OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 « Obtenir une domiciliation, c’est une délivrance » http://owni.fr/2011/05/04/obtenir-une-domiciliation-une-delivrance/ http://owni.fr/2011/05/04/obtenir-une-domiciliation-une-delivrance/#comments Wed, 04 May 2011 06:30:54 +0000 Sabine Blanc et Ophelia Noor http://owni.fr/?p=51377

Bon allez, I take you. So it’s a récipissé ? Asile ?
Yes, yes, asile…
Vous faites des démarches à la préfecture ? Oui, il y a bien un rendez-vous… Do you have CMU ?

Le globish, Gérard le pratique tous les jours. Est-il serveur dans un café touristique des Champs-Élysées ? Non, salarié au service domiciliation du CASP (Centre d’Action Sociale Protestant), “la dom’“, comme ils disent entre habitués. Il entame une procédure pour Rajesh, un réfugié bangladais.

Gérard enregistre Rajesh, un réfugié bangladais.

Au 20, rue de Santerre, dans le 12e arrondissement de Paris, une mini-ville d’environ 2 500 personnes siège virtuellement dans cet immeuble de six étages, large de six fenêtres. Les personnes sans domicile fixe, qu’elles vivent sur un bout de carton dans la rue ou dans une chambre d’hôtel, sont obligées d’avoir une domiciliation, à l’exception des mineurs.

Autant qu’une obligation, c’est un droit entériné par la loi DALO sur le logement opposable en 2007 (circulaire du 25/02/08, pdf) : sans elle, impossible de faire les démarches administratives et sociales, bref d’avoir une chance de s’insérer. Cette adresse postale est à distinguer du logement, endroit physique où une personne vit.

« Obtenir une domiciliation, c’est une délivrance », résume Nadia, qui travaille aussi dans ce service. Gérard renchérit :

Certains demandeurs d’asile arrivent directement à se faire domicilier de l’aéroport, ils se passent le mot entre eux, dès leur pays d’origine parfois.

Et pour cause : le chemin pour obtenir des papiers commence là. S’ils sont déboutés, ils en auront aussi besoin pour avoir droit à l’aide médicale d’État (AME), réservée aux personnes en situation irrégulière.

Rajesh est dans le troisième cas de figure : bénéficiant du statut de réfugié politique, il est en situation régulière et peut chercher du travail en France. Problème: il ne peut plus habiter chez les personnes qui l’hébergeaient jusqu’à présent, ni recevoir son courrier et il a rendez-vous à la préfecture début mai. Alors ça urge. Il a déjà fait plusieurs autres services de dom’, sans succès.

Trois associations agréées à Paris

Seules trois associations à Paris possèdent tous les agréments : c’est une tâche lourde qui, paradoxalement, ne bénéficie pas d’aide de l’État alors que c’est une obligation. Le jeune homme s’est pointé là, sans rendez-vous. Il a eu de la chance, Gérard est un gars sympa, pas le genre à mettre des bâtons dans les roues par principe administratif : « on a le temps, il n’y a pas de raison de le faire attendre ». Et le voici invité à prendre place dans un petit bureau, aux côtés d’un ordinateur.

« Bon, name, prénom, sexe, masculin, c’est ça ? », lance Gérard en riant. Car il a beau côtoyer la misère, il se refuse pour autant à faire dans le pathos: « Nous ne sommes pas là pour les plaindre, il ne faut pas leur faire ressentir leurs difficultés. » Entre nécessaire rigueur administrative et humanité tout aussi nécessaire, la petite équipe gère les affaires.

À l'accueil. On vient parfois en famille.

Français ou globish, Rajesh comprend a minima ce qu’on lui dit

Pays d’origine, ville de naissance, les personnes du service dom’ ont acquis de solides connaissances en géographie: « Je vais passer à Question pour un champion, non mieux, Qui veut gagner des millions! ». Gérard enchaine les blagues, son interlocuteur esquisse un rire timide mimétique, engoncé dans sa doudoune et son bonnet, en dépit de la chaleur printanière. Arrivé en 2007, Rajesh comprend a minima ce qu’on lui dit, français ou globish.

Après le fichier du CASP, il faut encore remplir le « cerfa », comme ils disent entre eux pour désigner le cerfa 13482*02. Mis en place dans le cadre de la loi DALO, ce sigle désigne l’attestation d’élection de domicile, véritable sésame donnant accès aux prestations sociales : RSA, CMU, Assedics… Douze tampons pour valider le tout, un exemplaire pour lui, « you keep it always, no photocopy », un pour la CMU, « to say you have changed your address », et un dernier pour le CASP, « ça c’est pour nous ».

