OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 MIDEM 2011 : Le paradoxe français ? http://owni.fr/2011/01/18/midem-2011-le-paradoxe-francais/ http://owni.fr/2011/01/18/midem-2011-le-paradoxe-francais/#comments Tue, 18 Jan 2011 09:38:53 +0000 unicum http://owni.fr/?p=29628 L’édition 2011 du plus grand salon professionnel de l’industrie musicale, le MIDEM, démarre dès ce week end à Cannes.

Emily d’Unicum Music nous livre son point de vue sur le décalage entre une politique économique française rétrograde dans son soutien à l’industrie, et l’accueille de cet évènement international phare.

A peu près au même moment l’année dernière où étaient réunies en France pour le sommet annuel du MIDEM tout ce que l’industrie musicale mondiale compte de personnes visionnaires et influentes, M. Zelnik remettait au Président de la République un rapport censé contenir toutes les mesures urgentes et nécessaires pour sauver notre industrie, toutes affaires cessantes.

L’idée n’est pas ici de disséquer ce rapport. C’est toujours facile de se prononcer un an après qu’il ait été publié alors que tout un chacun a pu constater l’échec ou la portée toute relative des diverses mesures préconisées et mises en place à ce jour. Non, le sujet n’est pas là. La vraie question pour moi est ailleurs.

Le disque, le disque, le disque !

Cet article est surtout né de la constatation d’un décalage paradoxal dans le même pays au même moment et sur le même sujet entre la timidité d’un rapport remis au chef de l’Etat et l’incroyable bouillonnement d’idées et la forte volonté d’innovation dans l’air au MIDEM.

Comment expliquer que nous hébergions LA conférence annuelle de référence pour toute l’industrie musicale à l’échelle mondiale mais que nous ne soyons pas capables d’y intéresser les acteurs au plus haut niveau de l’Etat?

Il aurait suffi de deux ou trois rapporteurs au MIDEM pour résumer et rendre compte de toutes ses incroyables conférences, de la diversité des facettes de l’industrie abordées, de l’audace et de l’ambition des pistes explorées pour « l’avenir de l’industrie musicale » pour permettre au Président de la République, si désireux de comprendre notre industrie et comment la faire avancer la tête haute, d’aborder la « crise » autrement que par le seul prisme du disque.

Car le rapport Zelnik a été conduit sous l’égide de quelqu’un qui vient du disque, conditionnant profondément la démarche qui ne visait plus qu’à sauver l’industrie du disque, consciemment ou non. Et encore : pas toutes ses composantes, au vu de tous les labels indépendants, les petites structures et artistes auto-produits etc.., qui sont les premiers touchés par cette crise et qui ne se reconnaissent pas dans ce rapport (comme en atteste le manifeste commun de la FEPPIA et CD1D “La Création Sacrifiée” à ce sujet).

L’industrie musicale ne se résume pas aux seuls labels et il y a d’autres acteurs essentiels à inviter à plancher sur l’avenir: les artistes, tout d’abord, à qui l’on ne donne tristement jamais voix au chapitre (et pas juste ceux qui vivent de leur musique parce qu’ils occupent le paysage depuis 10, 20 ou 30 ans), les tourneurs, les éditeurs, les managers, les marques, les médias et un panel de consommateurs de musique, citoyens dont les besoins de musique et usages de consommation évoluent au quotidien.

« Rien ne se perd, rien ne se créé, tout se transforme ». Lavoisier avait raison. C’est un peu la même chose pour la musique. La « consommation » de musique est en hausse constante depuis 2000 mais les ventes à l’unité s’effondrent. Les usages et les besoins se transforment. La valeur de la musique est à redéfinir. Le monde change, les acteurs aussi.

Beaucoup de personnes se sont contentées d’avoir un discours de justiciers en disant que les labels n’avaient que ce qu’ils méritaient parce qu’ils avaient fait leur beurre sur le dos des fans pendant des années avant. C’est un peu facile et ça ne répond pas vraiment à la question.

On peut déplorer au final l’occasion manquée d’une profonde introspection sur les véritables raisons de cet échec plutôt que de perdre plus de temps à identifier les coupables. Les acteurs centraux de l’industrie ces dernières décennies, dont l’arrogance et le déni de réalité les a amenés à renoncer à jouer un rôle central dans la façon de penser l’avenir, sont aujourd’hui presque plus à plaindre qu’autre chose.

L’exception culturelle ?

Mais au-delà même des nombreux arguments d’ordre juridiques, économiques, politiques etc…. le fond du « problème » tient peut-être aussi à quelque chose de spécifiquement français : la fondamentale ambivalence de notre rapport à l’Etat.

Quel que soit le gouvernement, nous sommes les premiers à défier l’Etat et son autorité, railler sa lenteur, son inefficacité, ses complications administratives et nous mobiliser pour préserver nos acquis. Mais lorsque nous nous retrouvons dans une impasse, une situation inconnue, notre premier réflexe est de nous (re)tourner vers l’Etat et le considérer comme le seul apte à nous sauver. Etrange paradoxe.

Face à l’inconnu, le réflexe systématique consiste à taxer les centres de profit et redistribuer la récolte sous forme de subventions. Et qu’ont été deux des mesures phares du rapport Zelnik ? Une taxe sur la publicité en ligne (centre de profits…) et la Carte Musique Jeunes (subvention à l’achat…).

Pourquoi toujours attendre de l’Etat qu’il légifère, qu’il régule, qu’il nous trouve la solution ? N’avons-nous pas confiance en notre capacité à nous débrouiller tous seuls ? A chercher et puiser en nous les solutions à nos problématiques ?

Peut-être qu’un jour il nous faudra nous voir et nous accepter tels que nous sommes : nous avons peur du changement, nous nous méfions de l’innovation et nous considérons suspecte tout avancée en dehors du cadre de l’Etat. Providentiel, forcément. Nous sommes encore terriblement scolaires. Nous en sommes encore à nous plaindre dès qu’un obstacle surgit parce que nous n’avons pas assez confiance en notre capacité à aller de l’avant et que nous ne sommes pas encore assurés d’avoir la meilleur place à la table du futur.

Mais pourquoi ce manque de confiance ? Pourquoi toujours glorifier les autres parce qu’ils ont fait ce que nous n’osons pas faire nous-mêmes ? Nous avons toutes les cartes en main pour avancer, se faire une place, frayer notre propre chemin mais la confiance en notre capacité à le faire nous fait défaut.

Et si la crise de l’industrie était en fait une crise d’adolescence ? Transitoire, nécessaire, une mue inévitable.

D’un côté, l’Etat, un parent désemparé et en décalage avec la nouvelle génération parce qu’il prend encore sa jeunesse pour repère. De l’autre, de jeunes adultes encore en devenir, désireux d’imposer leur marque et galvanisés par la découverte récente de leur propres aspirations, mais frustrés de ne pas savoir encore exactement comment les formuler ni les réaliser. Mais avec un regard vers l’enfance providence qui avait du bon… L’Etat serait comme un parent qu’on ne choisit pas, dont on a un peu honte à l’adolescence mais en creux duquel on se construit et sans lequel nous sommes perdus.

Le MIDEM est dans une semaine. La France est à l’honneur cette année. Les huit artistes présentés sont de qualité mais tous chantent en anglais. Pendant ce temps là, l’Etat, l’industrie musicale et les fans de musique se regardent encore en chiens de faïence. J’espère seulement que nous dépasserons cela un jour. Bientôt.

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UNICUM est une société de management d’artistes, d’éditions musicales et de conseil marketing et stratégique.

Cet article a été initialement publié sous le titre de Idioties #3 ou Le paradoxe français

Crédits photo CC Flickr : H e l l m a n, DavidDMuir, Mike Rohde

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Jacques Toubon, la mission Zelnik c’est lui http://owni.fr/2010/02/04/jacques-toubon-la-mission-zelnik-c%e2%80%99est-lui/ http://owni.fr/2010/02/04/jacques-toubon-la-mission-zelnik-c%e2%80%99est-lui/#comments Thu, 04 Feb 2010 16:58:28 +0000 Emmanuel Torregano (électron libre) http://owni.fr/?p=7669 Hier soir se tenait une réunion du club parlementaire audiovisuel. Les invités de cette session très attendue étaient Jacques Toubon et Patrick Zelnik, pour discuter du rapport remis il y a quelques semaines maintenant au ministre de la Culture et de la Communication Frédéric Mitterrand. Parmi les invités, beaucoup de producteurs, des représentants de la radio, des opérateurs internet et Google France. Le débat promettait d’être chaud, ce fut brûlant.

