancs ce que c’est d’être catégorisé a priori en fonction d’une caractéristique physique à laquelle vous ne pouvez rien : elle divise sa classe en « yeux bleus » et « yeux marron ». Elle explique à ses jeunes élèves (8-9 ans) qu’on allait jouer au jeu de la discrimination, et qu’aujourd’hui, on allait discriminer les yeux marron : les yeux marron, c’était prouvé, n’étaient pas très intelligents. Et de fait, durant toute la journée, Elliott met en avant, à chaque occasion, les fautes que font les « yeux marron», elle insiste sur leur rôle dans les disputes, si infimes soient-elles. En moins d’une heure, ce qui était au départ une classe harmonieuse se transforma en un microcosme raciste ; les « yeux bleus » affichant tous les indices de la discrimination : arrogance, moqueries, insultes envers leurs amis d’hier.
Le lendemain, Elliott poursuivit l’expérience en inversant les rôles : tout se répéta, cette fois-ci aux dépens des « yeux bleus ». Et finalement, l’enseignante termina l’expérience en revenant, avec sa classe, sur ce que chacun avait éprouvé lorsqu’ils étaient l’objet de la discrimination ; tous exprimèrent, dans leurs mots et leurs gestes, l’intense désarroi ressenti. Cette expérience imprima en eux une réaction viscérale durable contre toute forme de ségrégation.

Durant l’expérience, Elliott remarqua également un changement totalement inattendu : les performances scolaires du groupe discriminé s’effondrèrent.

Si l’on regarde cette expérience selon l’angle « fixed vs growth mindset », Elliot instille clairement chez ses « discriminés » une  mentalité fixe  vis-à-vis d’eux-mêmes (En ce qui concerne le groupe « valorisé », les choses sont moins claires : de manière intéressante, Elliott se focalise sur la dévalorisation d’un groupe et ne valorise donc qu’indirectement la supériorité intrinsèque de l’autre groupe).

Le plus court chemin vers l’égalité des chances

La leçon de tolérance d’Elliott montre –tout-à-fait incidemment- à quel point l’attitude de l’enseignant vis-à-vis d’un élève peut influer sur les performances scolaires, indépendamment de la qualité du contenu enseigné, puisqu’ici, l’enseignante était la même.
Et au-delà des performances, l’attitude de l’enseignant  pèse sur la vision qu’un élève aura de lui-même et sur la lecture qu’il fera du monde.
Dans le quotidien scolaire, cela s’opère en touches subtiles et sans doute largement inconscientes ; le prof choisira-t-il de dire : « Excellente note, tu es vraiment douée ! » ou « Tu as dû vraiment bien travailler ton sujet ! » ? Choisira-t-il de valoriser la performance pure –celle que la note d’interrogation retient exclusivement – ou l’effort envers et contre tout, l’acharnement malgré les déceptions, la recherche de nouvelles stratégies, le fait de choisir volontairement des tâches difficiles, le fait de s’améliorer ?

Nos réflexions trahissent nos valeurs. Et nos valeurs ne nous sont pas forcément conscientes. Pourtant, ces valeurs laisseront une trace tangible sur ceux que nous éduquons.

Plus nous avancerons dans l’intégration des technologies à l’école, et plus le rôle d’enseignant glissera de celui de transmetteur de savoir à celui de facilitateur. Internet donne accès à tout le savoir du monde, mais pour le reste… S’assurer que l’apprenant possède une vision perfectible de soi,  un « growth mindset », devrait faire partie du mandat de l’école ; dans une économie de la connaissance, cela est certainement le plus court chemin vers l’égalité des chances.

Images CC Flickr SweetGirl81 Rishi Menon aaron schmidt

]]>
http://owni.fr/2011/02/07/apprendre-est-un-etat-d%e2%80%99esprit/feed/ 37
L’éducation musicale en France: une partition discordante http://owni.fr/2010/09/26/leducation-musicale-en-france-une-partition-discordante/ http://owni.fr/2010/09/26/leducation-musicale-en-france-une-partition-discordante/#comments Sun, 26 Sep 2010 10:11:29 +0000 Lara Beswick http://owni.fr/?p=29575 Retrouvez cet article et bien d’autres sur OWNImusic, que nous lançons avec joie ces jours-ci !

__

“Il faut reconnaître que nous avons un réel retard sur nos voisins dans le domaine de la pratique et de la culture musicale” Christine Albanel.

