OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Comme Godwin en France http://owni.fr/2010/08/19/comme-godwin-en-france/ http://owni.fr/2010/08/19/comme-godwin-en-france/#comments Thu, 19 Aug 2010 13:00:40 +0000 André Gunthert http://owni.fr/?p=25293 Tout comme l’éditorial du New York Times dénonçant la politique «xénophobe» du gouvernement français, le titre de Une du Times mentionnant les «souvenirs de la Gestapo» à propos des évacuations de Roms, n’est pas passé inaperçu (voir ci-contre). Après Stéphane Hessel ou Michel Rocard évoquant Vichy ou les nazis, le rappel des «rafles pendant la guerre» par le  député UMP Jean-Pierre Grand montrait que le vénérable journal britannique n’était pas le seul à avoir la mémoire chatouillée par certains rapprochements.

Outre les protestations de quelques ministres et porte-paroles du parti au pouvoir, la multiplication de ces réactions a suscité des interrogations sur le bon usage des comparaisons historiques. Sur Rue89, Pierre Haski parle d’«analogies indignes», tandis que sur Médiapart, l’historien Henry Rousso, dans une réflexion plus nuancée, juge que si certaines comparaisons ne sont pas «sans objet», leur pertinence paraît néanmoins «fragile».

Qui peut disconvenir que tracer un signe “égal” entre passé et présent, Hitler et Sarkozy, les juifs et les Roms, serait un geste excessif et vain? Aussi bien n’est-ce pas de cela qu’il s’agit. Le rôle de l’analogie historique, faut-il le rappeler, n’est pas de postuler l’identité de deux périodes, mais plutôt de faire apparaître la signification d’un événement contemporain par la mobilisation d’un point de comparaison historique. Il s’agit, pour le dire simplement, d’une image, c’est à dire d’un procédé rhétorique aussi vieux que l’histoire, en l’absence duquel l’œuvre d’auteurs aussi négligeables que Racine, Voltaire ou Victor Hugo se trouverait sensiblement allégé.

Le point Godwin brouille le jeu

L’interdiction de l’apologie du nazisme et la “loi de Godwin” sont venus brouiller le jeu référentiel, en laissant supposer que toute allusion au IIIe Reich serait désormais frappée d’infamie. Interrogé sur les réactions suscitées par les déclarations de la majorité qu’il soutient, Yves Thréard, directeur-adjoint de la rédaction du Figaro, s’est réjoui de l’invention du point Godwin, comme d’un frein à la dénonciation de déclarations politiques malheureuses. C’est confondre deux registres bien différents. Maître Eolas a heureusement rappelé le sens de cette blague signifiant la fin de toute discussion argumentée sur un forum ou en commentaire, lorsqu’un intervenant use hors de propos de la reductio ad hitlerum. Le point Godwin est une sanction du hors-sujet et de l’épuisement du dialogue, mais en aucune manière l’interdiction de mentionner telle période ou tel personnage. Il n’en est pas moins probable que la multiplication des allusions historiques aura pour corollaire une prolifération de points Godwin sur le web français.

Frapper les esprits

On peut regretter que le spectre des références utilisées soit si mince – Hitler ou Staline étant venus prendre la succession de Néron ou Caligula dans la galerie des monstres du folklore historique. Mais l’appel à la modération en matière d’analogie historique ne semble pas un impératif très réaliste. La raison du recours à ce procédé est bien la production d’un raccourci frappant, sorte de coup de poing du discours, qui mobilise par définition les exemples historiques les plus marquants – l’allusion érudite à un épisode peu connu risquant fort de tomber à plat.

