OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Emmaüs société anonyme http://owni.fr/2012/02/15/emmaus-societe-anonyme/ http://owni.fr/2012/02/15/emmaus-societe-anonyme/#comments Wed, 15 Feb 2012 17:18:37 +0000 Benoit Le Corre et Ophelia Noor http://owni.fr/?p=98319

Les locataires résistants devant leur résidence, rue Gaston Monmousseau à Montreuil. Cc Ophelia Noor/Owni

À la demande de la société Emmaüs Habitat, huit locataires d’une résidence de Montreuil, en région parisienne, devaient comparaître mardi 14 février devant le Tribunal d’Instance de cette ville pour non paiement de loyers. Les conclusions remises au juge mentionnent une demande d’expulsion :

Emmaüs Habitat a saisi le tribunal pour (…) ordonner l’expulsion, tant du logement que de tous les locaux accessoires, de Monsieur et Madame X ainsi que de toutes les personnes dans les lieux de leur chef et ce, avec le concours de la force publique ainsi que d’un serrurier s’il y a lieu.

Sur demande de l’avocate des locataires, Sandra Herry, l’audience d’hier a été reportée au 22 mai 2012 pour des questions de procédure. Derrière l’apparente simplicité de l’affaire – un propriétaire exige l’expulsion de locataires qui n’honoreraient pas leurs loyers – se dissimulent des réalités plus complexes. Qui révèlent une facette étonnante du bailleur social.

13 000 logements

Début 2000, la barre d’immeubles situés aux 9, 11, 13, 15 et 17 rue Gaston Monmousseau, dans le nord de Montreuil, cherche un nouvel acquéreur. Le lot comprend 83 logements d’une surface inégale. Emmaüs Habitat, une société anonyme créée en 1954 par l’abbé Pierre et spécialisée dans la réhabilitation et la gestion d’HLM, exprime son intérêt lors d’une réunion publique en mars 2000. À l’époque, Emmaüs Habitat ne gère pas encore les 13 000 logements sociaux locatifs et la trentaine de résidences sociales actuels. Rue Gaston Monmousseau, des locataires tel Jean-Pierre Rougiet, aujourd’hui âgé de 62 ans, s’en réjouissent : “On s’est dit ‘chouette’, ce sont des gens sérieux, comme le bonhomme à béret”.

Saadia Trebol, première locataire assignée par Emmaüs Habitat. Cc Ophelia Noor/Owni

Une convention est signée avec l’État le 7 février 2001. Dans la foulée, le 25 avril 2001, une lettre est déposée dans chaque boîte aux lettres. Y sont décrits les futurs travaux de rénovation ainsi que la mention “leur réalisation n’entraînera aucune hausse de votre loyer”. A cet instant, Saadia Trebol, l’une des locataires aujourd’hui assignée en justice par Emmaüs Habitat, se satisfait : “Ça voulait dire qu’ils allaient remettre l’immeuble aux normes sans qu’on en fasse les frais”. Une aubaine pour cette femme au foyer qui dispose uniquement du salaire de son compagnon pour régler le loyer. Une phrase l’intrigue pourtant : “A l’issue de ces travaux, soit vraisemblablement en janvier de l’an prochain, c’est la législation HLM qui s’appliquera à votre résidence et vous serez alors amenés à signer un nouveau bail”.

Fin 2002, des courriers arrivent. Les locataires découvrent leurs loyers. Un retraité a vu sa location passer de 438 euros par mois à 601 euros. Pour Reine Belaïd, âgée de soixante-dix ans, la hausse a atteint les 48%. Elle fait partie des douze locataires qui ont connu une augmentation bien plus forte que la moyenne.

Reine Belaïd a connu la plus haute augmentation de loyer. Cc Ophelia Noor/Owni

Boycotter

Conjointement avec la Confédération nationale du logement (CNL), la principale association défenseure des locataires en région parisienne, les voisins créent “l’Amicale des locataires Monmousseau”. Premier objectif : comprendre pourquoi les loyers ont augmenté de la sorte”, dixit Saadia Trebol. Sur la convention passée avec l’Etat, Emmaüs Habitat informe que les loyers peuvent être majorés au maximum de 33 %. Or, certaines augmentations atteignent presque 50 %.

Les locataires décident de boycotter la hausse, tout en continuant de payer les loyers initiaux, dans l’attente de négociations avec Emmaüs Habitat. Selon Me Herry, avocate des locataires, rencontrée à son cabinet :

Alors que des discussions étaient en cours, en septembre 2003, Emmaüs Habitat s’est mis à assigner certains locataires en expulsion.

En première ligne se trouve Saadia Trebol, alors présidente de l’Amicale (elle le restera jusqu’en 2007). Un huissier se rend à son domicile pour lui délivrer une assignation. Coup de théâtre. Quelques jours avant l’audience, elle reçoit un coup de téléphone d’Emmaüs Habitat : “Ne vous déplacez pas, c’est une erreur de notre part”. “J’étais contente, j’ai demandé si c’était possible d’avoir cette déclaration par écrit”, explique-t-elle. La société lui concède :

Courrier d'excuses adressé à Saadia Trebol le 7 octobre 2003

Le tribunal constate que “le demandeur Emmaüs a déclaré expressément, à l’audience, se désister de sa demande en vue de mettre fin à l’instance, la dette étant soldée”. Une heureuse nouvelle pour les locataires, qui voient en ce désistement la preuve de l’augmentation injustifiée des loyers. Et un retour à la “normale”. A priori.

Emmaüs Habitat joue les prolongations

Une semaine plus tard, les loyers qui tombent sont les mêmes. L’erreur, pourtant admise par Emmaüs Habitat, n’a induit aucun changement. Les locataires et Emmaüs n’arrivent pas à entamer des négociations. Les deux parties rejettent successivement des protocoles à l’amiable.

