OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Banques éthiques: les vilains petits canards de la finance française http://owni.fr/2011/02/14/banques-ethiques-les-vilains-petits-canards-de-la-finance-francaise/ http://owni.fr/2011/02/14/banques-ethiques-les-vilains-petits-canards-de-la-finance-francaise/#comments Mon, 14 Feb 2011 14:58:07 +0000 Claire Berthelemy et Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=38031 5 millions d’euros de fonds propres, plus de 26 000 sociétaires / actionnaires… « D’un point de vue purement réglementaire, nous avons le droit d’être une banque de plein exercice », annonce Marc Favier, responsable du projet de développement et d’innovation de la banque éthique La Nef. Seulement voilà : la Banque de France ne veut pas.

Partie de la loi de 1984, la concentration du secteur bancaire orchestré par la Banque de France a certes livré des mastodontes internationaux au secteur bancaire français, mais la prive aujourd’hui de tout réseau de banque éthique indépendant. Adossé au Crédit coopératif, lui-même membre du groupe Banques populaires-Caisses d’épargne, elle représente la seule alternative aux grands réseaux… bien qu’intégrée à l’un d’eux.

Créé à la même époque que La Nef, des établissements bancaires européens dédiés au financement de l’économie sociale et solidaire, aux projets écologiques ou à l’agriculture durable existent à deux pas : la GLS allemande, créée par des parents d’élèves dans la Ruhr à la fin des années 1960, Triodos en Hollande, la Banca Etica en Italie…

Toutes banques de plein droit là où La Nef ne dispose que d’un agrément bancaire limité, spécifique à la France, qui peut également se targuer d’avoir les critères d’autorisation d’exercice bancaire les plus complexes de l’Union européenne. Mais pas de hasard dans tout cela, juste une stratégie : celle du « big enough to win » (« assez gros pour gagner », ceci n’étant pas une expression officielle), consistant à privilégier les grands réseaux internationaux aux structures mutualistes proches des clients. De quoi couper l’envie d’un Bank Run au plus motivé des Cantona.

Des myriades de banques spécialisées des années 60 aux mastodontes de la finance des années 2000

Avant les années 1980, La Nef n’avait même pas eu besoin d’être une « banque » : constituée en association, la loi lui permettait le droit d’accorder des prêts et crédits à des entreprises ou des initiatives. Ses créateurs, militants de l’éducation alternative, de l’agriculture paysanne et de l’économie sociale et solidaire, se voyaient refuser régulièrement des prêts par les grandes banques pour financer leurs projets. Une liberté d’organisation que la loi du 24 janvier 1984 a fait méthodiquement voler en éclat : dans le but de prévoir la concurrence accrue du secteur (notamment au niveau européen), le Code monétaire et financier qu’elle instaurait mettait fin à la spécialisation des banques et « banalisait » leurs activités. Fini le Crédit maritime et stop aux réseaux réservés aux agriculteurs, la multitude de petits établissements et réseaux mutualistes se regroupent et oeuvrent à leur crédit défendant à la « consolidation du secteur bancaire français », pour reprendre les mots d’un rapport de la Banque de France. Les effets sont fulgurants : de 661 banques coopératives au moment de l’adoption de la loi, il n’en reste plus que 174 dix ans plus tard (voir le graphique ci-dessous).

Extrait du rapport annuel 2007 du CECEI (Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement)

Le monde mutualiste se voit obliger de se doter d’un organe central, la Banque française de Crédit coopératif, « afin d’assurer la solvabilité et les liquidités », précise Claude Sevestre, chargée de communication pour le groupe. Mais ce n’était qu’un premier pas…

Ebranlée par les scandales Enron et Worldcom, la finance mondiale s’organise pour protéger au mieux… les investisseurs ! Aux Etats-Unis, la loi Sarbanes-Oxley met les grands groupes en coupe réglée, exigeant la transparence des comptes que les grands dirigeants certifient personnellement. En France, les actionnaires sont rassurés par la Loi de sécurité financière (ou loi Mer) votée en 2003. Au programme : encore plus de concentration dans les banques pour « assurer les comptes ». « De plus grandes banques, ce sont de plus gros dépôts, de plus gros dépôts, ce sont de plus grosses garanties et de plus grosses garanties, c’est ce que la Banque de France a pour mission d’assurer », résume Marc Favier. L’année de la loi Mer, le réseau Crédit coopératif cesse d’être un réseau indépendant et est fondu dans le réseau Banques populaires avant la formation du groupe BPCE en 2009, devenu depuis deuxième réseau de France.

Dans les murs de la Banque de France, au centre même de cette évolution, l’organisme en charge de certifier les banques, l’Autorité de contrôle prudentiel, est née de la fusion de quatre organisations gérant auparavant chacune de leur côté banques, assurances, mutuelles et organismes de crédits et d’investissements.

La crise des grands condamne les petits

Si le protocole qui lie le Crédit coopératif à BPCE garantit l’autonomie de gestion, l’identité et la marque de la banque coopérative, ce mouvement de concentration a quasiment stérilisé le terreau de toute nouvelle tentative de création de banque. « La question de la création et de l’agrément d’une banque ne se pose pratiquement jamais, constate Laurence Scialom, professeure de Sciences Economiques à Paris X Nanterre. La dernière fois qu’un véritable mouvement de création des banques a eu lieu, c’était à la chute du mur de Berlin, avec les « pockets banks ». » Apparues dans tous les coins de l’ex-Europe de l’Est, ces établissements financiers nés dans la désorganisation de l’époque ont cependant bien vite été capté et racheté comme de parfaits relais pour les géants d’Europe occidentale (notamment allemand, français et autrichien). Sur le papier, l’usine à géant de la finance a fait ses preuves : selon un classement établi par La Tribune, 4 des 17 plus grandes banques en terme de résultat net sur les 9 premiers mois de 2010 étaient françaises.

