OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Institubes rend les armes http://owni.fr/2011/03/16/institubes-rend-les-armes/ http://owni.fr/2011/03/16/institubes-rend-les-armes/#comments Wed, 16 Mar 2011 17:46:41 +0000 Loïc Dumoulin-Richet http://owni.fr/?p=31168 C’est une figure de la pop, du hip-hop et de l’electro qui s’éteint aujourd’hui. Mercredi 16 mars, dans un communiqué direct et empreint d’une certaine amertume, le label Institubes a annoncé sa fermeture après huit ans d’activité.

Dans ce contexte, les fondateurs du label, Jean-René Etienne et Emile Shahidi dressent un bilan de leur aventure avec le collectif emmené par les emblématiques Para One, Cuizinier, Orgasmic ou Teki Latex (TTC), Jean Nipon ou encore Chateau Marmont. Il illustre les difficultés rencontrées par les petits labels, pour qui vendre de la musique reste primordial.

Je pourrais écrire dix pages sur les réalités et les difficultés liées au business de la musique […]. Nous n’avons jamais connu l’âge d’or dont nos ainés dans l’industrie chantent les louanges. Nous avons toujours évolué dans un paysage post-apocalyptique et paupérisé jusqu’à la mort, empli de zombies de directeurs artistiques irradiés et de blogueurs mutants et aveugles. Nous avons toujours mené un bataille difficile. Mais les choses ont empiré

Institubes est l’une de ces structures de l’ère post-Napster. Porté par un collectif d’artistes aux influences diverses, le label a su garder une ligne claire et distincte, qui plutôt que de s’ouvrir à des “coups” mainstream rémunérateurs, s’est construit tout au long son existence une cohérence artistique davantage mue par la volonté de se forger une identité forte que par celle de faire concurrence aux majors. D’ailleurs, lorsque Institubes collabore avec Alizée, l’ex Lolita aux millions de disques vendus, en produisant son quatrième album studio Une Enfant du Siècle en 2010, c’est en apportant sa touche plutôt qu’en faisant du “Alizée par Institubes”, comme ont tendance à le faire de nombreux producteurs. Cf. le mercenaire RedOne qui réplique plus ou moins adroitement la même chanson pour toute la planète pop ou presque, de Lady GaGa à Enrique Iglesias en passant par Mylène Farmer et Nicole-Pussycat-Scherzinger.

Si les gros labels peuvent compter sur leurs vaches à lait pour compenser les projets plus risqués, les structures plus modestes se doivent de maintenir un équilibre a minima pour assurer leur survie. “Le fait que notre industrie vive une lutte permanente où 90% de notre temps est consacré à “rester à flot” cache un fait important : nous jouons toujours le jeu selon les règles qui nous ont baisés au départ“.

Car le nerf de la guerre pour tous les labels (et on ne parle pas ici d’artistes DIY) reste, quoiqu’on en dise de vendre de la musique. Ne pas avoir à se diversifier pour multiplier les sources de revenus. Ce qu’Institubes s’est évertué à faire, sans toujours y parvenir : “Tout ce qu’on aurait pu faire (ou presque) pour éviter ou retarder cette issue malheureuse tient en deux mots : lifestyle et branding. Investir dans la production de t-shirts, dans les partenariats avec des marques, signer des contrats de collaboration ou de sponsoring avec des boites aux poches bien pleines. Je n’ai qu’un regret : qu’il nous soit arrivé d’y céder. Nous aurions du refuser plus souvent“.

Un label peut-il donc raisonnablement envisager de survivre dans le contexte actuel en comptant uniquement sur les revenus liés à la seule vente de musique ? La tendance est plutôt au pessimisme, pourtant les contre-exemples existent. On peut notamment citer l’excellent label new-yorkais Neon Gold Records, qui s’est spécialisé dans la détection précoce de talents développés sur un ou plusieurs EP, avant de les faire signer avec des majors. Dans leur panier ? Ellie Goulding, révélation de 2010 aux 300 000 albums vendus au Royaume-Uni, ou encore Marina And The Diamonds, tandis que pour 2011 on peut prédire l’émergence de leurs poulains Monarchy (signés depuis chez Universal) ou encore The Sounds Of Arrows et The Knocks.
Lorsque l’on demande au label bordelais Banzai Lab s’il pourrait subsister sans apport complémentaire de la seule musique, la réponse est claire: “nous vendons des CD mais aussi des concerts, mais on pourrait clairement vivre sans le merch. C’est juste un petit plus. En revanche on ne pourrait pas vivre qu’avec la vente de musique, mais avec musique + spectacles (+ emplois aidés!), ça fonctionne.”

Rester à flot par tous les moyens est un objectif irraisonné. La seule manière honnête pour un label de gagner de l’argent, c’est de vendre de la musique. Cela nous a toujours gênés de vendre autre chose“.

Entre raison financière et volonté de garder sa conscience artistique intacte, il existe désormais un monde que la crise de la musique enregistrée a crée. Jean-René Etienne et Emile Shahidi apportent un élément d’explication pertinent même si pas unique : “La musique est dévaluée […] Au jour d’aujour’hui, la musique n’est pas même le second, le troisième ou le dixième des intérêts et éléments de culture. La mode, Apple, les jeux vidéos, les outils high-tech, les réseaux sociaux etc sont passés devant. J’imagine que c’est cool… Mais je ne veux pas avoir à devenir une dépendance de la mode. Tout comme je refuse de presser un artiste à sortir des titres à moitié aboutis chaque mois juste pour qu’il reste dans le coup.

La mort très publique d’Institubes n’est pas un cas isolé, mais plutôt la partie émergée de l’iceberg constitué d’autres labels, moins connus, moins hype qui disparaissent chaque jour. Les nombreuses réactions ce matin sur les réseaux sociaux prouvent un point qu’il ne faut pas oublier. Le collectif est né en pleine crise et a réussi à vivre pendant huit ans, en produisant un nombre d’artistes considérable et réussissant à s’imposer sans trop sacrifier son intégrité artistique. Pour cela, il manquera sans doute au paysage musical, mais quitte la scène avec classe, en offrant une réflexion pertinente si ce n’est nouvelle sur la vie des petites structures.

Crédits photos : FlickR CC Caesar Sebastien

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Saul Williams : l’art du “do what you want” http://owni.fr/2011/02/28/saul-williams-lart-du-do-what-you-want/ http://owni.fr/2011/02/28/saul-williams-lart-du-do-what-you-want/#comments Mon, 28 Feb 2011 11:18:41 +0000 Owni Music http://owni.fr/?p=30503 Nous avons rencontré Saul Williams lors du Midem 2011, le marché international du disque et de l’édition musicale, alors que la sortie de son nouvel album Volcanic Sunlight est prévue pour le printemps 2011.

Saul Stacey Williams est poète, acteur, écrivain, chanteur, rappeur, artiste multi-instrumentiste…c’est un slammeur reconnu lorsqu’il est sollicité pour tenir le rôle principal du film de Marc Levin Slam en 1998. Il sort deux albums avant d’offrir The Inevitable Rise And Liberation Of Niggytardust, un album co-écrit et co-produit par Trent Reznor, le fameux leader du groupe NIN (Nine Inch Nails), en 2007 et en Pay What You Want (ou Prix Libre).

A Cannes, il n’a accepté qu’une seule interview, celle d’OWNImusic et après avoir annulé tous les concerts prévus en Europe, il a gardé la seule date du Midem Talent. Une première date face à un parterre de professionnels, qui montre à quel point cet artiste est un explorateur visionnaire, provocateur, dont le talent ne peut être ignoré puisque son succès a été maintes fois validé et que l’attente du prochain album semble interminable pour les fans.

Saul nous reçoit dans sa chambre d’hotel. Sa voix grave est apaisante, son discours aussi intègre que sa musique. Saul Williams est connu pour être un artiste “hors piste”, il est un concept à lui tout seul et cette rencontre nous a permis de comprendre la particularité de sa démarche.

Il nous explique sa perception des changements qui s’opèrent dans le monde et comment selon lui la musique et les arts en général peuvent en bénéficier. Saul a été l’un des premiers à être honnête avec son public en se réappropriant le choix qu’il avait déjà, celui de payer ou pas pour ses créations. Saul n’est pas un homme rebelle avec un esprit de contradiction systématique, mais il sait que la vie est une question d’équilibre et que chaque projet est à traiter au cas par cas.

Nous savons que cette vidéo ne pourra en aucun cas reconstituer ce que dégage le personnage, mais nous estimons que son discours est pertinent, même si les sujets abordés dans cette interview sont analysés chaque jour par des journalistes. Nous trouvons captivant que pour une fois, cette ère de mutations soit évoquée par un artiste et non un professionnel du secteur.

Ci dessous, l’interview réalisée par OWNImusic:

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Premier clip extrait de l’album “Volcanic Sunlight” : Explain My Heart

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Saul Williams a lancé la promotion de Volcanic Sunlight en Novembre avec une campagne QR code. En scannant ce code à l’aide d’un smartphone, vous pourrez télécharger gratuitement le premier extrait intitulé Explain My Heart en échange d’une adresse email:

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Retrouvez l’interview intégrale, bientôt sur OWNImusic.


Montage vidéo : Romain saillet. Crédit musique : Artner

Illustrations CC FlickR: lavid

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[INTERVIEW] La belle décennie de Record Makers http://owni.fr/2010/10/21/interview-la-belle-decennie-de-record-makers/ http://owni.fr/2010/10/21/interview-la-belle-decennie-de-record-makers/#comments Thu, 21 Oct 2010 17:17:37 +0000 Olivier Tesquet http://owni.fr/?p=27258 Cette année, le label fondé par Marc Teissier du Cros et Stéphane Elfassi fête ses dix ans.  En l’espace d’une décennie, la doublette la plus pointue du paysage indépendant hexagonal nous a offert – entre autres – Sébastien Tellier et Turzi, John Carpenter et Arpanet, de la pop glycémique et du krautrock tricolore, de la Detroit techno et un vestige dystopique.

Créé au moment précis où l’industrie du disque a commencé à s’effondrer sous l’effet de son propre poids, manager déçu de Air, Record Makers est toujours là, solidement cramponné à ses certitudes. Une centaine de sorties plus tard, ils travaillent toujours dans le XVIIIe arrondissement, ils sont toujours trois, et ils embrassent désormais le web en fourmillant d’idées. Retour sur une success story frappée du sceau de l’instinct.

“Les artistes sont leurs propres chefs et on joue les relais”

Quel effet ça fait de fêter ses 10 ans, ce qui représente un âge quasi-canonique dans le petit monde des labels indépendants français?