Internet permet de désengorger le service

Rajesh serait venu trois mois plus tôt, la procédure se serait arrêtée là. Mais il devra encore patienter quelques minutes, pour une très bonne raison : le CASP a mis en place un système destiné à désengorger le service. Une carte magnétique toute simple avec un numéro qui simplifie tant la vie des bénéficiaires du service que du personnel qui en la charge. Avant, il était nécessaire de se déplacer pour savoir si l’on avait du courrier, avec à la clé une longue attente pour parfois rentrer les mains vides. Maintenant, en se connectant sur un site Internet grâce au numéro inscrit sur leur carte, ils savent s’ils ont du courrier. Faute d’Internet, ils n’ont qu’à passer leur carte sur la borne à l’entrée du 20, rue Santerre.

Ce système est né cet hiver d’une mini-crise, provoquée par leurs obligations : le CASP domicilie 750 demandeurs d’asile qui alourdissent la charge de travail. En effet, ils restent domiciliés chez eux peu de temps, avant d’être envoyé en CADA aux quatre coins de la France. Et donc autant de réexpéditions à gérer. Quand il s’agit de faire suivre une convocation à la préfecture dont dépend le sort d’une personne, on comprend qu’ils aient « mis une alerte » cet automne. La réaction suivra quelques mois plus tard, au grand soulagement de tout le monde.

Du coup, l’augmentation de la demande est gérée avec sérénité. « À mon arrivée en 2001, la file active était de 1 600 », se souvient Gérard. Engorgés, France Terre d’asile et Dom’asile leur envoient davantage de monde qu’avant, ils récupèrent aussi beaucoup de déboutés.

« Vous n’avez pas grande enveloppe ? »

Mamoudou, le vigile présent à l’accueil est beaucoup plus tranquille : « de temps en temps, une personne s’énerve, mais cela reste rare ». De fait, c’est le calme total. Chacun leur tour, les gens se présentent au guichet lorsque leur numéro de passage a été tiré. Une femme à l’accent russe prononcé présente son pass Navigo : « Je sais pas utiliser, c’est pas moi qui a carte. » Son nom suffit à la retrouver dans la base de données. Bénéficiaire de l’AME, domiciliée depuis 2006, Nadia sait immédiatement qu’elle est sans-papier. Dans le casier à la lettre V, par chance trois lettres,  la femme n’est pas venue pour rien. Pourtant, c’est tout comme : « Vous n’avez pas grande enveloppe ? » La déception ferme son visage, elle part.

Un enfant sautille de la porte à l’aquarium, tapote la vitre devant laquelle ondulent des poissons rouges, il babille dans une langue que l’on devine de l’Est. Sa maman n’est pas d’humeur à jouer. Dans ses mains, une lettre de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris (APHP) qu’elle a ouverte, en vain : arrivée d’Ukraine voilà six mois, elle ne comprend pas le français. Et puis une enveloppe de la Cour nationale du droit administratif (CNDA), de celle dont dépend votre destin : numéro de dossier, convocation, refus ? La jeune femme repart, l’enveloppe close à la main.

16 heures, les visiteurs se font plus rares, Nadia s’en va vaquer, une caisse de lettres à trier à bout de bras : il y en a trois cents à ranger tous les jours, six cents les jours de pointe, quand les impôts ou les allocations familiales arrivent. De l’administratif pour l’essentiel, même si cela n’empêche pas des missives personnelles d’arriver aussi.

Lazhar, prêt à user encore un peu plus ses mains en faisant n'importe quel boulot.

Un homme déboule, tapote nerveusement de ses doigts sur le comptoir en attendant son paquet, il se prend la tête dans les mains. C’est Lazhar, qui a plus d’énergie à revendre que son geste désespéré ne le laisse penser. « Demain, je vais en Angleterre, Inch’ Allah » s’exclame-t-il en riant.

Avec son accent à couper au couteau et sa grammaire à faire frémir les pontes de l’Académie française, on le dirait étranger. Et bien non, il nous tend une carte d’identité française, français, tendance breton rouquin tâches de rousseur d’un côté, algérien de l’autre. Pas de métier en particulier, il est prêt à faire n’importe lequel pour travailler. « Et tu loges où maintenant ? »

J’habite partout… partout !

