OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Balade dans la Demeure du Chaos http://owni.fr/2011/04/12/ballade-dans-la-demeure-du-chaos/ http://owni.fr/2011/04/12/ballade-dans-la-demeure-du-chaos/#comments Tue, 12 Apr 2011 10:30:51 +0000 microtokyo http://owni.fr/?p=56286

Certains articles résistent à s’écrire. Non que vous n’ayez rien à dire sur le sujet (il suffit alors de se documenter) ou que vous craigniez les représailles de quelqu’image castratrice du père. La difficulté vient d’ailleurs : de l’affect que ledit sujet déchaîne chez ses partisans et ses détracteurs. Pour le blogueur n’adhérant pas au mythe de l’objectivité, il s’agit de se positionner en évitant de pondre un article fadasse. Il y a quelques temps, nous vous avions promis la chronique de la visite de la Demeure du chaos en compagnie de son directeur artistique, Pierrick, graffeur, a.k.a Cart 1.

Située dans le très cossu village de Saint-Romain-aux-Monts-d’Or, à quelques kilomètres de Lyon, la Demeure du chaos est tout à la fois le bébé d’un businessman fou, une pépinière artistique et un feuilleton médiatico-judiciaire à la Dallas. Une sorte de doigt d’honneur ambigu et réfléchi à la société. Le milliardaire en question, c’est Thierry Ehrmann. Pionnier de la bulle internet des années 1990 et déclaré irresponsable en Espagne, il est aussi le créateur du Groupe Serveur – acteur majeur des banques de données informatiques et le boss du site Artprice, leader mondial de l’information du marché de l’art.

Artprice, c’est une entreprise regroupant une centaine de salariés et un fond de plus de 300.000 catalogues de ventes, de 1700 à nos jours. Pour un amoureux des livres, pénétrer dans les salles aux lourdes armoires abritant les collections, ça fait quelque chose ! Art, information et internet : Ehrmann, en rajoutant le goût de la provocation, te voilà superficiellement dégrossi !

Calendrier tzolkin, par Goin

Cendres chaudes et chaos fertile

Le choc initial semble venir du 11 septembre 2001. Ehrmann y voit la fin d’une civilisation, le chaos par lequel renaîtra quelque chose de neuf. Il acquiert alors une vaste propriété bourgeoise pour y installer son grand-oeuvre, à mi-chemin entre champ de ruines de Ground Zero et Factory d’Andy Warhol. Le projet de la Demeure, c’est une dualité, ou plutôt, une complémentarité entre une vision – l’Esprit de la Salamandre (pour les initiés), et la praxis d’un lieu sacré… ouvert au public.

La Demeure du Chaos n’est pas le bâtiment qui abrite des oeuvres d’art comme le ferait un musée conventionnel, mais une oeuvre d’art en soi, in process. Murs éventrés et massivement graffés par des artistes invités, sol violé par des épaves d’avion et poignardé par des ruines de structure métalliques, ciel défié par une plateforme pétrolière, espace des bâtiments détourné, esthétique générale empruntant au cyberpunk et à l’indus : rien ni personne n’est épargné. L’oeuvre monstrueuse, dégage une énergie hors du commun. Une mosaïque constituée de plus de 2700 compositions, la plupart sur des murs dont la porosité des pierres dorées fait les délices des graffeurs.

C’est aussi le musée privé le plus fréquenté en Rhône-Alpes, le siège des entreprises citées plus haut et la résidence d’Ehrmann. Ses appartements font partie de l’Oeuvre : des espaces brutalisés à l’ambiance délicieusement lourde. Parmi eux, une pièce au centre muré, sorte de tabernacle louche.

Pour qui arrive sur le site pour la première fois, le choc est soudain : vous entrez dans un mignon petit village par une mignonne petite route et bam ! à la sortie du premier virage vous tombez sur des murs noirs et tagués. Le choc est accentué du fait que les hauts murs des bâtisses signifient clairement qu’ici l’espace privé est jalousement préservé des regards extérieurs. La violence picturale de la Demeure prend le contrepied en magnétisant le regard.

Dès sa création, les villageois et le maire poursuivent Ehrmann en justice pour non respect du Code de l’urbanisme. C’est le début d’une longue campagne médiatique et juridique. Le chantre de l’Esprit de la Salamandre s’entoure d’une légion d’avocats et d’amis influents, fait appel systématiquement, s’expose avec délectation devant la loi et l’opinion publique. Pas tant par nombrilisme que par philosophie : l’art, les hommes et leur justice se rejoignent dans son travail alchimique.