Stéphane Elfassi : Comme on s’est réveillés un beau matin en réalisant qu’on était en 2010, c’est un moyen de recentrer l’histoire. C’est déjà l’occasion de faire le point sur tout ce qu’on a fait. On a monté beaucoup de projets avec des artistes qui ont été associés à d’autres labels, comme Kavinsky avec Ed Banger pour citer un exemple récent. Souvent, les gens viennent nous voir en nous disant “ah bon, Tellier, il est pas sur une major?”

C’est le prix à payer quand on décide pas vouloir signer de contrat d’exclusivité ?

Marc Teissier du Cros : Quand on a commencé, on a signé une licence avec Virgin. On était un label indépendant qui faisait de la distribution. Ça nous a coûté du temps et de l’énergie pour sortir de ce schéma, mais on était déterminés. Il y a eu un déclic. Un beau matin, on a eu La Ritournelle de Tellier entre les mains. On était engagés avec une major, et ils étaient d’accord pour financer un clip. Dès qu’on a eu le morceau, on savait que c’était important, et on a su d’emblée que ce serait le fondement de notre label. C’est aussi à partir de ce moment-là qu’on a développé une sorte d’allergie vis-à-vis de la notion d’exclusivité. On sort de la musique avec une force intrinsèque, et imaginer que l’histoire d’un morceau, son évolution, soit entre les mains de quelqu’un qui ne comprend ni les artistes, ni l’envers du décor, c’est assez insupportable. On est trois permanents, on travaille comme des chiens, et on tient à cette indépendance. On n’a pas un patrimoine à dilapider, les artistes sont leurs propres chefs et on joue les relais.

Vous êtes quand même un cas à part parmi les labels indépendants, les seuls à fonctionner de manière autarcique vis-à-vis du système. Quel bilan vous tirez de cette décennie ?

Stéphane Elfassi : On a commencé à une période où le marché se portait bien, et quand on monté Record Makers, on n’a pas senti le début de la crise générale de la musique, et que c’était le début de la fin. Pour la faire courte, on s’est lancés au pire moment. En dix ans, on a été des témoins privilégiés de l’effondrement du marché. Sur le label lui-même, c’est difficile de tirer un bilan, je crois qu’on en parlera dans notre nécro (rires).

“La Ritournelle, de Sébastien Tellier, c’est un morceau-charnière”

Il y a quand même des artistes dont vous êtes particulièrement fiers, ou des chansons dont vous avez peut-être un peu honte ?

Marc Teissier du Cros : Tellier reste très important à nos yeux, parce que c’est le premier artiste qu’on a signé. En plus de ça, il est très emblématique de ce qu’on a cherché à faire pendant ces dix années. Sexuality (son dernier album, ndlr) a très bien marché, il est en train de se construire une carrière mondiale, il a droit à la reconnaissance de tous, et quelque part, on a forcément le sentiment d’avoir réussi. Sur YouTube, on est tombés sur une vidéo amateur ou tu vois des rappeurs en train de faire des loops sur Tellier dans leur voiture, c’est une forme d’aboutissement. Il est rentré dans la culture populaire. A l’époque de La Ritournelle, Emmanuel Poncet avait écrit dans sa chronique du vendredi pour Libération que c’était le genre de morceau qu’on jette par la fenêtre et qui revient par la porte. Ça m’avait beaucoup touché. C’est la preuve ultime qu’il s’agit d’un morceau-charnière.

Stéphane Elfassi : Ce qui va rester, ce sont les signatures, plus que le nom du label. On aime les artistes qui ont une personnalité forte, donc on ne s’est jamais vraiment mis en avant. Après Tellier, on a signé Arpanet, estampillé Detroit qui prédisait l’avènement de la culture mobile. Quand on a voulu monter quelque chose autour de lui, tout le monde nous a regardés avec de grands yeux, parce qu’il est visionnaire et parce qu’il est difficile. En 2002, ce mec-là avait déjà senti la place que prendrait le téléphone portable dans nos vies, c’est un visionnaire.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Justement, vous regrettez qu’Arpanet ne soit resté qu’un succès d’estime ?

Marc Teissier du Cros : C’est en tout cas l’artiste signé sur Record Makers que toutes nos autres signatures adorent. C’est un supplément d’âme formidable d’avoir des disques de ce type. Je ne sais pas si ça a un sens de parler de génie, mais des gens que je connais, c’est celui qui s’en approche le plus.

C’est génial d’avoir à la fois des artistes très pop et d’autres imprégnés de sous-culture, comme Arpanet, qui était déjà là aux débuts d’Underground Resistance. Je l’ai connu par le biais d’un maxi de Dopplereffekt (un autre de ses projets, ndlr) acheté chez Rough Trade, et on je suis tombé à la renverse. Le plus dur, ça a été d’entrer en contact avec lui, parce qu’il est très méfiant et difficile à approcher. Mais aujourd’hui, on a d’excellents rapports, notre relation s’est améliorée. On le voit pas souvent, mais on l’a régulièrement au téléphone.

“Les disques qu’on sort sont des messages”

C’est important d’avoir ce genre de rapports avec ses artistes ?

Marc Teissier du Cros : Pour le genre de travail qu’on fait, il faut pouvoir se connaître assez pour se faire confiance, c’est vital. Si ce rapport là n’existe pas, ça ne sert à rien. C’est à nous de trouver le meilleur moyen de communiquer avec les gens qu’on signe. Avec Gerald Donald [d’Arpanet], c’est la manière scientifique. Ce qui nous intéresse aussi, c’est que ce genre d’artistes ait un impact sur les signatures qui suivent, que ce petit monde se nourrisse mutuellement. Kavinsky, par exemple, a découvert l’électro par le biais d’Arpanet. Les disques qu’on sort sont des messages, non seulement pour le public parce qu’on espère toujours en vendre un maximum, mais aussi pour les autres musiciens.

Ça veut dire que d’habitude, ce sont plutôt les artistes qui viennent vers vous?

Marc Teissier du Cros : C’est arrivé plusieurs fois que des artistes pas très entreprenants dans les démarches auprès des labels viennent chez nous parce qu’ils ont entendu un titre qu’on a produit, et qui nous ciblent directement. Tellier avait vu Air à la télé, il s’est renseigné et il est venu nous voir.

Puisqu’on parle de Air, ça vous a libérés de tracer votre route chacun de votre côté ?

Stéphane Elfassi : Quand on a monté le label, dont ils ont été la première sortie, on était leurs managers. Mais rapidement, le fait d’avoir des artistes producteurs au sein du label a posé problème. On a évidemment anticipé, mais ça s’est révélé au fil du temps, à travers des frustrations, parce qu’ils avaient déjà une carrière, parce qu’on passait un temps fou sur Record Makers. Etre leur label nous a beaucoup aidés au début, même si l’étiquette french touch nous a occasionné quelques sorties de complaisance. C’est comme ça que L’Incroyable Vérité, le premier album de Tellier, s’est retrouvé dans les bacs techno alors qu’il est totalement acoustique. Il a fait leur première partie, il en garde de superbes souvenirs, mais c’est mieux que les choses se soient terminées de cette façon, en 2004-2005. Désormais, on se croise rarement. Ça s’est fini salement, on n’est pas vraiment restés potes. Ce n’est qu’un détail de notre histoire, et on se sent mieux maintenant.
Tout ce background nous autorise à prendre notre temps, on n’est plus soumis au diktat de l’agenda. Ça nous permet de travailler un album comme Sexuality pendant deux ans. Quel artiste peut se permettre de travailler autant sur la longueur ? Et puis il y a la notion d’instinct : si un plan nous plait, on le fait, tout simplement.

Quand Tellier fait l’Eurovision, ça vous apporte une visibilité supplémentaire ?

Stéphane Elfassi : Heureusement, Sébastien Tellier et Record Makers ne sont pas nés le jour de l’Eurovision. Il y a eu des signes avant-coureurs et c’était la conclusion d’un beau mouvement. Ça lui a permis de bénéficier d’une exposition auprès du grand public, c’est vrai, et c’était mérité. On n’a aucun problème à le voir dans Télé 7 Jours, bien au contraire. Quelque part, Tellier est à l’image du label : il est relativement inconnu du grand public, mais tout le monde l’a déjà entendu dans une synchro pour un documentaire ou dans son autoradio.

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“Le but n’est pas de s’asseoir pour contempler le travail accompli”

Dans ces conditions, l’anniversaire, c’est un moyen de réaliser le rôle que vous avez acquis au fil des ans ?

Marc Teissier du Cros : Le but n’est pas de s’asseoir pour contempler le travail accompli. Mais au moment de compiler une décennie de signatures, on a remis le nez dans le catalogue, ce qu’on ne fait jamais, et c’est très satisfaisant de constater qu’on aime toujours nos productions, cinq ou six ans après. Par définition, quand on fait ce métier, on sacrifie son propre plaisir d’écoute, mais ça ne nous empêche pas d’être fiers de nos choix.

Pour fêter votre anniversaire, vous vous lancez de nouveaux défis ?

Stéphane Elfassi : On a d’abord des projets de célébration. On voudrait sortir un livre sur les dix ans de Record Makers, on a monté l’événement live autour du 10 octobre 2010, qu’on a voulu décliner dans le monde entier. On voudrait créer une société autour de l’image, qui irait du clip au court-métrage en passant par le documentaire, notamment sur Tellier, puisque on a 80 heures de rush sur le lancement de Sexuality. On planche aussi sur une extension du label strictement axée sur le digital. Mais l’idée, c’est quand même de ressortir des EP, des vinyles, un catalogue axé sur des titres plus que sur des albums.

Marc Teissier du Cros : L’aspect important dans ce qu’on fait, c’est l’international. C’est ce qui nous permet de tenir debout et de continuer à exister. Pour ces raisons, on n’est pas focalisés sur la rotation radio de NRJ. A la différence de beaucoup de labels français, on considère le Web comme un énorme avantage plutôt que comme le grand méchant loup responsable de tous les maux. Pour nous, c’est une aubaine. Bien sûr, ça affecte les ventes, mais ça permet de toucher un public mondial. Avec Air, on a découvert l’export, et c’est devenu notre modèle. On s’est implantés en Angleterre, en Allemagne, aux Etats-Unis, au Japon, etc.

Comment vous expliquez votre longévité et votre adaptabilité?

Stéphane Elfassi : Dès le départ, on n’est pas à l’initiative d’un son, on ratisse large, du krautrock à l’électro-disco. Notre constante, c’est le renouvellement, ce qui nous pousse à nous remettre en question. Ça a pris dix ans pour qu’on se fasse une place mais, au moins, on n’est pas tributaires d’une mode, on existe en dehors d’un quelconque mouvement.