Et pendant ce temps là, La Nef court l’Europe : depuis 5 ans, la banque éthique française tente de s’allier à l’espagnol Fiare pour profiter de l’agrément bancaire détenu en Italie par Banca Etica. « Grâce à la loi européenne, un organisme financier disposant d’un agrément bancaire d’une banque centrale d’un Etat membre peut implanter des filiales où elle le souhaite ailleurs dans l’UE », précise-t-on à La Nef. Or, en difficultés depuis quelques temps, Banca Etica a repoussé encore le projet sine die.

Or, derrière ces notions de « transparence » et de « prudence » mises en avant par la Banque de France ne se cachent que les exigences des acteurs de la Bourse. Le circuit emprunté par les euros déposés sur un simple compte courant reste aussi opaque au commun des mortels qu’il l’était avant, sauf dans les établissements éthiques. Et tout ce besoin de sécurité n’est né que de la remise en cause de la séparation des métiers des banques entre le prêt, la gestion des comptes et les activités de placement sur les marchés, qui a amené les grands groupes à prendre de plus gros risques devant être assurés avec de plus gros dépôts…

En manque cruel de crédit, les filières d’énergie, d’agriculture ou d’économie alternative ne dispose aujourd’hui de l’aide que de petits acteurs, alors même que les subprimes ont montré qu’en matière d’emploi comme en matière de placement, le secteur coopératif était plus solide. « Cette absence d’agrément est paradoxale car, au final, les banques coopératives ont une bien meilleur visibilité de leurs actionnaires car ce sont aussi ses clients », résume un cadre de La Nef. Mais cette transparence là ne semble pas avoir été promue au rang de règlement du système bancaire français. Une simple question de « moralisation du capitalisme », en somme.

Article publié initialement dans le cadre de notre dossier OWNI.fr : Banques éthiques, monnaies libres… et toi, tu fais quoi après la crise ?

Illustrations Flickr CC tim geers ; @NO4 et Acmolenaar

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Après l’échec du Bank Run, quatre idées pour s’éloigner des banques http://owni.fr/2010/12/12/apres-lechec-du-bank-run-quatre-idees-pour-seloigner-des-banques/ http://owni.fr/2010/12/12/apres-lechec-du-bank-run-quatre-idees-pour-seloigner-des-banques/#comments Sun, 12 Dec 2010 16:12:17 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=39051 Article publié initialement sur le site OWNIpolitics sous le titre : Quatre alternatives au Bank run de Cantona.

Mardi 7 octobre, même si des centaines ou des milliers de Français avaient été clôturer leur compte ou simplement en retirer le maximum de cash autorisé, les banques n’auraient pas tremblé. Si l’initiative lancée par Eric Cantona a donné l’illusion sympathique qu’il suffisait de s’armer de sa carte bleue pour entamer les fondations du système bancaire, elle n’eu aucun effet, sinon, peut-être celui de priver une poignée d’épargnants de leur capacité à recevoir des virements, ainsi qu’un nombre considérable d’autres désagréments qu’avaient énuméré nos collègues de rue89.

Pire : les « bank runners » qui seront amenés à rouvrir un compte généreront des frais bancaires et des commissions qui bénéficieront à ces mêmes établissements auxquels ils voulaient donner une leçon. Même les queues devant les agences (s’il y en a) n’entameront guère leur image : déjà mises en cause d’un bout à l’autre du spectre politique après la crise, les banques ont le système avec elle et, pour percer ce blindage, il faut d’abord comprendre comment il fonctionne. Heureusement, il existe des failles.

Suite à notre article sur la « révolution Cantona », de nombreux conmmentateurs se sont plaints de ce que, ayant critiqué le principe et son inefficacité, nous n’avions rien proposé pour faire avancer le débat. Derrière ces réactions, un constat résumé par Manu avec clarté :

Il faut appeler bien un chat un chat : les banques mettent à genoux les peuples, et elles sont d’autant plus féroces maintenant qu’elles ont vu le couperet de près il y a peu.

La dépendance vis-à-vis du système bancaire n’est pas une abstraction, il s’agit d’un principe bien concret qui se décline en plusieurs aspects :

  • mobilisation des dépôts pour garantir des crédits et des opérations financières (dont la nature est laissée à discrétion) ;
  • rémunération des divers opérations bancaires (retraits, création de compte, versement, etc.) ;
  • contraintes liées aux divers formes de crédit ;
  • conséquences des spéculations sur les matières premières.

De fait, les banques sont des organisations qui, si elles ont pour vocation de « financer l’économie » (comme le répétait à volonté Christine Lagarde pour justifier les plans de relance), restent des entreprises avec des objectifs de rentabilité, des stratégies et des « techniques ». A ce titre, elles ne sont « au service de leurs clients » que dans la mesure où ces derniers restent solvables : en dehors de la Banque de France (qui n’est pas une banque de détail), ni la BNP, ni la Société générale, ni aucune banque commerciale n’a de mission de service public ! Or, pour chacun de ces aspects de la dépendance aux banques, il existe des solutions (plus ou moins faciles) pour ceux qui souhaitent, faute de forcer le système à se réformer, au moins réduire leurs liens avec leur banque.

Contre le mésusage de vos dépôts, choisir une banque éthique

Une récente étude du cabinet Utopies révélait une statistique impressionnante : pour 1000€ déposés dans l’un des grands réseaux français, une tonne de CO² était produite du fait des placements ! A côté de ces « placements toxiques » au sens propre du terme, la crise des subprimes a révélé que la quasi totalité des banques de détail ayant des activités sur les marchés jonglaient avec de la dynamite pour garantir leur rentabilité.

Or, à côté des grands réseaux existe l’alternative des « banques éthiques », comme le soulignait Petit Poisson dans son commentaire : plus modestes, elles ne misent pas sur des valeurs spéculatives soit par engagement (comme le Crédit coopératif ou la Nef qui n’investissent que dans des prêts à des projets écologiques ou liés à l’économie sociale et solidaire), ou du fait de la loi (la Banque postale a ainsi l’interdiction de placer de l’argent dans des entreprises)… Faisant suite à l’appel de Cantona, le collectif Sauvons les Riches a ainsi lancé avec l’eurodéputé Verts Pascal Canfin l’initiative Je Change de Banque qui, accompagnée d’un site, donne les informations nécessaires pour quitter un grand réseau et rejoindre une banque responsable.