Depuis que le rapport de la mission dite Zelnik a proposé d’instaurer une gestion collective pour la musique sur l’internet, le monde de la culture est en ébullition. À peine les préconisations exposées, le syndicat des majors de la musique, le SNEP, avait attaqué bille en tête, accusant Patrick Zelnik, producteur et fondateur du label Naïve, d’instrumentaliser cette mission pour des raisons personnelles. L’attaque n’était pas très fair-play mais elle a touché. Et depuis, Patrick Zelnik s’évertue à calmer les esprits en expliquant, dès qu’il en a l’occasion, que la gestion collective n’est pas une obligation, à condition de trouver une solution d’ici là – le rapport donne un an pour trouver un accord.
Bref, c’est dans ce contexte où pleuvent en coulisse les noms d’oiseau, que le club parlementaire de l’audiovisuel se réunissait à l’initiative de ses créateurs, Emmanuel Hamelin, Frédéric Lefebvre et le nouveau venu Franck Riester. Patrick Zelnik est à l’heure. Mais alors que les convives et les journalistes trouvent une place dans la salle du dernier étage de l’immeuble Jacques-Chaban-Delmas, ses acolytes ne sont pas encore arrivés ; Guillaume Cerutti ne viendra pas, et comme à son habitude, Jacques Toubon est en retard. C’est à Frédéric Lefebvre que revient le privilège d’ouvrir les débats. Le porte parole de l’UMP se contente de répéter l’importance du sujet : le financement de la création. Enfin, Jacques Toubon fait son entrée, alors que l’ex-député des Hauts-de-Seine finit son allocution en évoquant la gestion collective, et sa volonté de trouver un financement durable pour la culture.

Tribun

Patrick Zelnik hérite du micro. « On m’avait promis une soirée chaude », lance t-il, et embraye sur Hadopi. La loi sur la riposte graduée est qualifiée de « médecine douce », car la « gratuité sur internet, c’est très dévastateur ». On se demande bien alors où est passé celui qui au tout début des années 2000, alors que la vague Napster déferlait, s’était levé, seul face aux majors de l’IFPI (Fédération internationale de l’industrie musicale), pour dénoncer les carences de la production et dédouaner le piratage naissant… Après cette mise en bouche, Patrick Zelnik entame ce refrain déjà entendu sur la gestion collective : « la gestion collective est l’un des moyens et pas le seul. Il y en a d’autres. Et des plus efficaces ». Reste donc à les trouver.
Dans la salle, on opine du chef, sûr d’avoir mis en échec cette mesure si controversée – sont présents les pros du lobbying au regard d’aigle. Peine perdue, voilà que Jacques Toubon rentre dans l’arène, et le show peut enfin commencer. Le tribun est toujours en vie. Vivace même, prêt à dégainer et interpeller les pleutres et les planqués ! Le ton est donné d’emblée : « On ne peut régler les problèmes qui se posent que par et avec le marché ». Voilà qui est clair, le plus libéral des deux c’est bien Jacques Toubon, l’ancien ministre de la Culture, et ex-député européen ; Guillaume Cerutti n’est pas présent, mais cela ne change rien, Jacques Toubon est dans la place ! Son intervention s’articule autour d’un axe fort : « Changer la grille de lecture du marché », comprenez le point de vue des producteurs et créateurs n’est plus l’alpha et l’omega de l’action politique. Les aigles se changent en faucons…
Le temps suivant fut celui de l’intermède. Marie-Françoise Marais, juge à la Cour de cassation, et nouvellement promue présidente de l’Hadopi prit la parole. Avec un vrai talent et pas mal d’humour, celle qui devient la nouvelle tête de turc des internautes a souligné qu’elle garderait sa porte ouverte. « Nous ne ferons pas le monde de l’internet sans vous », dit-elle. On ne sait pas si elle voulait ainsi s’adresser aux futurs récidivistes du piratage ou bien aux ayants-droit réunis en ce lieu. Et comme c’est le jour des piques, Marie-Françoise Marais s’est permis d’en glisser une sur le fauteuil vide du ministre, car les décrets d’application de la loi “création et internet” font toujours défaut. En attendant leur publication, Hadopi n’existe pas.

Pipeaux

Et puisque le temps tournait à l’orage pour le gouvernement, Jacques Toubon, que l’on ne peut alors soupçonner d’avoir un agenda caché personnel, s’en est également pris aux pouvoirs publics en des termes crus : « Je ne sais pas ce que fout le gouvernement », a t-il lancé, à propos de la saisine à l’encontre de Google et plus largement du marché de la publicité sur l’internet – à ce propos, il serait bon de répéter que la première régie qui aura à payer sa dîme sera celle d’Orange. Le député a bien fait savoir que les textes rédigés par la commission dont il a fait partie sont prêts. Qu’ils sont suffisamment argumentés pour que l’action du gouvernement soit rapide, ajoutant : « Je suis absolument ébahi que Bercy n’ait pas fait son travail » sur ce dossier.
Comme il est pratique d’avoir un ennemi commun, qui plus est lorsqu’il a le bon goût d’être américain, avec une filiale basée en Irlande, un pays où les joueurs de pipeaux font carrière. Google, puisqu’il s’agit de lui, est d’ailleurs dans la salle. Courageusement, le directeur juridique va expliquer, la langue lourde d’échardes remâchées de longue date, qu’il ne faut pas entraver le marché , « que ce serait mettre en péril les relations entre les opérateurs du Net et les ayants-droit » ; bref, artistes circulez, y a rien à prendre ! Voilà qui n’est pas fait pour calmer Jacques Toubon. Alors que personne ne le lui a demandé, le voilà qui défend la fameuse taxe Google. Selon lui, rien ne s’y oppose dans la loi européenne.
On l’a souvent connu dans le rôle du pyromane, le voici pompier. Frédéric Lefebvre a cela de surprenant que les caméras de télévision absentes, plus de raison de provoquer. Le co-fondateur du Club explique donc qu’il serait fondé de réfléchir à « des modes de répartition des recettes publicitaires ». Le monde de la création aurait tout à y gagner, et les opérateurs internet aussi. Un secteur artistique en pleine santé, c’est la garantie d’avoir un contenu de qualité, et une appétence des internautes.
Cette histoire se joue en trois actes, et le second est tout entier consacré à la gestion collective. La commission Zelnik a repris là une proposition faite par l’Adami, l’une des sociétés de perception et de répartition des droits du monde de la culture. Pour lancer le débat que tout le monde attend, c’est à Emmanuel Hoog, président de l’Ina et tout juste désigné médiateur, que l’on tend le micro. La patate est suffisamment brûlante pour que l’intéressé précise aussitôt que, bien que l’on lui ait octroyé un an pour réussir, il souhaiterait en finir au plus vite, « sinon avec le temps on va tomber dans la répétition, nécessairement ». Voilà pour la forme. Et sur le fond, on n’en apprendra pas beaucoup plus. De toute façon, il n’a pas été retenu dans le casting du duel à la fin.

Carcan

Patrick Zelnik non plus, mais il prend tout de même le temps de préciser sa pensée. La gestion collective ne mérite pas que l’on « cristallise » le débat, car « c’est une solution faute d’en trouver d’autres » – depuis le Midem, le patron de Naïve n’en finit pas de se dédouaner dans cette affaire. Ce n’est pas le cas de Jacques Toubon, dont la conviction sur le sujet dépasse largement la portée du rapport. Osons le dire, Jacques Toubon sait. Les autres non. Jacques Toubon a vu. Les autres sont restés aveugles, planqués derrières les frontières de leur marché national. Jacques Toubon a vu les anglo-saxons faire. Petit à petit, ils ont grignoté le droit d’auteur pour, sans trop le dire, chercher à imposer le copyright sur le Vieux Continent. Heureusement, Beaumarchais s’est trouvé son porte-parole, comme Diotime soufflant les mots de Socrate…
« Je ne suis pas idiot. Je sais bien ce que ça peut représenter pour les producteurs, la gestion collective », s’écrie l’ancien député européen PPE. « Il est faux de dire qu’elle représente un carcan », souligne t-il aussi, faisant ainsi référence aux évolutions modernes de ce modèle de redistribution des droits. Car, pour lui, la gestion collective est le meilleur terreau de l’innovation, celui qui garantit que les droits seront payés, pour tous, mais aussi que les projets avant-gardistes pourront se bâtir sur des modèles économiques sains. Enfin, aux producteurs présents dans la salle, il assène cette vérité : « On ne peut pas, du jour au lendemain, raconter que le marché se porte bien, parce qu’une proposition ne va pas dans le sens de votre intérêt ».
Cette soirée n’aurait pas été complète sans un dernier coup d’éclat. Il est venu de Vivendi. Le groupe français avait été évoqué précédemment. Comparé à Google, il serait une PME, avait-on entendu, ce qui avait déclenché l’hilarité générale. Sylvie Forbin prend la parole et interpelle les membres de la commission. Ce qu’elle leur reproche est simple : ne pas avoir donné toute la place qu’elles méritent aux propositions du groupe. Que n’avait-elle dit ! Piqué au vif, ou bien vieux roublard de la joute, Jacques Toubon réplique : « Vous venez de vous discréditer ! C’est justement parce que nous ne voulions pas travailler sous l’influence des lobbies, et votre attitude le démontre parfaitement ». Le coup est rude, mais Sylvie Forbin, lobbyiste en chef de Vivendi en a vu d’autres, et pas démontée pour un sous, elle continue sa démonstration. L’idée maîtresse de son intervention tient dans la mise en place d’une plateforme regroupant l’ensemble des producteurs pour répondre à la demande des distributeurs de musique en ligne. En sortant, Patrick Zelnik lui a glissé à l’oreille que bien sûr, ils prendraient le temps d’en reparler…


Le rideau tombe sur une dernière intervention. Celle de Nicolas Seydou, le président de Gaumont, qui pose la bonne question : « Que faisons nous pour innover ? ». Les esprits sont déjà fatigués. Il est temps de fermer.