Marc Teissier du Cros : Avant Record Makers, je bossais chez Source, qui était lié à Virgin. Mais on distribuait plein de labels excitants au milieu des années 90, Grand Royal, Warp ou Mo’Wax notamment. On avait établi des relations personnelles avec chacun des patrons de ces labels, et on voyait comment ça se passait dans un grand label indépendant. Le dénominateur commun de tous ces labels, c’est qu’ils avaient un son. C’est à ce moment que j’ai compris que l’idée d’un label associé à un style très précis était tentante mais très dangereuse. A titre d’exemple, mon album préféré chez Warp, c’est celui de Vincent Gallo, qui est complètement en marge de leurs sorties historiques. C’est en se diversifiant que Warp s’est sauvé.

“Notre constante, c’est le renouvellement”

Justement, Steve Beckett, le patron de Warp, me citait récemment tous les artistes qu’il regrettait de ne pas avoir pu signer, et il n’y avait dans le lot aucun artiste électronique. Vous vous retrouvez totalement dans cette évolution, c’est une sorte de modèle ?

Stéphane Elfassi : Il a compris où se situait le futur de son label. Quand ils ont signé Broadcast en 2000, ça a été une bouffée d’air frais. Idem pour Gallo. Mais on n’a pas vraiment eu de modèle de développement à proprement parler. Quand on a lancé Record Makers, on ne manquait pas de travail. La B.O. de Virgin Suicides, qui était notre première sortie, était un chantier énorme. Il fallait produire, mixer, faire la promotion, mais on en a vendu 700 000 exemplaires, un chiffre énorme même à l’époque. A côté de ça, on avait Tellier, qui était totalement inadapté à la vie normale, Arpanet, et on devait gérer la carrière de Air chez Virgin. Tu imagines bien qu’on avait pas vraiment le temps de réfléchir à tout ça, on a fonctionné uniquement à l’instinct. Le rêve de monter sa structure devenait réalité, on n’a pas cherché plus loin que ça.

Aujourd’hui, vous êtes plus exigeants ?

Marc Teissier du Cros : On a gagné en maturité, on sait dire non à un projet. Mais paradoxalement, on laisse beaucoup de liberté à certaines de nos signatures. Turzi, par exemple, a carte blanche pour faire ce qu’il veut. C’est un artiste total, qui s’est fait accompagner par un groupe le jour où on lui a dit que c’était indispensable pour faire de la scène, ses disques se ne vendent pas, mais on lui apporte un soutien sans failles parce qu’on adore ce qu’il fait. Pour son prochain album (annoncé en janvier 2011, ndlr), il s’est contenté de nous donner deux références: Oxygène de Jarre, et Chill Out de KLF. Sinon, je t’ai dit qu’on travaillait à exhumer le catalogue de Popol Vuh?

Article initialement publié sur Brain Magazine

Crédits photos : FlickR CC THEfunkyman / Record Makers

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[ITW] Alfred Hilsberg : le papy grincheux de la musique allemande http://owni.fr/2010/10/07/itw-alfred-hilsberg-le-papy-grincheux-de-la-musique-allemande/ http://owni.fr/2010/10/07/itw-alfred-hilsberg-le-papy-grincheux-de-la-musique-allemande/#comments Thu, 07 Oct 2010 15:11:12 +0000 Andreas Richter http://owni.fr/?p=26913

Chez OWNImusic on aime bien les gens qui sortent du cadre, ça tombe bien, chez Vice aussi. On ne pouvait donc pas laisser passer l’occasion d’une collaboration : l’interview d’Alfred Hilsberg réalisée par Andreas Richter. Véritable figure de la musique allemande, il n’hésite pas à se dévoiler comme peu le font, tout en dressant un portrait passionnant de l’industrie de la musique.

L’industrie de la musique en Allemagne, comme dans beaucoup d’autres pays, souffre d’une histoire un peu instable. Alfred Hilsberg est parvenu à s’en sortir et est devenu l’un des rares piliers d’une industrie qui expulse les gens sans appel dès lors qu’ils deviennent grisonnants ou que des boutons horribles se parsèment sur leurs mains. En 1979, il a lancé ZickZack, un label qui offrait une plateforme pour les scènes punk, avant-garde et postpunk à Düsseldorf, Berlin et Hambourg, en réponse à l’hystérie punk anglaise. Lors des premières années, Hilsberg a sorti un disque pour chaque artiste tourmenté qui mettait le pied dans son studio (des groupes du style Abwärts, Palais Schaumburg, Die Tödliche Doris, Einstürzenden Neubauten et Freiwillige Selbstkontrolle, pour ne citer qu’eux). Il a aussi créé le terme « German New Wave » et s’est retrouvé au bout d’un moment dans une impasse financière quand tous ces gens se sont mis à faire de la merde.

Criblé de dettes, il n’avait pas un rythme de vie particulièrement sain mais est quand même parvenu à sortir des CDs. En fait, il est même allé jusqu’à fonder un autre label, What’s So Funny About, et a pris des petits groupes méconnus sous son aile comme Blumfeld dans les années 1990. Pour certains, c’est un vieux grand-père grincheux endetté jusqu’à la moelle, la relique d’une longue ère révolue. Même s’il y a un peu de vérité dans tout ça, Hilsberg et son travail actuel contribuent à faire de la musique un atout culturel. Il sort toujours des disques, et entend bien persévérer dans cette voie.

Blumfeld

Vice : On n’a pas beaucoup entendu parler de vous cette année. Comment ça se fait ?

Alfred Hilsberg : J’ai traversé une crise d’identité, comme beaucoup de gens en Allemagne. Pour moi bien sûr, c’était la conséquence de la dématérialisation du disque. Là j’ai commencé à me demander « Mais qu’est-ce qu’il se passe, là ? »

Combien de fois vous êtes-vous posé cette question ?

Tous les jours [rires]. Enfin, presque tous les jours depuis 1982. Pendant ces premières années suivant la création du label, ce n’était pas trop le moment de se poser des questions existentielles. Mais l’effondrement de la German New Wave – GNW – a été une sorte de déclic : nous n’étions pas aussi indépendants que ce que nous pensions. Bien entendu, on contrôlait toutes les sorties, mais on a fini par réaliser que nous faisions toujours partie de l’industrie musicale.

Parce que vous vous voyiez comment, avant ?

On voulait œuvrer indépendamment des structures existantes dans l’industrie musicale et ses machines marketing. On voulait que ce soit un phénomène culturel, pas un phénomène marketing. Le problème c’est qu’on n’a pas réussi à tout gérer et ça s’est transformé en une sorte de phénomène de mode. En ce qui concerne la GNW, les majors ont mis la main dessus et le marché s’est retrouvé envahi par pas mal de trucs sans intérêt, et qui ont attiré l’attention des médias. Les gens n’achetaient plus rien d’innovant ou difficile d’accès. En fait, ils n’achetaient plus rien. Il y a eu une grande période de vide à partir de 1983, jusqu’à 1985 voire, 1986.

Ça veut dire que l’engagement des premiers clients des années ZickZack s’était aussi arrêté.

Oui. Il y a peu de gens qui sont restés fidèles. Il y avait les gens qui ne se contentaient pas d’acheter, d’en parler et de nous respecter juste parce que c’était « in » de le faire, mais parce qu’ils voyaient ça comme une culture qu’ils ont réellement adoptée. Pour les autres, c’était juste une tendance qu’il fallait connaître pour pouvoir frimer devant n’importe qui.

À quel moment s’est achevé ce passage à vide ?

Cette crise identitaire s’est résolue toute seule parce qu’il y a eu quelques succès commerciaux signés sur le label What’s so Funny About, comme Gun Club, Henry Rollins et Nikki Sudden. À la fin des années 1980, l’atmosphère était redevenue généralement plus positive. C’était au moment de la pseudo-réunification. De nouvelles formes d’expression presque excessives sont arrivées à Hambourg et ont ramené des gens complètement différents comme ceux de la « Hamburg school ». Ce terme avait été inventé par des journalistes. C’est passé d’un label à un terme marketing. Néanmoins, ce terme n’a jamais été utilisé puisque cette école n’a jamais existé.

Est-ce que le désastre de la GNW a déteint sur votre stratégie commerciale ?

Et bien grâce aux succès que j’ai mentionnés juste avant, j’ai laissé les grandes structures de l’industrie musicale me prendre en otage. Ça a commencé dans les années 1980 quand le style de marketing a changé. J’agissais comme l’aurait fait une major, simplement sur une plus petite échelle. J’ai dû me réduire à apprendre toutes leurs stratégies même si j’en avais pas envie. Avec du recul, j’ai pu constater qu’aucune de ces stratégies ne m’a servi à vendre plus de disques.

Avant, les fans nous arrachaient littéralement les CDs des mains, et c’était sans stratégie marketing. Les journalistes nous couraient après, pas le contraire. Il y avait une queue interminable et ils demandaient des démos, mais on leur disait non. On leur disait « Il faut payer ». Et ils le faisaient, heureusement. On devait faire nos calculs et apprendre comment une entreprise fonctionnait. Je ne sais comment, mais je me suis retrouvé à devoir 25 000 Deutschmarks d’impôts. C’était dû aux sommes pyramidales qu’on gagnait, mais bien sûr on ne réglait pas les impôts.

Par naïveté ou par pure volonté ?

Par naïveté. De toute évidence, je ne faisais pas la comptabilité. Je ne savais même pas en quoi ça consistait [rires]. J’avais une énorme boîte remplie de reçus, puis le percepteur est venu et m’a fait « Ça ne va pas ». Je m’en suis sorti avec 25 000 marks à payer.

Henry Rollins

Est-ce la dette qui vous incombe toujours aujourd’hui ?

Non, là c’est de l’argent que je dois aux banques. Je suis allé dans la plus grande banque Sparkasse à Hambourg, j’ai filé directement au département des prêts, et je leur ai demandé si je pouvais avoir un prêt de 50 000 marks. J’avais juste besoin d’argent pour démarrer une nouvelle vie. Je leur ai dit que je savais comment relancer le label et que c’était eux qui pouvaient m’offrir l’argent nécessaire. Le lendemain, l’argent était sur mon compte mais je n’ai jamais réussi à tout leur rembourser, et je me traîne encore cette dette aujourd’hui. Mais ça ne m’embête plus.

Ça ne vous dérange pas d’être endetté ?

Ce n’est pas réel pour moi. C’est juste un phénomène virtuel. Ce serait beaucoup plus difficile si je devais concrètement rembourser 500 euros par mois. Là, je serais embêté. Mais ça ne marche pas comme ça.

Quels aspects de la fainéantise dont fait preuve l’industrie musicale vous énervent ?