Pour ne plus financer les banques par les frais, opter pour les monnaies libres

En plus des frais de gestion des comptes, le « stockage », comme le retrait par carte bancaire et autres opérations sont l’occasion de frais qui sont crédités aux résultats des banques et utilisés pour garantir leur solvabilité et donc leur capacité à miser sur les marchés financiers. Pour éviter ces frais, certaines associations et villes ont pris le problème à la base en créant leurs propres monnaies !

Cinq billets de monnaies libres (Abeilles et Chimgauer) et un intrus.

Comme rapporté dans l’enquête de Claire Cousin parue dans Le Monde Magazine en date du 4 décembre, la ville de Villeneuve-sur-Lot a adopté une devise alternative : l’abeille, monnaie convertible, utilisable auprès des commerçants et de certaines entreprises et associations de la région. Pour éviter qu’elle soit stockée comme de vulgaires euros, elle perd régulièrement de sa valeur, encourageant ses usagers à l’utiliser. La conversion elle-même est facturée 2%. A ceci près que les frais de change et les « ponctions sur la valeur » sont réinvestis dans des projets sociaux utiles à la collectivité, plutôt que de servir à alimenter l’économie spéculative. Loin d’être utopique, plus de 4000 de ces systèmes ont vu le jour à travers le monde, s’appuyant notamment sur le principe SEL (système d’échange local), lequel ne nécessite pour structure de départ qu’une association de loi 1901 !

Se priver de crédit… ou recréer la « banque du peuple » !

En 2004, un tiers des Français disposaient selon l’Insee d’un crédit immobilier, et tout autant d’un crédit à la consommation. Sur la tranche des 35-44 ans, le taux monte à 50%. En pratique, la « France des propriétaires » que Nicolas Sarkozy appelait de ses voeux, est une « France d’endettés » auprès des grands réseaux. Or, pour éviter cette dépendance, pas de secret : il faut sortir du système de crédit soit en achetant cash, soit en achetant moins. D’un point de vue strictement financier, l’utilisation des transports en commun (évitant l’achat d’une automobile) et la location (contournant la nécessité d’un prêt immobilier) écartent la majeure partie des besoins de crédit. L’étude de l’endettement des ménages de l’Insee prouve ainsi, que du fait des prix de l’habitat trop élevés à l’achat, les Parisiens contractent deux fois moins de prêts immobiliers que les habitants de communes rurales. Quant au taux d’endettement pour l’achat d’un véhicule, il n’est que de 5% contre près de 24% dans les communes rurales !

Une autre solution s’était fait jour au XIXe siècle sous le nom de « banque du peuple » : fondée par le philosophe Pierre-Joseph Proudhon, elle s’appuyait sur l’idée d’une banque « propriété de tous les citoyens qui en accepterait le service », sans intérêt à percevoir pour ses avances, ni commissions… Ses seuls frais se limitant à la gestion, réalisant une utopie formulée en cinq mots par son fondateur : « le crédit était donc gratuit ! » Parti d’un taux d’intérêt à 2%, le projet était de le ramener sous 0,5% le tout sans user de dépôt métallique mais seulement de « bons de consommation »… Un projet qui sombra malgré le ralliement de 13000 personnes, mais qui, en se montrant précurseur des monnaies libres et du microcrédit, n’en demeure pas moins une base de réflexion pour des projets d’organismes financiers « alternatifs ».

Couler une banque d’affaire avec une pièce d’argent : c’est possible !

Depuis maintenant plusieurs mois, la banque d’affaire JP Morgan spécule sur l’argent comme jamais une banque n’a spéculé : ce géant de la finance a acheté sur les marchés des milliers de tonnes du métal précieux… sans avoir eu besoin de signer un seul chèque ! Sur les marchés, c’est ce qu’on appelle une « opération nue », c’est à dire un achat pour lequel on ne paie rien. Malgré cela, JP Morgan détient « virtuellement » une part non négligeable de l’argent en circulation sur les marchés et espère bien en tirer des bénéfices. A moins que le réel ne vienne lui mettre une gifle historique.

Une pièce d'argent pour se payer la faillite du géant JP Morgan.

Combien cela coute-t-il de couler JP Morgan ? Une pièce d’argent, pas plus. La solution, c’est un ancien de Lehmann Brothers, Mike Krieger, qui l’a trouvée : pour forcer la banque d’affaire à payer en dollars sonnants et trébuchants l’argent qu’elle mobilise sans en avoir les moyens, il suffit à un certain nombre de clients (10 millions d’Américains suffiraient, selon les calculs de Krieger) d’acheter une vraie pièce d’argent (un investissement de moins de 50$) pour en faire exploser le cours, obligeant JP Morgan à payer en vrais dollars ses montagnes de titres de propriété ! En sortant ainsi de leur rôle de « mouton de marché » (surnom donné aux actionnaires qui achètent ce qu’on leur dit d’acheter), chaque client dispose ainsi du moyen de retourner le système en forçant la finance virtuelle à payer… pour la finance réelle !

Ce ne sont ici qu’une poignée de solutions pour se saisir individuellement de son petit levier dans la finance. Dans les semaines à venir, OWNIpolitics explorera les idées neuves ou idées perdues qui montrent d’autres façons d’envisager l’argent, le crédit et la valeur en général dans nos sociétés. La suite du débat, c’est à vous de l’écrire.

Photo FlickR CC T.O.M.F. ; Nan’R ; xtof ; mksavage.

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Quatre alternatives au Bank Run de Cantona http://owni.fr/2010/12/06/quatre-alternatives-au-bank-run-de-cantona/ http://owni.fr/2010/12/06/quatre-alternatives-au-bank-run-de-cantona/#comments Mon, 06 Dec 2010 18:34:55 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=37346 Mardi 7 octobre, que des centaines ou des milliers de Français aillent clôturer leur compte ou simplement en retirer le maximum de cash autorisé, les banques ne trembleront pas. Si l’initiative lancée par Eric Cantona a donné l’illusion sympathique qu’il suffisait de s’armer de sa carte bleue pour entamer les fondations du système bancaire, elle n’aura aucun effet, sinon, peut-être celui de priver une poignée d’épargnants de leur capacité à recevoir des virements, ainsi qu’un nombre considérable d’autres désagréments qu’avaient énuméré nos collègues de rue89.