» Article initialement publié sur Electron Libre

» Illustration de Une par _ambrown sur Flickr

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Rien appris, rien compris http://owni.fr/2010/02/03/rien-appris-rien-compris/ http://owni.fr/2010/02/03/rien-appris-rien-compris/#comments Wed, 03 Feb 2010 13:24:41 +0000 Samuel (Authueil) http://owni.fr/?p=7615

J’ai assisté hier soir à la réunion du fan club de l’hadopi, présidé par les inénarrables Franck Riester et Frédéric Lefebvre. Il y avait là tout le gratin de l’industrie culturelle, que ce soit la musique, le cinéma, les ayants droits, bref, le lobby à l’origine d’hadopi. Il était question du rapport Zelnik. Ce dernier était présent, en compagnie de son compère Jacques Toubon (que l’on a bien fait de mettre à la retraite, au vu de sa prestation d’hier soir). Ce fut très instructif.

J’ai assisté à des repas du même club avant et pendant les discussions Hadopi. C’était tout pareil, sauf qu’au lieu de fustiger ces salauds d’internautes qui téléchargent sans payer, hier soir, c’est Google qui en prenait plein la gueule. Toujours les mêmes rengaines sur l’industrie culturelle qui serait au bord du dépôt de bilan (alors que le son de cloche était un peu différent la semaine précédente au Midem, quand il s’agissait de communiquer en direction des investisseurs…), toujours cette recherche d’un bouc émissaire extérieur afin de ne pas se remettre en cause. Et toujours ces solutions techniquement irréalistes, ressassées sur l’air du “yaka-faut qu’on”, avec une palme pour Jacques Toubon et son “mais qu’est ce qu’ils foutent à Bercy, ils devraient déjà nous avoir sorti la taxe google”. Visiblement, la leçon hadopi ne leur a servi à rien. Ils se sont pris le mur de la réalité en pleine figure, et ils redémarrent à plein tube pour, une fois de plus, se crasher.

Hier soir, les gens de Google étaient sereins. L’essentiel de l’activité de Google en Europe est fiscalement domiciliée en Irlande, Google France ne touchant que quelques commissions, rien de réellement taxable. C’est légal et juridiquement béton. Bercy a déjà essayé de gratter (vous pensez bien) et n’a rien trouvé à redire. C’est bien pour ça que Bercy n’a rien sorti : la taxe Google est techniquement impossible. Et comble de malheur pour les hadopistes, l’Union Européenne vient de fermer une autre porte en recalant la taxe sur les FAI qui avait été instituée pour financer France télévision après l’arrêt de la publicité. Si on ne peut pas faire payer les internautes, Google ou les FAI, vers qui peut on se tourner ?

La réponse est évidente : l’Etat et ce cochon payeur appelé contribuable ! C’est d’ailleurs la deuxième mamelle du rapport Zelnik. Et il en a été question hier soir, avec la fameuse “carte musique”, en partie financée par l’Etat pour solvabiliser les jeunes et les habituer à acheter ce qu’ils téléchargeaient gratuitement jusqu’ici. A entendre ces chers hadopistes, c’est la réponse à tous leurs problèmes, ce qui sauvera leur industrie. Je suis un peu plus dubitatif. Ce cadeau fiscal ressemble à s’y méprendre à une aide directe, et j’attends la position de Bruxelles. Si jamais la commission européenne laisse passer, peut être bien que le conseil constitutionnel censurera, sur la base de la rupture d’égalité, car cette carte sera réservée aux jeunes. Pourquoi seulement eux ? Après tout, moi aussi, j’aimerais bien que l’Etat me paie la moitié de la musique que j’achète sur internet. La motivation de cette mesure, qui est d’inciter une partie de la population à consommer certains produits, m’apparait difficilement entrer dans le cadre des missions de l’Etat qui peuvent être financées par le contribuable. A ce régime là, j’en connais des professions qui vont venir demander à ce que le budget de l’Etat solvabilise leur clientèle !

Le lobby des industries culturelles est toujours en plein délire, avec un aveuglement assez inouï sur ses propres responsabilités et un refus toujours aussi fort de se remettre en question. Les demandes auprès des pouvoirs publics sont toujours aussi exorbitantes et irréalistes. Sauf que cette fois, le pouvoir politique ne sera pas aussi généreux qu’en 2007. Si Nicolas Sarkozy a dit oui (ou fait mine de dire oui), il a imposé quelques contreparties assez amères pour certains, comme la mise en place d’une gestion collective des droits musicaux dans le numérique. Aux échos que j’ai, il y aura nettement moins d’ardeurs législatives, cette fois ci, pour répondre aux demandes de ce lobby, qui a grillé une bonne partie de son crédit auprès des parlementaires avec la loi hadopi.

» Article initialement publié sur Authueil

» Illustration par b00nj sur Flickr

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Le monde de la culture contre Google et Internet ? http://owni.fr/2010/01/19/le-monde-de-la-culture-contre-google-et-internet/ http://owni.fr/2010/01/19/le-monde-de-la-culture-contre-google-et-internet/#comments Tue, 19 Jan 2010 14:18:47 +0000 Pierre Mounier http://owni.fr/?p=7090 Titre original :

Le monde de la culture sombre-t-il dans la diabolisation de Google et de l’Internet ?

Lors de ses vœux aux acteurs de la Culture, le Président de la République a déclaré vouloir adopter une attitude offensive contre le géant de l’Internet, Google. Suivant les recommandations de la commission Zelnik [1], il souhaite donc taxer de manière particulière les revenus publicitaires que la société engrange grâce aux clics que les internautes français effectuent sur les « liens sponsorisés ». Cette idée de taxation est justifiée, dans le discours présidentiel, et dans le rapport qui lui en a fourni l’idée, par le déséquilibre de la répartition des revenus publicitaires entre les producteurs de contenus – les industries culturelles – et Google qui détient une position dominante sur ce secteur d’activité. Alors que les premières voient leur taux de profitabilité baisser dangereusement – c’est vrai de la musique enregistrée et de la presse en particulier -, Google connaît une insolente bonne santé économique, même en période de crise. On comprend dès lors qu’un certain nombre de publications de presse aient accueilli très favorablement cette proposition dont ils espèrent tirer quelque bouffée d’oxygène[2].

L’idée d’une « taxe Google » s’inscrit dans une double suite d’événements :

- une série relativement courte qui commence sous la présidence de Jacques Chirac avec le cri d’alarme lancé en 2005 par Jean-Noël Jeanneney contre le programme de numérisation de livres Google books[3]. Alors directeur de la BNF, Jeanneney obtint dans la foulée un budget conséquent pour développer au niveau national son propre programme de numérisation - Gallica -, et proposer aux différents pays européens de s’allier pour valoriser leur patrimoine numérique via un portail commun : Europeana. La stratégie consistait alors à concurrencer Google sur son propre terrain. Si Gallica est une incontestable réussite, sa dimension purement nationale n’en fait pas un concurrent sérieux pour Google. Europeana est de son côté un échec sur la plupart des plans. L’initiative n’a en tout cas jamais atteint son but : remettre en cause la domination sans partage de l’américain. Plusieurs années après, le bilan est moins que mitigé : de grandes bibliothèques françaises, comme la bibliothèque municipale de Lyon signent un contrat avec Google pour numériser leurs collections. Comble du paradoxe : la BNF elle-même, désormais dirigée par Bruno Racine s’apprête à prendre le même chemin jusqu’à ce que le Ministre de la Culture la stoppe temporairement. Le rapport Tessier, récemment paru, et qui porte sur cette question précise, tire les conclusions de la situation actuelle : la participation de Google à la numérisation des collections patrimoniales françaises est bien inévitable. Le véritable enjeu est d’en négocier les conditions[4].

Dans la même période, d’autres acteurs culturels de premier plan passent à l’offensive : la maison d’édition Le Seuil en particulier attaque Google devant les tribunaux, toujours sur son programme de numérisation de livres, pour violation du droit de propriété intellectuelle, et gagne en première instance[5], déclenchant les applaudissements à la fois du syndicat des éditeurs, et des représentants des auteurs. Du côté de la presse en ligne, qui souffre en effet des faibles rémunérations qu’elle tire de la publicité, c’est plutôt du côté des subventions qu’elle va chercher des remèdes à sa situation, en obtenant à la suite des Etats Généraux de la Presse, 60 millions d’euros sur 3 ans pour développer de nouveaux projets de développement[6].

Après le piratage pour la musique et le cinéma, Google est donc désigné comme responsable des pertes économiques que subissent les secteurs du livre et de la presse. Porteur d’un modèle d’accès gratuit à l’information, il tuerait du même coup des acteurs dont le métier consiste au contraire à vendre l’information[7]. Pour intéressant qu’il soit, ce raisonnement a le défaut d’attribuer au comportement d’un seul acteur, même dominant, ce qui relève plutôt du mode de fonctionnement de l’écosystème dans lequel il s’insère. De ce point de vue, les stratégies défensives déployées par les différents acteurs : numérisation concurrente (Gallica), procès (Seuil), subventions (presse) et taxe (politiques) semblent relativement vaines pour une raison simple : elles prétendent agir sur un secteur particulier, à un niveau déterminé, et de toutes façons, elles ne peuvent intervenir que dans les limites d’un territoire national. Google, et aussi l’écosystème dont il tire profit se situe à un tout autre niveau : l’entreprise se définit comme une industrie de traitement de l’information dans sa globalité à l’échelle de la planète. Sa force réside justement dans sa capacité à retrouver l’information pertinente de manière transversale à tous les types documentaires possibles : livres, presse, blogs, mails, groupes de discussion, données de toutes natures, géolocalisées et bien sûr commerciales. Les batailles menées par les uns et les autres peuvent donc être gagnées localement, elles ont peu de chance, même cumulées de changer une situation globale où Google n’a pas de véritable concurrent. Ayant sans doute compris avant tout le monde le mode de fonctionnement de l’ère informationnelle dans laquelle nous sommes en train d’entrer, Google apparaît comme une entreprise mutante, particulièrement bien adaptée à son milieu, et donc dotée d’une force d’autant plus importante.