Son cousin le rejoint, ses lettres pliées en deux sous le bras, Lazhar repart, comme il était arrivé, en trombe. Son dernier passage au 20 rue, Santerre, maison de paille d’un instant qui l’aura bien aidé.


Texte : Sabine Blanc
Photos : Ophelia Noor

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Regards sur une décennie de mal-logement http://owni.fr/2011/04/30/argos-regards-sur-une-decennie-de-mal-logement/ http://owni.fr/2011/04/30/argos-regards-sur-une-decennie-de-mal-logement/#comments Sat, 30 Apr 2011 16:00:56 +0000 Ophelia Noor http://owni.fr/?p=58756 Au début des années 2000, plusieurs photographes du collectif Argos ont réalisé des reportages sur la question du mal-logement et des personnes sans-abri. Ils ont suivi, pendant plusieurs mois, le quotidien de familles vivant dans un bois à côté d’une cité HLM en Seine-et-Marne, fait le tour des hôtels meublés du 20ème arrondissement de Paris, rencontré des hommes vivant sur une bretelle d’accès du périphérique à Porte Maillot ou suivi le parcours d’un homme, de la rue à la réinsertion.

Dix ans après, les sans-abris étaient dans l’agenda de l’Union européenne qui faisait de l’année 2010, celle de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. L’objectif : trouver des positions communes et développer des politiques globales et efficaces dans les pays de l’Union.
La fin du sans-abrisme, une utopie ? Le jury de la conférence de consensus sur le sans-abrisme organisée à Bruxelles en décembre dernier répondait, avec optimisme et détermination :

L’absence de chez-soi constitue une injustice grave et une violation des droits fondamentaux de l’homme à laquelle on peut et on doit mettre fin. Le jury considère ainsi que l’absence de chez-soi peut être progressivement réduite et que l’on peut, en fin de compte, y mettre un terme.

Le Parlement lui emboîtait le pas avec cette déclaration du 16 décembre 2010 sur la stratégie de l’UE pour les personnes sans-abri, qui demande :

  • au Conseil de s’engager avant la fin de l’année 2010 à régler la question des personnes sans-abri d’ici 2015,
  • invite la Commission (…) à aider les États membres à élaborer des stratégies nationales efficaces
  • demande à EUROSTAT de recueillir des données sur les personnes sans-abri.

Pour le moment, c’est la France qui serait championne européenne du mal logement, avec 52 personnes sans domicile fixe pour 100.000 habitants.

Nous avons laissé la parole aux photographes du collectif Argos qui nous racontent, chacun, l’histoire de leur reportage et de leurs rencontres.

Ces familles qui n’ont plus droit de cité

Par Eléonore Henry de Frahan

Apres l'école Morgane, 8 ans, rentre chez elle. Chez elle, ce sont les quatre caravanes du haut, dans ce petit bois coincé entre la nationale 105 et le château d'eau où vivent deux familles et un homme seul. ©Eleonore Henry de Frahan Collectif Argos/PictureTank

C’est en 2000 que je découvre à la lisière des villes, des familles françaises qui survivent dans des habitats de fortune sans électricité ni eau courante. Pour assurer une vie décente à leurs enfants, les parents cumulent les petits boulots. Je m’y rendais en RER et à vélo et je développais mes films moi-même.

J’ai rencontré les familles petit à petit avec l’aide du Dr Moriau de Médecins du monde qui m’a introduit. Madeleine est salariée comme femme de ménage. Pourtant, elle vit en caravane, avec son mari Gérard et ses deux filles, de 8 et 10 ans, juste en face de la barre HLM de Seine-et-Marne d’où ils ont été expulsés.

Ils n’ont ni eau ni électricité. Ils se servent d’un poêle à bois pour se chauffer et d’un groupe électrogène pour la télé. Tentant comme les autres parents du campement d’assurer une vie décente à leurs enfants. Notre société moderne lancée dans une course effrénée au profit laisse derrière elle une part de plus en plus importante de la population.

Il y a huit ans, Gérard a perdu son emploi. Après plusieurs mois sans revenus, la petite famille est venue camper dans ce bois. Au fil des ans, ils ont acquis plusieurs caravanes et les ont retapées. Chacune d'elle est une pièce de la maison. ©Eleonore Henry de Frahan Collectif Argos/PictureTank

J’ai réalisé ce reportage sans commande. Je voulais tout simplement sensibiliser les gens à ce problème de société. Des familles n’ont plus accès aux biens de consommation qu’on leur propose au quotidien, à un minimum de confort, ou tout simplement à un logement et à une vie décente. Cette précarité gagne du terrain et déferle aujourd’hui sur le monde du travail (missions d’intérims, travail à temps partiel). Avoir un emploi ne garantit plus l’intégration ni la protection sociale.