Certains locataires acceptent l’augmentation de loyers, comme Reine Belaïd, qui ne “supportait plus de voir les dettes s’accumuler sur ses quittances”. D’autres, les irréductibles, poursuivent le boycott. “On a toujours pas de bail signé avec Emmaüs, souligne Jean-Pierre Rougiet. Alors on fait un peu notre cuisine avec les loyers”. Le retraité paie l’augmentation annuelle du loyer tout en boudant les charges qui lui semblent indues. Selon la “cuisine” mijotée par les locataires, les dettes s’élèvent de 5000 à 30 000 euros.

Jean-Pierre Rougier, aussi assigné en expulsion par Emmaüs Habitat. Cc Ophelia Noor/Owni

En 2008, Emmaüs Habitat réassigne les locataires en expulsion. Un huissier se déplace, encore une fois, à domicile. Rebelote. Quelques jours avant l’audience, les locataires apprennent d’Emmaüs Habitat que la procédure est mort-née :

Affaire non placée au Tribunal - Courrier adressé à Saadia Trebol

“A ce stade, cela commence à faire beaucoup d’erreurs”, témoigne l’avocate Sandra Herry. Selon elle, il pourrait s’agir d’une technique d’intimidation censée décourager les derniers locataires résistants. “Psychologiquement, c’est très dur de recevoir un huissier chez soi”, convainc Saadia Trebol. Ultime procédure d’expulsion en octobre 2011, reportée une première fois au 14 février 2012, qui vient donc d’être décalée au 22 mai.

Procès-verbaux

Frédéric Capet, de la CNL, conseille “l’Amicale des locataires Monmousseau” depuis plusieurs années. Ses demandes sont sans équivoque : “On veut une remise à zéro des compteurs” et la régulation de tous les loyers. Rejetées par Paul-Gabriel Chaumanet, avocat d’Emmaüs Habitat :

Il s’agit d’une affaire juridique complexe. Il n’y a pas de bons ou de méchants.

Dans les conclusions qu’il a remises aux magistrats, il invoque à plusieurs reprises la mauvaise foi des huit locataires. Il rappelle que 60 % des locataires voient leur loyer diminuer, et ce, de manière non négligeable dans de nombreux cas”. Selon lui, citant la jurisprudence, “les augmentations des loyers décidées en l’espèce (…) procèdent de la nécessité de financer les travaux d’amélioration réalisés – la subvention de l’Etat ne pouvant évidemment y suffire”. Il écrit encore : “avec un certain aplomb, les locataires ne craignent pas d’oser prétendre que les travaux réalisés dans le courant de l’année 2002 ne sont pas encore achevés en 2012″, alors que les procès verbaux ont fait foi de l’achèvement des travaux.

Jean-Pierre Brard à l'Assemblée Nationale, février 2012. Cc Ophelia Noor/Owni

Selon l’ancien député-maire de l’époque, Jean-Pierre Brard, membre du groupe Gauche démocrate et républicaine (GDR), la mauvaise foi incombe plutôt à Emmaüs Habitat. “Là où on a été abusé, c’est le décalage entre l’image d’Emmaüs et la réalité. Pour les locataires, comme pour moi, la reprise par Emmaüs était un facteur de tranquillité. Leur objectif ne peut pas être la rentabilité au sens financier (…) Emmaüs n’a pas vocation à dégager des excédents comme n’importe quelle société cotée au CAC 40 !” Jean-Pierre Brard a d’ailleurs adressé une lettre à la directrice générale d’Emmaüs Habitat :

Le plus insupportable dans cette affaire, est le décalage entre le discours national d’Emmaüs et vos pratiques vis-à-vis de vos locataires. Un certaine nombre de faits m’ont été rapportés, tels que des pressions ou des harcèlements moraux sur les locataires. Certains, sous contraintes psychologiques, ont dû signer des reconnaissances de dettes.

Contacté à plusieurs reprises, Emmaüs Habitat n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet. Uniques déclarations de son avocat : “On n’est pas au stade de l’expulsion (…) Ce n’est pas dans la tradition d’Emmaüs de procéder à des expulsions”. Dans son dernier rapport sur le logement, la Fondation Abbé-Pierre estime de son côté :

Alors que les situations de fragilité des ménages se sont amplifiées au cours des dernières années (…) l’engagement plus systématique des procédures d’expulsion par les bailleurs suscite les plus vives inquiétudes pour les années à venir.


Photos par Ophelia Noor pour Owni /-)

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Regards sur une décennie de mal-logement http://owni.fr/2011/04/30/argos-regards-sur-une-decennie-de-mal-logement/ http://owni.fr/2011/04/30/argos-regards-sur-une-decennie-de-mal-logement/#comments Sat, 30 Apr 2011 16:00:56 +0000 Ophelia Noor http://owni.fr/?p=58756 Au début des années 2000, plusieurs photographes du collectif Argos ont réalisé des reportages sur la question du mal-logement et des personnes sans-abri. Ils ont suivi, pendant plusieurs mois, le quotidien de familles vivant dans un bois à côté d’une cité HLM en Seine-et-Marne, fait le tour des hôtels meublés du 20ème arrondissement de Paris, rencontré des hommes vivant sur une bretelle d’accès du périphérique à Porte Maillot ou suivi le parcours d’un homme, de la rue à la réinsertion.

Dix ans après, les sans-abris étaient dans l’agenda de l’Union européenne qui faisait de l’année 2010, celle de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. L’objectif : trouver des positions communes et développer des politiques globales et efficaces dans les pays de l’Union.
La fin du sans-abrisme, une utopie ? Le jury de la conférence de consensus sur le sans-abrisme organisée à Bruxelles en décembre dernier répondait, avec optimisme et détermination :

L’absence de chez-soi constitue une injustice grave et une violation des droits fondamentaux de l’homme à laquelle on peut et on doit mettre fin. Le jury considère ainsi que l’absence de chez-soi peut être progressivement réduite et que l’on peut, en fin de compte, y mettre un terme.