Comme toute arme rhétorique puissante, l’analogie est un effet de manipulation délicate. La mesure de son efficace repose dans le degré de pertinence des termes rapprochés. Nul ne s’offusque lorsque Margaret Thatcher, alors chef du gouvernement anglais, compare Saddam Hussein à Hitler, le 2 août 1990 à la conférence d’Aspen. Saddam était un dictateur sanguinaire. Le parallèle entre lui et Hitler n’en a pas moins ses limites. Mais au premier jour de l’invasion du Koweit, l’analogie a un sens précis. En contexte, cette image a servi a interpréter immédiatement l’agression irakienne comme le prélude à une conquête plus large, et a joué un rôle de catalyseur dans l’alliance du camp occidental pour s’y opposer.

Il est donc vain de jouer les vestales outragées à chaque allusion au passé. Il est d’ailleurs amusant de voir les membres du parti majoritaire si prompts à qualifier de calomnie les traits qu’ils sont les premiers à lancer à la tête de leurs adversaires (comme Xavier Bertrand ou Nadine Morano, à partir d’”éléments de langage” visiblement dictés, accusant en cœur «certains médias» d’utiliser «des méthodes fascistes»). Plutôt que de s’offusquer de l’emploi du mot “rafle”, on ferait mieux de se demander pourquoi l’invocation de Vichy est devenue monnaie courante dans la France de 2010.

Une traduction biaisée

Le titre du Times mérite mieux que des cris d’orfraie. Bruno Roger-Petit a traduit un peu vite “Sarkozy expels Roma to spark memories of Gestapo” par: “Sarkozy expulse les Roms et rappelle le souvenir de la Gestapo”. Il serait plus juste de proposer: “Sarkozy expulse les Roms pour provoquer les souvenirs de la Gestapo”. Autrement dit, le Times ne suggère nullement que Sarkozy et la police secrète nazie, c’est bonnet blanc et blanc bonnet. Ce qu’il dit est que le chef de l’Etat a délibérément choisi de réveiller les démons d’un passé trouble.

[Ndlr OWNI.fr (18h12) : Le terme 'to' du titre du Times se traduit non par 'pour' mais par 'va'. Une traduction possible de ce titre serait donc "Sarkozy ravive les souvenirs de la Gestapo en expulsant les Roms"]

Ce jugement n’est pas une invective mais une analyse, effectuée à partir des réactions constatées. Parmi les photos réalisées par le reporter de l’AFP le 14 août à Montreuil, après l’expulsion d’une communauté rom, plusieurs rédactions, dont celle du Monde ou du Times ont retenu celle qui associe un groupe de CRS derrière leurs boucliers à l’image d’une femme au visage douloureux, le poing levé, portant un jeune garçon sur ses épaules. Pas étonnant. La composition de cette photo est une allusion transparente à la célèbre image de l’enfant juif réalisée en 1943 lors de l’expulsion du ghetto de Varsovie.

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(1) Manifestation le 14 août 2010 à Montreuil après une expulsion de Roms (photo: Miguel Medina/AFP). (2) Destruction du ghetto de Varsovie, mai 1943, photo extraite du rapport Stroop.

Sarkozy, pompier pyromane

Au plus bas dans les sondages, Sarkozy a pris le risque de manipuler un registre symbolique hautement inflammable. Comme plusieurs observateurs, le Times a parfaitement compris la volonté de clivage qui tient lieu de stratégie au camp sarkozyste. Soulever l’indignation de la gauche morale pour se draper ensuite dans le bon sens populaire et la revendication de l’action politique est bien le projet désespéré du président, qui compte que le peuple de droite détestera plus cet adversaire honni que lui-même. Mais il est bien présomptueux celui qui met le feu au champ symbolique en espérant pouvoir contrôler l’incendie.

Il y a des souvenirs qu’on ne réveille pas impunément. En ouvrant la boîte de Pandore de la haine de l’étranger, Sarkozy savait très bien qu’il excitait les humeurs les plus rances de nos contemporains. Ajoutons que ce jeu de la référence implicite fait partie depuis longtemps de l’arsenal le plus détestable de l’extrême-droite. Manipuler ces symboles est non seulement odieux, mais profondément méprisable. Non, la révolte des mémoires n’est pas indigne. Elle ne fait que répondre à la provocation, mettant à jour sa dimension tacite.

