OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 “L’auteur aurait intérêt à être piraté” http://owni.fr/2012/05/21/thomas-cadene-auteur-aurait-interet-a-etre-pirate/ http://owni.fr/2012/05/21/thomas-cadene-auteur-aurait-interet-a-etre-pirate/#comments Mon, 21 May 2012 16:21:12 +0000 Guillaume Ledit http://owni.fr/?p=108880 Les autres gens. Du modèle économique de l'édition en ligne en passant par les droits d'auteur, le statut de la création en France ou Twitter et Hadopi, entretien à bâtons rompus. ]]>

Les autres gens ©Aseyn

Thomas Cadène est l’auteur d’une bande-dessinée dont le modèle a pu surprendre. Les autres gens, c’est une “bédénovela”, une sorte de soap opera dessiné, une série portée par des personnages attachants et un scénario bien ficelé. Jusque-là, rien d’exceptionnel. Sauf que cette bédé est née de, sur, et par Internet. Et qu’elle réunit une centaine d’auteurs. Depuis le 1er mars 2010, Thomas Cadène, qui porte le projet, en publie un épisode quotidiennement. Si la série s’arrête au mois de juin sur Internet, l’éditeur Dupuis continuera à en assurer la publication papier.

Rencontre avec cet acharné de travail, qui, quand il fait ses pauses, s’engage dans de grands débats sur Twitter.

“C’est Internet qui a fait de moi un auteur professionnel.”

Comment tout ça a commencé ?

C’est Internet qui a fait de moi un auteur professionnel. Il y a près de 10 ans, j’ai fait mon premier feuilleton numérique. C’était une chose un peu folle et absurde, écrite, que je diffusais par mail. Suite à une période un peu chaotique, à l’issue de mes études, j’ai décidé d’envisager l’hypothèse que ce que j’aimais tellement faire (le dessin, raconter des histoires) puisse faire office de projet professionnel. Je n’avais aucune porte d’entrée dans ces milieux.

Les autres gens ©Florent Grouazel

Quand on n’a rien, aujourd’hui, on a toujours un peu… Internet.

Bref, je suis autodidacte donc je suis arrivé un peu sur la pointe des pieds et j’ai naturellement commencé sur un forum, le Café Salé, probablement autour de 2005. Là j’ai découvert la richesse et les potentialités du communautaire, le contact varié avec des amateurs, des professionnels. L’aspect très concret de la rencontre virtuelle. J’ai des amis très importants pour moi qui sont issus de cette époque et mes deux premières BD je les ai signées grâce au forum.

En somme, le contexte numérique m’est très familier mais je ne suis pas du tout un geek. Ni culturellement, ni techniquement. Simplement ça fait partie de ma vie, je travaille sur Google docs, je discute avec mes dessinateurs sur Facebook ou Gmail, je fais mes pauses sur Twitter et j’y prends pas mal de contacts et rendez-vous pro. Pour le dessin, j’utilise une palette même si, depuis un moment, je me focalise davantage sur un travail d’écriture.

Comment tu as fait pour monter le modèle économique des Autres gens ?

Au départ c’est une SARL avec de l’investissement personnel, familial et amical. Moins de 25 000 € en tout pour lancer la machine. Le modèle économique choisi est très simple, ce sont les abonnements. Quand Dupuis est arrivé pour acheter les droits c’était bienvenu, mais il faut savoir que la moitié des droits reviennent aux auteurs. Aujourd’hui Les autres gens, c’est un animal qui fonctionne sur deux pattes : une patte numérique et une patte papier.

Mais, contrairement à ce qu’on a pu lire ici ou là, cet aspect là n’est pas du tout la démonstration de l’invalidité du modèle économique strictement numérique. Loin de là. La limite de ce projet, c’est moi. C’est ça qui a empêché de rester strictement numérique. Moi, parce que j’ai été trop seul à porter tout le bordel : je suis à l’écriture, à l’organisation du planning, à l’administratif, et aussi à la communication, à la gestion des galères des abonnés etc. Il y a quand même une centaine d’auteurs qui sont concernés et 1200 abonnés en moyenne. La limite des Autres gens, c’est pas le concept, il est bon, merci, la limite des Autres gens, c’est moi. Quand t’es partout, t’es souvent nulle part, tu passes à coté de plein d’opportunités, tu fatigues, tu perds du temps à apprendre, tu fais parfois pas très bien ce qu’avec du temps aurait pu être fait mieux, etc.

Les autres gens ©Sacha Goerg

Prenons un exemple : mettre Les autres gens en application sur iPhone. Au début, on a pensé les cases pour, jusqu’à ce que j’apprenne qu’Apple ne voulait pas voir le moindre bout de peau : or, il y a du cul tout le temps. Ils sont affreux là-dessus. Même la simple nudité, c’était impossible. Je crois qu’ils sont en train de changer un peu mais bon, à l’époque c’était inenvisageable. Voilà comment on se retrouve avec un débouché qui saute. Mais ceci dit, je n’allais pas renoncer au coté cru, frontal des Autres gens pour faire plaisir aux puritains, donc c’est un peu différent.

Tu n’es t’es pas intéressé aux mécanismes de crowdfunding ?

On est plus proche de Mediapart ou d’Arrêt sur Images. J’ai eu des contacts avec Ulule mais je ne sais pas trop quoi leur proposer. En revanche, mon pote Wandrille y a proposé “Coups d’un soir”, et ça a très bien marché. C’est bien, je suis curieux de ce système, je le trouve très intéressant, très prometteur en ce qu’il permet de préfinancer. Mais sur Les autres gens j’étais parti sur le système des abonnements. Ceci dit il est clair qu’au niveau des seuls abonnés, comme je le laissais entendre avant, on était un peu insuffisant financièrement.