Ce retard, même avec une première dame musicienne, n’a pas l’air de préoccuper monsieur.

“Le français n’est pas une langue qui chante.”

“Tais-toi, tu chante faux.”

“Un peu de silence s’il vous plaît, il est 22 heures.”

“Ah, c’est un artiste…”

Tant de réflexions qui contribuent à perpétuer une culture sans son ou du moins, produisant peu de musique de qualité. Les bienfaits de la musique ont pourtant été démontrés par diverses études mais la tradition fait qu’on continue de la dénigrer.

Je suis agacée par ce manque de considération qui conduit nos artistes à s’expatrier et nos enfants à se taire. J’ai moi-même passé une partie de mon enfance en Angleterre. Je me souviens des cours de musique et surtout, je me souviens de la joie que nous éprouvions moi et mes petits camarades lors de ces cours. Quand, à l’âge de 7 ans, j’ai déménagé avec mes parents en France, la musique n’était pas du tout perçue de cette manière par mes nouveaux amis. J’ai peu de souvenir du contenu de mes cours en Angleterre et aucune étude n’a été effectuée sur moi pour que je me rende compte de ce que cette pratique m’a apporté mais je me souviens clairement de cette sensation de bonheur partagé.

En France, en revanche, je me souviens de la souffrance éprouvée lorsqu’on essayait de m’apprendre qu’une boule noire surmontée d’une barre était une noire et qu’il y en avait quatre comme celle-ci dans une mesure à quatre temps. Ensuite, au collège, des profs débordés par le son des pipos (flûtes à bec) dont l’apprentissage donnait lieu à une cacophonie insupportable et ingérable.

Pourquoi tant d’enfants détestent-ils la pratique musicale et tant d’adultes en garde de mauvais souvenirs ? Pourquoi, malgré les sommes considérables attribuées par l’État au développement de cette discipline, la France garde-t-elle si peu de musiciens de niveau international ? Je pense que l’Éducation nationale pourrait faire mieux pour nos enfants. Je crois que cette première approche de la musique mériterait plus de soin et d’attention. D’abord parce que l’apport de cette discipline va au-delà de celui d’une simple activité ludique et parce que ce retard dont Christine Albanel parle existe bel et bien ce qui crée un réel vide, pour ne pas dire manque dans l’héritage culturel que nous laissons à nos enfants.

En quoi l’apprentissage de la musique est-il indispensable à notre éducation ?

Si certaines personnes, chargées de rendre son importance à cette discipline me lisaient, ils me répondraient sûrement que place, considération et moyens financiers ont été donnés. Mais l’Éducation nationale, en rendant la musique obligatoire dans les filières générales, a surtout réussi à s’en débarrasser. Pourtant la musique, cette activité que l’on place entre 4 et 6 pour divertir les enfants lorsque leur quota de concentration est dépassé, est essentielle à notre éducation.

Dès l’Antiquité, de façon intuitive, Platon parle de musique dans des chapitres entiers de La République. Il évoque avec insistance la dimension sociale de la pratique musicale. Si les études sur la cognition ne convainquent pas nos élus, elle peut au moins admettre que la pratique musicale oblige à sentir de la même manière, à partager les mêmes

impressions. Elle permet “d’adoucir les moeurs”, de tempérer les passions haineuse ou de les amplifier, de rapprocher ou d’éloigner les hommes par un plaisir commun et cette puissance publique devrait s’étendre et être considérée par l’éducation nationale. Le rapport qu’elle crée entre la sensibilité et l’intelligence est unique et il est regrettable que nos responsables politiques préfèrent les actions aux effets immédiats plutôt que de faire l’effort de considérer une activité qui demande certes, temps et réflexion mais aux effets considérables et non négligeable à long terme. Si l’on souhaite rendre la France plus musicienne, il est évident qu’une sensibilisation massive à la musique doit être mise en oeuvre.

De nombreux chercheurs, souvent neurologues, scientifiques, sociologues et musicologue se sont penchés sur le mystère de la musique et ses bienfaits. En janvier 2007, un symposium européen se tient au Centre George Pompidou à Paris,  sur l’évaluation des effets de l’éducation artistique et culturelle. L’évaluation demeure complexe et la méthodologie utilisée demande une certaine concentration mais les résultats des expériences menées méritent qu’on y prête attention. Concernant la musique, plusieurs expériences ont été menées qui démontrent que l’apprentissage de la musique améliore le raisonnement spatio-temporel. Les personnes possédant cette forme d’intelligence particulièrement développée deviennent souvent architecte, sculpteur, ingénieur, designer, peintre, mathématicien, physicien…et musicien.