Pire : les « bank runners » qui seront amenés à rouvrir un compte généreront des frais bancaires et des commissions qui bénéficieront à ces mêmes établissements auxquels ils voulaient donner une leçon. Même les queues devant les agences (s’il y en a) n’entameront guère leur image : déjà mises en cause d’un bout à l’autre du spectre politique après la crise, les banques ont le système avec elle et, pour percer ce blindage, il faut d’abord comprendre comment il fonctionne. Heureusement, il existe des failles.

Suite à notre article sur la « révolution Cantona », de nombreux conmmentateurs se sont plaints de ce que, ayant critiqué le principe et son inefficacité, nous n’avions rien proposé pour faire avancer le débat. Derrière ces réactions, un constat résumé par Manu avec clarté :

Il faut appeler bien un chat un chat : les banques mettent à genoux les peuples, et elles sont d’autant plus féroces maintenant qu’elles ont vu le couperet de près il y a peu.

La dépendance vis-à-vis du système bancaire n’est pas une abstraction, il s’agit d’un principe bien concret qui se décline en plusieurs aspects :

  • mobilisation des dépôts pour garantir des crédits et des opérations financières (dont la nature est laissée à discrétion) ;
  • rémunération des divers opérations bancaires (retraits, création de compte, versement, etc.) ;
  • contraintes liées aux divers formes de crédit ;
  • conséquences des spéculations sur les matières premières.

De fait, les banques sont des organisations qui, si elles ont pour vocation de « financer l’économie » (comme le répétait à volonté Christine Lagarde pour justifier les plans de relance), restent des entreprises avec des objectifs de rentabilité, des stratégies et des « techniques ». A ce titre, elles ne sont « au service de leurs clients » que dans la mesure où ces derniers restent solvables : en dehors de la Banque de France (qui n’est pas une banque de détail), ni la BNP, ni la Société générale, ni aucune banque commerciale n’a de mission de service public ! Or, pour chacun de ces aspects de la dépendance aux banques, il existe des solutions (plus ou moins faciles) pour ceux qui souhaitent, faute de forcer le système à se réformer, au moins réduire leurs liens avec leur banque.

Contre le mésusage de vos dépôts, choisir une banque éthique

Une récente étude du cabinet Utopies révélait une statistique impressionnante : pour 1000€ déposés dans l’un des grands réseaux français, une tonne de CO² était produite du fait des placements ! A côté de ces « placements toxiques » au sens propre du terme, la crise des subprimes a révélé que la quasi totalité des banques de détail ayant des activités sur les marchés jonglaient avec de la dynamite pour garantir leur rentabilité.

Or, à côté des grands réseaux existe l’alternative des « banques éthiques », comme le soulignait Petit Poisson dans son commentaire : plus modestes, elles ne misent pas sur des valeurs spéculatives soit par engagement (comme le Crédit coopératif ou la Nef qui n’investissent que dans des prêts à des projets écologiques ou liés à l’économie sociale et solidaire), ou du fait de la loi (la Banque postale a ainsi l’interdiction de placer de l’argent dans des entreprises)… Faisant suite à l’appel de Cantona, le collectif Sauvons les Riches a ainsi lancé avec l’eurodéputé Verts Pascal Canfin l’initiative Je Change de Banque qui, accompagnée d’un site, donne les informations nécessaires pour quitter un grand réseau et rejoindre une banque responsable.

Pour ne plus financer les banques par les frais, opter pour les monnaies libres

En plus des frais de gestion des comptes, le « stockage », comme le retrait par carte bancaire et autres opérations sont l’occasion de frais qui sont crédités aux résultats des banques et utilisés pour garantir leur solvabilité et donc leur capacité à miser sur les marchés financiers. Pour éviter ces frais, certaines associations et villes ont pris le problème à la base en créant leurs propres monnaies !

Cinq billets de monnaies libres (Abeilles et Chimgauer) et un intrus.

Comme rapporté dans l’enquête de Claire Cousin parue dans Le Monde Magazine en date du 4 décembre, la ville de Villeneuve-sur-Lot a adopté une devise alternative : l’abeille, monnaie convertible, utilisable auprès des commerçants et de certaines entreprises et associations de la région. Pour éviter qu’elle soit stockée comme de vulgaires euros, elle perd régulièrement de sa valeur, encourageant ses usagers à l’utiliser. La conversion elle-même est facturée 2%. A ceci près que les frais de change et les « ponctions sur la valeur » sont réinvestis dans des projets sociaux utiles à la collectivité, plutôt que de servir à alimenter l’économie spéculative. Loin d’être utopique, plus de 4000 de ces systèmes ont vu le jour à travers le monde, s’appuyant notamment sur le principe SEL (système d’échange local), lequel ne nécessite pour structure de départ qu’une association de loi 1901 !

Se priver de crédit… ou recréer la « banque du peuple » !

En 2004, un tiers des Français disposaient selon l’Insee d’un crédit immobilier, et tout autant d’un crédit à la consommation. Sur la tranche des 35-44 ans, le taux monte à 50%. En pratique, la « France des propriétaires » que Nicolas Sarkozy appelait de ses voeux, est une « France d’endettés » auprès des grands réseaux. Or, pour éviter cette dépendance, pas de secret : il faut sortir du système de crédit soit en achetant cash, soit en achetant moins. D’un point de vue strictement financier, l’utilisation des transports en commun (évitant l’achat d’une automobile) et la location (contournant la nécessité d’un prêt immobilier) écartent la majeure partie des besoins de crédit. L’étude de l’endettement des ménages de l’Insee prouve ainsi, que du fait des prix de l’habitat trop élevés à l’achat, les Parisiens contractent deux fois moins de prêts immobiliers que les habitants de communes rurales. Quant au taux d’endettement pour l’achat d’un véhicule, il n’est que de 5% contre près de 24% dans les communes rurales !