A la manière de la caricature, l’analogie historique n’est qu’un instrument de poing, un outil de dénonciation immédiate qui ne remplace pas l’analyse. Comme l’explique Henry Rousso: «à force de rabattre les dangers du présent aux fléaux d’hier, on se prive d’en comprendre certaines caractéristiques inédites.» La dénonciation n’a jamais suffi. Elle n’est qu’un moment dans le cheminement critique. Mais un moment décisif, dont il est vain de croire qu’on peut faire l’économie. Le moment du ras-le-bol, le moment qui précède la crise.

Billet initialement publié sur L’Atelier des icônes, un blog de Culture Visuelle

Image CC Flickr Max Braun

Disclosure : Culture visuelle est un site développé par 22mars, société éditrice d’OWNI

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Nadine Morano et Internet: “le danger est à l’intérieur de votre maison” http://owni.fr/2010/06/25/dangers-du-net-les-curieuses-videos-de-curiosphere-tv/ http://owni.fr/2010/06/25/dangers-du-net-les-curieuses-videos-de-curiosphere-tv/#comments Fri, 25 Jun 2010 16:20:39 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=20126

Certes, la prévention aux “dangers du web”, pour reprendre l’expression consacrée, est un sujet complexe. Mais est-ce une raison pour proposer aux jeunes un discours clichetonneux et anxiogène ?

Curiosphere.tv, la web-tv d’éducations aux médias de France 5, qui s’est récemment fait connaître pour une histoire de slip merdeux, propose toute une série de vidéos sur le thème. Elles sont réalisées par Action innocence, une ONG spécialisée dans la protection de l’enfance sur Internet, et qui contribue aux actions du gouvernement sur le sujet.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Nous avons droit ainsi à une interview de Nadine Morano, la Secrétaire d’État en charge de la famille. Nadine commence son pitch par l’habituelle dramatisation :

Aujourd’hui, le danger est à l’intérieur de votre maison, il est même à l’intérieur de la chambre de votre fils, puisque vous ne savez pas avec qui il est en contact sur son ordinateur.

Si Nadine avait bien potassé son dossier, elle saurait que l’inconnu sur Internet en est rarement un et que si il l’est, c’est encore plus rarement un gros pervers. Ce n’est pas une opinion inconsciente, mais la conclusion d’une étude récente menée par Fréquence écoles, une association d’éducation des jeunes aux médias :

“La grande majorité des jeunes n’utilise pas Internet pour élargir son réseau relationnel. On constate que la plupart des inconnus rencontrés sur le Net le restent. [...] Derrière chaque inconnu sur Internet ne se cache pas un/une pervers(e). L’inconnu est aussi celui qui répond à des questions sur un forum, qui laisse des commentaires sur un blog, qui devient un partenaire de jeu le temps d’une partie et qui s’en retourne sans que des liens se soient créés pour autant.”

Sans que l’intervieweuse ne moufte, Nadine sort ce chiffre effarant :

42% des parents ignorent que leurs enfants ont un blog.

Nan, sans blague Nadine, franchement, si tes parents étaient allés fouiner sous ton matelas pour chercher ton journal intime, ça t’aurait plu ? S’ils s’étaient immiscés dans la conversation avec tes amis ? Crois-tu qu’ils l’auraient fait d’ailleurs ?

Mère de trois enfants, Nadine souligne en connaissance de cause le décalage qui est fait entre l’usage que font les jeunes d’Internet et les connaissances des parents. C’était la minute de lucidité. On a aussi droit au couplet sur la lutte contre la pédopornographie, peu importe ses fins réelles. Pour conclure ce “point de vue”, la secrétaire d’État déballe une série de dangers tous plus effrayants les uns que les autres : “cyberdépendance”, “sites d’incitation au suicide”, “d’apologie de l’anorexie”. “Sur Internet, on peut trouver le bien (première occurrence d’un terme à connotation positive, nldr) comme le pire“. Tu as raison Nadine, d’ailleurs, je ferme l’onglet.