Le discours des acteurs politiques et économiques français est celui de la résistance nationale. Ils réactivent là un schéma traditionnel à notre pays où l’on attribue volontiers des pouvoirs magiques à la pure expression de la volonté politique. Il est des circonstances où la volonté peut effectivement jouer un rôle et changer une situation. Faut-il encore qu’elle s’appuie sur une compréhension fine de cette situation et oriente l’action dans un sens qui lui donne des chances d’être efficace. Est-ce le cas en France ?

Certains tirent la sonnette d’alarme à propos de la multiplication de discours relativement technophobes et radicalement critiques à l’égard d’Internet[8]. C’est un phénomène ancien et durable parmi les élites françaises. A la fin des années 90, Françoise Giroud définissait avec mépris Internet comme « un danger public puisqu’ouvert à n’importe qui pour dire n’importe quoi ». Aujourd’hui, Alain Finklekraut fustige le modèle d’horizontalité dont il est porteur[9]. Plus récemment, Robert Redeker dénonce le narcissisme vain que manifestent des phénomènes comme Facebook[10]. L’Internet comme « tout-à-l’égout de la démocratie »[11], comme « la plus grande saloperie qu’aient jamais inventée les hommes »[12] ; voilà quelques formules bien senties qui manifestent une abhorration bien partagée dans certains milieux. On a déjà eu l’occasion de le montrer : les plus récentes lois de « régulation » des usages de l’Internet qui ont été adoptées en France, manifestent en réalité une volonté de revanche des industries culturelles contre les industries de l’Internet : fournisseurs d’accès et Google donc qui sont sommés de rendre gorge pour leurs insolents bénéfices[13]. La très étonnante idée de taxation des fournisseurs d’accès à Internet pour financer la télévision publique va dans le même sens[14].

Tous ces éléments mis ensemble manifestent l’angoisse presque désespérée avec laquelle les acteurs de la Culture en France accueillent la révolution numérique. Son extension progressive à chacun des secteurs concernés a été vécue comme une montée progressive des périls. Elle touche aujourd’hui le dernier bastion, le cœur sacré du temple culturel : le livre et cela n’est pas sans importance pour expliquer la violence des réactions actuelles qui, de l’indifférence et du mépris semblent évoluer maintenant vers la haine.

Notes

[1] Zelnik Patrick et Toubon Jacques, 2010, Création et Internet, Paris, Ministère de la Culture. Adresse : http://www.culture.gouv.fr/mcc/Actualites/A-la-une/Remise-du-rapport-de-la-mission-creation-et-internet.

[2] aKa, 2010, « Le Monde et Libé main dans la main pour nous pondre des éditos serviles et crétins », Framablog. Adresse :http://www.framablog.org/index.php/post/2010/01/10/le-monde-liberation-taxe-google-rapport-zelnik [Accédé : 16 Janvier 2010].

[3] Jeanneney Jean-Noël, 2005, Quand Google défie l’Europe : Plaidoyer pour un sursaut, Mille et une nuits.

[4] Tessier Marc, 2010, Rapport sur la numérisation du patrimoine écrit, Paris, Ministère de la Culture. Adresse : http://www.culture.gouv.fr/mcc/Actualites/A-la-une/Mission-sur-la-numerisation-du-patrimoine-ecrit/Rapport-Tessier.

[5] Numérisation des livres : Google condamné pour contrefaçon, Zdnet.fr. Adresse :http://www.zdnet.fr/actualites/internet/0,39020774,39711685,00.htm [Accédé : 16 Janvier 2010].

[6] Roussel Frédérique, 2010, « La presse en ligne de crédit », Ecrans. Adresse :http://www.ecrans.fr/La-presse-en-ligne-de-credit,8866.html [Accédé : 16 Janvier 2010].

[7] Thompson Chris, 2010, « Comment Google a pris le pouvoir », Slate.fr. Adresse :http://www.slate.fr/story/15407/google-pouvoir-decennie-culture-ravages [Accédé : 16 Janvier 2010].

[8] Epelboin Fabrice, 2009, « Aux Etats-Unis, Internet est perçu comme un bienfait pour la société | ReadWriteWeb France », ReadWriteWeb France. Adresse :http://fr.readwriteweb.com/2009/12/28/analyse/aux-etatsunis-internet-est-peru-comme-bienfait-socit/ [Accédé : 16 Janvier 2010].

[9] Chieze et Quioc, 2009, Alain Finkielkraut : « Internet, c’est n’importe quoi » -Libération, Paris. Adresse : http://www.liberation.fr/medias/06011245-alain-finkielkraut-internet-c-est-n-importe-quoi [Accédé : 16 Janvier 2010].

[10] Redeker Robert, 2010, « Facebook, narcissisme et exhibitionnisme », Médias, vol. , n° 23. Adresse : http://www.revue-medias.com/facebook-narcissisme-et,594.html[Accédé : 16 Janvier 2010].

[11] Dailymotion – Olivennes : Internet, « le tout-à-l’égout de la démocratie » – une vidéo Actu et Politique, 2009, Université d’été du MEDEF. Adresse :http://www.dailymotion.com/video/xadssk_olivennes-internet-le-toutalegout-d_news[Accédé : 16 Janvier 2010].

[12] Séguéla : « Le Net est la plus grande saloperie qu’aient jamais inventée les hommes » | Rue89, 2009, Adresse : http://www.rue89.com/2009/10/19/seguela-le-net-est-la-plus-grande-saloperie-quaient-jamais-inventee-les-hommes-122414?page=3 [Accédé : 16 Janvier 2010].

[13] Piotrr, 2009, « Hadopi, et après ? », Homo Numericus. Adresse : http://homo-numericus.net/spip.php?article287 [Accédé : 16 Janvier 2010].

[14] Les fournisseurs d’accès Internet taxés pour financer France Télévisions, 2008,20minutes.fr. Adresse : http://www.20minutes.fr/article/281942/Television-Les-fournisseurs-d-acces-Internet-taxes-pour-financer-France-Televisions.php [Accédé : 16 Janvier 2010].

» Article initialement publié sur Homo Numéricus. Vous pouvez y lire les commentaires et contribuer à la conversation

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http://owni.fr/2010/01/19/le-monde-de-la-culture-contre-google-et-internet/feed/ 3
Démolir le domaine public pour financer la création ? Zelnik#1 http://owni.fr/2010/01/11/demolir-le-domaine-public-pour-financer-la-creation-zelnik1/ http://owni.fr/2010/01/11/demolir-le-domaine-public-pour-financer-la-creation-zelnik1/#comments Mon, 11 Jan 2010 15:47:18 +0000 Lionel Maurel (Calimaq) http://owni.fr/?p=6904 La parution du rapport Creation & Internet issu de la mission Zelnik a déjà suscité une tempête de réactions. Les analyses se concentrent pour l’instant sur le rejet de la licence globale et la proposition d’instaurer une “taxe Google” sur les recettes publicitaires en ligne. Je ne vais pas revenir sur ces points (ou pas dans l’immédiat), car je voudrais insister sur d’autres aspects de ce rapport, n’ayant pas fait pour l’instant d’analyses détaillées.

Je consacrerai plusieurs billets aux conclusions de la mission Zelnik, mais le premier passage qui m’ait fait réagir est celui proposant d’instaurer une taxe sur l’exploitation des films tombés dans le domaine public afin d’alimenter un fonds de numérisation des films du patrimoine (cf. p. 10) :

Au-delà de cette ressource temporaire issue du grand emprunt, un système inspiré de celui de la redevance sur le matériel de reproduction et d’impression en vigueur pour l’édition devrait être instauré pour le cinéma, de manière à permettre à terme le développement d’une ressource pérenne au profit de la numérisation du patrimoine.

L’instauration d’une redevance sur l’exploitation des films tombés dans le domaine public paraît le bon vecteur pour la création d’un tel fonds.

Peu d’oeuvres cinématographiques sont d’ores et déjà tombées dans le domaine public, et celles qui le sont restent peu exploitées. Mais la situation va progressivement changer. Les années et les décennies qui viennent vont progressivement voir entrer dans le domaine public des classiques de l’entre deux guerres, qui sont régulièrement diffusés en salle, à la télévision ou en vidéo. Or le film de cinéma est indissociablement lié à son support original, qui doit être protégé, numérisé, restauré très régulièrement.