Une autre solution s’était fait jour au XIXe siècle sous le nom de « banque du peuple » : fondée par le philosophe Pierre-Joseph Proudhon, elle s’appuyait sur l’idée d’une banque « propriété de tous les citoyens qui en accepterait le service », sans intérêt à percevoir pour ses avances, ni commissions… Ses seuls frais se limitant à la gestion, réalisant une utopie formulée en cinq mots par son fondateur : « le crédit était donc gratuit ! » Parti d’un taux d’intérêt à 2%, le projet était de le ramener sous 0,5% le tout sans user de dépôt métallique mais seulement de « bons de consommation »… Un projet qui sombra malgré le ralliement de 13000 personnes, mais qui, en se montrant précurseur des monnaies libres et du microcrédit, n’en demeure pas moins une base de réflexion pour des projets d’organismes financiers « alternatifs ».

Couler une banque d’affaire avec une pièce d’argent : c’est possible !

Depuis maintenant plusieurs mois, la banque d’affaire JP Morgan spécule sur l’argent comme jamais une banque n’a spéculé : ce géant de la finance a acheté sur les marchés des milliers de tonnes du métal précieux… sans avoir eu besoin de signer un seul chèque ! Sur les marchés, c’est ce qu’on appelle une « opération nue », c’est à dire un achat pour lequel on ne paie rien. Malgré cela, JP Morgan détient « virtuellement » une part non négligeable de l’argent en circulation sur les marchés et espère bien en tirer des bénéfices. A moins que le réel ne vienne lui mettre une gifle historique.

Une pièce d'argent pour se payer la faillite du géant JP Morgan.

Combien cela coute-t-il de couler JP Morgan ? Une pièce d’argent, pas plus. La solution, c’est un ancien de Lehmann Brothers, Mike Krieger, qui l’a trouvée : pour forcer la banque d’affaire à payer en dollars sonnants et trébuchants l’argent qu’elle mobilise sans en avoir les moyens, il suffit à un certain nombre de clients (10 millions d’Américains suffiraient, selon les calculs de Krieger) d’acheter une vraie pièce d’argent (un investissement de moins de 50$) pour en faire exploser le cours, obligeant JP Morgan à payer en vrais dollars ses montagnes de titres de propriété ! En sortant ainsi de leur rôle de « mouton de marché » (surnom donné aux actionnaires qui achètent ce qu’on leur dit d’acheter), chaque client dispose ainsi du moyen de retourner le système en forçant la finance virtuelle à payer… pour la finance réelle !

Ce ne sont ici qu’une poignée de solutions pour se saisir individuellement de son petit levier dans la finance. Dans les semaines à venir, OWNIpolitics explorera les idées neuves ou idées perdues qui montrent d’autres façons d’envisager l’argent, le crédit et la valeur en général dans nos sociétés. La suite du débat, c’est à vous de l’écrire.

Photo FlickR CC T.O.M.F. ; Nan’R ; xtof ; mksavage.

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Braquage de crise : quand l’argent devient une arme anticapitaliste http://owni.fr/2010/12/02/bankrun-cantona-crise-quand-argent-devient-une-arme-anticapitaliste/ http://owni.fr/2010/12/02/bankrun-cantona-crise-quand-argent-devient-une-arme-anticapitaliste/#comments Thu, 02 Dec 2010 22:51:07 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=37857

Billet publié initialement sur OWNIpolitics sous le titre : La révolution Cantona : une fausse solution à un vrai problème.

Techniquement impossible, le projet de fermeture massive de comptes proposé par Cantona resterait sans effet sur les banques et la désillusion des citoyens.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Des files d’attente de centaines de personnes devant les agences, le site de consultation des comptes en ligne inaccessible suite aux connexions répétées… En septembre 2007, la banque anglaise Northern Rock fut assailli par ses épargnants qui, pris de panique face à son effondrement sous les coups de la crise des subprimes, ont couru retirer leurs économies, de peur que la crise ne les avale: premier « bank run » depuis la crise argentine de 2001, ce mouvement de panique a dépouillé les comptes de Northern Rock d’un milliard de livres sterling en deux jours. Une performance historique que l’ex-attaquant de Manchester Eric Cantona voudrait reproduire le 7 décembre pour punir les banques fauteuses de crise. Et qui, malgré un buzz conséquent, n’effleurera même pas la plaque du siège de la BNP.

Tout commence le 8 octobre 2010, dans un canapé anonyme où, affalé, Eric Cantona disserte face à la caméra de Presse Océan sur les mouvements de grève qui se succèdent dans le pays : selon le footballeur à la retraite, les millions de Français qui sortent dans la rue font fausse route, voire retournent l’idée contre eux-mêmes.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

La révolution serait « très simple à faire » : le système tournant autour des banques, « il peut être détruit par les banques » et, pour ce faire, les manifestants n’auraient qu’à « retirer leur argent et les banques s’écroulent ». Un syllogisme assez séduisant pour convaincre 30 000 personnes de rejoindre le groupe Facebook proposant de retirer tout son encours et fermer ses comptes épargnes le 7 décembre :

  • les banques tirent leur pouvoir de l’argent ;
  • les clients détiennent l’argent ;
  • les clients détiennent le pouvoir sur les banques.

Un raisonnement presque aussi simple et limpide qu’il est faux.

Une (impossible) pichenette de moins de 0,3% dans l’édifice bancaire français

Pour commencer, personne ne pourra « clôturer » tous ses comptes le 7 décembre pour des raisons légales : la loi recommande pour commencer d’adresser une lettre en recommandé à la banque pour réaliser l’opération, dont la réception ouvre un délai de préavis de un à trois mois… Et ceci pour chaque compte. Quant aux limites de retraits, elles ne permettraient guère les fuites : pas évident de retirer des dizaines de milliers d’euros avec sa Mastercard à coup de 300€ par semaine. Même au guichet, la limite est fixée pour la BNP à 2 000€ (pouvant être levée à 3 000€). Au delà (et jusqu’à 8 000€), l’avis préalable du guichetier est indispensable.