Patrick monte un vélo pour son fils avec les matériaux qu'il a récupéré. ©Eleonore Henry de Frahan Collectif Argos/PictureTank

Je suis retournée les voir régulièrement et le travail s’est échelonné sur un an et demi. J’ai continué a leur rendre visite ponctuellement pendant un temps, quand je le pouvais. Dernièrement je voulais justement avoir de leurs nouvelles mais ils ne sont plus sur le terrain et je ne sais plus comment les joindre.

Le reportage a été publié sur 8 pages dans VSD, il a été expose à différents endroits comme le centre culturel de Rezé, de Woluwe St. Lambert a Bruxelles, le festival de Biarritz sur la violence moderne, et il a accompagné les journées du livre avec l’association ATD quart monde.

Matériel : un Nikon f3 et des films Tri X n/b

Hôtels meublés

Par Guillaume Collanges

J'ai trouvé un appartement à 3800 francs mais je ne peux pas. Je touche 4000 francs par mois. ©Guillaume Collanges Collectif Argos/PictureTank

Le reportage sur les hôtels meublés s’est étalé sur six mois, en 2000. J’habitais le 20ème et c’est un arrondissement ou il y en a pas mal. Plusieurs fois je suis passé devant sans y prêter attention. Un jour j’ai lu une plaque “Hotel meublé – chambre au mois” et je me suis demandé qui vivait ici. J’ai fait du porte à porte, essayant de rentrer dans les établissements mais beaucoup d’entre eux n’aiment pas les curieux. Les marchands de sommeil préfèrent la discrétion.

A l’époque la moyenne était de 3500 francs (env 500€) pour une chambre avec lavabo. C’était le prix d’un studio sur le marché privé. Quand je trouvais un endroit accessible je faisais tous les étages en expliquant bien aux gens que je faisais un reportage. Peu voulaient répondre, surtout les femmes qui sont donc sous représentées dans le reportage. Elles se méfiaient d’un homme inconnu, même s’il se présentait comme un journaliste, d’autant qu’à l’époque je n’avais pas la carte de presse.

Je suis ici depuis trois mois. J'ai 37 ans, j'ai loué un appartement jusqu'à 33 ans, depuis, je vis en meublé. Je suis analyste programmeur, je travaille a Paris, parfois, en province. ©Guillaume Collanges Collectif Argos/PictureTank

L’ambiance dans ces hôtels est souvent triste, voir violente quand il y a trop d’alcool. Des situations de misère et de précarité qui s’installent dans la durée. Un seul avait une ambiance quasi “familiale”, je n’avais d’ailleurs pas eu le droit d’aller voir les deux premiers étages réservés aux habitués de longue date. Du 3ème au 5ème c’était autorisé, et pourtant une dame était là depuis dix ans !

Cela fait 10 ans que je suis ici, et mon fils onze. J

Toutes ces rencontres m’ont beaucoup marqué , certaines n’ont jamais été diffusées car les personnes n’ont pas voulu signer l’autorisation de diffusion. Mais je retiendrai toujours cette conclusion qu’avait eu une des rares femmes rencontrées, ancienne institutrice : “les problèmes, ça rend médiocre.”

Matériel : appareil Nikon fm, 35mm f2 et film Kodak Supra 400

Vie périphérique

Par Cédric Faimali

Thierry dans sa cabane au bord du périphérique parisien. @Cédric Faimali Collectif Argos/PictureTank

C’était en 2003, j’avais repéré les tentes de Thierry et Diego sur mon chemin en passant par la Porte Maillot. Quand je suis arrivé sur leur campement la première fois, Diego est sorti avec une barre de fer et m’a dit :

“Qu’est-ce que tu viens chercher ici ? Il n’y a rien à voler !”
J’ai répondu : “Je viens en ami”
Et il m’a dit : “Il n’y a pas d’amis ici !”

J’ai quand même réussi à amorcer la discussion et à lui expliquer ce que je faisais là. Je me rappellerai toujours de cette phrase : “Il n’y a pas d’amis ici”. La peur de se faire attaquer et dépouiller est constante. Diego, ancien légionnaire de 48 ans était installé là depuis 1999 avec son chat Gavroche, et venait de se faire agresser par des jeunes quand je l’ai rencontré. Il était tailladé au couteau.