La mission suggère d’instaurer une redevance sur l’exploitation des films tombés dans le domaine public, et d’affecter son produit à un fonds spécialisé dans la numérisation des catalogues, géré par le CNC. Ce dernier devra être chargé d’en étudier les modalités concrètes et le calendrier de mise en oeuvre.

Cette idée en apparence assez anodine porte en elle le risque de porter atteinte à la signification d’une notion de domaine public, de plus en plus fragilisée dans l’environnement numérique, qui pourrait finir par n’avoir plus aucun sens si l’on n’y prend pas garde.

Le domaine public est une chose juridiquement fragile, surtout sous forme numérique. Doit-on accepter que la signification du domaine public soit mutilée pour permettre son passage en ligne ? C’est une des questions majeures que soulève la numérisation…(Broken statue. Par evilpeacock. CC-BY-NC-SA. Source : Flickr)

Rappelons qu’en droit, le domaine public s’entend des oeuvres pour lesquelles la durée des droits patrimoniaux est arrivée à expiration (en principe, vie de l’auteur + 70 ans). Une fois que l’oeuvre entre ainsi dans le domaine public, les titulaires de droits ne peuvent plus s’opposer à ce qu’elle fasse l’objet d’actes de reproduction ou de représentation, y compris à des fins commerciales (voir art. L123-1 du CPI) :

L’auteur jouit, sa vie durant, du droit exclusif d’exploiter son oeuvre sous quelque forme que ce soit et d’en tirer un profit pécuniaire.

Au décès de l’auteur, ce droit persiste au bénéfice de ses ayants droit pendant l’année civile en cours et les soixante-dix années qui suivent.

En France et plus largement dans l’Union européenne, le droit moral de l’auteur – imprescriptible – perdure sans limitation de durée ce qui peut impliquer certaines restrictions à l’usage, ce qui n’est pas le cas aux Etats-Unis par exemple où le droit moral n’existant pas, l’oeuvre devient véritablement “libre de droits” lorsqu’elle entre dans le domaine public.

Le domaine public joue un rôle majeur dans l’équilibre de la propriété intellectuelle dans la mesure où il concile dans ce régime les intérêts privés avec l’intérêt général. Il garantit que le droit d’auteur ne consacre qu’un monopole temporaire au profit du créateur et de ses ayants droit, à l’issue duquel l’oeuvre rejoint le “fonds commun” des idées dont elle est originellement issue et qui ne peut faire l’objet d’une appropriation privative. Les oeuvres du domaine public sont “publiques” au sens où elles appartiennent à tous et non en ce qu’elles appartiendraient à l’Etat, à l’instar des voies ou des bâtiments publics. Michel Vivant a ces mots pour décrire ce fonds commun qui constitue le “terreau” même de la création (Précis Dalloz. Droit d’auteur. 2009, p. 79) :

Le domaine public évoque souvent, à tort, les seules oeuvres qui chutent dans le fonds commun au terme de la protection. Or notre fonds commun est beaucoup plus large puisqu’il intègrent à la fois les oeuvres tombées dans le domaine public, les idées, les créations ne pouvant accéder à la protection…, en un mot tous les “matériaux” ayant vocation à être utilisés dans le cadre d’un processus créatif.

La proposition du rapport Zelnik de taxer l’exploitation des films du patrimoine pour faciliter leur numérisation ne remet pas en cause frontalement cette conception, mais elle en démolit la signification. Il n’est pas question en effet de faire renaître des droits de propriété intellectuelle sur le domaine public qui seraient transférés à l’Etat. Juridiquement, le domaine public reste entier. Mais pratiquement, la taxe aura pour effet de faire renaître, sur la base d’un autre fondement, une forme de droit d’exploitation des oeuvres qui servira d’assise à la nouvelle taxe.

Ces biais détournés qui viennent saper le fondement même du domaine public et recréer des couches de droits ne sont pas nouveaux : le droit des bases de données par exemple est un procédé qui peut être employé pour “verrouiller” l’usage du domaine public ; d’autres stratégies identiques sont parfois avancées, notamment en cas de numérisation d’oeuvres du domaine public par des personnes publiques (par exemple le droit de la domanialité publique ou le droit à la réutilisation des données publiques).

La proposition du rapport Zelnik procède de la même intention : c’est un pas vers une forme de “réappropriation” du domaine public par la puissance publique (voir ici) qui n’est pas moins contestable que les risques d’appropriation privée du patrimoine dont on a tant parlé à propos de l’affaire Google ces derniers temps. Car le domaine public, dans sa conception la plus pure, est censé être une “chose commune”, c’est-à-dire sans propriétaire, qu’il soit privé ou public. C’est la thèse que défend par exemple la juriste Stéphanie Choisy (voir ici) :

Pour ma part – et cette conception commence à se répandre – j’avais conclu à la qualification de “choses communes” de ces oeuvres du domaine public. En effet, l’article 714 du Code civil dispose qu’il y ait des “choses qui n’appartiennent à personne et dont l’usage est commun à tous” qui portent le nom de “choses communes”. Les oeuvres du domaine public peuvent donc bien, à mon sens, revêtir cette qualification car elles n’appartiennent plus à leur auteur et le législateur en limitant la durée de protection des droits patrimoniaux a eu précisément en vue que ces oeuvres soient à l’usage de tous.

La taxe du rapport Zelnik ne porte que sur les films du patrimoine, mais qui dit qu’une fois que cette fêlure aura été infligée au domaine public, elle ne s’étendra pas à la musique, aux livres et à toutes les oeuvres. I’m broken (you can’t fix me). Par mutasim.billah.pritam (brk). CC-BY-ND. Source : Flickr

Ce qui est inquiétant, c’est que la semaine dernière d’autres propositions ont été faites pour monétiser le domaine public au profit de l’Etat. Patrick Hourquebie, président d’Alice Media Store, avançait mercredi dans une Tribune de Sud-Ouest.fr une idée encore plus radicale et inquiétante :

6. Réforme constitutionnelle pour valider Hadopi 3 et nommer l’État français héritier des ayants droit après le délai légal sans limitation de durée. Bye bye Google, ces nouveaux droits illimités d’utilisation du patrimoine culturel de la nation engendreront des ressources nouvelles affectées aux collectivités territoriales pour le réseau public des médiathèques, la lutte contre l’illettrisme, l’enseignement du français langue étrangère et enfin pour un réseau de librairies indépendantes certifiées.

Cette fois, c’est une disparition pure et simple du domaine public qui est proposée, au profit d’une forme de nationalisation dont le but peut paraître louable au premier abord, mais qui aurait des effets désastreux sur l’accès au savoir et à la culture. Je suis parfaitement conscient des risques inhérents à un partenariat avec un acteur privé aussi puissant que Google (je pense que j’ai suffisamment écrit là-dessus), mais il me semble que cette forme d’idolâtrie de l’Etat est également dangereuse et je n’oublie pas que l’Etat reste toujours “le plus froid des monstres froids“. Et le monstre a faim en ce moment…

Numerama rappelait à juste titre que cette idée de faire du domaine public un domaine payant était un vieux serpent de mer. En 2004, le Conseil Economique et Social avait proposé dans un rapport sur les droits d’auteur (déjà…) de “faire payer le téléchargement des oeuvres du domaine public sur Internet pour alimenter un fonds d’aide à la création“. L’idée n’avait pas été retenue, mais on en voit le bout de la queue ressurgir dans le rapport Zelnik…

Cette annonce intervient alors que le 1er janvier dernier, on célébrait le  “Public Domain Day 2010“  pour fêter l’expiration de la durée des droits de plus d’une centaine d’auteurs fameux comme Freud, Mucha ou William Butler Yeats. Tristement hélas, on en vient à se demander si cette entrée des oeuvres dans le domaine public a encore un sens, surtout dans l’environnement numérique. Certes l’oeuvre – abstraite – est libre de droits d’exploitation, mais (pour parler comme un bibliothécaire), il est quasiment impossible de trouver une manifestation de cette oeuvre qui ne portera pas des droits sous une forme ou sous une autre, ce qui empêche la réutilisation.

Le 1er janvier dernier, on célébrait le jour du domaine public. Vous en avez entendu parler en France, vous ? Pourquoi est-ce que cela ne me surprend pas ?

Framablog relevait récemment dans un billet excellent que la complexité du droit d’auteur et la distorsion des règles au niveau international soulevaient également de graves problèmes pour le domaine public. Ainsi, le petit prince de Saint-Exupéry est déjà entré dans le domaine public au Canada (où la durée des droits est de vie de l’auteur + 50 ans seulement), alors qu’il est toujours protégé en France et dans la plupart du reste du monde. Ce décalage génère une sorte de paradoxe juridique qui rend très difficile de savoir quels usages de l’oeuvre sont permis ou non, notamment sur Internet (voir sur le blog Paralipomènes pour un début de réponse).

Jusqu’à présent, le domaine public était attaqué “de l’intérieur” au fil de l’extension continue de la durée des droits d’auteur et des droits voisins votée par les Etats. Le rapport Zelnik se propose quant d’attaquer “de l’extérieur” en encerclant le domaine public par de nouveaux droits. Philippe Aigrain sur son blog dit à quel point cette idée dénature la notion de domaine public :

La seule référence au domaine public est celle qui consiste à ressortir la vieille et obscène idée du domaine public payant, cette fois pour financer la numérisation des films. Déjà que le domaine public audiovisuel est fort étroit, mais en plus il faudra payer pour l’utiliser. Cela rapportera des clopinettes, mais créera des coûts de transaction dissuasifs. Comment peut-on ne pas voir que les véritables bénéfices sociaux et économiques du domaine public sont son existence et son usage mêmes (pour de nouvelles oeuvres, pour l’éducation et la formation, pour la critique et la recherche).