En gros, que ses acteurs principaux se contentent des mêmes structures. Ils sont juste incapables de se reformer. Ils n’ont pas remarqué qu’ils sont superflus. Prenez Universal, la plus grande major de l’industrie du disque, qui marche de la même façon depuis toujours : balancez trente trucs sur le marché, et l’un d’eux finira bien par marcher. Cette technique les fait marcher depuis des décennies. Ils sortent un truc pour pas cher en voyant ce que ça donne sur Internet. Motor fonctionne sur le même principe. Tim Renner sort des trucs, mais pas directement sur CD. S’il n’est pas convaincu que ça marchera, il va voir ce que ça donne digitalement. Il s’y prend de façon à mener les méthodes de l’industrie musicale à l’extrême. Quand il fait quelque chose, il veut avoir tous les droits. Pas juste les droits d’exploitation et de publication. Il veut les droits commerciaux, les droits de management, les droits de publication, les droits digitaux, en clair toutes les parts du business. Un futur où les labels demanderont aux artistes d’amener leurs sponsors et de signer leur contrat avec eux est possible.

Est-ce qu’un label indépendant peut toujours marcher à cette échelle ?

De ce que j’en sais, Renner est devenu le favori de cette scène grâce à ses méthodes. Ça n’a pas vraiment de rapport avec notre idée de la culture indépendante. À cause de ces changements de structures, on peut avoir l’impression qu’il faut vraiment faire la compétition avec les artistes autour de nous pour faire du profit et survivre dans le marché aujourd’hui. De nombreux artistes s’y mettent parce qu’ils n’ont pas trouvé d’autre manière de sortir leur album.

Les moyens de communication de l’industrie musicale ont subi un changement radical ces dernières années. Comment est-ce que vous gérez tout ça ?

En prenant en compte l’apparition du digital depuis 2000, on s’est régulièrement demandé s’il y avait toujours un intérêt pour nous de travailler en tant que label de disques. Le téléchargement ne me dérange pas, c’est la perte de conscience sur la valeur de la musique qui me pose problème.

C’est impressionnant de voir que même dans un environnement comme ZickZack, on constate une perte de conscience de la vraie valeur de la musique.

C’est triste, mais c’est entièrement vrai. Bien entendu, il y a toujours beaucoup de gens, surtout des adultes, qui s’informent par le biais de revues culturelles, qui continuent à acheter des CD ou à télécharger de la musique légalement. Mais la génération suivante est sans pitié et ne semble pas voir la musique comme un atout culturel mais comme une chose acquise qu’on peut trouver à chaque coin de rue.

Est-il trop tard pour apprendre à cette génération à respecter la musique ?

Je ne sais pas ce qu’il leur faudrait pour changer d’attitude. Théoriquement parlant, on aurait besoin de quelque chose comme une grève de la musique. Il nous faudrait un mouvement entier de musiciens, qui s’organiserait entre eux ou se syndiqueraient pour annoncer qu’ils ne veulent plus faire de musique jusqu’à ce que les gens arrêtent de télécharger. Mais comment est-ce que ça pourrait marcher ? C’est impossible. Personnellement, je ne pars pas non plus à la poursuite de la Fata Morgana de l’Internet. Notre base reste les albums matériels. Je pense qu’internet a beaucoup contribué à la dévaluation de la musique. Ce n’est plus vu comme le produit d’une société qui coûte de l’argent et a besoin d’argent en retour. Les gens achètent des t-shirts et toutes les vieilles merdes qu’ils peuvent obtenir lors d’un concert. Sans mentionner le fait qu’ils sont contents de payer leur place de concert une fortune.

C’est le point de vue d’une personne qui possède un label. Mais du point de vue d’un client, est-ce qu’il croit soutenir l’artiste ?

En ce qui concerne les places de concerts en club, ce genre de comportement m’est tout à fait acceptable. Mais beaucoup de gens se font de l’argent avec les gros concerts et festivals, et c’est pareil pour tous les goodies de merde.

Mais le client ne s’en rend pas compte.

Le client ne s’en rend pas compte, c’est vrai. On peut émettre l’hypothèse qu’ils pensent qu’en achetant un maillot avec le nom de Ballack dessus, la majorité de leur argent ira à Ballack. Ils n’ont pas conscience que c’est la Fédération allemande de football qui remplira ses caisses. Ils ne savent pas, c’est tout. 1,2 million de t-shirts ont été vendus pendant la coupe du monde, et chacun coûtait en moyenne 59 euros. C’est fou.

Katze

On entend souvent dire qu’il y a eu une démocratisation de ressources liée à la numérisation. Diriez-vous qu’il y a plus de choses sans intérêt qu’avant à cause d’internet, ou que c’est juste devenu plus visible ?

Je pense réellement qu’il y a plus de choses sans intérêt à cause de la numérisation. Simplement parce que n’importe qui peut y avoir accès, parce que quelqu’un de n’importe quel niveau peut produire de la musique et que ces niveaux ne sont pas intéressants. Je pense que c’est juste une pseudo-démocratie, parce que même maintenant, seules certaines personnes peuvent réellement s’affirmer – ceux qui ont de l’argent, par exemple. Cette histoire des Artic Monkeys était montée de toutes pièces. Sans argent, ils n’auraient jamais pu percer.
Vous refusez de croire que la qualité puisse prévaloir ?

Bien sûr, il existe toujours un cas particulier où la qualité prévaut sur le reste. Il est aussi possible que ça marche grâce à un stratagème rondement mené sur internet. Il y a plein de gens qui continuent d’essayer. Sur internet, j’ai entendu autant de bonnes choses que lorsque j’écoutais des démos. Et ça ne représente pas grand-chose.

Travailler dans la musique en tant qu’artiste ou manager de label, c’est un peu se battre pour survivre. Combien de temps tiendrez-vous ?

Il est clair que ça laisse des marques. Vous pouvez mesurer les conséquences rien qu’en me regardant. Prenez des photos de moi il y a 25 ans et vous verrez qu’il y a eu un changement énorme. Ce n’est pas juste à cause des drogues, mais aussi à cause de cette lutte quotidienne pour survivre. Certaines de mes connaissances dans le business veulent savoir comment on a réussi à rester en vie. C’est une grande surprise pour eux, que je continue à sortir des disques.

En parlant de drogues, c’est toujours un problème pour vous ?

Oui. Même si je suis surtout alcoolique. Je ne suis pas obligé de boire, mais j’aime ça. C’est comme ça depuis 67 ans. Ça a commencé avec le journalisme musical, en 1965. J’étais maître de conférences à l’école d’art d’Hambourg et j’ai eu un examen médical quand j’ai commencé. Ils ont vu que j’avais un problème de foie mais mon docteur m’a dit « Ce n’est pas grave, tes reins fonctionnent toujours ». Ça m’allait très bien comme ça. Je ne voulais pas faire de comparaison directe, mais vivre sans alcool équivaudrait à m’imaginer un monde sans musique. Et je ne peux pas le faire.

Comment allez-vous aujourd’hui ?

Récemment, je suis allée voir un docteur pour une pléthore de raisons diverses. J’ai perdu l’ouïe à cause du stress et j’ai dû prendre des médicaments un peu violents, comme de la cortisone. Je ne pensais pas que ça me ferait un effet pareil. À ce propos, mon docteur m’a dit qu’il faudrait que je traite ma consommation d’alcool autrement. Peut-être que je devrais me contenter de vin. [Rires]

Qu’est-ce que vous buvez, du coup ?

Exclusivement de la vodka. Je suis bourré après un verre de bière ou de vin, je ne supporte pas.

N’importe quel docteur vous dirait probablement d’éviter tout stress.

Je sais, il m’a déjà dit la même chose. Il voulait savoir si je pouvais faire autre chose que m’enfiler des comprimés. Je lui ai dit que j’essaierais de téléphoner moins et de réduire mon nombre de rendez-vous, ce à quoi il a rétorqué « Si vous n’arrêtez pas de vous imposer ce stress, je serais contraint de vous mettre à l’hôpital pour votre propre sécurité ».

Pensez-vous être la propre cause de votre santé, et que vous ne prenez pas assez de temps pour vous ?

Je m’occupe de moi d’une façon complètement stupide. Il faut vraiment que j’y remédie. J’aimerais avoir quelqu’un pour m’assister un peu pendant la journée, mais ça ne suffirait pas. Il me faudrait au moins deux personnes pour que je puisse avoir du temps pour moi, mais ce n’est pas financièrement envisageable pour l’instant.

Pourquoi la musique allemande peine-t-elle autant à marcher à l’étranger ?

C’est un problème complexe. La musique la plus intéressante se fait toujours dans les pays anglo-américains – musicalement parlant en tout cas. Les paroles, c’est un autre problème. Ici en Allemagne, les gens ne prêtent pas beaucoup d’attention aux paroles. Le Krautrock et Kraftwerk sont les seules exceptions à la règle. Il y a beaucoup de pays, en particulier les États-Unis et le Japon où les gens veulent écouter une musique juste parce qu’elle vient d’ailleurs. Einstürzende Neubauten, Palais Schaumburg et Blumfeld n’étaient pas juste musicalement intéressants, c’était une attitude à part entière. Ces groupes avaient quelque chose d’original, ils étaient vus comme étant authentiques. Et c’est nécessaire, si tu désires que ta musique soit écoutée en dehors de l’Allemagne.

Ce qui est difficile, bien sûr, c’est quand des groupes allemands copient les Américains ou les Anglais.

Complètement. Encore plus quand on constate qu’il est très difficile de positionner la musique allemande internationalement. Beaucoup de nos connexions internationales se sont arrêtées avec la fin de Blumfeld. Non pas que ce soit la faute de Blumfeld. C’est aux nouvelles technologies et à la crise de l’industrie musicale que l’on doit dire merci.

Y a-t-il eu des moments dans votre vie où vous pensiez en avoir assez de la musique ?

En effet, il y en a eu. Mais surtout en 1982-1983, quand la GNW s’est effondrée et qu’elle a failli nous entraîner dans sa chute. C’était trop pour moi, et j’ai eu envie d’arrêter. Je n’avais pas le courage de continuer. C’est là que j’ai commencé à écrire pour Sounds Magazine. Je passais mes journées à écouter de la musique et à en parler. Si vous écoutez une trentaine de nouvelles choses en une journée, vous commencez à vous dire que vous ne voulez plus rien écouter. Au milieu des années 1980, j’ai recommencé, mais de manière très sélective. En fait, pendant environ dix ans, j’ai arrêté de suivre, de remarquer et de critiquer toutes les tendances émergentes. Chaque personne a son point de non-retour, et je me fiche des discussions superficielles sur les groupes cools désormais.