Le Parlement lui emboîtait le pas avec cette déclaration du 16 décembre 2010 sur la stratégie de l’UE pour les personnes sans-abri, qui demande :

  • au Conseil de s’engager avant la fin de l’année 2010 à régler la question des personnes sans-abri d’ici 2015,
  • invite la Commission (…) à aider les États membres à élaborer des stratégies nationales efficaces
  • demande à EUROSTAT de recueillir des données sur les personnes sans-abri.

Pour le moment, c’est la France qui serait championne européenne du mal logement, avec 52 personnes sans domicile fixe pour 100.000 habitants.

Nous avons laissé la parole aux photographes du collectif Argos qui nous racontent, chacun, l’histoire de leur reportage et de leurs rencontres.

Ces familles qui n’ont plus droit de cité

Par Eléonore Henry de Frahan

Apres l'école Morgane, 8 ans, rentre chez elle. Chez elle, ce sont les quatre caravanes du haut, dans ce petit bois coincé entre la nationale 105 et le château d'eau où vivent deux familles et un homme seul. ©Eleonore Henry de Frahan Collectif Argos/PictureTank

C’est en 2000 que je découvre à la lisière des villes, des familles françaises qui survivent dans des habitats de fortune sans électricité ni eau courante. Pour assurer une vie décente à leurs enfants, les parents cumulent les petits boulots. Je m’y rendais en RER et à vélo et je développais mes films moi-même.

J’ai rencontré les familles petit à petit avec l’aide du Dr Moriau de Médecins du monde qui m’a introduit. Madeleine est salariée comme femme de ménage. Pourtant, elle vit en caravane, avec son mari Gérard et ses deux filles, de 8 et 10 ans, juste en face de la barre HLM de Seine-et-Marne d’où ils ont été expulsés.

Ils n’ont ni eau ni électricité. Ils se servent d’un poêle à bois pour se chauffer et d’un groupe électrogène pour la télé. Tentant comme les autres parents du campement d’assurer une vie décente à leurs enfants. Notre société moderne lancée dans une course effrénée au profit laisse derrière elle une part de plus en plus importante de la population.

Il y a huit ans, Gérard a perdu son emploi. Après plusieurs mois sans revenus, la petite famille est venue camper dans ce bois. Au fil des ans, ils ont acquis plusieurs caravanes et les ont retapées. Chacune d'elle est une pièce de la maison. ©Eleonore Henry de Frahan Collectif Argos/PictureTank

J’ai réalisé ce reportage sans commande. Je voulais tout simplement sensibiliser les gens à ce problème de société. Des familles n’ont plus accès aux biens de consommation qu’on leur propose au quotidien, à un minimum de confort, ou tout simplement à un logement et à une vie décente. Cette précarité gagne du terrain et déferle aujourd’hui sur le monde du travail (missions d’intérims, travail à temps partiel). Avoir un emploi ne garantit plus l’intégration ni la protection sociale.

Patrick monte un vélo pour son fils avec les matériaux qu'il a récupéré. ©Eleonore Henry de Frahan Collectif Argos/PictureTank

Je suis retournée les voir régulièrement et le travail s’est échelonné sur un an et demi. J’ai continué a leur rendre visite ponctuellement pendant un temps, quand je le pouvais. Dernièrement je voulais justement avoir de leurs nouvelles mais ils ne sont plus sur le terrain et je ne sais plus comment les joindre.

Le reportage a été publié sur 8 pages dans VSD, il a été expose à différents endroits comme le centre culturel de Rezé, de Woluwe St. Lambert a Bruxelles, le festival de Biarritz sur la violence moderne, et il a accompagné les journées du livre avec l’association ATD quart monde.

Matériel : un Nikon f3 et des films Tri X n/b

Hôtels meublés

Par Guillaume Collanges

J'ai trouvé un appartement à 3800 francs mais je ne peux pas. Je touche 4000 francs par mois. ©Guillaume Collanges Collectif Argos/PictureTank

Le reportage sur les hôtels meublés s’est étalé sur six mois, en 2000. J’habitais le 20ème et c’est un arrondissement ou il y en a pas mal. Plusieurs fois je suis passé devant sans y prêter attention. Un jour j’ai lu une plaque “Hotel meublé – chambre au mois” et je me suis demandé qui vivait ici. J’ai fait du porte à porte, essayant de rentrer dans les établissements mais beaucoup d’entre eux n’aiment pas les curieux. Les marchands de sommeil préfèrent la discrétion.

A l’époque la moyenne était de 3500 francs (env 500€) pour une chambre avec lavabo. C’était le prix d’un studio sur le marché privé. Quand je trouvais un endroit accessible je faisais tous les étages en expliquant bien aux gens que je faisais un reportage. Peu voulaient répondre, surtout les femmes qui sont donc sous représentées dans le reportage. Elles se méfiaient d’un homme inconnu, même s’il se présentait comme un journaliste, d’autant qu’à l’époque je n’avais pas la carte de presse.

Je suis ici depuis trois mois. J'ai 37 ans, j'ai loué un appartement jusqu'à 33 ans, depuis, je vis en meublé. Je suis analyste programmeur, je travaille a Paris, parfois, en province. ©Guillaume Collanges Collectif Argos/PictureTank

L’ambiance dans ces hôtels est souvent triste, voir violente quand il y a trop d’alcool. Des situations de misère et de précarité qui s’installent dans la durée. Un seul avait une ambiance quasi “familiale”, je n’avais d’ailleurs pas eu le droit d’aller voir les deux premiers étages réservés aux habitués de longue date. Du 3ème au 5ème c’était autorisé, et pourtant une dame était là depuis dix ans !