Beaucoup d’agitation pour pratiquement rien: car, quand bien même les 30 000 personnes retiraient en un même mois tout leur encours (à moins de disposer de sommes considérables sur leurs comptes), les quelques dizaines ou centaines de millions n’affecteraient pas le moins du monde les banques visées, d’autant plus qu’elles s’étaleraient sur plusieurs établissements.

« Une telle initiative ne poserait problème que si les banques étaient limite en réserve, or c’est exactement l’inverse en ce moment, insiste Alexandre Delaigue, professeur d’économie à Saint Cyr et à l’ENSAM, animateur du blog Les Econoclastes. Le crédit est restreint et les banques sont noyées sous les liquidités apportées par les banques centrales. Les banques n’auraient qu’à se contenter de retirer sur leur compte à la banque centrale pour compenser la demande de billet. » On est donc bien loin de l’agonie financière de Northern Rock.

Dans l’hypothèse (absurde, donc) d’un retrait individuel de 30 000€ par « bank runner », les 900 millions soustraits aux caisses seraient vite remplacés et ne pèseraient qu’une goutte d’eau dans les 269 milliards d’encours total des comptes et produits d’épargne des ménages (source : banque de France, septembre 2010), qui ne sont eux-même qu’une partie de l’argent des banques.

La seule conséquence réelle de ce « bank run » serait de mettre en grande difficulté de paiement chacun des « révolutionnaires » ayant eu l’idée de suivre Cantona : selon la Fédération des banques françaises, les virements constituent en valeur 83,2% des transactions en valeur opérées en France. Sans compte en banque, plus moyen de percevoir son salaire, de faire son virement EDF, de recevoir les prestations sociales… Dans les faits, l’idée de Cantona mise en œuvre par une poignée de révoltés se retournera bel et bien « contre eux-mêmes ». Encore faudrait-il que les candidats au syphonage ne soient pas trop endettés : difficile de dire à son conseiller Société générale de fermer les yeux sur un emprunt immobilier ou auto pour aller courir après “King Eric”…

Illusion des effluves de « l’argent magique »

Malgré l’évidence de cet échec, la « révolution à la Cantona » agite les médias comme les politiques : Christine Lagarde elle-même s’est sentie de prendre la parole contre le footballeur, bien vite contrecarrée par Cécile Duflot… Même Baudoin Prot, pourtant assuré par les milliards des divers plans de relance de la BNP, s’est fendu d’une critique. Car, en miroir de cet espoir de changer les choses, cette poussée de fièvre révèle surtout l’incapacité d’agir sur le système.

Les tours Société Générale à La Défense

« En dehors des critiques habituelles qui se sont amplifiées, une idée vient de plus en plus souvent à la bouche des clients quand ils sont en agence : que l’augmentation des tarifs en agence de détails servent à payer les bonus des traders, qu’on leur faire « payer », la crise »

Auteure d’une thèse sur la sociologie de la banque et de ses clients, Jeanne Lazarus (doctorante à l’EHESS) a observé l’évolution des rapports tendus dans les locaux même des banques et constate un changement dans la perception de l’économie : « les sociétés occidentales ont le sentiment d’avoir une connaissance de plus en plus aiguë des phénomènes économiques : à force d’entendre parler de la crise, tout le monde se prend pour le gouverneur de la Réserve fédérale américaine, un peu comme chacun s’imagine sélectionneur de l’équipe de France pendant le Mondial, explique la sociologue. L’idée de Cantona est une présentation rapide et simpliste des processus économiques mais chacun à envie d’avoir un avis. »

Dans son association entre un geste simple (retirer son argent) et la résolution d’une injustice pénible (le syphonage de l’économie au profit de banques fautives), la « révolution Cantona » a tout le charme de la « pensée magique » : traversons le passage clouté à cloche-pied sans tomber et tout ira mieux.

Une fois de l’autre côté de la rue, rien n’a changé. Pire : nous y avons cru et devons retourner à notre triste impuissance.

Une solution enfantine à la désillusion des plans proposés par les États

D’autres initiatives se sont proposées de retourner contre le système sa propre force. Parmi elle, l’idée ingénieuse de l’ancien trader de Lehman Brothers Mike Krieger : pour abattre la très puissante banque d’affaires JP Morgan, il propose que chaque Américain (bien qu’une centaine de millions suffise) débourse 25 ou 50$ pour acheter une petite pièce d’argent. Pourquoi ? Afin de faire exploser le prix du métal précieux, sur lequel JP Morgan spécule à la baisse depuis des mois, au point d’attirer l’attention des régulateurs financiers : détenteurs de quantités monstrueuses (1/3 du marché selon certaines estimations), les financiers seraient obligés de « garantir » le prix de leur ressource à coup de milliards… Une manœuvre à même de couler la banque d’un seul mouvement ! Une solution ingénieuse mais bien plus complexe à expliquer au grand public que le simpliste « bank run » de Cantona.

Le succès de la proposition tombe en fait au meilleur moment pour parler à tout un chacun : frappés par la crise un premier coup, les Français et leurs voisins européens voient désormais arriver la rigueur comme une lame de fond, à laquelle s’ajoutent les torrents de dettes grecques et irlandaises… Dans un élan commun, des millions ont arpentés les rues, sacrifiant leur temps et leurs congés pour abattre la réforme des retraites. En vain.

Un peu à la manière des promesses vides concernant l’environnement, une « urgence » systématiquement remisée depuis plus de 10 ans, le besoin de communiquer sur la « résolution » de la crise à chaque nouveau sommet a fini par s’user : le G20 de Londres promettait de l’emploi, de la sécurité… Et voilà que l’augmentation du Smic sera limitée au minimum légal. Les seuls sauvés sont les établissements financiers.