Et l’on en vient à penser paradoxalement que la puissance publique finit par être au moins aussi dangereuse pour le domaine public que les puissances privées. Car pour trouver des œuvres du domaine public “à l’état brut”, c’est plutôt vers des projets privés qu’il faut se tourner, comme Internet Archive où j’ai pu dénicher ce film de Georges Méliès (le Voyage dans la lune de 1902) placé sous la Public Domain Dedication de Creative Commons.

Certes la numérisation coûte cher, de même que la conservation des films anciens, mais est-ce une raison pour dénaturer la signification du domaine public ?

Quant à l’idée de démolir le domaine public pour financer la création ? Peut-être le mieux est-il de laisser en parler pour finir un créateur et un cinéaste, en l’occurrence Francis Ford Coppola, qui dans une interview récente déclarait :

[C’est Balzac] qui affirmait, il me semble, que l’on trouve toujours son inspiration chez les autres. Mon père, lui, me disait : vole, mais ne vole qu’aux meilleurs. Il ne faut pas hésiter à se servir, car de toute façon,dès lors que vous vous emparez de l’idée d’un autre, vous vous l’appropriez, elle devient la votre. Et puis ça fait plaisir : c’est un hommage aux anciens, une manière de les rendre immortels.

» Article initialement publié sur S.I.Lex

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http://owni.fr/2010/01/11/demolir-le-domaine-public-pour-financer-la-creation-zelnik1/feed/ 10
Zelnik Google. http://owni.fr/2010/01/10/zelnik-google/ http://owni.fr/2010/01/10/zelnik-google/#comments Sun, 10 Jan 2010 12:30:40 +0000 Admin http://owni.fr/?p=6852 Alors que le Président Nicolas Sarkozy fait son marché de dupes dans le rapport Zelnik pour donner aux internautes les moyens d’un retour en net-légalité, la question se pose des mesures de financement de l’offre légale. A tout seigneur tout honneur : Google.

Le rapport Zelnik remis mercredi à Fred le ministre et à la présidence évoque de façon très nette la taxation des revenus publicitaires des moteurs de recherche. Les géants Yahoo ! et consorts semblent s’y opposer, à commencer par Google qui manifestait hier, jeudi 7 janvier, son courroux. Olivier Esper, directeur des affaires publiques chez Google France, estime que la logique de cette taxe participe d’une « logique d’opposition entre les mondes de l’internet et de la culture ». Cette remarque n’est pas en soi infondée …

» La suite sur Comm’ Des Mots

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http://owni.fr/2010/01/10/zelnik-google/feed/ 1
Filtrage du net : la déclaration de guerre de Nicolas Sarkozy http://owni.fr/2010/01/09/filtrage-du-net-la-declaration-de-guerre-de-nicolas-sarkozy/ http://owni.fr/2010/01/09/filtrage-du-net-la-declaration-de-guerre-de-nicolas-sarkozy/#comments Sat, 09 Jan 2010 19:14:51 +0000 Bluetouff http://owni.fr/?p=6861 univers-sales-musiques-300x300

Je cherche à m’expliquer pourquoi Nicolas s’entête à tenir sous perfusion l’industrie du disque. Notre président à soit pété une pile, soit il y a une partie du gâteau du business de la culture qui doit atterrir dans les caisses de sa formation politique (si vous avez une explication plus rationnelle, svp, éclairez moi). Dans cet article de Numérama qui relate les vœux du président au monde de la Culture, on apprend que ce dernier appelle au filtrage, « sans délai » …  Voici ses propos exacts :

« que soit expérimentés sans délai des dispositifs de filtrage visant à dépolluer automatiquement les réseaux et serveurs de toutes sources de piratage »

C’est le genre de déclaration qu’on attend de la bouche d’un président chinois ou iranien, mais l’entendre de celle de Nicolas Sarkozy me fait froid dans le dos. Les premières informations avaient filtré via l’excellent blog d’Astrid Girardeau, et on pouvait déjà craindre le pire. Au début, je n’ai pas trop voulu y croire mais elle avait, une fois de plus, raison.

Voici donc le menu pour 2010 :

Taxation des moteurs de recherche : dans le genre mesure débile et surtout dangereuse voici une perle. De la tête de qui cette aberration a t-elle pu sortir ? Taxer les moteurs de recherche …vous allez voir que dans pas longtemps avec ce genre d’imbécilité il faudra payer pour être indexer dans Google ou que le gouvernement communiquera l’ordre des résultats de recherche imposé aux moteurs de recherche. On sent bien ici se profiler une future incursion de l’Etat sur les problématique de référencement de l’offre légale, ou comment le gouvernement va demander à Google de positionner en premier sur certaines requête la liste des sites des petits copains du Fouquets. … vous trouvez que j’exagère ? Attendez un peu la suite, vous allez mieux comprendre la position de notre dictateur président …

Taxation des revenus publicitaires des éditeurs de services en ligne : directement issue du rapport de la mission des bras cassés Zelnik, cette mesure séduit le président. Elle est d’une imbécilité à toute épreuve puisqu’elle vise à taxer les revenus publicitaires des « services présents en France » … euh les gars … vous vous écoutez parler des fois pour sortir ce genre d’énormité ? Vous souhaitez taxer les revenus publicitaires de Google (plus grande régie publicitaire mondiale) au prétexte qu’elle a une adresse en .fr ou des locaux place de l’Opera ? Ça veut dire que si je suis monsieur Yahoo et que je n’ai pas envie de payer la taxe je fais quoi ? Je redirige le .fr sur le .be ? et ensuite ? … vous filtrez tout Yahoo car ce dernier n’aura pas voulu s’acquitter d’une taxe unique au monde ? Y’a t-il au moins une seule personne dans cette commission qui ai compris ce qu’était le Net ?… Zelnik, Cerruti, Toubon … les gars, sérieusement, la prochaine fois invitez dans votre groupe de lumières une personne qui sait comment fonctionne un DNS et le TCPIP.
Pendant ce temps aux USA, on récupère ceux que l’on fait fuir de France, on crée de la richesse là où en France, on met à point d’honneur à prendre le risque de passer à côté d’une forte croissance et la création des emplois de demain. Comment notre Président peut-il, sans aucune étude d’impact, soutenir ce genre d’orientation suicidaire ? Ces mesures populistes couteront cher à notre économie, nous sommes promis à prendre un retard considérable : les années Sarkozy seront les années noires de l’économie numérique, là où tous les autres pays affichent des croissances à 2 ou 3 chiffres… merci monsieur le Président … c’est brillant.

« La carte musique Jeune » : cette mesure me ferait sourire si elle n’était pas financée par le contribuable. Avec un ticket à 200 euros dont 50% sont directement financés par l’Etat, le cadeau fait à l’industrie du disque pour les remercier de leur incompétence et de leur incapacité à relever les défis du numérique ne sera pas non plus sans conséquence. A quand la « carte cinéma jeune », à quand la « carte presse jeune », à quand la « carte livres jeunes » …  combien va couter cette blague ? Je n’aime pas cette France qui encourage la médiocrité, le discours de Nicolas Sarkozy et ses positions sur l’industrie de la musique sont une insulte aux valeurs républicaine et une insulte à l’intelligence de toutes les corporations, particulièrement celle de la presse qui n’a pas hésité, elle à relever les défis qui lui sont lancés par le Net. En outre, si le secteur de la musique va si mal, par quel miracle arithmétique les sommes perçues par la SACEM poursuivent leur croissance ? C’est mal monsieur le président de prendre vos citoyens pour des cons. Il y a des secteurs qui sont véritablement en crise, et ce genre de « cadeau » fait à l’industrie du disque risque d’en émoustiller plus d’un.

Le filtrage du Net : Notre président à nous, le conseil Constitutionnel, il s’en bat les steacks. En appelant à « expérimenter sans délai des dispositifs de filtrage visant à dépolluer automatiquement les réseaux et serveurs de toutes sources de piratage », Nicolas Sarkozy semble frappé d’amnésie, il a sans doute besoin que le Conseil Constitutionnel lui rappelle que seules des mesures « strictement nécessaires à la préservation des droits en cause » peuvent être prises… Le filtrage par BGP c’est de l’éclatage de mouches au missile Sol/Air, ce type de filtrage est de l’avis de tous les spécialistes pointé du doigt comme étant non conforme aux orientations données par le Conseil des Sages … mais Nicolas, le Conseil des Sages … lui … il s’en cogne ! Les Canadiens ont ainsi réussi à plonger dans le noir 4500 sites web parfaitement légaux en l’utilisant pour ne filtrer qu’un seul site !
Peut être aussi que la France est tellement riche que notre président a juste envie de claquer un peu de fric (les fournisseurs d’accès ne financeront jamais ça de leur poche, c’est encore le contribuable qui va y passer), histoire de se casser les dents comme tous les pays qui ont testé le filtrage et qui ont du faire marche arrière.