PS Nadine : tu peux arrêter de causer de “nouveaux moyens de technologie et de communication” ? Le ouèbe a plus d’un quart de siècle. Merci.

Dans cette autre vidéo, on a encore droit au cliché du vicelard qui cache son âge derrière son écran pour mieux attraper le jeune innocent IRL : “L’adolescent ne peut pas considérer que le rendez-vous qu’on va lui fixer va être avec quelqu’un d’autre qu’un adolescent. [...] On sait très bien qu’il y a des viols, de l’agression.” Certes, cela arrive parfois, c’est dramatique, nous ne disons pas le contraire. Mais il y a bien plus de chance pour que ce soit le voisin de palier ou le tonton qui soit le prédateur.

Les recherches sur le sujet montrent de façon consistante que les prédateurs sexuels prennent généralement leurs victimes dans leur cercle familial ou relationnel. C’est à l’évidence bien plus simple pour eux

notait Emmanuelle Erny-Newton, pédagogue spécialisée dans l’éducation aux médias. L’éventuel agresseur ressemble plutôt à ça :

Dans les cas débouchant sur des poursuites, les individus accusés de leurre d’enfants sur Internet étaient le plus souvent des hommes 18 à 34 ans. Les données montrent également que les prédateurs sexuels mentent rarement sur leur âge ou leurs motifs, lorsqu’ils prennent contact avec un jeune en ligne. Leur tactique n’est pas la tromperie mais la séduction.” Et de conclure : “La représentation inexacte des « cyber-prédateurs » n’est pas anodine : elle débouche hélas sur une réponse éducative inadaptée.

D’après une autre étude, publiée par l’Internet Safety Technological Task Force et le Berkman Center for Internet and Society de l’université d’Harvard, et relayée par InternetActu, la majeure partie des sollicitations sexuelles ne vient pas des messieurs turgescents en imperméable mais… de leurs petits camarades. Ainsi, les sollicitations sexuelles de mineurs à mineurs sont beaucoup plus fréquentes, mais demeurent elles aussi à ce jour insuffisamment étudiées.

Si on a coutume de dire qu’un mineur sur cinq fait l’objet d’avance sexuelles via l’Internet, 90 % de ces “avances” sont le fait de personnes du même âge.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Valérie Wertheimer, la présidente d’Action innocence, conclut par ainsi : “Votre ado, quel que soit son âge, ne doit pas se rendre seul à un rendez-vous.” Sans la moindre subordonnée pour préciser le contexte. On souhaite bien du courage aux parents pour faire appliquer cette recommandation.

PS : ce n’est pas l’actualité qui doit donner raison, comme vous l’affirmez, mais les chiffres.

Une autre, sur une note plus légère, sur les blogs. Françoise Laborde, journaliste et blogueuse bien connue, donne ses conseils pour en créer un. “Les adolescents sont très fascinés par les blogs (de moins en moins en fait, ndlr), et ils ont envie de mettre en ligne leur vie privée. Le problème c’est que c’est tout sauf un journal intime.” Oui, quoique, en faisant un blog à accès privé, on doit pouvoir s’en rapprocher. “En fait, c’est visité par des millions de gens“. Ouah, ça doit en faire de l’argent de poche en Google ads, ça. Bon plus sérieusement sa recommandation finale :

Surtout, mettez le moins d’informations personnelles possibles.

Pris tel quel, cela revient à dire : tu fais un blog mais sur un sujet qui ne t’intéresse pas, le tricot, la culture du navet en Autriche… Je est un autre.