On vous passe la liste des rebondissements judiciaires, dus notamment à la découverte des ruines d’un temple protestant sous les fondations de la Demeure et celles du lotissement voisin, lequel fut construit plus ou moins légalement. Par contre, on vous signale que le voisin d’en face, Marc Allardon, a répondu à la Demeure en transformant sa propriété en Maison de l’Eden Dudu ! Sa philosophie, le duduisme : être heureux, il suffit d’y penser !

Regard de l’abyme, regards en abyme

Car la Demeure du chaos, c’est ça, un formidable jeu de regards expérimenté par des artistes en résidence. Les fresques graffées de personnalités comme Claude Lévi-Strass, Rouhollah Khomeini, Andreas Bader ou Philip K. Dick par Cart One ou Michel Foucault par Thomas Foucher, pour ne citer qu’elles, nous rappellent la nécessité de se ré-approprier les images produites par les médias.

Godard disait que la vérité d’une image, c’est d’abord la vérité de la légende qu’on lui appose. Il s’agit alors de dé-légender la légende, laquelle n’est ni plus ni moins qu’un agencement de mots nourrissant aussi bien l’oeuvre que la réalité qu’elle présente. Comme le disait l’ami Lévi-Strauss, ce travail de taxinomie consiste à faire exister le monde et ses représentations et jusqu’à un certain point, à se les approprier. La question étant alors de savoir qui nomme quoi, au nom de qui. Entre autres oeuvres, les pochoirs de calendriers tzolkin de Goin semblent souligner le rapport de continuité des techniques de (re)production graphique à travers le temps, l’espace et la culture : du codex et de la sculpture religieux à la bombe Montana du street art profane. Ils semblent aussi tirer la sonnette d’alarme : la fin du monde, de cet état du monde, est proche. Pour le 21 décembre 2012, comme le pensaient les Pré-colombiens. Si vous voulez que vos enfants soient specta(c)teurs de la fin des temps, ne tardez plus, il vous reste précisément onze mois pour faire des bébés ! Quant à lui, le truculent Jace honore les murs de Mickey Mouse à contre-emploi, prévenant des dérives du projet Loppsi. Pour les fans, des interventions de Ben Vautier, ce Jacques Séguéla de l’histoire de l’art.

Mickey par Jace

La relation au regard a quelque chose de jusqu’au boutiste : le couple observant/ observé est démantelé. Le domaine est entièrement truffé de caméras vidéo. Ce panopticon ne permet pas à Ehrmann de surveiller tout ce qui s’y passe, mais plutôt d’observer à tout moment l’évolution de la vie grouillante. Quelle meilleure manière de déjouer le pouvoir visuel que de le combattre avec ses propres armes ? Plus foucaldien, tu meurs ! Encore faudrait-il s’assurer que tous les hôtes de la Demeure sachent qu’ils sont filmés, territoire sacré ou pas. En riposte à cette pratique éhontée, balançons (un secret de Polichinelle) : le bureau circulaire des écrans se trouve dans les appartements du sieur Ehrmann.

Humanisme et corps sacré

Le corps sacré, c’est l’autre grand chantier artistique de la Demeure. Soit la dualité corps/ âme, matière/ idée. En trait d’union, Internet. Ehrmann :

Je suis persuadé qu’Internet est la métaphore du Divin, si ce n’est le Divin lui-même. La voix sèche qui illumine La Demeure du Chaos lui donne le don d’ubiquité entre le monde physique et celui des idées (…). Etre capable d’étendre à l’infini sa présence mentale, être universellement connecté afin de pouvoir affecter et élever peu à peu la connaissance des êtres humains par la distribution du savoir organisé (la banque de données), telle est l’ambition humaniste du troisième millénaire.

Si Dieu a fait l’Homme à son image, celui-ci ne cesse depuis la Renaissance de questionner sa place dans l’univers et d’expérimenter les limites de son corps. Notamment au Bunker (un vrai de vrai), espace pirate de résistance à la pensée dominante : une TAZ – Zone autonome temporaire à la Hakim Bey. C’est là que de nombreux performers y présentent leur travaux de réflexion et d’action sur le corps dans la lignée de Gina Pane et d’Orlan.