En savoir plus :

Le Rapport de la Mission Zelnik … l’Internet

» Article initialement publié sur bluetouff.com

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http://owni.fr/2010/01/09/filtrage-du-net-la-declaration-de-guerre-de-nicolas-sarkozy/feed/ 6
La musique numérique se porte bien, merci pour elle (mission Zelnik) http://owni.fr/2009/10/16/la-musique-numerique-se-porte-bien-merci-pour-elle-mission-zelnik/ http://owni.fr/2009/10/16/la-musique-numerique-se-porte-bien-merci-pour-elle-mission-zelnik/#comments Fri, 16 Oct 2009 13:14:59 +0000 Emmanuel Torregano (électron libre) http://owni.fr/?p=4680 Ne croyez pas les Cassandres, la musique vendue sur les réseaux se porte comme un charme. Malgré la concurrence du gratuit, des échanges P2P, ou de la doxa populaire qui pérore qu’acheter des fichiers musicaux c’est n’avoir rien compris à la révolution numérique… Et pourtant l’industrie du disque n’en finit pas ces dernières années de voir son chiffre de ventes fondre comme neige au printemps. Traduction d’un désamour profond du public pour le CD, au profit de ces fichiers que l’on glisse si facilement dans son baladeur.

L’un meurt, l’autre nait. C’est une loi de l’existence. Pour l’industrie de la musique, la fin du support physique, comprenez le CD, fut synonyme de plongée en enfer, d’auto-questionnement mais aussi de réinvention des métiers de la filière. Cette phase touche à sa fin, aujourd’hui. Et l’industrie attend maintenant du gouvernement qu’il prenne les bonnes mesures pour préserver un certain niveau de recettes, suffisant pour endiguer les faillites à répétition. L’action principale de la force publique sera très certainement orientée vers un rééquilibrage entre les filières culturelles et les opérateurs de télécommunication. Ces derniers sont directement accusés d’avoir profité des échanges illicites de contenus culturels pendant des années, sans jamais rétrocéder d’argent aux ayant droit. La mission confiée à Patrick Zelnik, Jacques Toubon et Guillaume Cerutti par le ministre de la culture et de l’information Frédéric Mitterrand, devrait aussi multiplier les mécanismes d’aides à la production, tout en revalorisant les rémunérations perçues sur la diffusion de musique. Le tout ficelé dans une nouvelle loi prendra l’allure d’un plan de sauvetage d’une filière qui souffre et obtient ce qu’elle demande, à force d’hurler tel l’avare auquel on a dérobé un sou dans sa cagnotte.
Voilà qui est certainement dans l’ordre des choses, mais si l’on en restait là, les objectifs de la mission seraient loin d’être atteints. Car, une taxe ou une rémunération sur le chiffre d’affaires des FAI, et l’élargissement du crédit d’impôt ne créent aucune valeur sur le marché de la musique enregistrée. Pire, cela pourrait bien entretenir les acteurs de ce marché dans une situation de sécurité financière qui nuise à son dynamisme.

ipod

Création de valeur

Or, le point important, crucial, de la mission Zelnik, ne consiste pas à trouver les leviers pour soutenir le marché, mais à mettre en place les conditions d’une véritable création de valeur dans la musique enregistrée. Sans elle, les maisons de disques auraient plus intérêt à devenir des gestionnaire de fond de catalogues ou des bureaux d’exploitation des droits, et délaisser par simple calcul l’investissement dans de nouveaux modèles ou des projets d’artistes, par nature risqués.
Aujourd’hui, où se crée la valeur sur le marché de la musique dématérialisée ? Principalement sur les plates-formes de vente de musique. Pour le reste, les expérimentations d’un Deezer, d’un Spotify ou d’autres font en fait bien plus figure d’ovni économique qu’autre chose. Deezer est ainsi toujours enlisé dans l’ornière de la gratuité. Or la publicité ne permet pas de répondre aux exigences des ayant droit. Et pour finir une version payante du service n’a toujours pas été proposée aux internautes, de peur certainement que ceux-là migrent brutalement sur un autre site. Alors en attendant des jours meilleurs, Deezer a réussi à lever 6,5 millions d’euros de plus. Spotify est un autre cas, bien différent du premier. D’emblée, le service s’est présenté comme payant, avec un abonnement mensuel de 10 euros. Il s’est très vite imposé sur ce segment avec quelques fonctionnalités d’échange et un catalogue relativement dense de titres. Et pourtant comme le note l’un de ses fondateurs récemment, les objectifs ne sont pas encore remplis loin de là. L’adoption de ce service par une frange importante de la population semble de toutes les manières bien illusoire. Les dépenses en matière de musique des ménages n’ont jamais dépassé 2 CD, soit un peu moins de 35 euros par an en moyenne. Qui plus est ce chiffre correspond à une époque où l’industrie du disques était à son sommet, vers l’année 2002 ; aujourd’hui les français dépensent à peine 17 euros par an pour s’acheter de la musique.

Echoppes en ligne

Les plates-formes de vente sont aujourd’hui le creuset de la nouvelle économie de la musique. Elles seules créent une valeur inédite, qui n’existait pas jusque là, et qui renouvèle un marché laissé pour comateux depuis la fin annoncée du CD. Tout serait au mieux, si le volume d’affaires réalisé par ces échoppes en ligne était conséquent et servait ainsi d’amortisseur à la déflation du marché physique. Il n’en est rien encore, les plates-formes en ligne ne participent qu’à un faible pourcentage au marché de la musique enregistrée, la France fait d’ailleurs figure sur ce point de retardataire. Cela tient à une composante bien souvent trop sous-estimé du marché de la musique dématérialisée : le niveau d’équipement des foyers.
Attention il ne s’agit pas de prendre comme base le nombre de Français possédant un ordinateur, mais de regarder attentivement quel appareil provoque chez le consommateur l’envie d’acheter de la musique en ligne. Et sur ce point, la réponse est simple : iPod, et maintenant iPhone. Aucun autre baladeur sur le marché n’a réussi cette mutation subtilisant l’accès gratuit à un contenu acquis par un acte d’achat. Pour le dire simplement, l’iPod est aux années 2000 ce que la chaîne hifi était aux décennies précédente. C’est pour lui, et par lui, que les gens achètent de la musique, comme avant on chérissait ses disques pour les écouter dans le salon familial ou seul dans sa chambre.

Résistance

Apple a vendu dans le monde entier 250 millions d’iPod, et 30 millions d’iPhone, pour 8,5 milliards de titres sur iTunes. Cela fait une moyenne de 34 titres par baladeur ce qui n’est pas très élevé, mais a le mérite d’exister. D’autant que sur les derniers mois une forte accélération se fait sentir. Ainsi en France, iTunes a vendu plus de 5000 albums de Muse “Resistance” par semaine lors de son lancement. L’opus c’est évidemment classé en tête sur la plate-forme d’Apple. Ce n’est pas la première fois que les maisons de disques remarquent une percée d’iTunes dans leurs comptes des ventes. En moyenne un titre classé premier sur la plateforme se vend aujourd’hui près de 50% de plus qu’il y a un an. Bref, la montée en puissance est inexorable, mais il manque sûrement encore des concurrents sérieux pour rivaliser et booster plus encore le marché de la musique en France. A noter par ailleurs que les pro-Hadopi devraient très bientôt se féliciter de la vigueur du marché en ligne, attribuant surement ce réveil à l’application de la loi. Alors qu’il n’en est rien. Tout est fonction de la pénétration dans la population des équipements. L’iPod a fait son oeuvre, mais iPhone est une arme bien plus puissante dans les mains d’Apple. La vitesse d’adoption du mobile multi-touch dans les foyers est plus rapide que celle de l’iPod. Une bonne nouvelle pour la musique, pour Apple, pour les producteurs mais aussi les artistes, qui perçoivent des ventes réalisées sur iTunes bien plus d’argent que ne leur rapporte la diffusion de leurs oeuvres sur Deezer, Daily Motion ou Spotify.
Bref, si l’objectif est de créer de la valeur, et que messieurs Zelnik, Toubon et Cerutti ont les moyens d’agir, plutôt que de penser à la meilleure manière de ponctionner les FAI, il serait urgent de repenser les relations entre les artistes et les plateformes de vente de musique, afin de définir un plan d’aide ciblé capable d’encourager les français à consommer la musique dématérialisée.

> Article initialement publié sur electronlibre.info

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#Hadopi : arrête de ramer … t’attaques la falaise http://owni.fr/2009/09/08/hadopi-arrete-de-ramer-tattaques-la-falaise/ http://owni.fr/2009/09/08/hadopi-arrete-de-ramer-tattaques-la-falaise/#comments Tue, 08 Sep 2009 16:45:05 +0000 Jean Michel Planche http://owni.fr/?p=3312

Bon, vous l’avez lu un peu partout, Fredo est à la manoeuvre.
On le sait, il n’aime pas les vacances. Il s’ennuie et nous a donc concocté, pendant nos congés, de quoi sortir de l’ornière avec #Hadopi et pour le moins, de quoi écrire un nouveau chapitre : #Hadopi3.

Alors quoi de neuf ? Comment commence l’histoire ?

Le troisième opus de la série démarre par un changement d’interlocuteurs. Exit les Christine Albanel, Riester, Tardieu and co. Il faut prendre des gens que l’on ne peut pas soupçonner de ne pas savoir de quoi ils parlent et pire de parti pris.