Les clients répètent souvent ce genre d’accusation : « vous êtes dur avec moi mais vous prenez des risques inconsidérés sur les marchés » est une attaque courante des clients contre leur conseiller qui leur refuse un crédit, rapporte Jeanne Lazarus. En fait, la financiarisation de l’économie a eu des effets très importants sur la vie quotidienne des gens.

Désorientés, livrés seuls face à leur injustice, certains en viennent à écouter Éric Cantona pour savoir comment résoudre la crise par un moyen magique. Une solution qui, en plus d’être inefficace, délaisse le problème fondamental d’une dépendance aiguë au système financier qui tient à sa merci chaque épargnant de la naissance à la tombe, de son prêt étudiant à son emprunt immobilier.

Le lendemain de la sortie de la vidéo mourrait Maurice Allais, seul prix Nobel d’économie français : moins médiatisé que le footballeur, il avait eu le tort de critiquer un peu trop tôt les traders, les banques qui misaient avec de l’argent qui ne leur appartenait pas sur des marchés dont elles entretenaient l’instabilité. Republiée par Marianne, sa dernière analyse de l’effondrement du système bancaire clamait sans détour que crise et mondialisation étaient liées et soulignait que des « tabous indiscutés » depuis des années nous avaient tous menés dans ce même bateau avec les économies occidentales et les banques (même si ces dernières ont su en tirer de nouveaux bénéfices).

Avant que la prochaine crise ne nous prenne de cours, il est encore temps de délaisser les vidéos de Cantona pour lire les thèses bien vivantes de ceux qui se sont inquiétés avant lui et ont préconisés de vraies solutions.

Photo FlickR CC : William Grootonk ; Thinkpanama ; Alpha du Centaure.

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http://owni.fr/2010/12/02/bankrun-cantona-crise-quand-argent-devient-une-arme-anticapitaliste/feed/ 19
La révolution Cantona: une fausse solution pour un vrai problème http://owni.fr/2010/12/02/la-revolution-cantona-une-fausse-solution-pour-un-vrai-probleme/ http://owni.fr/2010/12/02/la-revolution-cantona-une-fausse-solution-pour-un-vrai-probleme/#comments Thu, 02 Dec 2010 17:10:16 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=37307 Cliquer ici pour voir la vidéo.

Des files d’attente de centaines de personnes devant les agences, le site de consultation des comptes en ligne inaccessible suite aux connexions répétées… En septembre 2007, la banque anglaise Northern Rock fut assailli par ses épargnants qui, pris de panique face à son effondrement sous les coups de la crise des subprimes, ont couru retirer leurs économies, de peur que la crise ne les avale: premier « bank run » depuis la crise argentine de 2001, ce mouvement de panique a dépouillé les comptes de Northern Rock d’un milliard de livres sterling en deux jours. Une performance historique que l’ex-attaquant de Manchester Eric Cantona voudrait reproduire le 7 décembre pour punir les banques fauteuses de crise. Et qui, malgré un buzz conséquent, n’effleurera même pas la plaque du siège de la BNP.

Tout commence le 8 octobre 2010, dans un canapé anonyme où, affalé, Eric Cantona disserte face à la caméra de Presse Océan sur les mouvements de grève qui se succèdent dans le pays : selon le footballeur à la retraite, les millions de Français qui sortent dans la rue font fausse route, voire retournent l’idée contre eux-mêmes.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

La révolution serait « très simple à faire » : le système tournant autour des banques, « il peut être détruit par les banques » et, pour ce faire, les manifestants n’auraient qu’à « retirer leur argent et les banques s’écroulent ». Un syllogisme assez séduisant pour convaincre 30 000 personnes de rejoindre le groupe Facebook proposant de retirer tout son encours et fermer ses comptes épargnes le 7 décembre :

  • les banques tirent leur pouvoir de l’argent ;
  • les clients détiennent l’argent ;
  • les clients détiennent le pouvoir sur les banques.

Un raisonnement presque aussi simple et limpide qu’il est faux.

Une (impossible) pichenette de moins de 0,3% dans l’édifice bancaire français

Pour commencer, personne ne pourra « clôturer » tous ses comptes le 7 décembre pour des raisons légales : la loi recommande pour commencer d’adresser une lettre en recommandé à la banque pour réaliser l’opération, dont la réception ouvre un délai de préavis de un à trois mois… Et ceci pour chaque compte. Quant aux limites de retraits, elles ne permettraient guère les fuites : pas évident de retirer des dizaines de milliers d’euros avec sa Mastercard à coup de 300€ par semaine. Même au guichet, la limite est fixée pour la BNP à 2 000€ (pouvant être levée à 3 000€). Au delà (et jusqu’à 8 000€), l’avis préalable du guichetier est indispensable.

Beaucoup d’agitation pour pratiquement rien: car, quand bien même les 30 000 personnes retiraient en un même mois tout leur encours (à moins de disposer de sommes considérables sur leurs comptes), les quelques dizaines ou centaines de millions n’affecteraient pas le moins du monde les banques visées, d’autant plus qu’elles s’étaleraient sur plusieurs établissements.

« Une telle initiative ne poserait problème que si les banques étaient limite en réserve, or c’est exactement l’inverse en ce moment, insiste Alexandre Delaigue, professeur d’économie à Saint Cyr et à l’ENSAM, animateur du blog Les Econoclastes. Le crédit est restreint et les banques sont noyées sous les liquidités apportées par les banques centrales. Les banques n’auraient qu’à se contenter de retirer sur leur compte à la banque centrale pour compenser la demande de billet. » On est donc bien loin de l’agonie financière de Northern Rock.

Dans l’hypothèse (absurde, donc) d’un retrait individuel de 30 000€ par « bank runner », les 900 millions soustraits aux caisses seraient vite remplacés et ne pèseraient qu’une goutte d’eau dans les 269 milliards d’encours total des comptes et produits d’épargne des ménages (source : banque de France, septembre 2010), qui ne sont eux-même qu’une partie de l’argent des banques.