Diego s'approvisionne en eau potable grâce aux bouches d'incendies des pompiers. @Cédric Faimali Collectif Argos/PictureTank

Diego et Thierry étaient un peu comme des Robinson Crusoë, ils disaient : “la société veut pas de nous, et nous, on veut pas d’elle. On n’étale pas notre misère en pleine rue, la mendicité fait chier tout le monde.” Ils se débrouillaient pour trouver de la nourriture, subvenir à leurs besoins. Ils en étaient fiers. Ils avaient la télé avec une batterie, ils coupaient du bois pour se chauffer. Ça ne les intéressait pas de toucher le RMI ou la CMU quand je les ai rencontré.

Le linge de Diego et Thierry sèche le long du boulevard périphérique. @Cédric Faimali Collectif Argos/PictureTank

Le reportage a duré tout un hiver et j’ai continué au printemps et à l’été suivant. Parfois je ne faisais pas de photos, j’allais discuter, j’amenais des batteries chargées, des cigarettes, des vêtements ou des couvertures. C’est très long comme reportage, c’est lourd psychologiquement, les gens sont parfois sur la défensive, ils ne comprennent pas toujours notre démarche, refusent de se faire prendre en photos et c’est normal. C’est leur vie. Il faut s’apprivoiser et aussi que la confiance s’installe.

Thierry, je l’ai croisé par hasard, en 2006, au bureau de Poste près de chez moi. Il avait eu des problèmes de dents, il s’était fait soigner et m’avait dit qu’il était hébergé. Puis leur campement a brûlé en 2007, j’étais allé voir les pompiers qui en étaient au début de l’enquête. Il privilégiaient l’accident.

Thierry dort malgré le bruit incessant des voitures. @Cédric Faimali Collectif Argos/PictureTank

Je vais reprendre ce sujet avec des personnes qui vivent dans les tunnels de La Défense, un autre endroit où on est pas censé vivre, dans les sous-sols du pôle financier. Aujourd’hui, leur campement a disparu.

Matériel : appareil panoramique hasselblad Xpan, film Porta 400 NC

Gilles, de la rue à la réinsertion

Par Jéromine Derigny

Gilles, SDF de 37 ans, fait sa vie entre Montreuil et Vincennes. Une grande partie de la journée, Gilles fait la manche, toujours au même endroit. ©Jérômine Derigny Collectif Argos/PictureTank

J’ai réalisé ce sujet en commande pour le Pèlerin, en janvier 2007 où j’ai suivi pendant plusieurs jours le quotidien de Gilles, rencontré au Samu social.

Après la publication, Gilles, ayant déjà passé plusieurs années à la rue, a semblé retrouver un regain d’énergie pour continuer à se battre, et trouver un centre d’hébergement. Puis du travail en réinsertion. J’ai décidé de garder le contact avec lui puisqu’il avait un portable, ça n’était pas trop compliqué. C’est ainsi que pendant un an, j’ai continué à le retrouver de temps à autres, dans son parcours de réinsertion à l’association Neptune, basée à Montreuil.

Gilles, sdf depuis plusieurs années et jusqu'en 2007, est maintenant en réinsertion, tant sur le plan du travail que du logement. ©Jérômine Derigny Collectif Argos/PictureTank

Une deuxième publication dans le Pèlerin a eu lieu un an après la première. On ne se refait pas si vite d’années de rue, et tout n’a pas été simple pour Gilles, une année ne suffit bien sûr pas pour se réinsérer. J’ai continué à garder contact avec lui, mais il est parti en province, chez Emmaüs. Puis petit à petit j’ai perdu sa trace, les coups de fil s’espaçant… de mon fait plutôt.

Gilles a organisé un tournoi de pétanque, ou se mélangent habitants du foyers, et personnes du quartier. ©Jérômine Derigny Collectif Argos/PictureTank

Je serais curieuse de savoir où il en est actuellement, je lui souhaite bien entendu d’avoir encore progressé dans son parcours…

Peut-être que lui ou une de ses connaissances sera lecteur d’OWNI !?