Cela fait 10 ans que je suis ici, et mon fils onze. J

Toutes ces rencontres m’ont beaucoup marqué , certaines n’ont jamais été diffusées car les personnes n’ont pas voulu signer l’autorisation de diffusion. Mais je retiendrai toujours cette conclusion qu’avait eu une des rares femmes rencontrées, ancienne institutrice : “les problèmes, ça rend médiocre.”

Matériel : appareil Nikon fm, 35mm f2 et film Kodak Supra 400

Vie périphérique

Par Cédric Faimali

Thierry dans sa cabane au bord du périphérique parisien. @Cédric Faimali Collectif Argos/PictureTank

C’était en 2003, j’avais repéré les tentes de Thierry et Diego sur mon chemin en passant par la Porte Maillot. Quand je suis arrivé sur leur campement la première fois, Diego est sorti avec une barre de fer et m’a dit :

“Qu’est-ce que tu viens chercher ici ? Il n’y a rien à voler !”
J’ai répondu : “Je viens en ami”
Et il m’a dit : “Il n’y a pas d’amis ici !”

J’ai quand même réussi à amorcer la discussion et à lui expliquer ce que je faisais là. Je me rappellerai toujours de cette phrase : “Il n’y a pas d’amis ici”. La peur de se faire attaquer et dépouiller est constante. Diego, ancien légionnaire de 48 ans était installé là depuis 1999 avec son chat Gavroche, et venait de se faire agresser par des jeunes quand je l’ai rencontré. Il était tailladé au couteau.

Diego s'approvisionne en eau potable grâce aux bouches d'incendies des pompiers. @Cédric Faimali Collectif Argos/PictureTank

Diego et Thierry étaient un peu comme des Robinson Crusoë, ils disaient : “la société veut pas de nous, et nous, on veut pas d’elle. On n’étale pas notre misère en pleine rue, la mendicité fait chier tout le monde.” Ils se débrouillaient pour trouver de la nourriture, subvenir à leurs besoins. Ils en étaient fiers. Ils avaient la télé avec une batterie, ils coupaient du bois pour se chauffer. Ça ne les intéressait pas de toucher le RMI ou la CMU quand je les ai rencontré.

Le linge de Diego et Thierry sèche le long du boulevard périphérique. @Cédric Faimali Collectif Argos/PictureTank

Le reportage a duré tout un hiver et j’ai continué au printemps et à l’été suivant. Parfois je ne faisais pas de photos, j’allais discuter, j’amenais des batteries chargées, des cigarettes, des vêtements ou des couvertures. C’est très long comme reportage, c’est lourd psychologiquement, les gens sont parfois sur la défensive, ils ne comprennent pas toujours notre démarche, refusent de se faire prendre en photos et c’est normal. C’est leur vie. Il faut s’apprivoiser et aussi que la confiance s’installe.

Thierry, je l’ai croisé par hasard, en 2006, au bureau de Poste près de chez moi. Il avait eu des problèmes de dents, il s’était fait soigner et m’avait dit qu’il était hébergé. Puis leur campement a brûlé en 2007, j’étais allé voir les pompiers qui en étaient au début de l’enquête. Il privilégiaient l’accident.

Thierry dort malgré le bruit incessant des voitures. @Cédric Faimali Collectif Argos/PictureTank

Je vais reprendre ce sujet avec des personnes qui vivent dans les tunnels de La Défense, un autre endroit où on est pas censé vivre, dans les sous-sols du pôle financier. Aujourd’hui, leur campement a disparu.

Matériel : appareil panoramique hasselblad Xpan, film Porta 400 NC

Gilles, de la rue à la réinsertion

Par Jéromine Derigny

Gilles, SDF de 37 ans, fait sa vie entre Montreuil et Vincennes. Une grande partie de la journée, Gilles fait la manche, toujours au même endroit. ©Jérômine Derigny Collectif Argos/PictureTank

J’ai réalisé ce sujet en commande pour le Pèlerin, en janvier 2007 où j’ai suivi pendant plusieurs jours le quotidien de Gilles, rencontré au Samu social.

Après la publication, Gilles, ayant déjà passé plusieurs années à la rue, a semblé retrouver un regain d’énergie pour continuer à se battre, et trouver un centre d’hébergement. Puis du travail en réinsertion. J’ai décidé de garder le contact avec lui puisqu’il avait un portable, ça n’était pas trop compliqué. C’est ainsi que pendant un an, j’ai continué à le retrouver de temps à autres, dans son parcours de réinsertion à l’association Neptune, basée à Montreuil.

Gilles, sdf depuis plusieurs années et jusqu'en 2007, est maintenant en réinsertion, tant sur le plan du travail que du logement. ©Jérômine Derigny Collectif Argos/PictureTank

Une deuxième publication dans le Pèlerin a eu lieu un an après la première. On ne se refait pas si vite d’années de rue, et tout n’a pas été simple pour Gilles, une année ne suffit bien sûr pas pour se réinsérer. J’ai continué à garder contact avec lui, mais il est parti en province, chez Emmaüs. Puis petit à petit j’ai perdu sa trace, les coups de fil s’espaçant… de mon fait plutôt.

Gilles a organisé un tournoi de pétanque, ou se mélangent habitants du foyers, et personnes du quartier. ©Jérômine Derigny Collectif Argos/PictureTank

Je serais curieuse de savoir où il en est actuellement, je lui souhaite bien entendu d’avoir encore progressé dans son parcours…

Peut-être que lui ou une de ses connaissances sera lecteur d’OWNI !?