PS : j’ai cherché ton blog Françoise, je ne l’ai pas trouvé. Tu l’as mis en accès privé ? Par contre, je suis tombée sur celui de ta soeur, elle a besoin de conseils, amha.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Pour un discours plus subtil, on ira voir du côté de danah boyd, la sociologue américaine, qui pose la seule question valable peut-être au fond :

La question ne devrait pas être de savoir si l’internet est sûr ou pas sûr, mais de savoir si les enfants vont bien ou pas. Et nombre d’entre eux vont mal.

Nous avons contacté Curiosphere.tv pour en savoir un peu plus sur le partenariat avec Action innocence. Leur réponse nous a laissé pour le moins perplexe. “Curiosphere.tv conclut pas mal de partenariats, nous explique Jean-Marc Merriaux, directeur des actions éducatives de France Télévisions, en charge de Curiosphere.tv, nous trouvions leurs contenus intéressants, c’est une association bien renseignée, qui travaille depuis longtemps dans ce domaine, et cela permettait un échange de visibilité.” Vu comme ça… “On a récupéré les contenus, nous les avons validés, ça ne nous a pas semblé aberrant”, poursuit-il. Semblé. Mais vous ne trouvez pas que leur discours ne correspond pas à la réalité (exemples ci-dessus à l’appui) ?

Est-ce que c’est faux, est-ce que c’est pas faux, je n’ai pas envie de rentrer dans le débat. On n’est pas des spécialistes de ces contenus en eux-mêmes.

Jean-Marc Merriaux, quand on lui pointe les études, les chiffres, botte en touche : “cela montre un aspect des choses, c’est abordé au conditionnel.” Sauf que ce n’est pas présenté comme tel -c’est bien de l’indicatif voire des tournures impératives-, et que du coup, on ne voit Internet qu’à travers le bout de cette lorgnette angoissée et parfois déformante.

Histoire de se dédouaner, il précise : “Les vidéos ne s’adressent pas aux enfants, mais aux médiateurs.” Donc les médiateurs transmettront ce “discours” aux enfants. Super.

Action innocence devait nous contacter ce vendredi après-midi, nous attendons leur appel. Cet article sera mis à jour dès que possible.

À lire sur le même sujet : Il n’y a pas de solution imparable pour protéger les enfants sur l’internet
Image CC Flickr definatalie

OWNI mène un travail collaboratif pour élaborer une plaquette de prévention sur Internet, en lien avec les missions prévention et communication de Paris. Un blog et un wiki sont à votre disposition.

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En politique et dans certains médias, la fracture numérique est toujours là http://owni.fr/2009/09/15/en-politique-et-dans-certains-medias-la-fracture-numerique-est-toujours-la/ http://owni.fr/2009/09/15/en-politique-et-dans-certains-medias-la-fracture-numerique-est-toujours-la/#comments Tue, 15 Sep 2009 13:38:41 +0000 [Enikao] http://owni.fr/?p=3606 A l’occasion de discussions en marge de l’université d’été de l’UMP, un journaliste reporter d’image de Public Sénat a filmé une rencontre publique entre Jean-François Copé, Brice Hortefeux et des militants. Un jeune militant, Amine Benalia-Brouch, a demandé s’il pouvait être prise en photo entre les deux politiciens, ce qu’ils ont accepté.

Les discussions autour de ce moment et les paroles du Ministre de l’Intérieur et très proche ami du Président Brice Hortefeux ont été filmées, puis mises en ligne par Le Monde et relayées par Lemonde.fr en raison de la nature plus qu’équivoque des propos du Ministre de l’Intérieur.

Laissons de côté l’aspect politique des choses. Les réactions des rédactions, des médias et des commentateurs politiques ont montré un profond fossé dans la compréhension du monde. Internet n’est pas un monde virtuel à part, il est le prolongement de notre monde réel, avec quelques particularités. On y trouve donc les mêmes personnes.