Ainsi on va prendre un producteur, mais pas un grand, cheville ouvrière de quelques world company. Monsieur Nem était déjà dans les deux précédents épisodes, on craignait une lassitude des spectateurs.

C’est donc à Patrick Zelnik de se voir confier la “mission“.
On ne pourra pas dire qu’il roule pour les gros, on apprend que sa maison de disque représente (que ?) 5% du marché du disque français et (que ?) 12% de la musique classique. Bon point, c’est un intello du sujet et non un excité de la star academy. Cela se voit d’ailleurs dans ses tenues vestimentaires et ses chaussures, qui semblent d’un classicisme (débrayé), de bon aloi. Ca change !

Ca change, mais cela ne va pas. Il ne faut pas non plus faire dans la sortie du Lions Club de Feucherolles. On va finir pas ne pas y croire. On est dans le fun, flute !
Patrick (vous permettez que je vous appelle Patrick), puis-je vous conseiller, d’aller voir mon camarade Gérard Sené : l’architecte d’homme. (photo de gauche) Il va vous travailler le look et vous allez ringardiser Monsieur Sushi. Il faut vous construire médiatiquement. Il faut que vous arrétiez la lumière et les caméras. Il faut que l’on ne voit que vous. Si vous faites une conférence avec notre spécialiste de la cuisine asiatique, vous devez crever l’écran !!
En plus, demandez à Gérard le joli tee-shirt qu’il porte. Je suis sûr que vous allez faire des envieux. Vous déminerez ainsi tous les pièges de ces absolutistes de l’Internet … on a les mêmes (Tee-shirt) ;-)

Mais revenons à la mission. Mission est d’ailleurs le bon mot, tant le sujet est compliqué et qu’il va falloir travailler du cigare au ministère. Plus il y aura de fumées, moins on y verra clair et surtout, plus on fermera les yeux parce que le cigare … ca pique (les yeux) …

Et parce que Frédo doit quand même être un peu “cadré”, on lui a collé un petit nouveau … mais pas un total inconnu : M. Toubon, ancien ministre de la Culture. C’est dire s’il connait le sujet !
Il sera très utile pour surveiller que l’on ne fasse pas entrer trop de produits “interdits” ou d’idées subversives rue de Valois et tenter de canabiser canaliser les délires, ou pour le moins, tirer la sonnette d’alarme. Ne manque plus que Léotard et Bayrou et … ca va faire mal !

En tous les cas, je suis rassuré.
On prend le problème par le bon bout, avec les bonnes personnes !

Il manque toujours le plus important dans le dispositif :

> il n’y a toujours aucun consommateur ou association de … internaute ou pas, de 7 à 77 ans … le marché quoi …

> il n’y a toujours aucun artiste directement. On passe pas les maisons de disques pour comprendre ce qu’ils veulent.

> Et il n’y a toujours aucun “entrepreneur du Net et de la chose numérique (mais qui oserait se mouiller dans cette affaire), c’est à dire des gens généralement AGILES, capables d’inventer là où les autres ne voient que des solutions convenues et apportant une culture différente : USER CENTRIC et non NETWORK CENTRIC !

En tous les cas, on a le déroulé de la situation :

> on va essayer de sortie de la tranchée (sic)

> il y aura d’abord des mesures de régulation (sic)

> il y aura aussi des mesures réglementaires et probablement des mois

> il y aura des solutions qui seront apportées à chaque type de consommation et de diffusion

> Ce sera assez sophistiqué

> Et en même temps, ces mesures pourront tenir sur deux pages

> Et on formulera tout cela au plus tard au début du mois de Novembre

Et en attendant, on va essayer de nous marginaliser, après les 5 gus dans un garage, voici les absolutistes du Net. Là vous vous trompez Monsieur Mitterrand. Je n’ai même plus envie de vous appeler amicalement Frédo. Cette stratégie de vouloir caricaturer à l’extrême, ne va conduire qu’à une encore plus grande opposition et vous en sortirez encore plus mal.
Oui nous sommes nombreux à revendiquer notre “absolu” d’un Internet LIBRE, OUVERT et NEUTRE. Oui, nous sommes encore plus à vouloir une société basée sur des valeurs USER CENTRIC et non NETWORK CENTRIC.

Si tel est l’absolu, alors, c’est le mien et je n’ai pas peur de le dire.
Par contre, j’ai bien peur que vous ne tombiez dans la caricature. Je ne pense pas que quelqu’un d’aussi intelligent que vous disiez cela par hasard. C’est donc par construction malhonnête, plus que par bêtise ou absence de connaissance du dossier. C’est moins grave alors, car cela se soigne si le mal est pris à temps. (avant la discussion au Sénat ou à l’assemblée Nationale)

Et comme tout cela va encore prendre du temps à beaucoup de gens (y compris à moi). Qu’il y a une grande chance pour que cela ne soit ni fait, ni à faire.
Que de toute façon on s’en moque car il suffit de protéger 4 gros navets qui font l’essentiel du chiffre … le reste ne vaut rien puisque cela n’intéresse personne (Pascal Nègre, université d’été du Medef 2009).

Donc :

Soit on nous fout la paix et on laisse faire le marché, les lois qui ne sont pas si mal faites et les entrepreneurs qui trouveront les bons business models.
Soit on balance des bombes dans tous les PC de ces petits salopards du Net (#Loppsi2 ?) et on revient au Gramophone, pour le plus grand plaisir des maisons de disques : #hadopi4 ?

crédit photo : mon site préféré du moment : Nanarland … je ne me doutais pas comment le cinéma dans les années 70 avait TOUT inventé …

> Article initalement publié sur le blog de Jean-Michel Planche

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HADOPI 3 : un air de déjà vu http://owni.fr/2009/09/07/hadopi-3-un-air-de-deja-vu/ http://owni.fr/2009/09/07/hadopi-3-un-air-de-deja-vu/#comments Mon, 07 Sep 2009 16:59:01 +0000 Admin http://owni.fr/?p=3279 Le ministre de la culture a annoncé la mise en place d’une commission sous la responsabilité de Patrick Zelnik, Jacques Toubon et Guillaume Cerutti. Quelques bonnes intentions sont affichées en matière d’accessibilité des œuvres des petites structures et des œuvres orphelines. Ce ne sont hélas que des détails comparés à l’étroitesse du cadre de réflexion qui écarte une fois de plus tout financement mutualisé reconnaissant les droits du public à partager la culture. La non-prise en compte de conflits d’intérêt et le choix répété de personnalités ayant soutenu des mesures liberticides ou contraires à l’intérêt général sont encore plus choquantes.

Un coin du voile est donc soulevé sur la façon dont le gouvernement va maintenant passer “au financement de la création”. Ce qui est révélé par la nomination de Patrick Zelnik (PDG du label Naïve), Jacques Toubon (ancien ministre de la culture mais surtout défenseur dogmatique du conservatisme en matière de droit d’auteur au parlement européen) et Guillaume Cerutti (PDG de Sotheby’s France mais aussi ancien responsable de la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) est bien inquiétant.

Le piège dans lequel le gouvernement veut enfermer toute discussion future apparait en plein jour : seules seront envisagées des solutions qui maintiennent les orientations des lois HADOPI. Pas question d’explorer la légalisation des échanges entre individus hors marché avec mise en place d’un financement mutualisé, qui serait pourtant la seule solution pour ouvrir une nouvelle ère pour la création.

C’est l’éternel retour du pire. Naïve est un label respecté. On serait ravi de retrouver son PDG comme personnalité auditionnée par une commission indépendante. Lui confier la présidence d’une commission montre que le gouvernement n’entend hélas pas mettre fin à la confusion absolue des intérêts privés et de l’intérêt public. En nommant Jacques Toubon parmi les autres responsables, on marque en outre l’adhésion au pire dogmatisme du droit d’auteur, prêt à tout justifier en invoquant l’exception culturelle, depuis les dispositions liberticides jusqu’à une extension de la durée de protection des phonogrammes dont toutes les études sérieuses concluent qu’elle est contraire à l’intérêt général.

« Cette annonce nous laisse peu d’espoir de voir enfin une politique plus utile au financement de la création dans toute sa diversité. Elle tourne le dos à la reconnaissance de nouveaux droits pour le public. En désignant Patrick Zelnik comme président de la commission, le gouvernement montre qu’il n’a rien appris des effets de la nomination de Denis Olivennes. Il se range en prime sous la bannière du conservatisme en matière de droit d’auteur avec la nomination de Jacques Toubon 1. Espérons qu’un sursaut soit encore possible. » analyse Philippe Aigrain, co-fondateur de La Quadrature du Net

  1. 1.Jacques Toubon a dans les deux dernières années au Parlement européen milité en faveur d’une extension du terme du droit d’auteur, tenté de contrer le rapport Lambrinidis consacrant l’accès à Internet comme un droit fondamental, prétendu que l’amendement 138 (imposant un procès équitable pour toute restriction de l’accès) légaliserait la pédopornographie, soutenu le rapport Medina imposant une vision dogmatique et répressive du droit d’auteur, fait campagne sans relâche pour l’extension de durée de protection des phonogrammes dont la commission Zelnik est maintenant chargée d’atténuer les conséquences, etc.

Article initalement publié sur la Quadrature du Net

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