Matériel : Nikon D200 24mm (35mm) f2.8

48 rue du faubourg Poissonnière

Par Guillaume Collanges

Au 48 rue du Faubourg Poissonnière, les familles ont campé plus de deux mois dehors en attendant le relogement. ©Guillaume Collanges Collectif Argos/PictureTank

Au cours du reportage sur les meublés en 2000, je suis rentré en contact avec le DAL. Je voulais suivre également les mal logés qui squattent ces immeubles innocupés de Paris. Celui ci appartenait à une compagnie d’assurance italienne et était vide depuis plusieurs années quand les familles sont rentrées dedans.

C’était insalubre, les rats envahissaient la cour la nuit mais certains logements étaient assez grands. Les gens étaient plutôt “bien ici” pour la plupart. Mais un immeuble pas entretenu se délabre et deux plafonds s’étaient affaissés provoquant l’expulsion manu militari de deux familles….. vers des hôtels meublés comme solution provisoire. Bien sûr.

Dialika retrouvera un logement dans Paris. ©Guillaume Collanges Collectif Argos/PictureTank

La plupart des adultes travaillaient et avaient leurs papiers, et étaient en attente de logement social depuis des années…. comme beaucoup trop.
J’ai passé quinze jours avec eux sous la tente, les gens y dormaient à tour de rôle. C’est fatiguant, la rue est bruyante et le réveil est à 5h avec le premier camion poubelle de la ville. Les gens ont tous été relogés grâce à l’action du DAL.

Un été à Paris, au 48 rue du faubourg poissonnière. ©Guillaume Collanges Collectif Argos/PictureTank

Matériel : Nikon F90, 35mm f2, et film Supra 400


Crédits photos : © Collectif Argos/Picture Tank Tous droits réservés
Retrouvez les cinq reportages dans notre visionneuse /-)

Le collectif Argos fête ses 10 ans. Les rédacteurs et photographes vous invitent au vernissage de leur exposition le 11 mai à 18h00 à l’Espace Confluences à Paris.

Téléchargez le pdf.


L’intégralité des reportages est sur le site du collectif Argos :
Jérômine Derigny : Gilles de la rue à la réinsertion (2007 et 2009)
Guillaume Collanges : 48 bd poissonnière (2000) et Hôtels meublés (2000)
Cédric Faimali : Vie périphérique (2003)
Éléonore de Frahan : Ces familles qui n’ont plus droit de cité (2000)

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Cherche HLM dans le 16ème arrondissement http://owni.fr/2011/04/08/cherche-hlm-dans-le-16eme-arrondissement/ http://owni.fr/2011/04/08/cherche-hlm-dans-le-16eme-arrondissement/#comments Fri, 08 Apr 2011 12:00:00 +0000 melissa bounoua http://owni.fr/?p=55132 Rue Washington dans le 8ème arrondissement de Paris. Nous montons les marches d’un immeuble haussmannien. Moulures, murs blancs, parquet et cheminées dans les chambres, Catherine L. est fière de nous présenter le 4 pièces dans lequel elle vit depuis 5 ans avec son mari et ses deux enfants. Ils payent un loyer de 1.900 euros par mois. Selon l’agence immobilière du coin, le loyer devrait s’élever à 5.500 euros. En entrant dans cet immeuble cossu, la seule chose qui prouve qu’on est bien dans un HLM (habitation à loyer modéré) c’est une plaque cachée derrière un arbre qui indique la date de réhabilitation par Paris-Habitat, l’office HLM qui gère l’immeuble.

Des logements parfaitement intégrés au paysage

Paris-Habitat, l’un des principaux offices HLM de Paris, produit des logements HLM dans les quartiers les plus chers et les plus prisés de la capitale. Non loin de la tour Eiffel, avenue Mozart et avenue Pierre Ier de Serbie, près du café de Flore, rue Bonaparte, et comme ici rue Washington, à deux pas des Champs-Elysées.

Nous visitons un type rare d’appartement: seulement 2% des logements de l’arrondissement sont des HLM. Une fois dans les lieux, les locataires sont tranquilles. Des loyers défiant toute concurrence dans des quartiers très bien situés, ces HLM ont un taux de rotation extrêmement bas, de l’ordre de 4%. Des personnes qui n’ont donc a priori rien à faire dans le parc social y résident toujours.

Quelle que soit l’évolution des occupants, quelle que soit l’évolution de leur structure familiale, il est possible de rester dans l’appartement. C’est «le droit au maintien dans les lieux» expliquent les offices HLM. Même si une famille gagne trois milliards d’euros au loto, elle pourrait rester pendant encore un bon moment. Et le marché immobilier parisien tendu oblige ainsi des familles de classe moyenne supérieures comme celle de Catherine L., à rester dans un HLM.

Bachelard encore locataire d’un HLM ?

Gaston Bachelard, philosophe mort en 1962, était encore enregistré comme locataire il y a deux ans à l’OPAC (Offre Publique d’Aménagement et de Construction) de Paris. Qui vivait dans son appartement ? Un parent de bonne foi selon Paris-Habitat. Il doit continuer à payer le loyer en temps et en heures, il n’y a donc jamais eu de contrôle, rapporte le site Mediapart.fr .

Surtout qu’un locataire, à qui le bailleur demande de quitter son logement parce qu’il ne correspond plus à ses besoins, peut demander à être relogé et sera prioritaire. Un ancien haut fonctionnaire vivait ainsi confortablement depuis 1969 dans un cinq pièces situé dans le 17ème arrondissement de Paris, quand l’office a souhaité récupérer en août 2006 les deux chambres de bonnes attenantes pour en faire un logement.

Comme c’est son droit, il a envoyé à Paris Habitat une demande de compromis. Arguant de son grand âge, il indiquait alors qu’il était prêt à déménager si on lui offrait la possibilité d’occuper un appartement plus central, à condition de garder quatre ou cinq pièces. Il a obtenu un cinq pièces dans le cinquième arrondissement.