Rappel des faits : la vidéo qui a déclenché la polémique a été mise en ligne jeudi 10 septembre.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Notons qu’elle est clairement identifiée comme mise en ligne par Le Monde : le texte est explicite, le compte est celui du monde.fr, un masque translucide indique LeMonde.fr. Autrement dit, ce n’est pas un illustre inconnu qui met la vidéo en ligne mais une rédaction, qui effectue un travail journalistique : vérification des sources, recoupement… Ce qui ne l’oblige bien évidemment pas à révéler ses sources, c’est même un des privilèges de la fonction de journaliste.

La ligne de défense du Ministre de l’Intérieur, également Ministre des cultes, et qui constituait à dire que ses propos sortis de leur contexte étaient mal interprétés, tiendra peu de temps. Elle ne permettra que de temporiser : soit l’affaire s’éteint parce qu’il n’y a pas à revenir sur une histoire “sortie de son contexte” et montée de toute pièce, soit les journalistes s’acharnent à faire mentir le Ministre (une stratégie à double tranchant comme le fait remarquer Versac), en particulier avec la vidéo d’origine sur laquelle on peut rendre le son plus audible et surtout étendre la séquence pour qu’il n’y ait pas de contestation sur le contexte. C’est la seconde option qui s’est réalisée, et finalement il fallait s’y attendre.

La vidéo en question dans son intégralité telle que l’a diffusée le 11 septembre 2009 au soir par Public Sénat.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Des médias traditionnels en retard

Les hésitations des médias traditionnels à diffuser les images (lire à ce sujet les atermoiements de Gilles Leclerc pour Public Sénat, sommé de s’expliquer par la SDJ) voire simplement mentionner la polémique qui enflait déjà (Jean-Pierre Pernault, que le médiateur de TF1 Jean-Marc Pillas a promis d’interroger) ne sont pas très claires mais elles montrent un décalage et une inadéquation de certains journalistes avec l’information à l’heure du temps réel comme le notait Versac.

Pour certains journalistes, la grand messe du JT vespéral ne vient qu’entériner des informations déjà divulguées par d’autres médias : surtout, ne pas prendre de risques ni de coups. La presse ne s’est pas montrée toujours meilleure, de nombreux quotidiens n’ayant réagi dans leurs éditos… que le samedi 12 septembre (quelques extraits recensés par le Nouvelobs.fr)

Sur Internet, il n’y a pas de médias ?

Les déclarations de Dominique Wolton à l’antenne de RTL le 11 septembre sont plus étonnantes encore : d’un côté un espace pas vérifié, par légitimé, qui est Internet, de l’autre un espace légitime, qui est les médias. Ceci est lamentable et indigne d’une personne qui affiche clairement ses propres citation sur son site web, notamment Opposer les anciens et les nouveaux médias est une problématique dépassée ; il faut les penser ensemble, et qui par ailleurs est :
- membre du Conseil d’administration du groupe France Télévisions et de France 2 (a priori il sait ce qu’est un média et un journaliste)
- Directeur de recherche au CNRS (normalement c’est un gage de sérieux)
- Président le Comité d’éthique du Bureau de vérification de la publicité
- Directeur de l’Institut des Sciences de la Communication du CNRS (qui a dû oublier qu’Internet existe).

La retranscription des propos tenus sur RTL est en ligne chez Benoît Delmas.

Pareille idiotie ne manqua pas de faire réagir Pierre Haski, qui rappelle qu’il est journaliste sur Internet et qui voit là une forme de lâcheté de certains journalistes qui préfèrent coller la faute sur Internet plutôt que sortir une vidéo. Accuser le moyen de transmission, cela revient à dire que si la radio se permet de critiquer, c’est de la faute des ondes.

Le coupable, c’est Internet !

Comme le pressentait dès le 10 septembre Guy Birenbaum dans C’est pas très net sur Europe 1 : En France, lorsqu’un puissant commet un faux pas, ce n’est pas lui qui paye les pots cassés, c’est le messager ou le média qui a osé divulguer et amplifier son propos, en l’occurrence Internet. Il faut comprendre ici que le messager est Le Monde, et le média pris au sens de moyen de communication et mode de transmission de l’information est Internet.