Jen Friebe

Vous aviez un plan B ?

Non. C’est ma faute, j’aurais dû en prévoir un. Mais je n’ai jamais vraiment réfléchi à ma propre existence. Je ne me suis jamais assez protégé.

Vous n’aimez pas être vu comme le patron du punk, je me trompe ?

Le punk m’a toujours semblé stupide et limité – musicalement, et en terme de style. Je n’ai pas envie d’être apparenté au punk. On va prendre pour exemple Abwärts que j’avais signé, c’était un peu une relation de type « je t’aime, moi non plus ». Je les ai réécoutés récemment à la radio. Le groupe m’a dit que je ne les avais jamais appréciés, et je leur ai répondu « Oui, c’est vrai. » Ils m’ont fait « Mais ça ne t’a pas empêché de prendre notre argent », et j’ai répliqué « Bien entendu ! ».

Malgré toutes nos différences, on en a fait beaucoup pour Abwärts et ils ont fait beaucoup pour nous, en terme d’organisation. Ils ont distribué leurs propres démos et leurs propres disques parce qu’ils voulaient en avoir le contrôle. Ils ont aussi gagné plus d’argent que les autres groupes, précisément parce qu’ils étaient très impliqués.

Ils ont agi selon votre idée de ce que devraient être les artistes.

L’artiste idéal n’existe pas. Le mieux que l’on puisse faire, c’est s’impliquer avec une grande variété de personnes différentes. Je pense qu’un artiste devrait vivre selon ses propres principes. Il devrait être capable de tout contrôler. Il devrait pouvoir être lucide et se promouvoir lui-même. Il devrait être là lorsque son site est créé, il devrait connaître les droits d’un artiste et tout ce qui est relatif au copyright, et savoir quels sont ses droits de performance, aussi. Il devrait mesurer la portée que peut avoir la pochette d’un disque – ce n’est pas juste une jolie photo, ça crée aussi une image. Beaucoup d’artistes me diront que savoir toutes ces choses, c’est du matraquage, mais ce sont des points essentiels. Dans certains cas, ça m’a mené à me lasser d’un groupe ou d’un artiste avant que je réalise que le musicien n’était même pas sérieux. Pour eux, c’est juste un moyen plutôt sympa de s’occuper pendant leur temps libre, lorsqu’ils n’étudiaient pas.

Y a-t-il un artiste en Allemagne que vous aimeriez signer sur votre label ?

C’est une question délicate. Je suis dégoûté que les Panik ne soient pas sur mon label. Je n’ai même pas pu décider, d’un coup il y a eu un flot de personnes qui m’ont dit que je ne pouvais pas les signer. Ce sont de vieilles embrouilles berlinoises, une expérience que j’aurais aimé éviter. Mais il n’empêche que j’adore le groupe !

Vous êtes-vous déjà dit que vous pourriez gagner beaucoup d’argent grâce à la musique ?

Non, jamais. Certains l’ont pensé, mais ça n’a jamais été mon genre. J’ai juste fait ce que je voulais faire, ou à peu près.

Avez-vous déjà regretté une décision ?

J’aurais peut-être dû être un promoteur de concerts ou un organisateur, pas un manager de label. J’en avais l’opportunité. Une agence anglaise de concerts m’a demandé si je voulais être leur représentant allemand parce qu’ils me voyaient bien dans ce rôle. J’avais fait tous les grands concerts en Allemagne de 1980 à 1982, tout, de The Cure jusqu’aux Dexy’s Midnight Runners. J’avais l’occasion de lancer une agence de touring prospère. Ça a été une erreur de ne pas le faire, mais je ne la regrette pas.

Ça fait trente ans que vous faites votre métier. Qu’est-ce qu’il va se passer pour vous après ?

Malgré toutes ces discussions sur les crises, que j’apprécie, il y a toujours quelque chose de bien à venir. Bien sûr, beaucoup de ces choses bien sont à Berlin maintenant, mais c’est le plaisir de la capitale qui fait ça. Les deux prochaines sorties ZickZack sont des artistes berlinois, avec qui je travaille depuis un moment. Katze sort son deuxième album chez nous, et le quatrième album de Jens Friebe est prévu pour octobre. Je n’ai pas envie de tous les lister, mais 206 vont vraiment exploser l’année prochaine. Vous verrez, mon apogée sera pour la trente-et-unième année de ma carrière.

Article initialement publié sur Viceland.com

Crédits illustration : Franck Hohne ; Images Oliver Schultz-Berndt ; Kiron Guidi ; Mosesxan ; bloernstar

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Quel avenir pour les journalistes musicaux ? http://owni.fr/2010/10/05/quel-avenir-pour-les-journalistes-musicaux/ http://owni.fr/2010/10/05/quel-avenir-pour-les-journalistes-musicaux/#comments Tue, 05 Oct 2010 08:06:51 +0000 Florian Pittion-Rossillon http://owni.fr/?p=30431 Retrouvez cet article et bien d’autres sur OWNImusic, que nous lançons avec joie ces jours-ci !

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La presse écrite souffre, les maisons de disques tanguent. Au rythme des annonces de baisse des volumes de vente, s’ajoute la mélopée des inquiétudes sectorielles. Et naturellement, les regards se tournent vers les victimes parmi les plus exposées de ces troubles industriels : les journalistes musicaux. Quelle place pour leur expertise quand celle-ci, diluée dans le flot de la prise de parole des amateurs, voit son impact sur l’image d’un disque considérablement amoindrie ? (On laisse ici de côté un débat bien plus ancien sur les conséquences des critiques sur les ventes).

Dans l’ancien temps, le journaliste musical avait un rôle défini par l’organisation de la vente de disques. Le label ou le distributeur concentrait sur cet interlocuteur les informations B2C relatives à la date de sortie et aux points de vente. Le journaliste signalait la disponibilité du disque au grand public, dans un système où l’information était rare, alors même qu’on achetait des disques sans les avoir écoutés. La possibilité d’annoncer l’existence d’un disque posait donc les fondations de la crédibilité journalistique, étayée par cet accès privilégié à l’information. Le journaliste bénéficiait du prestige « d’en être ». Le sens de son opinion autorisée venait en deuxième lieu.

L’échelle de l’évaluation des avis journalistiques

Dans nos époques troublées, le journaliste n’a plus le monopole de l’information et doit donc son statut à la seule teneur de ses avis. Comment en mesurer la valeur ? Quelle est l’échelle d’évaluation ? Est-ce la somme des mots-clés insérés dans une chronique ? Car on connaît l’obligation qu’ont les pigistes de Télérama d’écrire « clair-obscur » ou « bleus à l’âme » dans une chronique d’un album de chanson française. On sait la malédiction qui a frappé les Inrockuptibles pendant toute la décennie 2000, imposant à ses rédacteurs les termes « bidouilleur de génie » et « sorcier du son » dans toutes les chroniques de musique électronique. Et l’on n’ose évoquer sans frémir la domination brejnevienne du duo « décalé » & « déjanté », impitoyables équarisseurs bordant le moindre demi-feuillet du côté de chez Nova & Technikart.

Non, la valeur de la parole du journaliste viendra plutôt de la reconnaissance de son positionnement par le grand public, pour continuer de se détacher du frère ennemi de toujours : le critique amateur, désormais sacralisé par la dictature populaire de « l’avis consommateur ». Il va s’agir de se distinguer, et par le haut. Hardi, guérillero, choisis ton camp : cinq nomenclatures de carrière sont possibles.

Me, Myself and Moi

Trempant sa plume dans le sang des vierges sacrifiées sur l’autel des mythes antiques, tartinant son érudition sur le clitoris de nos ignorances, ce dernier des braves investit la langue d’une mauvaise foi qui signale les meilleurs.

1. L’utra-défricheur. Dérivé de l’ancienne posture de l’initié. C’est celui qui continue d’être informé avant tout le monde. Aujourd’hui, il doit pour cela extrêmiser la démarche et déclarer adorer écouter des démos de Folk Progressif Tatare pendant l’orgasme, pour rester « preum’s ». Le risque : le syndrome de Charles-Edouard, l’érudit relou qui saoûle les meufs en soirée avec ses tirades très progressives elles aussi.

2. L’archiviste. Capitalise sur sa culture pour se poser en guide dans la touffeur de la musique moderne. C’est l’opposé de l’ultra-défricheur. Celui-ci la joue conservateur de musée et commissaire d’exposition, dont le jugement se pare de connaissance historique. Le risque : le syndrome de Tron, où quand malgré tous ses efforts on se fait avaler par la machine (les algorithmes de Google en l’occurrence, plus en phase avec les pratiques actuelles de consommation boulimique de la musique).

3. Le troubadour. A déserté le terrain du fond pour celui de l’entertainment. Rendu au rang de conteur, le journaliste légitime ainsi narrer ses versions toutes personnelles de la Grande Geste du Folk Progressif Tatare. Le risque : le syndrome du bouffon (dit aussi de la patrickeudelinisation). Réduit à sa caricature, le troubadour fourgue des pitreries qui fond oublier le sujet qui les motive.

4. Le post-journaliste. La valeur de ses avis vient de la charge narcissique qu’ils étalent. Déjà ricanant et satisfait comme un parfait réac, confit dans sa posture ultra-relativiste, il a pour modèle le journaliste de Technikart des années 2000 : chaque article étant un morceau de la grande prose auto-fictionnelle qu’il n’écrira jamais. Le risque : le syndrome de la SNCF, où quand la casquette de contrôleur finance les illusions perdues.

5. L’écrivain. Trempant sa plume dans le sang des vierges sacrifiées sur l’autel des mythes antiques, tartinant son érudition sur le clitoris de nos ignorances, ce dernier des braves investit la langue d’une mauvaise foi qui signale les meilleurs. Des grands anciens (Philippe Manœuvre, Lester Bangs) aux parrains discrets mais tenaces (Marc Zisman, Guido Minisky), en passant par la racaille sardonique (les auteurs des chroniques nihilistes de Vice Magazine), tous manient le beau geste. Le subjectif est leur destrier, le rire est leur épée, le style est la cape dont ils se drapent en piétinant les cadavres de médiocres.