Le maintien de plusieurs milliers de familles « riches » dans le parc du logement social a de nouveau fait grincer des dents en novembre 2010, alors que plus d’un million de ménages attendent toujours d’obtenir un toit. Selon une étude de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale rapportée par La Tribune, « 37.000 ménages parmi les plus riches de France », avec un revenu d’au moins 13.500 euros mensuels pour une famille avec deux enfants, seraient logés dans un HLM en Ile-de-France. « En Ile-de-France, où la situation du logement est très tendue, 207.000 ménages aisés au sens large habitent en HLM… » affirme même Thierry Repentin, président de l’Union sociale pour l’habitat.

12 ans d’attente pour un 4 pièces

« Attendre 12 ans pour obtenir un quatre pièces, c’est une moyenne à Paris. Un candidat lambda n’a aucune chance d’obtenir un HLM » explique Didier Vanoni, sociologue et auteur d’une étude sur l’attribution des logements sociaux pour la revue FORS-recherche sociale. A la mairie de Paris, les 3.420 demandes s’accumulent sur le bureau de l’élu au logement. Chaque année, 15.000 HLM sont attribués pour plus de 110.000 demandeurs.

En 2001, lorsque Bertrand Delanoë arrive à l’Hôtel de Ville, il charge l’élu au logement Jean-Yves Mano de rééquilibrer la production de logements sociaux dans la capitale. A terme, l’ambition affichée de l’équipe Delanoë est de mettre fin à la très forte disparité dans la répartition des HLM sur le territoire communal. Car à l’époque, Paris fait face à une saturation de logements sociaux dans les quartiers populaires (33 % dans le 19ème, 31 % dans le 13ème, 27,6 % dans le 20ème) et une absence remarquée dans les secteurs résidentiels (0,5 % pour le 8ème, 0,7 % pour le 7ème ou 1,6 % dans le 16ème). Or, l’article 55 de la loi SRU (solidarité et renouvellement urbain) du 13 décembre 2000 condamne l’insuffisance des logements pour les plus démunis dans les communes. Les villes pratiquant l’apartheid social sont mises hors la loi.

Comment faire partir les familles installées? Comment les convaincre de quitter leurs meubles, leur voisinage, leur quartier? Pour inciter les locataires très aisés du parc HLM à libérer leur logement au profit de ménages plus nécessiteux, la loi Mobilisation pour le logement de la ministre du logement Christine Boutin entendait augmenter considérablement le supplément de loyer solidarité (SLS) appelé aussi surloyer. Ainsi le locataire payerait proportionnellement plus quand ses ressources augmentent. Le problème c’est que le prix du loyer reste minime par rapport à ce qu’ils paieraient dans le privé.

Selon l’Union sociale pour l’habitat (qui gère les organismes HLM), 7 % des 4,3 millions de personnes qui occupent un HLM ont des revenus excédant le plafond de ressources. 2 % des locataires sociaux gagnent 20 % de plus que le plafond, soit tout de même 86.000 fraudeurs, logés à prix cassés. « Il ne faut pas se leurrer, le surloyer ne fera jamais partir personne. Ils ne voient aucun intérêt à aller dans le privé et préfèrent payer quelques dizaines ou centaines d’euros de plus » confirme Didier Vanoni.

La pression foncière freine l’évolution du parc HLM. Dans les villes comme Paris où le marché est très tendu, les bailleurs récupèrent des bâtiments déjà loués dans lesquels ils appliquent les grilles de loyer de logements HLM. «Les locataires sont heureux car cela améliore la prestation de service dans l’immeuble, là où les copropriétés rendent les moindres travaux de réparation impossibles» souligne Didier Vanoni pour avoir étudié la question avec les bailleurs et avoir travaillé avec Paris Habitat.

Les HLM hébergent l’électorat

Autres locataires de ces logements sociaux particulièrement bien placés : les élus. 5% des HLM sont réservés aux fonctionnaires. En 2007, l’affaire Bolufer avait fait scandale. L’ancien directeur de cabinet de Christine Boutin, louait à la RIVP, une des grandes sociétés HLM de Paris, un bel appartement dans un quartier huppé, pour un loyer très modeste.

Si les élus ne doivent pas dépasser les plafonds non plus, leurs ressources sont calculées sans les indemnités qu’ils touchent, leur permettant un accès au parc HLM malgré des revenus confortables. Georges Tron, secrétaire d’état à la fonction publique, vit ainsi dans un HLM dans le 15ème arrondissement dont le loyer s’élève à 1.990 euros, rapportait le Canard Enchaîné en mars dernier.

Les HLM jouent un rôle politique important pour l’électorat. Jean Yves Mano insiste sur le fait que l’attribution des logements sociaux à Paris est la plus transparente de France. Pourtant, les demandeurs qui sont proches d’un élu ont toutes les chances de voir leur demande aboutir et d’obtenir l’habitation à loyer modéré qu’ils voulaient, à l’adresse souhaitée. Le fils de Georges Marchais n’aurait aucun mal à obtenir un des plus confortables HLM de la ville d’origine de son père en banlieue parisienne, dont la mairie est toujours communiste. « Les proches d’élus obtiennent les logements qu’ils souhaitent, les plus confortables et les mieux placés car leur dossier est traité en priorité lors des commissions d’attribution » nous confirme une personne employée dans un office HLM de banlieue.

Et l’UMP a fait adopter un amendement à la loi Boutin qui concerne les immeubles acquis depuis moins de dix ans par les organismes de HLM ou les sociétés d’économie mixte. Cet amendement vient protéger « les locataires privilégiés » ayant des revenus plus de deux fois supérieurs aux plafonds de ressources donnant droit à un HLM. Ils seraient épargnés par la loi Boutin qui prévoit l’expulsion de ces locataires fortunés au bout de trois ans (sauf s’ils ont plus de 60 ans, sont handicapés ou s’ils habitent en zone urbaine sensible).