Une études menée en 1990 a testé trois groupes d’enfants de trois écoles maternelles. L’un prenant des cours de piano couplé avec des leçons de chant choral, l’autre une initiation à l’informatique et le troisième ne suivant aucun enseignement spécifique. Si aucune disparité n’a été observée au test initial, au test final, les élèves du groupe de musique ont obtenu des résultats significativement plus élevés que ceux des groupes témoins lors de l’exercice mettant en jeu le raisonnement spatio-temporel (assemblage d’objet).
Une étude plus récente a montré que des enfants de maternelle (5 ans) qui bénéficiaient de cours de piano en groupe avaient de meilleurs résultats aux tests de raisonnement spatio-temporel. Cette expérience là, a démontré que les effets de l’apprentissage n’entraînaient pas d’effet à long terme, ce qui signifierait que la formation doit durer un certain temps pour produire des effets durables sur la cognition spatiale. Les élèves ayant étudié pendant quatre années consécutives (jusqu’au CE2) ont obtenus des résultats 52% supérieurs à ceux qui n’ont commencé qu’en CE1. Cela confirme donc aussi la thèse qu’il est important de commencer l’apprentissage très tôt.
Les musiciens, font preuve d’une meilleure synchronisation que les non-musiciens.

Depuis des dizaines d’années, on parle de similitudes entre la musique et les mathématiques. La pratique d’un instrument renforce un certain nombre de capacités cognitives, dont les facultés auditives, visuelles et motrices. La reconnaissance des mots, l’orthographe, les principes de base des mathématiques, l’attention, la concentration et discipline. Head Start est un programme du Département de la Santé, de l’Éducation et des Services sociaux des États-Unis, il a démontré que des progrès importants dans les tests languagiers sont observés chez les élèves pratiquant régulièrement une activité musicale.
Des études ont montré que des expériences musicales bien conçues pouvaient avoir des effets positifs sur les résultats scolaires. La musique contribue au développement mental, aux capacités d’apprentissage et à la socialisation des apprenants. Il est aussi noté une amélioration en terme de confiance en soi des apprenants, ce qui mène souvent à des tests positifs.
L’ACER (Australian Council for Education Research) compare les résultats d’élèves de CM1 suivant un enseignement artistique et pas. Les élèves pratiquant une activité artistique obtiennent des résultats nettement meilleurs en lecture, calcul, écriture, résolution de problèmes, planification et organisation, communication et travail en équipe.
Une autre étude menée dans plusieurs établissements en Australie (Mc Curry, 2003) observe que les élèves pratiquant régulièrement une activité musicale s’améliorent sur de nombreux points : la communication orale et écrite, le raisonnement logique et interprétatif, les aptitudes à la planification et à l’organisation (la musique conduit à prendre une décision toutes les deux secondes), la compréhension d’autrui et le travail en équipe, l’esprit d’initiative, l’approche des apprentissages et de la technologie.

Ce symposium s’est conclu en deux points. Les améliorations obtenues par la pratique musicale sont bel et bien existantes mais les chercheurs s’accordent pour dire qu’il existe sûrement un moyen plus efficace et moins coûteux pour améliorer les capacités spatio-temporelle de nos apprenants. Il en existe peu cependant qui puisse agir sur une aussi large palette de compétences. Les scientifiques relèvent que les travaux sur les liens entre l’éducation musicale et les performances cognitives doivent se poursuivre car en négliger les effets reviendrait à passer à côté d’applications potentiellement importantes dans le domaine de l’éducation.

Plus que les arguments scientifiques, voici peut-être la seule vraie raison d’enseigner la musique, évoquée en conclusion de ces observation lors du symposium:

Si l’on fait place aux arts dans nos écoles sous prétexte qu’ils sont source de progrès scolaires, les arts perdront rapidement leurs statut dès lors que les progrès attendus ne surviendront pas. La seule justification des arts, c’est qu’ils enseignent ce qu’aucune autre matière n’est en mesure d’enseigner.

Lois Hetland et Ellen Winner

Malgré toutes les études effectuées, la place que doit avoir l’éducation musicale reste donc imprécise. Faut-il considérer la musique comme un complément à la formation générale ? Comme une sorte de “supplément d’âme” ? Ou bien faut-il envisager sa pratique comme l’une des composantes essentielles de la formation générale ?