La seule conséquence réelle de ce « bank run » serait de mettre en grande difficulté de paiement chacun des « révolutionnaires » ayant eu l’idée de suivre Cantona : selon la Fédération des banques françaises, les virements constituent en valeur 83,2% des transactions en valeur opérées en France. Sans compte en banque, plus moyen de percevoir son salaire, de faire son virement EDF, de recevoir les prestations sociales… Dans les faits, l’idée de Cantona mise en œuvre par une poignée de révoltés se retournera bel et bien « contre eux-mêmes ». Encore faudrait-il que les candidats au syphonage ne soient pas trop endettés : difficile de dire à son conseiller Société générale de fermer les yeux sur un emprunt immobilier ou auto pour aller courir après “King Eric”…

Illusion des effluves de « l’argent magique »

Malgré l’évidence de cet échec, la « révolution à la Cantona » agite les médias comme les politiques : Christine Lagarde elle-même s’est sentie de prendre la parole contre le footballeur, bien vite contrecarrée par Cécile Duflot… Même Baudoin Prot, pourtant assuré par les milliards des divers plans de relance de la BNP, s’est fendu d’une critique. Car, en miroir de cet espoir de changer les choses, cette poussée de fièvre révèle surtout l’incapacité d’agir sur le système.

Les tours Société Générale à La Défense

« En dehors des critiques habituelles qui se sont amplifiées, une idée vient de plus en plus souvent à la bouche des clients quand ils sont en agence : que l’augmentation des tarifs en agence de détails servent à payer les bonus des traders, qu’on leur faire « payer », la crise »

Auteure d’une thèse sur la sociologie de la banque et de ses clients, Jeanne Lazarus (doctorante à l’EHESS) a observé l’évolution des rapports tendus dans les locaux même des banques et constate un changement dans la perception de l’économie : « les sociétés occidentales ont le sentiment d’avoir une connaissance de plus en plus aiguë des phénomènes économiques : à force d’entendre parler de la crise, tout le monde se prend pour le gouverneur de la Réserve fédérale américaine, un peu comme chacun s’imagine sélectionneur de l’équipe de France pendant le Mondial, explique la sociologue. L’idée de Cantona est une présentation rapide et simpliste des processus économiques mais chacun à envie d’avoir un avis. »

Dans son association entre un geste simple (retirer son argent) et la résolution d’une injustice pénible (le syphonage de l’économie au profit de banques fautives), la « révolution Cantona » a tout le charme de la « pensée magique » : traversons le passage clouté à cloche-pied sans tomber et tout ira mieux.

Une fois de l’autre côté de la rue, rien n’a changé. Pire : nous y avons cru et devons retourner à notre triste impuissance.

Une solution enfantine à la désillusion des plans proposés par les États

D’autres initiatives se sont proposées de retourner contre le système sa propre force. Parmi elle, l’idée ingénieuse de l’ancien trader de Lehman Brothers Mike Krieger : pour abattre la très puissante banque d’affaires JP Morgan, il propose que chaque Américain (bien qu’une centaine de millions suffise) débourse 25 ou 50$ pour acheter une petite pièce d’argent. Pourquoi ? Afin de faire exploser le prix du métal précieux, sur lequel JP Morgan spécule à la baisse depuis des mois, au point d’attirer l’attention des régulateurs financiers : détenteurs de quantités monstrueuses (1/3 du marché selon certaines estimations), les financiers seraient obligés de « garantir » le prix de leur ressource à coup de milliards… Une manœuvre à même de couler la banque d’un seul mouvement ! Une solution ingénieuse mais bien plus complexe à expliquer au grand public que le simpliste « bank run » de Cantona.

Le succès de la proposition tombe en fait au meilleur moment pour parler à tout un chacun : frappés par la crise un premier coup, les Français et leurs voisins européens voient désormais arriver la rigueur comme une lame de fond, à laquelle s’ajoutent les torrents de dettes grecques et irlandaises… Dans un élan commun, des millions ont arpentés les rues, sacrifiant leur temps et leurs congés pour abattre la réforme des retraites. En vain.

Un peu à la manière des promesses vides concernant l’environnement, une « urgence » systématiquement remisée depuis plus de 10 ans, le besoin de communiquer sur la « résolution » de la crise à chaque nouveau sommet a fini par s’user : le G20 de Londres promettait de l’emploi, de la sécurité… Et voilà que l’augmentation du Smic sera limitée au minimum légal. Les seuls sauvés sont les établissements financiers.

Les clients répètent souvent ce genre d’accusation : « vous êtes dur avec moi mais vous prenez des risques inconsidérés sur les marchés » est une attaque courante des clients contre leur conseiller qui leur refuse un crédit, rapporte Jeanne Lazarus. En fait, la financiarisation de l’économie a eu des effets très importants sur la vie quotidienne des gens.

Désorientés, livrés seuls face à leur injustice, certains en viennent à écouter Éric Cantona pour savoir comment résoudre la crise par un moyen magique. Une solution qui, en plus d’être inefficace, délaisse le problème fondamental d’une dépendance aiguë au système financier qui tient à sa merci chaque épargnant de la naissance à la tombe, de son prêt étudiant à son emprunt immobilier.

Le lendemain de la sortie de la vidéo mourrait Maurice Allais, seul prix Nobel d’économie français : moins médiatisé que le footballeur, il avait eu le tort de critiquer un peu trop tôt les traders, les banques qui misaient avec de l’argent qui ne leur appartenait pas sur des marchés dont elles entretenaient l’instabilité. Republiée par Marianne, sa dernière analyse de l’effondrement du système bancaire clamait sans détour que crise et mondialisation étaient liées et soulignait que des « tabous indiscutés » depuis des années nous avaient tous menés dans ce même bateau avec les économies occidentales et les banques (même si ces dernières ont su en tirer de nouveaux bénéfices).

Avant que la prochaine crise ne nous prenne de cours, il est encore temps de délaisser les vidéos de Cantona pour lire les thèses bien vivantes de ceux qui se sont inquiétés avant lui et ont préconisés de vraies solutions.

Photo FlickR CC : William Grootonk ; Thinkpanama ; Alpha du Centaure.

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