Parmi eux, la dernière exposition Sanctuarium de Claude Privet : un mix de crânes humains optimisés de circuits et puces électroniques. Cette esthétique épouse pile-poil les thématiques de la Demeure : sacralité, mort et rédemption par l’immatérialité des réseaux électroniques d’information. Avec une piste intéressante qui fait qu’elle dépasse peut-être le propos d’Ehrmann : l’intuition d’une post-humanité.

Morceau du bunker

En effet, s’il convient de garder à l’esprit que les artistes invités à la Demeure n’épousent pas nécessairement l’esthétique d’Ehrmann à la lettre, celle-ci reste finalement dans le courant très classique de l’humanisme : l’Homme au centre du monde, le progrès par la connaissance et un relatif désenchantement du monde au profit d’une mystique volontariste. La nouveauté viendrait peut-être du côté de la touche cyberpunk : le corps humain devenant pure énergie, flux intelligent. Et encore, Platon en parlait déjà. S’il nous était encore permis de pinailler, nous ajouterions qu’on ne peut malheureusement plus envisager ledit humanisme sans ses fleurs pourries que sont l’esclavage et l’émergence du capitalisme planétaire.

Continuer à parler de progrès et de savoir partagé paraît alors vraiment compliqué, d’autant que de nombreuses oeuvres constituant la Demeure amorcent la piste post-humaine : un portrait de Michel Foucault qui annonce la mort de l’Homme, un autre de William Burroughs hanté par le virus du langage, les crânes hybrides de Privet alliant organique et silicone, reproduction de Ground Zero qui pourrait tout aussi bien être le champ de ruines du Tokyo post-apocalyptique d’Akira de Katsuhiro Otomo, références omniprésentes à l’Histoire et à des révolutionnaires… Autant d’oeuvres n’allant pas tant dans le sens d’une transcendance par le savoir que de la transformation de soi au contact d’autrui et/ou de la technologie.

En cela, la Demeure du Chaos joue paradoxalement bien son rôle : une pépinière portant les germes de sa propre mutation, de son propre renversement. Au-delà du procès fleuve concernant des règles d’urbanisme, c’est bien cette réalité de la Demeure du Chaos qui nous fait dire qu’elle doit perdurer : il y aura toujours davantage d’oeuvres, qui tels des enfants indignes, respecteront le père tout en le tuant sous le regard impitoyable des visiteurs. De votre belle-mère et de votre petit frère punk, petits meurtres rituels en famille.


Publié initialement sur Microtokyo, le blog du grand mix urbain, sous le titre “La Demeure du Chaos, promenade idéale pour votre belle-mère”

Crédits photos et illustrations : Aymeric Bôle-Richard (Microtokyo)

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William Gibson:|| cyberculture, || une “poésie des bas-fonds” http://owni.fr/2010/05/21/william-gibson-la-cyberculture-une-poesie-des-bas-fonds/ http://owni.fr/2010/05/21/william-gibson-la-cyberculture-une-poesie-des-bas-fonds/#comments Fri, 21 May 2010 09:58:34 +0000 [Enikao] http://owni.fr/?p=16211 A l’occasion d’une séance de dédicace du trop rare William Gibson, j’ai eu l’occasion de l’écouter brosser un panorama de ses inspirations. Simple et abordable, il s’est montré loin de l’idée que l’on se fait d’un auteur qui a tant parlé d’informatique, de cyberespace, de clonage et de sociétés multinationales montant des coups tordus. Moins technophile que rêveur, imprégné par la Beat Generation et Burroughs, effrayé par l’ère Reagan, Gibson revendique avoir créé une “poésie des bas-fonds”.

Dans les uchronies, on imagine souvent ce qui se serait passé si le Japon et l’Allemagne avaient remporté la Seconde Guerre Mondiale. Mais personne n’a essayé de décrire un monde où nous vivrions dans une chanson du Velvet underground“.

Le cyberpunk est né avec le premier roman de William Gibson en 1984 : Neuromancien. Particulièrement salué (Prix Nébula, Prix Hugo et Prix Philip K. Dick), les grandes lignes du genre sont posées. Dans un avenir proche, l’État a abdiqué presque partout, le monde est aux mains de grandes multinationales. L’informatique s’est particulièrement développée, le cyberespace est un lieu où les hackers osent tout.

