Traduction du chapô écrit en (pseudo) Ruby : « Si toi aussi tu as eu haut la main un bac L option grec ancien, si toi aussi tu as décortiqué Proust en licence (demi) finger in the nose, alors toi aussi mets-toi à la programmation. »
Voilà six mois, il me semblait encore que le code me serait à jamais inaccessible car j’étais une « littéraire » pure et dure. C’est en fait l’inverse : si vous êtes un bon littéraire, vous pouvez tout à fait vous lancer dans le bain.
Provocation non étayée ? Non, j’ai lu et digéré une bonne partie d’un livre sur le HTML et le CSS en trois week-ends et j’attaque SQL, et pour l’heure ça passe. Il n’est pas du tout nécessaire d’avoir un super cerveau combinant les qualités du littéraire et celles du scientifique. C’est ce que je m’imaginais de ces journalistes américains se mettant à des codes au nom barbare. Le site de Morgane Tual me faisait baver d’envie : c’est elle qui l’a fait et il est bô ! Et elle est plus jeune que moi ! Elle semble humaine ! Et que dire de Larry Wall qui a créé Perl pour ses propres besoins ?
En réalité, il y a juste une énorme méprise sur la définition du littéraire, réduit à des clichés erronés qui du coup réfrènent des ardeurs. Le littéraire, c’est un rêveur, un sensible, quelqu’un de pas très rigoureux ni rationnel. Je ne sais pas pourquoi j’emploie le masculin, le littéraire, c’est une fille forcément. Nan mais LOL. La logique et la rigueur ne sont pas un dans un seul camp, ce sont des qualités que l’on applique à des champs de compétence différents.
Et comme tout ceci est un peu théorique, passons à des exemples qui vous déverrouilleront ce préjugé. Un bon littéraire, c’est quoi en fait ?
C’est une personne qui est capable d’écrire en quatre heures une analyse décortiquant un texte ou traitant une question de philosophie. Traduction : c’est une personne qui a des capacités de raisonnement abstrait poussées.
C’est une personne qui est capable de faire une version grecque ou allemande. Traduction : c’est une personne qui maitrise un langage (grammaire, syntaxe, conjugaison) d’une telle complexité qu’elle dégoûte les élèves avant même qu’ils s’y lancent. Pour ceux qui n’ont pas fait de grec ancien, sachez qu’une erreur de cas et le nom qui occupait la fonction COD occupe la fonction COI. Donc, le sens de la phrase est changé. Et il en va de même pour les verbes.
C’est une personne qui a planché sur la rhétorique, appliquée entre autres à l’argumentation. L’argumentation, vous savez, cet enchaînement implacable qui vous permettra de convaincre votre interlocuteur ou au contraire de démonter la fallacité de sa pensée (exercice chaudement recommandé sur l’invité politique de la matinale). D’ailleurs, c’est ce que je suis en train de faire, là, pour la faire brève, c’est un syllogisme : pour pouvoir coder, il faut être rigoureux. Or le littéraire est en fait rigoureux. Donc le littéraire peut coder. CQFD :)
C’est une personne qui est capable de décortiquer la structure d’une phrase de Proust. Allez pour le plaisir, voici le décorticage d’une phrase extraite de Combray. Vu que j’ai oublié mes leçons, c’est mon prof de lettres classiques de papa qui l’a fait. Je lui dédie d’ailleurs ce billet, lui qui <span id=”privatejoke”>lit Homère à livre ouveeeeeert en VO</span>, va donc recevoir le PHP pour les n00bs lors de la prochaine fête des pères et le dévorer.
« Que (tournure latine “quod” si, élégance rhétorique) // s (si sous sa forme élidée, conjonction de condition, introduit une subordonnée de condition) ‘il s’assoupit dans une position encore plus déplacée et divergente, par exemple après dîner (compléments circonstanciel de temps) assis (participe passé apposé au sujet “il”) dans un fauteuil (complément de lieu), alors le bouleversement sera complet dans les mondes désorbités (proposition principale 1), le fauteuil magique le fera voyager à toute vitesse dans le temps (proposition principale 2 juxtaposée) et (coordination) dans l’espace, et au moment d’ouvrir les paupières (complément de temps), il se croira couché quelques mois plus tôt dans une autre contrée. (proposition principale 3) »
Et que se passe-t-il dans le crâne d’un gamin à qui l’on demande de retrouver tous les phrases exclamatives ? Ben une requête SQL, bien sûr :
SELECT phrase FROM texte WHERE ponctuation finale = ‘!’
Et quand on me demande s’il faut accorder le participe passé dans cette phrase : « les fichiers que la Cnil a critiqué(?) » ? Je vérifie qu’elle valide bien le mini-script suivant :
Si COD avant verbe alors accord du participe passé.
Bon dans la réalité, c’est souvent un peu plus compliqué, car le sens des phrases voire le contexte sont souvent primordiaux pour analyser mais il y a bien un côté mécanique.
Le but de ma démonstration, c’est de décomplexer les littéraires en mettant en avant leur rigueur qui n’a rien à envier à celle des scientifiques. Scientifiques qui au passage, ne crachent pas sur l’intuition pour progresser dans leurs recherches. Comme le codeur, il doit bâtir des architectures complexes pour développer son raisonnement ; comme le codeur, il doit maîtriser un langage et, excusez-moi mais la syntaxe et le vocabulaire de Ruby, c’est d’une pauvreté comparé à l’allemand :p.