Matériel : Nikon D200 24mm (35mm) f2.8

48 rue du faubourg Poissonnière

Par Guillaume Collanges

Au 48 rue du Faubourg Poissonnière, les familles ont campé plus de deux mois dehors en attendant le relogement. ©Guillaume Collanges Collectif Argos/PictureTank

Au cours du reportage sur les meublés en 2000, je suis rentré en contact avec le DAL. Je voulais suivre également les mal logés qui squattent ces immeubles innocupés de Paris. Celui ci appartenait à une compagnie d’assurance italienne et était vide depuis plusieurs années quand les familles sont rentrées dedans.

C’était insalubre, les rats envahissaient la cour la nuit mais certains logements étaient assez grands. Les gens étaient plutôt “bien ici” pour la plupart. Mais un immeuble pas entretenu se délabre et deux plafonds s’étaient affaissés provoquant l’expulsion manu militari de deux familles….. vers des hôtels meublés comme solution provisoire. Bien sûr.

Dialika retrouvera un logement dans Paris. ©Guillaume Collanges Collectif Argos/PictureTank

La plupart des adultes travaillaient et avaient leurs papiers, et étaient en attente de logement social depuis des années…. comme beaucoup trop.
J’ai passé quinze jours avec eux sous la tente, les gens y dormaient à tour de rôle. C’est fatiguant, la rue est bruyante et le réveil est à 5h avec le premier camion poubelle de la ville. Les gens ont tous été relogés grâce à l’action du DAL.

Un été à Paris, au 48 rue du faubourg poissonnière. ©Guillaume Collanges Collectif Argos/PictureTank

Matériel : Nikon F90, 35mm f2, et film Supra 400


Crédits photos : © Collectif Argos/Picture Tank Tous droits réservés
Retrouvez les cinq reportages dans notre visionneuse /-)

Le collectif Argos fête ses 10 ans. Les rédacteurs et photographes vous invitent au vernissage de leur exposition le 11 mai à 18h00 à l’Espace Confluences à Paris.

Téléchargez le pdf.


L’intégralité des reportages est sur le site du collectif Argos :
Jérômine Derigny : Gilles de la rue à la réinsertion (2007 et 2009)
Guillaume Collanges : 48 bd poissonnière (2000) et Hôtels meublés (2000)
Cédric Faimali : Vie périphérique (2003)
Éléonore de Frahan : Ces familles qui n’ont plus droit de cité (2000)

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http://owni.fr/2011/04/30/argos-regards-sur-une-decennie-de-mal-logement/feed/ 3
Entre SDF et mal-logés, un constat pour le moins alarmant http://owni.fr/2011/02/15/entre-sdf-et-mal-loges-un-constat-pour-le-moins-alarmant/ http://owni.fr/2011/02/15/entre-sdf-et-mal-loges-un-constat-pour-le-moins-alarmant/#comments Tue, 15 Feb 2011 14:50:48 +0000 Aymeric Pontier http://owni.fr/?p=46780 Dans le cadre de mon cursus universitaire, j’ai réalisé un stage de fin d’études au sein d’un des plus grands bailleurs sociaux de France, ce qui a donné lieu à l’écriture de mon mémoire sur “L’appropriation du développement durable par les bailleurs sociaux“. Pour ce faire, j’ai du me lancer dans de nombreuses recherches sur les problèmes de logement en France, et les réponses apportées par les pouvoirs publics au fil du temps. Très vite, j’ai vu que le logement était victime de ces vilaines petites manies bien de chez nous : rigidité administrative, évaluation très insuffisante des politiques menées, et surtout une effervescence législative démentielle !

Abondance de lois mais aucun impact sur le logement

Honnêtement, je ne suis même pas arrivé à faire une liste complète de toutes les lois votées sur le sujet, qui se sont empilées les unes sur les autres. Depuis que le logement est devenu un sujet politique (il y a environ un siècle et demi), le rythme de l’ingérence publique n’a fait qu’augmenter, et depuis les années 1990 nous sommes passés à une nouvelle loi tous les un ou deux ans en moyenne… soit à chaque changement de ministre en gros. L’accès au logement est l’un des domaines privilégiés de la législation émotionnelle à répétition, à l’instar de la folie sécuritaire. Pour autant, les difficultés liées au logement ne se sont pas arrangées. Dans son rapport 2011 sur le mal-logement, la Fondation Abbé Pierre a dressé un constat assez édifiant :

Dans une société aussi organisée et riche que la nôtre, et sensée par ailleurs être “solidaire“, on se demande comment il est possible qu’1% de la population soit privé de domicile personnel, et qu’il y ait plus de 130 000 personnes vivant dans la rue. Surtout pour un pays dont les dépenses publiques s’élèvent désormais à plus de 1000 milliards d’euros chaque année !