Ce véritable travail se sape concernant Internet ne date pas d’hier dans les médias broadcast,comme le note 3615 Mavie qui a recensé des vidéos effarantes extraites de journaux télévisés qui accusaient la toile des pires maux. Cette diabolisation se poursuit encore aujourd’hui : que l’on songe à la vidéo commandée par Nadine Morano sur les dangers d’Internet truffée d’amalgames douteux, au reportage partisan d’Envoyé Spécial sur Facebook ou aux déclarations édifiantes d’un Frédéric Lefèvre pendant le débat sur Hadopi I.

La première erreur de base c’est de présenter Internet comme un tout foisonnant et brouillon (un tout-à-l’égout pour Denis Olivennes) duquel sortirait de temps en temps des morceaux peu ragoûtants. Comme le rappelle avec humour Michaelski : ce sont bien les médias qui lancent des scoops et des images volées de politiciens, de Ségolène Royal à Manuel Valls en passant par Patrick Devedjian et Nicolas Sarkozy lui-même.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Un rapport ambigu du politique au net : la fracture numérique est toujours là

Au fond, il y a une dichotomie profonde dans le discours des politiciens, comme l’indique Renaud Revel qui rappelle qu’en cela Brice Hortefeux est à bonne école avec son ami d’enfance Nicolas Sarkozy pour qui un ordinateur sert uniquement à écrire.

D’un coté la toile est considérée comme un formidable média complémentaire qui n’est pas pris en compte par ce CSA dans le décompte du temps de parole, ce qui est bien pratique car une vidéo ou un site qui “tourne” c’est autant de propagande politique gratuite et sans contrôle quand le buzz va dans le bon sens. Il n’y a qu’à voir la légitime admiration des politiciens français quant à la campagne de Barack Obamma, largement appuyée par les réseaux sociaux et le web sur lesquels les militants étaient invités à s’impliquer, et les ambitions des différents partis pour imiter ce principe. Pensons par exemple aux Créateurs des possibles pour l’UMP et à la CooPol pour le PS.

De l’autre, Internet est le mal incarné, l’œil qui espionne et qui lynche en place publique dès qu’il le peut, le lieu de toutes les bassesses et des rumeurs les plus folles. Comme le note Amaury de Rochegonde sur France Info, il est certain que les équipes de communication des personnalités politiques doivent s’en prendre à elles-mêmes : à trop vouloir user du levier de la mise en scène, ce n’est qu’un retour de flamme du “tout transparent” dont les citoyens se sont emparés grâce aux nouveaux outils de diffusion et de partage dont ils disposent.

A trop vouloir exhiber leurs moments de vie privée, leurs loisirs et leurs passions dans les émissions de divertissement pour s’attirer la sympathie des électeurs en montrant que ce sont des gens comme tout le monde, les professionnels de la politique ont pris un risque sans penser qu’il serait difficile de faire marche arrière. Ce n’est pas seulement une désacralisation de la politique qui est à l’œuvre, c’est le culte du je me présente tout entier et nu devant votre jugement que les Etats-Unis connaissent si bien qui prend forme dans l’Hexagone.

Une instrumentalisation à sens unique

Cette tendance à distinguer Internet du monde réel, doublée de l’envie d’instaurer des règles et valeurs à deux niveau avec d’un côté les braves citoyens, de l’autre les méchants internautes, est une tendance de fond comme le notait un avocat sur Ecrans. Mais ces citoyens et ces internautes, ce sont les mêmes personnes ! Il y a plus de 30 millions d’internautes en France.