Prescripteur de rien

Bon, est-ce que donner un sens veut dire devenir prescripteur ? Qu’est-ce qu’être prescripteur ? C’est avoir une fonction précise dans un process global visant à déclencher l’acte d’achat. Or un journaliste doit avoir un rôle (cf nomenclature ci-dessus), mais pas une fonction de catalogue parlant (bonjour tristesse). Un journaliste musical idéal aurait à se réjouir de n’être prescripteur de rien. Laissons aux algorithmes le soin de la prescription, et à l’humanité celui d’enjoliver l’aléatoire. Comme dit Jeff Bezos, PDG fondateur d’Amazon :

Content won’t be made by machines

Article également publié sur Culture DJ, un blog qui envoie la purée

Crédits photos CC FlickR par Mike Rohde, sunside

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http://owni.fr/2010/10/05/quel-avenir-pour-les-journalistes-musicaux/feed/ 5
Oui, on peut encore gagner de l’argent avec sa musique http://owni.fr/2010/05/06/oui-on-peut-encore-gagner-de-l%e2%80%99argent-avec-sa-musique/ http://owni.fr/2010/05/06/oui-on-peut-encore-gagner-de-l%e2%80%99argent-avec-sa-musique/#comments Thu, 06 May 2010 10:38:33 +0000 Virginie Berger http://owni.fr/?p=14574 Ancienne directrice marketing de MySpace, Virgine Berger anime le blog Don’t Believe The Hype. Dans cet article, elle fait la liste de l’ensemble des stratégies gagnantes pour les artistes à l’heure du web social. En effet, de nombreux artistes, connus ou pas, choisissent d’utiliser Internet afin de se connecter à leurs fans, ce qui permet d’augmenter leurs revenus. Une façon de revitaliser une industrie du disque moribonde.

Retrouvez Virginie Berger sur Twitter

Oui, on peut encore gagner de l’argent avec sa musique…

….mais différemment.

2,5% de la production musicale représente 70% de la diffusion radio…Et l’an passé, 90 % des revenus des ventes en ligne sont allés à seulement 10 % des groupes. Il devient de plus en plus dur de développer et exposer de nouveaux talents, or c’est là que tout reste à faire.

On entend souvent l’expression “S’adapter ou mourir” concernant les maisons de disques. Je suis d’ailleurs la première à l’utiliser…

Ça peut sembler exagéré, menaçant… mais pour l’industrie musicale, il s’agit des deux seules alternatives. Et elles n’ont jamais semblé aussi réelles. Dans les prochains mois, EMI pourrait très bien disparaître. Et toutes les grandes maisons de disques se jettent à corps perdu dans des batailles perdues d’avance.

Alors que leur principal concurrent est la gratuité, elles ne se focalisent que sur l’éradication du partage de fichiers illégaux alors qu’elles devraient rentrer en concurrence frontale avec le gratuit et proposer des produits à forte valeur ajouté.

Imaginons que les maisons de disques aient compris cela il y a 10 ans au lieu de faire de la lutte contre le téléchargement illégal le cœur de leur business model. Nous aurions des fichiers DRM Free et un Itunes interopérable depuis des années…

S’adapter ou mourir donc…

Mais il reste de nombreux et différents leviers de monétisation (voir mon article sur http://digitalmusic.tumblr.com/post/330391306/quels-sont-tous-les-canaux-de-revenus-potentiels-pour) et de nouveaux business modèles émergents, permettant aux artistes (comme aux labels) de pouvoir vivre de la musique.

Le marketing direct to fans – ensemble d’actions marketing se concentrant principalement sur la monétisation de la relation artiste et fan – est en plein développement. Ce business model ne dépend plus uniquement de l’air play radio ou les diffusions de clips en TV. Il dépend principalement de la relation entretenue entre les artistes et leurs fans.

Mike Masnick (rédacteur en chef de Techdirt) l’a très bien théorisé avec cette formule :

Connecting with Fans (CwF) + Providing a Reason to Buy (RtB) = $$$

En résumé, trouvez vos (vrais) fans, fidélisez les, donnez leur une raison d’acheter et à cette condition vous gagnerez de l’argent.

De nombreux artistes, maintreams ou indépendants ont radicalement changé de modèle marketing pour utiliser principalement le marketing direct to fan avec succès. Parmi les plus connus, citons les exemples de Nine Inch Nails, Radiohead, Imogen Heap, Amanda Palmer, David Byrne, les Beastie Boys, Weezer, Jonah Matranga, Exsonvaldes ou Cyril Paulus pour la Franc e…

Cela peut sembler assez facile: l’artiste entre en contact avec ses fans, leur donne une raison d’acheter et monétise. Mais comment savoir qui sont ses fans? Comment rentrer en contact avec eux?

Comment attirer leur attention quand il y a à peu près 6 millions d’artistes sur MySpace? Cela peut paraître simple pour NIN et Radiohead, qui ont bénéficié du soutien de leurs labels pendant des années, et qui possédaient un public déjà très important lorsqu’ils ont décidé de quitter leurs labels respectifs. Alors comment un artiste en développement, seul, peut émerger, attirer l’attention et gagner de l’argent?

Est-ce que le marketing direct to fan n’est pas mieux adapté aux artistes établis ou réfugiés des majors ?

En fait, cela est très simple si vous comprenez bien l’essentiel de ce modèle.

Le cas Trent Reznor

Trent Reznor, l’homme derrière le groupe Nine Inch Nails, a fait de très nombreuses expériences qui démontrent bien comment fonctionne ce modèle. Il en est même devenu le véritable précurseur et chef de file.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Reznor a toujours fait en sorte d’être proche de ses fans et a créé un des meilleurs sites d’artiste, avec forums, chat rooms et de nombreuses possibilités d’interaction. Il encourage également les fans a réellement interagir les uns avec les autres.

Alors que Warner Music a bloqué tous les clips de ses artistes sur Youtube pendant des mois, Reznor regroupe sur la home page de son site web toutes les vidéos prises par ses fans lors de ses concerts (il encourage ses fans à prendre photos et vidéos). Il a même créé une application Iphone gratuite qui permet à ses fans de se retrouver, de communiquer les uns avec les autres, et de partager photos et vidéos.

Tout le propos de Reznor est de bien comprendre comment attirer et se connecter avec ses fans et de les aider à mieux se connecter les uns aux autres, comme s’ils faisaient partie d’un club.

Et à partir de là, on a toutes les raisons d’acheter (Rtb=Reason to buy). Et Trent Reznor donne toutes les raisons d’acheter. Récemment, il a décidé de mettre en ligne gratuitement tout ce qu’il enregistrait. En effet, sachant que sa musique sera de toute façon sur les sites de partage de fichier, il ne voit aucune raison de perdre son temps à combattre cet état de fait.

Par contre, il ajoute à sa musique tellement d’options que les gens ont de toute façon envie de l’acheter. Lors de la sortie de son album Ghosts I-IV, il a mis en ligne tous les titres sous une licence Creative Commons permettant à tout le monde de les partager en ligne gratuitement.

Mais il a également mis en place des “raisons d’acheter” très simples. Vous pouviez acheter le CD 2 disques pour 10 $. Vous pouvez également acheter le Deluxe Edition pour 75 $ (coffret, CD, DVD, Blu-ray et un album photo).

Il a également mis en vente 2500 exemplaires d’un coffret Ultra Deluxe limited Edition à 300 $. Avec le coffret, vous aviez CD, DVD, Blu Ray, Vinyls de haute qualité et album de photos très rares sur une impression haute qualité. Mais, le plus intéressant est que Reznor a signé lui-même tous les coffrets. De sa main.

Au final, il a vendu en moins de 30 heures les 2.500 coffrets pour un total de 750.000 $.

Si l’on regarde de près les chiffres de Reznor, on s’aperçoit qu’il donne sa musique, soit, mais que cela ne signifie pas qu’elle est gratuite.

En étant toujours au plus près de ses fans, il leur a donné une raison d’acheter. Et c’est ce qu’ils ont fait !

Dans la seule première semaine de sortie de son album, Trent Reznor a engrangé 1,6 million de dollars.

L’idée que l’on ne peut pas rivaliser avec le gratuit ou que le gratuit signifie qu’il n’y a pas de business model est un mythe. Quand la musique devient gratuite, cela ouvre de nouvelles opportunités pour des business modèles efficaces.

Le dernier album de Reznor, « The Slip », sorti il y a quelques mois, était également gratuit. Mais il est sorti le jour même de l’annonce de la tournée de la prochaine tournée de Nine Inch Nails. Ce que Trent Reznor demandait ? De lui laisser une adresse email si vous téléchargiez son album. Dès que vous aviez donné votre email, vous pouviez ensuite télécharger ses titres, en format FLAC (meilleur que le simple MP3).

Mais comme vous aviez laissé votre adresse email, vous avez donc reçu un email vous informant de la tournée, dans votre ville ou pas loin… et les tickets sont partis à toute vitesse.

La musique gratuite n’a pas nui à la capacité de Reznor à gagner de l’argent. Elle l’a même renforcée.

Alors oui me direz-vous mais Reznor n’est vraiment pas représentatif. Car après tout, sa fanbase, il l’a construite alors qu’il était encore signé sur un label. Et c’est ce « vieux modèle » qui lui a permis de sortir des albums, d’en faire la promotion, de construire sa fanbase et devenir une star du rock.

Alors même si on peut ergoter sur la conséquence réelle de sa signature dans un label dans la réussite actuelle de Reznor, il est intéressant d’étudier comment ce modèle marche pour de nombreux artistes, très différents, des superstars aux artistes en développement.

John Freese: une stratégie radicale

Josh Freese est un batteur, qui apparaît sur plus de 100 albums et se produit avec de nombreux groupes. Il a joué avec Nine Inch Nails, Guns N’Roses, Sting, Devo, The Vandals, The Offspring. Pourtant, en dehors des cercles spécialisés, il n’est pas vraiment connu. Quand il sort son deuxième album solo, Since 1972 , en mars 2009, il décide de mettre en place un système similaire à ce qu’avait fait Reznor sur Ghosts I-IV mais adapté à sa propre personnalité – En résumé, un peu extrême…

Il y avait donc la possibilité d’acheter la musique et les CD pour vraiment pas cher. Mais pour 50 $, John Freese vous appelait directement et vous pouviez lui parler 5 minutes, en lui posant toutes les questions que vous vouliez sur lui ou ses amis. Pour 250 $ vous pouviez déjeuner avec lui et pour 500 $ vous déjeuniez dans un restaurant très haut de gamme. Les déjeuners se sont vendus en une semaine environ.

À 2.500 $ (dans la limite de 5 packages), il vous donne une leçon de batterie (et vous pouvez garder une de ses caisses claires). Vous pourrez également visiter le musée de cire de Hollywood avec Freese et un de ses amis rockstar (à choisir dans une liste). Et puis vous pourrez aussi choisir 3 vêtements dans sa garde robe et les garder.

A 10,000 $, vous dinerez avec Freese et un de ses amis rockstar, avant d’aller à Disneyland toujours avec Freese. Et à la fin de la soirée, vous garderez la Volvo break de Josh – après l’avoir déposé chez lui. Evidemment, il n’y avait qu’un seul package de disponible.