L’éducation musicale a souffert et continue de souffrir d’un déficit de considération, d’un manque de légitimité éducative. Cette soif de légitimation attend beaucoup trop de l’évaluation de ces effets. A-t-on jamais vu que les mathématiques doivent produire un certificat en « éducation à la citoyenneté » avant d’entrer à l’école ?
Il serait légitime de s’interroger sur les valeurs qu’incarne une politique ; le statut accordé à l’artiste au sein d’un pays et la place qu’occupe l’histoire de l’art et de la culture. Toute éducation demande du temps, et l’éducation musicale ne peut s’accomplir que dans la durée.

Preuves et moyens financiers sont là, d’où vient donc ce retard ?

On ne peux faire état de cette discipline sans un minimum de connaissances historiques et culturelles. J’ai interrogé plusieurs professeurs de musique et à plusieurs reprises, j’ai entendu cette remarque « tout passe par la voix ». Or, il faut savoir que la Révolution française a produit un effet non négligeable sur l’apprentissage du chant en interdisant la pratique du chant polyphonique dans les églises pendant près de trente ans. La musique à vocation patriotique, jouée principalement par des instruments à vent devient alors le plus grand employeur de musiciens. L’interdiction de la chorale eut pour effet de couper une première fois nos concitoyens de leur patrimoine vocal religieux. Une multitude de traditions locales, religieuses ou populaires sont considérés comme nuisibles à la révolution et à l’unité de l’État. La tradition orale de nos régions se fait oublier au profit d’un patrimoine musical d’État, ce qui entraîne progressivement la perte du chant en famille. Les pays scandinaves, qui ont conservé leurs traditions et folklore sont, de fait, des pays plus « chantants ». Le travail vocale participe également considérablement à l’apprentissage des langues et sa dimension ludique permet aux enseignants de faire appel à de nombreux chemins pédagogiques.

En 2006, 13.784 chorales sont recensées en France, on peut donc considérer que la pratique chorale est largement répandue dans les écoles primaires mais qualitativement, deux problèmes subsistent. L’organisation des chorales se fait de façon plutôt désordonnée, induisant un manque d’efficacité dans la pratique. L’absence d’instructions claires de la part du ministère en sont la cause. En effet, pour écrire cet article, j’ai cherché les textes de lois ou programmes émis par le ministère de l’Éducation. Ne trouvant rien de précis et concret, je me suis tournée vers les professeurs, à qui on laisse plus ou moins l’initiative de construire leurs cours sans cadre fixe.

La dernière réforme concernant l’éducation artistique et culturelle a été diffusée en 2009, elle laisse plus de place pour le chant, encourage les enseignants à introduire l’histoire de l’art et des outils sont mis en place pour obliger les enseignants à diversifier le répertoire travaillé en cours. A-t-elle eu des répercutions concrètes au quotidien ? Voici la réponse la plus positive que j’ai eue : “Non, pas vraiment, mais c’est tout de même bien vu et très intéressant. Ce n’est pas une révolution mais une belle et bonne base pour savoir où l’on va.” On pourrait en conclure qu’il n’y a ni programme clair et surtout, aucun contrôle des acquis. Les professeurs de musique que j’ai interrogés sont souvent des pédagogues passionnés et engagés, travaillant dans des contextes parfois difficiles et n’ayant souvent pas eu la chance d’être suffisamment préparés à leur métier. À ce sujet, je rappelle que dans les années 50-60, par manque de moyens, la musique était enseignée par des professeurs d’autres disciplines, contents de pouvoir compléter leurs heures dans un même établissement plutôt que de devoir se déplacer, ce qui, comme vous pouvez l’imaginer, produisit un sérieux tort à la discipline.

Je ne m’attarderai pas plus longtemps sur les innombrables failles que comporte la mise en place d’une telle éducation dans notre système (flûte à bec comme instrument principal, écoute d’œuvres inappropriée ou inaccessible sur des postes de mauvaise qualité, une étude théorique sans approche pratique, accès aux œuvres mais peu aux créateurs, manque de pédagogie de projet…). Des ouvrages ont été écrits à ce sujet et je vous recommande de vous y plonger car ils méritent considération. Je me permet cependant de m’attarder sur une notion qui me tient à cœur plus particulièrement car elle perdure jusqu’à l’âge adulte et trompe nombre de musiciens professionnels actifs en France.