Ce sont les mêmes qui moquent les politiques sur Internet et les mêmes qui se sont déplacées en masse lors des élections présidentielles de 2007. Ce sont les mêmes qui achètent en ligne et qui piratent. Ce sont les mêmes qui critiquent les médias (ce qui signifie qu’ils les consultent, ne serait-ce que pour savoir de quoi parler) et qui souhaitent que ceux-ci s’améliorent. Traiter avec mépris Internet, c’est mépriser des citoyens qui discutent, consomment, s’informent et partagent en ligne. Et qui votent.

Des pièges ? Non, du « off » qui devient « on »

Internet ne piège pas les politiques, comme on l’a trop souvent dit ou écrit. D’abord parce qu’Internet n’existe pas en tant qu’entité. Dans l’affaire Hortefeux il s’agissait de journalistes, dans d’autres cas c’étaient des passants ou des militants, des gens bien réels et pas des fantômes évanescents.

De plus, les personnalités politiques ne sont pas piégées dans ce sens où il n’y a pas manœuvre, manipulation, trahison. Elles sont simplement prises sur le vif, dans une situation où le discours n’est pas aussi policé et maîtrisé que dans le cadre des traditionnelles interviews ou prises de paroles en public. Les progrès de l’électronique et les outils de partage existant en ligne, les professionnels de la politique doivent savoir qu’aujourd’hui le off n’existe plus. Ce n’est pas la première fois qu’un imprudent se fait prendre, ce ne sera pas la dernière. La leçon que certains ont payée cher n’a pas profité aux petits camarades.

La boucle est bouclée : il faut qu’Internet la boucle

La réaction ce matin dans les 4 Vérités de Jean-François Copé, l’autre personnalité politique présente dans la vidéo incriminée, n’est pas à son honneur non plus. En substance : J’ai pensé à ceux qui font votre métier, ceux qui sont preneur de son, cameraman, reporter… qui font des vrais reportages… Là, on a été sur autre chose. Il s’agissait pourtant bien de journalistes : autant savoir de quoi on parle quand on aborde un sujet aussi brûlant de l’actualité. Et d’ajouter Il faudra un jour ou l’autre que l’on assume un débat public sur Internet et la liberté. Avec Hadopi II, c’est pourtant bien déjà de cela qu’il était question.

Rappelons qu’il fut dans le gouvernement de Dominique de Villepin le champion de la transparence dans la gestion publique avec ses 100 audits lorsqu’il était Ministre du Budget et de la Modernisation de l’Etat (il lança alors une vague importante de modernisation de l’administration publique avec Adèle, la télédéclaration fiscale, les plateformes de marché public sur Internet…) et qu’il se vantait sans rire d’arrêter la langue de bois.

Petit manuel à l’usage de ceux qui embrassent ou veulent embrasser une carrière politique

1 – Internet n’est pas un monde à part, c’est un monde construit par des gens bien réels. C’est aussi un monde plus rapide. Derrière un internaute, il y a un citoyen.

2 – Internet est un moyen de communication au même titre que le papier et les ondes. Le saviez-vous, il y a des journalistes sur Internet !

3 – Internet n’est pas un outil dont on se sert de manière verticale pour communiquer de haut en bas : la base réagit, et bien plus fort que le sommet. Il sera difficile de museler la toile dans un pays ouvert. En Chine, en Iran, en Corée du Nord, c’est une autre histoire.

4 – En politique, le off n’existe plus car la communication politique a trop joué avec les mises en scènes de la vie privée et des moments intimes. Désormais, vous êtes sous l’œil permanent des citoyens que vous avez voulu draguer à tout prix.

5 – Faute avouée à moitié pardonnée : nier quand les faits accablent, ça ne prend que si on a des moyens de coercitions conséquents pour étouffer les choses. Si Hortefeux avait dit que c’était une mauvaise plaisanterie ou qu’il regrettait des propos ambivalents, peut-être n’aurait-il pas eu droit à un tel tollé. Peut-être, mais ses antécédents ont parlé contre lui.

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