Il y avait aussi des packages à 20.000 $ et à 75.000 $ avec des offres comme avoir Freese comme batteur dans votre groupe ou l’avoir comme assistant personnel pendant quelques semaines. Vous pouvez aussi partir en tournée avec lui. Il pourra même écrire et enregistrer une chanson sur vous. Un adolescent de Floride avait acheté l’option à 20.000 dollars, et a passé une semaine avec Freese, dont une nuit sur le Queen Mary, une soirée pizza chez et avec Mark Mothersbaugh (de Devo) et un mini-golf avec le chanteur de Tool.

C’est quoi être un artiste maintenant?

Alors là, on me dira, oui, mais est-ce qu’un artiste doit faire ça, ce n’est vraiment pas son métier… Oui mais d’abord, c’est quoi être un artiste maintenant? ne doit-il pas se poser la question constamment de comment monétiser, de comment se rendre visible, aller chercher du public..Et puis enfin, personne n’a obligé Freese à quoi que ce soit. Il a composé ses packages et s’est amusé tout seul. Et il ne conseille à personne de le faire. ET je ne le conseille pas non plus, ce qu’a fait Freese est plutôt radical.

Mais en se faisant connaître, en créant sa base fans, en leur donnant quelque chose qui avait réellement de la valeur (et qui lui plaisait), il a crée un business model qui a marché.

Bon, alors oui, d‘accord me dira t’on, mais Freese est un produit de la vieille industrie, il a des amis rock stars, ce n’est pas juste…

Jill Sobule: être proche de ses fans pour financer son album

Parlons alors de Jill Sobule, qui avait produit un hit en 1995 avec “I Kissed A Girl” (non non pas celui de Katy Perry). Depuis, elle a été virée par 2 majors puis 2 labels indépendants. Elle a donc décidé de faire appel à ses fans pour financer son nouvel album. Elle était déjà proche d’eux via Facebook, en lançant des concours tous les jours, en chattant, répondant aux questions…

Elle a donc lancé son site web «Jill’s Next Record» en offrant, comme Reznor et Freese de nombreux packages pour inciter ses fans à financer son album. En payant 200 $, ils avaient par exemple un accès gratuit à tous ses concerts. Ils pouvaient même avoir leur propre chanson de remerciement. Pour 5000 $, elle fait un concert chez vous, et n’a aucun problème à ce que vous fassiez payer l’entrée. Elle a fait environ 6 concerts. Pour 10,000$, vous pourrez chanter sur l’album. En fait, au départ, elle avait proposé ce package comme une blague, mais une femme au Royaume-Uni l’a acheté. Jill l’a donc fait venir à Los Angeles pour lui faire faire les chœurs sur son album.

Son objectif était de recueillir 75,000$, sans avoir aucune idée de ce qu’elle pourrait récupérer. Au final, elle a levé 80.000$ en 53 jours. Grâce à ça, elle est rentrée en studio, elle a enregistré son album et a pu embaucher un producteur.

Encore une fois, là vous pourrez me dire « oui, mais bon, elle avait enregistré un titre en 1995, alors ça compte pas.. », sauf que bon, depuis 1995, elle a été virée de 4 maisons de disques…

Corey Smith: donner sa musique peut rapporter gros

Alors, parlons de Corey Smith. Début 2000, Smith était un professeur de lycée, et artiste nuits et week-ends. Il a décidé de se consacrer uniquement à la musique. Il a commencé à tourner, en se concentrant particulièrement sur la construction de sa fan base en utilisant son site et réseaux sociaux.

Il donnait toute sa musique gratuitement sur son site web pour ramener des gens à ses concerts. Il offrait également des tickets en pré-vente à seulement 5$ (pour ses concerts), ce qui incitait ses fans à justement élargir le cercle en incitant famille, amis à en acheter. Il a donc considérablement développé sa fanbase. Il a également essayé différentes expériences et notamment celle de ne plus donner gratuitement sa musique sur son site web. Résultat: ses ventes sur Itunes ont diminué.

En 2008, Corey Smith a gagné près de 4 millions$, en grande partie grâce aux concerts qu’il a initié grâce à son site et réseaux sociaux. Et tout en donnant sa musique gratuitement, il a tissé des liens avec les fans en leur donnant une raison d’acheter.

Fanfarlo + Stratégie numérique réussie = succès

Fanfarlo est également un très bon exemple de l’utilisation du marketing direct to fan pour un groupe en développement. L’album du groupe, alors seulement travaillé par leur maison de disque sur Itunes s’est vendu à 850 exemplaires.

Le groupe, en reprenant la main sur son marketing et en s’associant avec TopSpin Media a alors vendu 13 000 albums. Sans compter l’accroissement très important du public à leur concert et l’augmentation des ventes de merchandising.

Ils ont appliqué différentes techniques, très simples, déjà utilisées avec succès par les vétérans du Direct to Fan (Nin, Weezer, Beastie Boys…): site web constamment remis à jour, points d’accès digitaux multiples mais très simplement gérés Flickr, YouTube, Facebook…), newsletters, emails, recommandation de groupe plus connus (Sigur Ros en l’occurrence a beaucoup recommandé Fanfarlo comme avait pu le faire John Mayer avec Passion Pit), offre de promotion spéciale sur l’album vendu à 1$ pendant quelques jours, applications et widgets…

Donner leur musique à 1$ n’a pas fait baisser les ventes. Bien au contraire. Cela a attiré de très nombreuses personnes sur le site. Qui ont écouté la musique. Puis acheté l’album et différents packages.

Alors bien sûr, tout le monde ne peut pas se payer le luxe d’être recommandé par Sigur Ros.

The Lights Out et le hashtag magique

The Lights out, groupe basé à Boston souhaitait développer leur visibilité et acquérir de nouveaux fans pour leurs tournées. Ils ont donc décidé d’organiser des concerts flash mob via twitter. Ils ont demandé à leurs followers quels étaient les meilleurs endroits, ont créé un événement sur Facebook, puis un hashtag sur Twitter pour regrouper tous les messages. Ce qui a décuplé l’intérêt des followers de leurs followers qui voulaient en savoir plus sur le pourquoi de l’hashtag, et ce hashtag s’est vite transformé en générateur de viralité. Le groupe a continué à twitter de l’événement et après, en repostant des photos, des commentaires. Au final, 70,000 impressions (couverture medias, twitter, twitpic) sur eux.

Jonathan Coulton: un morceau gratuit par jour

Jonathan Coulton était un programmeur informatique. En septembre 2006, il a décidé d’écrire, d’enregistrer et de sortir une nouvelle chanson par semaine pendant un an – toutes publiées sous licence Creative Commons, (ce qui veut dire que n’importe qui peut les partager). Et ça a bien été partagé.

Coulton est devenu une vraie sensation sur le web, et de plus en plus de fans le suivaient. Certains ont même créé des vidéos pour ses titres. Il vit maintenant de ses tournées, qu’il a initiées via le web. Il est également connu pour ses petites phrases comme “…you’ve got a more advanced recording studio in your laptop than the Beatles had when they made Sgt. Pepper’s, so record your music yourself.” Ou “Send out a million pieces of yourself to interact with potential fans. If they’re out there, they’ll find you — and hopefully sometime after that, give you money.”

Moto Boy: l’avenir est dans les boîtes à musique

Moto Boy est un auteur-compositeur interprète suédois sur le label « Songs I Wish I Had Written ».

Moto Boy et son label ont décidé de mettre tous ses titres sur les sites de partage de fichiers y compris The Pirate Bay. Mais dans le même temps, Moto Boy travaille beaucoup pour se connecter et interagir avec ses fans. Sur son site web, il encourage les fans à interagir avec sa musique. Quand ces fans ont commencé à filmer ses concerts et à les poster sur Youtube, son label a été cherché les meilleures pour les regrouper et en faire un « maxi concert YouTube ». Rien à voir avec certains labels qui forcent les artistes à retirer le contenu.

Même si sa musique est gratuite, il continue à se connecter de manière étonnante avec ses fans. L’année dernière, il a vendu sa musique dans des coffrets boites à musique. Il a même lancé des boites à musique en édition limitée (25) fabriquées à la main, signées par lui-même, avec un CD , les partitions et paroles. Tisser des liens avec les fans et leur donner une raison d’acheter au-delà de la musique a fait de Moto Boy un artiste reconnu en Suède.

Amanda Palmer: Do It Yourself 2.0

Amanda Palmer est la chanteuse des Dresden Dolls, un « duo punk cabaret » et a enregistré un album solo sur le label Roadrunner (filiale de Warner Music). Comme elle a trouvé qu’ils géraient plutôt mal sa promotion, elle a décidé de prendre les choses en main.

Elle a donc été chercher ses fans directement sur les réseaux sociaux, en étant notamment très active sur Twitter. Elle a ensuite offert des concerts flash un peu partout où on l’appelait. En Juin 2008, elle a fait un concert flash sur une plage de Los Angeles en proposant un titre qu’elle avait écrit le matin même suite à la suggestion d’un fan sur Twitter.

Ça a donné un super clip vidéo tourné par un fan. Elle a réussi à créer également son propre business model. Un soir, en discutant avec ses fans sur Twitter, elle a lancé l’idée de faire du merchandising avec des t-shirts qu’elle customiserait personnellement. Elle a tout mis en place en quelques heures (via des sites de merchandising sur internet) et a vendu pour 11.000 dollars de merchandising en quelques jours. Une autre nuit, via sa webcam, elle a lancé en direct une vente aux enchères en ligne pour différents articles de sa tournée, qu’elle personnalisait. En trois heures, elle a gagné 6.000 $.

Il y a encore quelques semaines, elle disait n’avoir toujours pas touché la moindre redevance de la part de son label sur son album.

Elle vient de quitter son label, et a écrit de nombreux articles sur sa nouvelle liberté et sa volonté de travailler et monétiser différemment sa musique.

Matthew Ebel: l’abonnement pour vivre de sa musique

Matthew Ebel est un chanteur de Boston qui a commencé à construire sa fanbase en jouant en live et en étant très actif sur les réseaux sociaux. Il a ensuite décidé de lancer son propre abonnement « backstage ». Pour 5$, 10 $ ou 15 $ par mois, les fans ont accès à différentes prestations, dont l’accès à des nouveaux titres toutes les semaines.

Selon leur abonnement, ils ont accès à des concerts, des cadeaux surprises, du merchandising ou des prestations uniques. Au final, Ebel réussit à vivre de sa musique à plein temps. Les abonnements représentent près de 40% de ses revenus, le reste provient de ses concerts, ventes de CD et ventes digitales. Tisser des liens avec les fans et leur donner une vraie raison d’acheter a fait en sorte qu’il peut avoir une carrière de musicien.