Jean-Yves Mano se défend :

Je n’y peux rien si l’attribution des logements n’était pas aussi claire avant 2001, les locataires dont la situation a évolué et qui sont dans leur droit ne sont pas expulsables.

Les logiques d’action des offices publics sont encore étroitement liées aux politiques locales. Dans une grande majorité des cas, le président de l’office n’est autre que l’élu adjoint au logement. Paris-Habitat gère à lui seul 27.000 logements sociaux, soit 22% de l’ensemble des résidences principales de l’agglomération. Son président n’est autre que l’adjoint au maire chargé du logement, Jean-Yves Mano. Les politiques d’attribution jouent donc en faveur des administrés car le locataire est considéré comme un électeur potentiel.

A Neuilly-sur-Seine, qui ne compte que 2,6% de logements sociaux, pour ne pas effrayer l’électorat, la mairie a trouvé l’astuce qui lui permet d’affirmer qu’ils construisent. Ils produisent des PLS, une catégorie de HLM dont les plafonds de revenus sont plus élevés. « Les HLM produits sont des grands logements avec des ascenseurs, des terrasses, un gardien pour que les loyers soient inaccessibles à des familles défavorisées » explique Didier Vanoni. « Les seuls HLM accessibles à des familles dont les revenus ne dépassent pas 60% du SMIC sont à Garges-lès-Gonesse, évitant ainsi à la mairie UMP de Neuilly d’effrayer son électorat ouvertement contre l’arrivée familles défavorisées».

A Neuilly, des HLM réservés aux riches

«En intégrant des logements en accession, dont les locataires peuvent devenir propriétaires, les communes bourgeoises se réservent la possibilité de drainer les “bons pauvres”, ceux qui posent le moins de problèmes d’insertion» explique Michel Pinçon-Charlot, co-auteur des Ghettos du Gotha:

«Les logements HLM les plus récents, les mieux équipés, dont la localisation est la plus attrayante, sont aussi habités par les ménages les moins dépourvus. Le processus de ségrégation est volontiers dénoncé dans une commune populaire où on déplore la concentration des ménages en difficulté, il passe inaperçu dans les villes bourgeoises qui peuvent faire ce qu’il faut en toute discrétion pour rester entre riches.»

Aussi la population des HLM situés dans les quartiers huppés ne se renouvelle pas. Un demandeur qui vient d’un autre arrondissement ou d’une autre ville n’est pas prioritaire ou devra justifier son changement de localité. Quelqu’un qui habite Aubervilliers et qui souhaiterait venir à Neuilly devra justifier son choix et son dossier ne sera pas prioritaire.

«Le logement social était censé permettre de loger des personnes modestes n’ayant pas les capacités financières d’accéder au marché privé. Or, depuis trente ans, le marché immobilier a connu une véritable flambée des prix. Désormais, ce ne sont plus les seules catégories modestes qui sont exclues de l’accès au logement mais aussi les classes moyennes» s’énerve René Dutrey, conseiller de Paris du 14ème arrondissement et Président de l’ADIL (Association Départementale d’information sur le Logement).

« Ce n’est pas la chasse aux sorcières »

A la mairie de Paris, Jean-Yves Mano, aussi président de Paris-Habitat, répète qu’il n’ y a aucun problème. La ville n’a pourtant toujours pas atteint les 20% de logements sociaux prévus par la loi et le nombre d’attribution de logements sociaux est ridicule. Seulement 3.800 nouveaux HLM sont produits chaque année. « La crise du logement ne se résoudra pas en faisant partir les quelques milliers de personnes qui sont au-dessus des plafonds. »

Le départ des locataires de ces logements prisés se fait progressivement. « On est dans une politique incitative, ce n’est pas la chasse aux sorcières, les locataires sont dans leur droit, je ne peux pas les expulser comme le demande la loi Boutin, vous imaginez les retombées que ça aurait, on ne peut pas expulser des gens violemment ». La loi Boutin prévoit notamment que les locataires dont les revenus sont deux fois supérieurs aux plafonds devront quitter leur appartement. En 2009, seuls 250 foyers qui payaient un surloyer ont quitté leur logement HLM et rejoins le marché privé.

« Il faut que les personnes qui gagnent plus de 8.000 euros par mois aillent dans le privé quand elles en ont les moyens.»

Les HLM font pourtant toujours aussi peur aux riverains des beaux quartiers. A Passy, dans le 16ème arrondissement, où le nombre de foyers riches est onze fois supérieur à la moyenne nationale, les riverains ont réussi à mettre en suspens la plupart des constructions de HLM. Pour cela, ils menacent de déposer des recours devant les tribunaux administratifs, voire s’exécutent.

Ces associations d’habitants ne se soucient pas des dizaines de milliers d’euros dépensés en frais judiciaires. Les parcelles, si rares à Paris, demeurent donc à l’état de friches. « Tous les stéréotypes sont à l’œuvre. Les gens pensent que les HLM vont
faire baisser la valeur de leurs appartements, que des familles à problèmes vont venir perturber leur quiétude
» affirme Jean-Yves Mano. Ne sachant pas que dans le quartier, des HLM existent déjà et se sont multipliés dans des logements déjà habités et que cela n’a pas dégradé la vie du quartier, ni fait baisser les prix. Au contraire.