L’idée préconçue que j’évoque est celle de la séparation des genre. Cette obstination qu’ont certains à cultiver ce mythe qui dit que la Grande musique n’a rien à voir avec les musiques “tam tam” que nos jeunes subissent aujourd’hui. C’est d’une banalité et d’une bêtise… Pourtant, à force d’insister, cette théorie commence à devenir réalité. En ignorant les musiques dites “actuelles”, nous ne permettons pas à nos jeunes de faire des rapprochement entre les styles et l’écart musical qu’il existe entre les deux genres s’agrandit. Les musiques actuelles en effet sont de plus en plus homogènes, sans grand intérêt techniquement et les interprétation sont de plus en plus ternes, sans réelle identité musicale ou subtilité d’interprétation.

Pourtant, sachez que cette musique tam tam est parfois d’un réel intérêt et qu’il est assez évident de faire des rapprochements entre les différents genres classiques et ceux modernes, le rock, le hip hop, l’électro, la transe, la variété…ou le tam tam. Par exemple, la basse continue, souvent identifiée dans le rock, est très proche du système de basse continue utilisée dans le baroque. France H. Rausher note que le travail sur la mélodie et l’harmonie est central, mais qu’il doit être complété par l’acquisition du rythme (hum hum…) et quoi de mieux que la spontanéité et la diversité des musiques actuelles pour découvrir diverses structures et laisser place aux surprises rythmiques ? Nombreux sont les jeunes autodidactes qui utilisent des techniques poussées pour créer des musiques qui leur sont proches.

À certaines conditions, ces musiques d’un nouveau genre peuvent trouver un lien avec l’enseignement musical inculqué au collège et au lycée. Musiques actuelles et musique classique font partie de la même sphère et ne sont pas si éloignées que voudraient le faire croire les ignorants, les nostalgiques, les flemmards ou les peureux. Une pédagogie (sentir, comprendre puis apprendre) d’un nouveau genre est à réinvestir. Les possibilités que proposent l’harmonie sont infinies et elle doit être perçue et utilisée par tous les genres, exploitée dans tous les sens.

Mais que faire ?

Je ne me permettrai pas d’élaborer ici un programme musicale pour  l’éducation nationale car des ouvrages entiers fait par des professionnels proposent des solutions et détaillent le fond des problèmes. Indiquons à titre indicatif les principales pistes :

-un apprentissage régulier dès le plus jeune âge.

-un apprentissage du rythme de la mélodie et de l’harmonie qui passe par la voix, instrument premier des hommes.

-l’abandon de la flûte à bec qui pour dire vrai, est un instrument difficile à maîtriser.

-l’élaboration d’une harmonie à double sens

-une approche par tous les styles

-plus d’heures accordées par l’Etat à cette discipline

-accompagner ces changements de recherches qui puissent optimiser l’efficacité de l’enseignement.

Pour un étude plus approfondie, je vous recommande :

Évaluer les effets de l’éducation artistique et culturelle. Symposium européen et international de recherche, Centre Pompidou, La Documentation française, juin 2008

Ecoutez, c’est tres simple , Pour une autre éducation musicale, Marc-Olivier Dupin, 2007

Enfin, certains connaisseurs me diront que c’est un #oldlink mais qui entre hélas dans un débat encore d’actualité :
leur nom n’a jamais été mentionné aux Victoires de la Musique, ils ont pourtant gagné un Grammy Award du meilleur album de musiques alternatives le 31 Janvier 2010 pour la 52ème cérémonie des Grammy Awards aux États-Unis. Ici, un professeur de primaire fait interpréter le titre “Lisztomania” de Phoenix à ses élèves :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Liens et lectures:

http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/politique/education-artistique/educart/biblio.htm

L’éducation artistique et culturelle à l’école en Europe, Commission européenne, octobre 2009

L’enseignement de la musique en france: situation, problèmes, réflexion, Gérard Ganvert, 1997

L’art d’apprendre à ignorer, Xavier Darcos, 2003

Musicophilia: le cerveau et la musique, Oliver Sacks et Christian Cler, 2009

Percevoir la musique, une activité cognitive, Pineau et Tillman, 2003

L’éducation musicale: une pratique nécessaire au sein de l’école, Brigitte Soulas et Gérard Vergnaud, 2008

Crédits photos CC FlickR weperruper t_lawrie cristiano_betta rosipaw

]]>
http://owni.fr/2010/09/26/leducation-musicale-en-france-une-partition-discordante/feed/ 0