Moldover: l’avenir est dans les boîtes à musique

Moldover est un musicien électro de San Francisco. Il a eu une idée rigolote pour son nouvel album. Faire de la boite du CD un instrument de musique à lui tout seul. En cliquant sur un bouton, on a accès à tous les titres, avec possibilité de modifier et jouer avec. Il y avait même des capteurs de lumières et la possibilité de brancher la boite à son PC ou à un système audio.

Au final, alors que les CD étaient vendus à 50$, la demande a été beaucoup plus forte que l’offre. Donc même si on nous dit que personne ne paie pour la musique, en proposant quelque chose de très différent, cet artiste moins connu a réussi à attirer l’attention sur lui et à vendre.

Cyril Paulus: en France, Internet marche, aussi

Cyril Paulus est un chanteur compositeur, ayant sorti un album chez Sony en 2006, et remercié par sa maison de disque en Février 2009. Il a lancé sa propre plate-forme.

Le postulat de base était qu’il voulait faire en sorte que ses fans entendent son album. Il a donc décidé de ne pas le vendre mais de vendre un abonnement à son site. Il y a 3 formules 1 mois, 6 mois, et 12 mois, celui d’un mois coûte 6,99€ (ce qui revient à dire que rien que pour l’album, c’est 30% moins cher que sur les itunes et autres).

Il offre donc à ses abonnés le nouvel album, tous ses anciens titres en écoute illimitée, ses nouveaux titres au fur et à mesure, et d’autres avantages, comme une webtv qui diffuse en continu et propose des émissions spéciales 2 fois par mois, une messagerie vidéo pour que ses fans puissent se filmer et envoyer des messages, à lui ou à la communauté (encore une fois interaction entre les fans et lui et entre la communauté), et par la suite, des tarifs réduits sur les places de concerts…

Pour ça Cyril s’est formé à Final Cut pour la vidéo, a investi dans de bonnes caméras, a financé l’enregistrement de son album, s’est greffé une case “chef d’entreprise” et a rationalisé chaque centime investi…

Résultat : ouverture le 15 décembre 2009 et ça marche. Comme il dit, il est 10 fois plus heureux quand un abonné décide de renouveler son abonnement pour un an, que quand il vendait 100 albums en 2007.

Tout ça ressemble beaucoup à ce que fait Trent Reznor me direz-vous. Oui, sauf que Cyril Paulus n’avait jamais entendu parler de ce que faisait Trent Reznor. Preuve que ce Direct To fan semble naturel à beaucoup d’artistes.

Charly et sa drôle de dame: le saut dans l’Internet

Charly et sa drôle de dame est un artiste en développement, mais en vrai de vrai développement. Il a commencé il y a quelques années et toujours pas de label, de tourneur, de manager, de fans…

Qu’est ce qu’il a fait?  Il s’est remis en question et s’est dit que sa communication n’est peut-être pas la meilleure. Il investit donc Twitter, arrive à se construire une petite communauté de fans, construit un site à son image, se bâtit une histoire…  le résultat : il n’a toujours pas de tourneur, de manager, mais il a des fans. Et son nom commence à circuler, sa signature commence à être reconnue… en quelques mois, il a fait plus qu’en quelques années.

Exsonvaldes dans ton salon

Exsonvaldes est un jeune groupe rock folk français. Troisième album soit, mais pas beaucoup de visibilité media. Qu’importe, inspiré par l’exemple de Jonah Matranga aux Etats-Unis, déjà très actifs sur Internet (ils sont sur Twitter, Facebook, ont leur propre site et un Bandcamp), ils décident de développer leur visibilité et leur fan base en faisant des concerts en appartements.

Ils lancent une invitation un peu comme une boutade à la fin d’un concert (« Hé, on va dans telle ville, quelqu’un pour nous accueillir chez lui pour un concert ? »), et au final ont fait un peu plus de 40 concerts en appartements maintenant (en plus de leur tournée). Le résultat : augmentation de leur notoriété, visibilité, et de leur fans base (oui car celui qui invite invite des gens qui ne connaissent pas forcément Exsonvaldes) et des ventes de leur merchandising.

En effet, ils vendent du merchandising à la fin de chaque concert en « pay what you want » (vous donnez ce que vous voulez). Au final, ils gagnent 20% de plus sur le merchandising que sur des prix fixés. Pourquoi? Grâce à l’interaction. Assister à un concert gratuitement, qui vous plaît, avec un artiste à quelques mètres de vous, ça crée un vrai lien émotionnel. Et ça se voit sur les ventes…

Bien sûr, ce ne sont que des artistes, mais tous ces nouveaux modèles sont en train d’impacter l’écosystème.

Des entreprises innovantes pour soutenir ses artistes 2.0

De nouvelles entreprises se sont créées, comme TopSpin, Nimbit et Kickstarter pour soutenir les artistes (et/ou les labels) dans ces évolutions. TopSpin aide les artistes (et/ou labels) à mieux communiquer avec leurs fans et à monétiser. Et on constate que quand c’est bien fait, les gens achètent. Par exemple, un artiste travaillé par TopSpin voit le panier moyen de ses fans atteindre les 100 $, et plusieurs artistes ont un panier moyen de fans à 50 $.

Dire que les gens ne veulent que la gratuité n’est pas corroboré par ces exemples. Dans l’ensemble les artistes utilisant TopSpin ont panier moyen d’achat par les fans à 20 $ …donc plus que le prix d’achat d’un CD.

Et, bien sûr, les labels ont un rôle à jouer. Il s’agit d’un business model pour les artistes et pour les labels. Le futur est le direct to fans. Et ce futur est le même pour les labels.

D’ailleurs, certains labels comme Universal Motown indique que les artistes qui ne comprennent la nécessité et la responsabilité de communiquer avec leurs fans ne sont probablement pas des artistes qu’ils signeront:

There may be some indie hipper-than-thou artists who want to let the music speak for itself, they are probably not for us. We believe an artist has a responsibility to communicate with their audience…We embrace the world of technology and the vast improvements in communication.

Cameo Carlson, executive vice president at Universal Motown Republic Group.

Dans ces domaines, Universal Music vient d’ailleurs de finaliser un partenariat avec Mozes et Big Champagne et Warner Music avec Cisco. Certains gros artistes majors n’ont pas attendu ces partenariats pour se lancer dans le direct to fan. Mariah Carey, Lady Gaga, Prince ou Bowie l’utilisent depuis longtemps.

Un album de remix fait par des fans

Terry McBride est le patron de Nettwerk, un label canadien qui utilise ces business models avec beaucoup d’artistes différents. Il a déclaré que le droit d’auteur ne voudrait plus rien dire d’ici une décennie, et qu’il essaie donc d’agir en conséquence. Son objectif prioritaire est de s’assurer que chaque action lui permet de réellement communiquer avec les fans de ses artistes.

Avant la sortie l’album de l’artiste K-OS (Hip hop), ils avaient lancé sur internet toutes les pistes de l’album, permettant aux fans de faire leur propre mix. Ce n’était même pas un remix car les titres n’avaient même pas encore été mixés.

Plutôt que de s’angoisser à cause des fuites éventuelles sur l’album, ils ont préféré laisser les fans faire ce qu’ils voulaient des titres, sans s’en inquiéter. Ils ont proposé ensuite aux fans de mettre leurs mix sur un site, de voter et les meilleurs mix ont été mis sur un album. L’album pro et l’album fan ont été lancés en même temps.

De nombreux fans ont achetés les deux albums qui se sont retrouvés en même temps dans le top 50.

Il faut donc arrêter la nostalgie du « avant c’était le bon temps » pour se concentrer véritablement à développer ces business models. Ce marketing n’a rien de nouveau. Il s’agit simplement d’un retour aux racines. L’artiste qui va s’adresser directement à ses fans. Et Internet permet maintenant de le faire rapidement, facilement et mondialement…Je ne dis pas que le marketing direct to fan est la seule olution. Je pense simplement qu’il s’agit d’une des solutions, parmi d’autres, à ne pas négliger.

Le connect to fans: un retour aux sources

D’ailleurs dans le milieu des années 1970, le groupe folk canadien “Stringband” réunissaient les noms et adresses de ses fans à chaque concert et leur envoyaient des cartes postales pour les informer des concerts, des fêtes, nouveaux albums….Pour leur 3ème album (1977), ils ont demandé à leurs fans de les aider (10 $ ou 15 $). Ceux qui les aidaient étaient invités à faire les chœurs en studio avec le groupe pour compléter l’album, et l’album a été appelé «Merci aux personnes suivantes….” avec les noms des centaines de gens qui les avaient aidés imprimé sur la pochette du disque, et quelques centaines d’autres sur la page d’insert … le disque a été envoyé à chaque donateur (frais de port avait été payé avec les dons).

Donc cette formule du CwF + RtB peut être valable n’importe quand.

Encore une fois, toutes les campagnes marketing sont différentes, et doivent être pensées en vue d’améliorer les forces et opportunités de chaque artiste. Les outils vont également continuer à évoluer mais le principe de déterminer ses objectifs principaux (« Je veux que mon widget soit sur 100 sites cette année » ou « 50 000 visiteurs uniques ce mois ci » ou que « mon titre soit écouté 10 000 fois » ou que » j’arrive à collecter 5000 emails de fans » ou que « le panier moyen d’achat de mes fans soit de 30 € sur mon site ») et de travailler à développer sa fanbase pour les atteindre ne changera pas. Nous n’en sommes qu’au démarrage du direct to fan.

Des maisons de disques aux maisons de musique

Le rôle des maisons de disques doit également évoluer. Son rôle de base, indispensable, ne changera pas, en facilitant la commercialisation et la distribution des artistes. Imaginons maintenant que les maisons de disques deviennent des maisons de musique, vendent des gammes de produits beaucoup larges que des CD, permettent aux artistes de proposer des packages à valeur ajouté et donnent également une chance réelle à la distribution digitale en comprenant qu’Internet n’est pas qu’une plateforme de distribution, mais un moyen réel de diffusion et de monétisation.

Imaginons également qu’elles comprennent pleinement le rôle du consommateur, améliorent sa connaissance et son suivi (un consommateur n’est pas seulement un acheteur ou un pirate).

Imaginons qu’elles utilisent un music marketing créatif, utilisant les nouvelles technologies, nouveaux outils et réseaux sociaux, mixant la musique,graphisme, social, communautaire et recommandation….

Plus que jamais, la musique est et doit rester une expérience et non un produit…

Illustrations CC Flickr par Nine Inch Nails Official, Hoong Wei Long, _astracan_, ekai, Johanna B.

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