> Illustrations GoogleMap et Guénaël Piaser

> Article publié en partenariat avec

Vous pouvez retrouver l’ensemble du dossier logement avec Les ghettos de riches mettent les pauvres au ban, Se sentir “chez soi” à Paris et Visite guidée d’une studette parisienne

Crédit photo Guillaume Lemoine CC-BY-NC-SA et design par Ophelia

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Bataille du livret A : troquer le logement social contre la relance… ou le cash ! http://owni.fr/2010/11/24/bataille-du-livret-a%c2%a0-troquer-le-logement-social-contre-la-relance%e2%80%a6-ou-le-cash%c2%a0/ http://owni.fr/2010/11/24/bataille-du-livret-a%c2%a0-troquer-le-logement-social-contre-la-relance%e2%80%a6-ou-le-cash%c2%a0/#comments Wed, 24 Nov 2010 15:20:17 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=37264

Christine Lagarde a la main sur le levier d’une des plus grosses vannes de l’économie française. Bientôt, elle devra décider de la part des 310 milliards d’euros de l’épargne populaire (livret A, livret développement durable et livret d’épargne populaire) qui se déverseront dans les caisses de la Caisse des Dépôts et Consignation (CDC) et de la part qui reviendra aux grandes banques qui ont gagné le droit de vendre ces produits depuis le 1er janvier 2009. Pour l’instant fixé à 70% pour la CDC et 30% pour les banques, ce taux doit être révisé, selon la loi de modernisation de l’économie, avant la fin 2011.

Derrière cet arbitrage, un choix politique : côté CDC, ces placements ultra populaires servent depuis leur création au financement du logement social, côté banques, ils sont injectés dans l’économie via des prêts finançant les entreprises. Or, au lendemain de la crise, les caisses vides, l’État aurait bien besoin d’un nouveau réservoir pour arroser une économie desséchée…

« Orienter l’épargne des Français vers l’industrie »

Rien de neuf dans la manœuvre : en 2008, déjà aux commandes à Bercy, Christine Lagarde avait largement tapé dans le pactole pour financer les prêts aux banques, financement des PME et autres mesures de relance : 30 milliards d’euros en tout avaient été prélevés en urgence pour faire face à la crise. Entre temps, la manne a grossi : depuis que le livret A peut être souscrit dans n’importe quelle banque, ce sont 20 milliards d’euros qui ont été ajoutés au pactole. Un résultat dont s’est félicitée la ministre de l’Économie lors des questions au gouvernement mercredi 17 novembre…

Or, Michel Bouvard, le député socialiste membre du conseil de surveillance de la CDC, demandait un peu plus qu’une autocongratulation : à l’approche de la révision du « taux de centralisation » (qui détermine le montant reversé à la CDC et celui laissé aux banques), il souhaitait savoir comment le gouvernement allait arbitrer entre le besoin de logement social et le financement de l’économie. La réponse de Christine Lagarde avait de quoi le laisser perplexe

Mais une écoute attentive de l’interview du président de la République de la veille donnait déjà un indice d’une orientation possible : pour dynamiser l’économie, Nicolas Sarkozy a ainsi parlé, sans plus de détail, de dispositifs pour « orienter l’épargne des Français vers l’industrie ». Coïncidence : depuis maintenant plusieurs semaines, dans le cadre de la guerre d’interviews et de tribunes qui les oppose à Augustin de Romanet, patron de la CDC, les banques avancent précisément l’argument du financement des PME pour convaincre Bercy de leur laisser une plus grosse part du gâteau. En contrepartie de ce deal « encours du livret A contre relance des entreprises », les banques proposeraient, selon Les Échos, une baisse de leurs commissions de 0,6 à 0,5%. Un gros sacrifice, vu les sommes brassées… mais qui serait largement compensé par le cash ainsi capté par les banques.

Les nouvelles normes réveillent la soif d’argent frais

Car sur les 20 milliards d’euros versés en plus sur les livrets A des banques commerciales, seulement 2 milliards venaient de l’extérieur, le reste ayant été « transvasé » d’un autre compte vers ce placement défiscalisé avantageux. Autrement dit, l’opération n’a pas pesé lourd dans le bilan des banques. Pas assez lourd en tout cas au regard des nouvelles régulations internationales.

Siège de la Banque des règlements internationaux à Bâle.

Selon les futurs accords Bâle III, les banques devront avoir en caisse une proportion bien plus importante des sommes misées (ratio de solvabilité), pratiquement le double. Soit 150 milliards d’euros à trouver pour les banques françaises, selon la BNP. « Pour augmenter leur ratio de solvabilité, les banques doivent trouver du cash, résume Jean-Philippe Gasparotto, délégué CGT à la Caisse des Dépôts et Consignations. Or, il n’y a que deux façons de le faire : soit elles demandent à leurs actionnaires de baisser leurs profits, soit elles trouvent de nouvelles sources. De toute évidence, elles n’ont pas envie de se tourner vers leurs actionnaires. »

Et, entre la Caisse des Dépôts et les banques, les montagnes d’argent frais de l’épargne populaire apparaissent comme une solution rêvée… Or, si une part plus importante de la collecte venait à être « immobilisée » dans les bilans dorés à l’or fin des banques commerciales, un problème se poserait bien vite à l’État : en février dernier, la Cour des Comptes s’inquiétait de ce qu’à horizon 2013, l’épargne populaire ne couvre plus les besoins du logement social, recommandant même de « limiter les nouveaux emplois », c’est-à-dire les prêts hors de la mission historique du livret A…

« Cela fait plusieurs décennies que les besoins du logement social sont systématiquement supérieurs aux financements véritablement réalisés et qu’une partie des ressources du livret A est utilisée à d’autres missions ou à des placements financiers », répondait aux Échos Philippe Brassac, secrétaire général de la Fédération nationale du Crédit agricole. Plus préoccupés par la maintien des profits de leurs actionnaires et de leur solvabilité face aux nouvelles normes, les banques envisagent d’user de la dernière arme dont elles disposent si nécessaire : un recours européen pour « concurrence déloyale » contre les réseaux historiques. Le piège se refermerait alors sur le livret A, ravalé au rang de simple produit bancaire face aux juges de la concurrence libre et non faussée.

Photo FlickR CC Tim Paterson ; World Economic Forum ; Benoît Derrier ; Kaunokainnen.

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