Tout d’abord, il ne faut pas perdre de vue le fait que les situations des sans-domicile sont très hétérogènes. Dans son rapport annuel (2009), l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS), chargée du contrôle et de l’évaluation des politiques publiques de la sécurité sociale, a dressé une liste des différentes catégories (page 51) :

le «clochard», tel que le sens commun l’entend, qui subsiste très minoritairement, sédentarisé ou non, le «travailleur pauvre», employé ou ouvrier en emploi précaire, le «jeune» en rupture familiale ou issu d’une prise en charge institutionnelle (aide sociale à l’enfance, protection judiciaire de la jeunesse), les personnes en souffrance psychique ou à comportements addictifs, les étrangers dépourvus de titre de séjour, installés en France ou en transit, les anciens détenus, et les familles avec enfants expulsées de leur logement (un quart des personnes sans abri est accompagné d’enfants…).

La catégorie la plus représentée est celle des étrangers sans titre de séjour, pourchassés qui plus est par la politique menée en matière d’immigration. Si l’on s’en tient aux seuls sans domicile francophones présents en France qui ont pu être enquêtés par l’INSEE en janvier 2001, la part des étrangers serait de 29 %, soit une proportion quatre fois plus élevée que dans l’ensemble de la population française. Voici l’étude INSEE la plus récente sur le sujet.

Le rapport de l’IGAS permet d’en savoir plus sur la politique menée pour venir en aide aux sans-domicile:

En premier lieu des moyens dédiés à l’hébergement. L’hébergement d’urgence (près de 27 000 places) offre un abri, un diagnostic, une orientation. L’hébergement de stabilisation est destiné aux personnes pour lesquelles une insertion professionnelle n’est pas prévisible à brève échéance (près de 8 000 places). L’hébergement d’insertion accueille les personnes ou les familles qui connaissent de graves difficultés, notamment économiques, familiales, de logement, de santé ou d’insertion, en vue de les aider à accéder à une autonomie personnelle et sociale ou à la recouvrer (30 000 places). À côté de ces dispositifs dédiés, les deux tiers environ des logements conventionnés à l’aide au logement temporaire (soit 15 500 logements) accueillent des personnes en attente d’un logement durable. Les places d’hébergement et de logement adapté sont financés principalement par l’État, pour un budget d’environ 800 millions d’euros.

(page 6 du rapport de l’IGAS)

De fait, il n’y a donc pas assez de places pour tout le monde…
Mais encore faudrait-il que les sans-domicile profitent des places existantes ! Selon les secteurs, ce n’est pas toujours le cas. Notamment, parce qu’il est difficile de connaître avec précision les besoins à un endroit donné, ou les profils des personnes concernées. La dernière enquête détaillée de l’INSEE date de 2001, et il n’y en aura pas de nouvelle avant 2012. En clair, la politique n’est pas assez adaptée. Dans son rapport, l’IGAS fait de nombreuses propositions pour améliorer l’efficacité des dispositifs, elle pointe du doigt des structures en trop grand nombre et demande à ce qu’elles soient fusionnées, ou à défaut que les efforts soient davantage coordonnés.

Des logements sociaux pour ceux qui n’en ont pas besoin

Parfois, pour améliorer la situation, il suffit de choses très banales, telles que la simplification de la demande de logement social, par exemple. L’IGAS précise qu’il a fallu attendre l’année 2009 pour que des fichiers communs à tous les bailleurs soient mis en place, ce qui est tout de même la moindre des choses ! Mais bien plus grave, apparemment, le passage des centres d’hébergement d’urgence aux logements sociaux n’est pas aussi aisé qu’on pourrait l’espérer…

A la page 71, l’IGAS résume la situation :

En fait, un accès plus fluide des personnes hébergées aux logements «très sociaux» supposerait notamment que le taux de rotation des personnes occupant des logements de ce type puisse être accéléré, et cette accélération passe elle-même par un accès plus aisé au logement social, qui nécessiterait à son tour que les sorties du parc HLM vers le locatif privé soient plus nombreuses : c’est en définitive toute une chaîne dont il conviendrait de modifier le fonctionnement. Une partie majeure de l’offre de logement social est financièrement inaccessible à ces personnes, qui ne peuvent souvent prétendre qu’à un niveau de loyer très social, alors même qu’elles représentent environ 80 % des demandeurs de logement social

Ubuesque, les logements sociaux sont trop chers pour les pauvres.