Clonage, nanotechnologies, implants cybernétiques et intelligences artificielles ont changé les paradigmes sur l’humanité. Les héros sont des parias désabusés des bas-fonds, missionnés pour de sales boulots d’espionnage : entre thriller et complot.

La musique rock et les drogues de synthèse (voire virtuelles) sont présentes en filigrane.

Entretien.

Bonjour, je suis William Gibson, et je vis dans un univers coloré

E : Comment est né Neuromancien, un roman qui a fait date dans l’histoire de la littérature en initiant le mouvement cyberpunk ?

WG : Je n’avais aucune référence de départ, c’est pourquoi il m’a fallu partir d’une armature. Pour cela je suis parti de deux sous-genres (rien de péjoratif) que sont le thriller et l’espionnage pour avoir une trame solide. L’histoire a eu rapidement sa propre dynamique qui m’a un peu échappé, j’ai bien vu des années plus tard qu’elle était difficile à transcrire en script de film. Mais finalement je n’aime pas m’en tenir aux règles d’un genre et je préfère jouer avec les codes pour les mélanger.

E : On vous prête l’invention du cyberespace et des prémisses des mondes virtuels d’aujourd’hui. Êtes-vous un nerd ? Un passionné de science ?

WG : J’ai une solide réputation de visionnaire et de technophile, mais elle est très exagérée. Certes, ça aide à vendre… (rire)

Ce que j’écris du monde des sciences, je le tiens en réalité de mon entourage qui travaille dans tel ou tel secteur. En revanche, je sais reconnaître la nouveauté quand elle me passe sous les yeux. Et puis j’ai une interprétation poétique des langages de la technologie qui me pousse à extrapoler. La première fois que j’ai entendu les mots interfacer en tant que verbe, ou virus informatique, j’ai trouvé ça fascinant. Pour ce dernier, j’ai imaginé qu’il s’agissait de masses de données se reproduisant sur d’autres données, infectant plusieurs endroits à la fois et générant des effets néfastes comme le fait un virus biologique. Bon, j’ai eu de la chance, il se trouve que c’est le cas… Une réputation tient à peu de choses ! (rire)

E : D’après vous, quel rapport entretient la science avec la science-fiction ? Laquelle influence le plus l’autre ? Qui devance qui ?

WG : Je crois en réalité qu’il y a moins de symbiose entre science et science-fiction qu’entre business technologique et science-fiction. La science-fiction invente des trucs que l’on peut montrer au banquier quand on cherche des financements. Les patrons de start-ups posent quelques livres sur la table en disant : “Lisez ça et ça. Ce n’est pas tout à fait ce qu’on peut faire, mais presque. On veut du cash pour le développer”. Et même, certains patrons de sociétés technologiques me disent qu’ils ont été inspirés par nos écrits. Pas tellement les chercheurs… Aujourd’hui, une grande partie de l’énergie créative a migré ailleurs. Il y a eu la science-fiction, puis la musique, aujourd’hui c’est peut-être dans le cinéma et l’animation qu’il faut regarder les progrès techniques significatifs.

E : La plupart de vos héros sont apatrides, est-ce lié à vos lectures sur l’itinérance comme Kerouac ?

WG : C’est plus profond que cela. J’ai grandi dans un tout petit village très sudiste, très religieux, très traditionnel et très blanc. Cet univers fermé aux influences extérieures était oppressant, voire fantasmatique : il était irréel. Aussi, à l’adolescence, je me suis tourné vers la musique, le cinéma, les comics et la science fiction qui avaient pour moi plus de consistance que mon quotidien. Mon refus d’aller faire la guerre au Vietnam en 1968 m’a par la suite poussé sur les routes et je suis parti pour le Canada. En général, je me suis toujours mieux senti avec les gens sans racines ou aux cultures mélangées, et je fuis comme la peste les nationalistes.

E : Quelles ont été vos principales influences littéraires ?