Ce qui me manquait jusqu’à présent, c’était la motivation pour effectuer ce nouvel apprentissage. J’ai aimé apprendre le subjonctif 2 à la voix passive en allemand, jongler avec les déclinaison et gober des kilos de vocabulaire parce qu’il y avait la satisfaction d’échanger avec une personne étrangère dans une langue correcte.
J’espère avoir la joie de pouvoir, dans les mois qui viennent, développer, une application sur les accidents nucléaires en France, accompagné par nos amis codeurs. Cela voudra dire que je suis allée au bout de SQL mais aussi de Ruby ou PHP.
Chiche ? Bah, ça ne coûte rien d’essayer, le temps est pourri le week-end en ce moment :) Je ferai un carnet de bord de cette expédition d’une littéraire au pays du code. N’hésitez pas à partager votre expérience en commentaire sur le sujet !
NB : oui oui, html et css, c’est pas du code au sens pur du terme, mais on n’avait que ce livre sous la main.
NB 2 : je pars avantagée dans la course : j’ai un geek à 1 mètre de moi qui au moindre piaillement d’incompréhension, me refait les explications. cc @Bourdieu
]]>La dernière publicité de RTL entend convaincre que la radio produit une information au plus proche des Français car elle connait sa Mme Michu sur le bout des doigts. Le résultat : des clichés sur un arrière-fond de campagne présidentielle, qui inquiètera l’auditeur attentif sur sa capacité à traiter l’information avec un minimum d’objectivité. Voici la vidéo en question :
Cliquer ici pour voir la vidéo.
Voici l’analyse d’RTL :
En France, on veut que ça change. Alors on élit un président qui fait des réformes. Mais en France on n’aime pas les réformes. Alors on fait la grève.
On suggère à RTL de lire cet article d’Alternatives économiques [payant] qui fait le point sur le mythe du Français râleur et conservateur. “Si l’on juge la transformation sociale au nombre de lois promulguées par législature, mais également en fonction des comportements et des attitudes des acteurs eux-mêmes, la société française n’apparait [...] nullement conservatrice.”
Marché du travail, école, fiscalité, territoire, protection sociale, construction européenne, les exemples sont égrainés. Ainsi concernant le marché du travail, le magazine rappelle : “Il est réputé corseté par des contraintes juridiques qui étranglent la compétitivité des entreprises et favorisent le chômage. En réalité, outre que d’autres pays ont un droit du travail très contraignant sans connaître des taux de chômage aussi élevés (notamment les pays scandinaves), les choses ont pas mal changé dans ce domaine, et le plus souvent dans un sens d’un recul pour les salariés. Les possibilités de mettre fin à un contrat de travail n’ont cessé d’être étendues, de l’abrogation de l’autorisation administrative de licenciement en 1986 à l’instauration de la rupture conventionnelle. Et si d’autres tentatives en la matière ont échoué (comme le contrat nouvelle embauche), c’est parce qu’elles étaient contraires aux conventions internationales.”
RTL a sans doute aussi oublié la loi Defferre de 1982 : :
La France centralisée et jacobine est un autre lieu commun des lamentations sur l’immobilisme français. Et pourtant, la décentralisation est passée par là (loi Defferre de 1982), redistribuant des compétences à tous les niveau. En dépit des apparences, un président de la République concentre aujourd’hui moins de pouvoir entre ses mains que ses prédécesseurs des années 1970.
Et pour rester sur les années Mitterrand, et avec un peu de mauvais esprit, on prend au pied de la lettre RTL: combien de Français sont descendus dans la rue dans les premiers mois du septennat pour protester contre l’augmentation du SMIC de 10 %, des allocations familiales et logement de 25 %, la mise en place de la semaine de 39 heures (durée légale du travail), la 5e semaine de congés payés ?
Si les Français ont effectivement tendance à faire plus la grève que les autres Européens, les conflits sont de plus en plus liés à des licenciements, dans un contexte de durcissement des conditions de travail :
« De manière générale, les conflits liés aux licenciements sont de plus en plus nombreux et occupent pratiquement et symboliquement une place centrale dans les luttes sociales. Ils sont aussi très souvent de plus en plus durs : la violence des salariés répondant bien souvent à la brutalité des employeurs »
« Les classes passent en sureffectif », apprend-t-on aussi. C’est un peu plus compliqué que cela. Si le taux d’encadrement en France est le plus faible parmi les pays de l’OCDE, cela ne date pas d’hier : « passent » est donc incorrect. Et si le gouvernement annonce des chiffres glorieux, c’est au prix de galipettes comptables.
Là où le clip est habile, c’est en laissant planer le doute sur son sérieux : premier degré ? Second degré ? Les tons se mélangent pendant trente secondes. Il n’empêche qu’il entretient bien des représentations. Des représentations que RTL et d’autres médias – le service public français n’est pas tout blanc -, entretiennent à chaque fois qu’ils font un micro-trottoir “sur les usagers du métro pris en otages par les grévistes un jour de grève”.
Image Flickr Pedro Vezini
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