Dans un billet éclairant, Vincent Bénard expliquait il y a déjà deux ans que : 2,25 millions de ménages qui ne devraient pas avoir besoin d’aide publique pour se loger occupent un logement aidé. Pour rappel, il y a environ 4,2 millions de logements sociaux en France. En résumé : Plus de la moitié des logements sociaux sont occupés par des gens qui n’y ont pas leur place. Pire, il y aurait 50 000 ménages parmi les plus riches, gagnant entre 11 200 à 13 500 euros par mois, qui occuperaient actuellement des HLM.

Dans une étude comparative, l’OCDE précise pourtant que : “Les systèmes de logement social qui sont orientés vers ceux qui sont le plus dans le besoin semblent atteindre leurs objectifs à un coût moindre que des systèmes moins ciblés“. Donc, non seulement les logements sociaux ne bénéficient pas à ceux qui en ont le plus besoin, mais en plus ce choix économique coûte plus d’argent ! Vous l’aurez compris, l’une des principales urgences serait de demander aux ménages les plus riches, mais aussi à la classe moyenne, de quitter les logements indûment occupés.

De plus, j’estime qu’il faudrait enfin songer à regrouper les différents organismes HLM publics : il y en a près de 300 en France, soit une moyenne de 3 par département. Pour les départements les plus peuplés, comme le Nord, pourquoi pas. Mais pour les zones quasi-désertiques, franchement ?

Et dans le privé? Prix exorbitants et faible pouvoir d’achat des plus pauvres

Mais si tous ces gens, sensés avoir les moyens de se loger dans le privé, préfèrent opter pour un logement social, c’est aussi parce que se loger coûte bien trop cher. Le marché de l’immobilier en France souffre d’un important problème d’offre, et depuis longtemps, qui ne parvient pas malgré toutes les incitations fiscales possibles et imaginables à satisfaire la demande.

Sans faire dans le simplisme béat ni dans l’exagération inutile, il n’y a nul besoin d’aller chercher bien loin pour en comprendre les raisons principales : la réglementation qui restreint les nouvelles constructions dans des zones bien précises, généralement celles qui en ont le plus besoin. L’interdiction de construire en hauteur est la difficulté majeure : elle limite le nombre de logements dans les grandes villes, et donc les prix s’envolent. Et en plus elle pousse à une extension urbaine destructrice d’écosystèmes ! Je croyais qu’on était passés à une société de développement durable ? Il est temps de supprimer ces interdictions, généralement prises sous des prétextes obscures, et d’un soi-disant “intérêt général” qui n’est jamais défini. Certes, les grandes villes seront plus denses. Et alors ? Il faut savoir si on veut offrir un logement pour tous ou pas…

Il ne faut pas oublier non plus les problèmes sempiternels de la France : un chômage de masse depuis 30 ans qu’aucune politique publique n’est parvenue à endiguer (cas unique dans les pays de l’OCDE) et une fiscalisation qui détruit le pouvoir d’achat des français les plus pauvres, un système de subventions et de réglementations incompréhensible du fait de sa complexité et de la multiplication des acteurs en charge, l’idéologie de la conservation du patrimoine qui pousse à sauvegarder précieusement le moindre morceau de pierre, etc etc…

Bien que le rapport de la Fondation Abbé Pierre soit indispensable pour connaitre la situation du mal-logement en France, en revanche certaines des propositions qu’elle avance pour résoudre la crise en cours laissent à désirer, tant cela serait en réalité contre-productif, en particulier en ce qui concerne un renforcement du “contrôle des loyers”. Toutes les études et enquêtes ont montré, depuis des décennies, que le contrôle des loyers n’a que deux fonctions : l’augmentation du coût des loyers dans les logements non contrôlés et la diminution des constructions nouvelles, du fait de la crainte des propriétaires de perdre de l’argent. Bref, tout le contraire de l’objectif fixé.

En définitive, la crise du mal-logement est l’un de ces sujets de société auquel des réponses simples, rapides et efficaces pourraient être apportées. Mais le choix du conservatisme et des intérêts en place fait qu’elles sont sans cesse repoussées. De fait, il y aura encore des sans-domicile dormant dans la rue pendant un sacré bout de temps. Jusqu’à quand ?

Billet publié initialement sur Singularité et Infosphère sous le titre Comment résorber la crise du logement?

Illustrations Flickr CC Damien Roué, Marc Donnadieu

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