WG : Un auteur qui fait bien son métier digère et assimile, à tel point qu’il n’est plus capable de remonter la filiation. J’ai presque plus de facilité à dire qui ne m’a pas influencé. Bien sûr, Philip K. Dick m’a beaucoup marqué, en particulier Le Maître du Haut Château, mais je lui préfère Thomas Pynchon, que je qualifierai de “parano raffiné”. Mes vraies références sont poétiques, et si un auteur m’aborde pour parler d’abord poésie plutôt que science-fiction, il y a des chances qu’on s’entende bien. Mes romans sont plein de noirceur, de coups tordus, de bidonvilles et de personnages en marge : je crois avoir donné naissance à une forme de poésie des bas-fonds.

E : Le vaudou revient souvent dans vos romans, pourquoi ?

WG : A l’âge de 14 ans, j’ai acheté un manuel vaudou de la Nouvelle Orléans, il comportait des descriptions précises des rites et des schémas et des diagrammes pour les cérémonies. Comme je faisais un peu de bricolage électronique, j’ai trouvé que ça ressemblait à des plans d’assemblage, et je me suis toujours demandé ce qui se passerait si je réalisais mes circuits sur le modèle d’un diagramme vaudou… Et puis je trouve fascinant qu’au XXème siècle, une religion polythéiste soit aussi vivante et contemporaine, répandue dans plusieurs endroits du globe.

E : Vous avez tenu un blog jusqu’en 2005, avez-vous essayé de nouvelles formes d’écriture comme l’hypertextuel ?

WG : Je crois qu’aujourd’hui tout texte est hypertextuel. Tout ce que nous écrivons est une requête Google potentielle. Nous avons pris l’habitude de référencer et de lier, de chercher au hasard. Je ne sais jamais où je vais arriver quand je suis sur le web, et je suis fasciné par ces nouvelles formes d’échange écrit que sont les newsgroups, les blogs et les e-magazines. Pour moi, l’hypertexte est une réalité étendue, même pour les livres papier.

E : Après avoir décrit dans les années 80 un cyberespace, quelle est votre expérience personnelle des univers virtuels dans les années 2000 ? Quel est votre niveau de présence en ligne ?

WG : Je n’ai essayé que Second Life, que j’ai trouvé peu intéressant. L’expérience du blog était passionnante mais est arrivée à son terme. Je continue à participer et à interagir virtuellement sur des forums, de manière anonyme la plupart du temps. Je trouve les échanges souvent riches, et je suis toujours intrigué de trouver des gens qui se connaissent si bien sans s’être jamais rencontrés physiquement.

Humain, post-humain

E : Vos romans se passent souvent dans un avenir assez lointain, les derniers se situent dans un avenir plus proche. Est-ce parce que tout évolue plus vite et que vous n’arrivez pas à vous projeter aussi loin qu’avant ?

WG : Je suis content d’être perçu comme un visionnaire, mais il faut poser une bonne fois pour toutes : la science-fiction, même très futuriste en apparence, ne parle que de notre présent ou de notre passé. Neuromancien était un roman de présent-fiction, Code Source se situe… dans un passé proche. Il ne s’agit pas de prédire ni de décrire mais de regarder dans un autre prisme. C’est en quelque sorte un travail sociologique avec un regard décalé.

Toute représentation de la réalité nécessite une part de spéculation de la part de celui qui observe. Mes premiers romans sont dans un temps lointain car je ne voulais pas qu’ils soient trop vite datés, ni que l’on identifie clairement a posteriori à quel moment ils pouvaient avoir lieu. La fiction est comme l’histoire, elle change à mesure que notre regard rétrospectif évolue. Si je voulais ramener un seul élément du futur, ce serait le regard historique, stratifié et analysé de nos descendants sur ce qui est notre présent. Il faut avoir les outils de la science-fiction, créés au XXème siècle, pour comprendre le monde contemporain.

E : A propos de cybernétique, pensez-vous que les implants que vous décrivez dans vos romans seront une réalité un jour ? Comment seront-ils acceptés ? Serons-nous encore vraiment humains une fois cybernétisés ?

WG : C’est difficile à dire. Les premiers à réclamer l’usage concret de recherches cybernétiques seront sûrement les personnes handicapées. Il sera difficile de refuser à un aveugle un oeil cybernétique. Mais comme toujours, c’est le regard a posteriori qui déterminera quand nous avons changé.

Nos arrière-petits-enfants détermineront la frontière entre humain et plus qu’humain, entre marge et pratique courante.
> Article initialement publié en octobre 2008 chez Enikao

> Illustrations CC Flickr par HAZE – Comatose et Frederic Poirot

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