Et tu continues Les autres gens ?

J’arrête la production en juin, je suis fatigué. Tous les jours un nouvel épisode, c’est tous les jours une nouvelle galère à gérer. Mais j’en vis (ou presque) depuis deux ans, j’ai distribué des droits, je suis content du chemin qu’on a parcouru, des rencontres extraordinaires que j’ai pu faire grâce à ça. Ça n’aura pas été inutile.

Et puis on est pas mort. On n’arrête pas l’exploitation, on a toujours des idées, des envies…
Maintenant il faut que les autres révolutionne le truc. Il y a les projets d’auteurs en BD numérique qui arrivent : La revue dessinée, Le professeur Cyclope, j’ai hâte de voir ce qu’ils vont proposer. Quels modèles, quelles options narratives. Et puis il faut que les éditeurs s’empare du sujet. Il est temps.

Leur problème (du moins pour une partie) c’est qu’ils ne savent pas trop comment monétiser le web parce que c’est un écosystème qui ne leur est pas familier. Ils maîtrisent le papier et sa chaîne de distribution, pas encore Internet. À de rares exceptions près comme Didier Borg (qui est chez Casterman et qui a lancé Delitoon) ou Yannick Lejeune chez Delcourt qui connait très bien le sujet.

Et aucun éditeur en France ne se lance dans un projet numérique un peu solide ?

Delcourt, avec Yannick l’a fait avec le projet de Marc Antoine Mathieu, qui s’appelle 3 secondes. C’est le même récit que le récit proposé en album mais avec une forme narrative différente, une sorte d’alternative intelligente. Pour un auteur assez conceptuel et “joueur”, ça fonctionnait bien. Mais c’était présenté comme un bonus, ils n’ont pas pris le risque de l’entrée dans l’économie du numérique avec cette expérience.

Tu penses quoi des mécanismes de financement de la création numérique dans ton secteur ?

J’ai fait Les autres gens, donc j’ai plongé de manière plus concrète dans les aberrations de financement de la création. Le projet a été monté sans subventions. Le Centre national du livre (CNL) n’a pas pu l’aider et dans le même temps, les éditeurs recevaient des sommes importantes de ce même CNL pour numériser les livres. C’est souvent aux gros éditeurs que les subventions au numérique bénéficient ou aux projets prestigieux.

Alors qu’Internet et la BD, c’est une histoire d’amour, non ?

Mais évidemment ! Les auteurs se sont rapidement emparés d’Internet et des formats numériques sans aucune difficulté. Partout dans le monde. Et aujourd’hui, dans les grosses stars d’Internet, il y en a une partie qui est issue du monde de la BD. Boulet par exemple, ou Pénélope. Ce sont des gens qui sont devenus des stars sur Internet, qui ont un rapport très naturel à ça, très complice avec leur public, intelligent dans leur approche à la fois humaine et graphique du medium. Et il ne se passe toujours rien concrètement du côté des éditeurs. On n’est pas dans un pays qui favorise particulièrement des innovations de type marchand hors des structures existantes. Du coup les gens inventent leur blog ou leur format mais ça ne fait pas manger : l’objectif reste toujours de se faire éditer.

“La gratuité, l’échange, ça fait aussi partie d’Internet.”

Pour dépasser ça, personne ne pense à monétiser l’audience de son site ?

Certains qu’Internet a propulsé considèrent que mettre de la pub ou monétiser leur site c’est ne pas respecter son lecteur. C’est quelque chose que je comprends tout à fait. Il faut dire qu’avec leur audience, leurs publications papiers cartonnent ! C’est un modèle économique et créatif valide et pertinent. Ce n’est pas parce qu’ils sont sur le net qu’ils ont une sorte d’obligation d’en vivre. La gratuité, l’échange, ça fait aussi partie d’Internet et c’est d’ailleurs un de ses aspects les plus intéressant.

Le problème pour les éditeurs, c’est qu’un jour ces auteurs, parce qu’ils ont le talent, l’expérience et le lectorat, finiront par ne plus avoir besoin d’éditeurs. Quand tout le monde sera équipé en tablette, les auteurs-stars pourront négocier de conserver leurs droits numériques et tout vendre sous forme d’applications ou d’ebook ou que sais-je.

Quand tu as un site consulté par 50 000 ou 100 000 personnes par jour, tu n’as plus besoin d’intermédiaires. Le problème c’est qu’ils sont trop importants pour être significatifs pour toute la profession. C’est comme de dire que JK Rowling a révolutionné l’édition numérique, ou Radiohead le marketing sur Internet. Ce sont des gens qui ont une audience telle qu’ils peuvent se passer d’intermédiaires mais dont les succès (ou même les échecs) sont aussi atypiques qu’eux. Ils sont des systèmes autonomes.

“J’étais très opposé à loi Création et Internet.”

Au-delà des aspects techniques, tu t’intéresses aussi aux rapports entre numérique et politique, particulièrement en ce qui concerne les droits d’auteur, et la situation de la création.

Avant même de lancer Les autres gens et de faire du numérique d’un point de vue professionnel, j’étais très opposé à loi Création et Internet, qui a créé la Hadopi. Pour cette raison, en tant qu’auteur, les positions favorables du Syndicat national des auteurs et des compositeurs (Snac) me posaient vraiment un problème.

Heureusement la branche BD y était opposée. Ils ont sauvé l’honneur. Sur la question de la défense syndicale de l’auteur, de l’accompagnement dans le litige, ou dans la jungle des contrats, le SNAC -et particulièrement le SNAC BD- est très utile et fait réellement un boulot de dingue. Je suis nettement plus circonspect sur leurs prises de position plus générales faites au nom des auteurs.

Concrètement les créateurs n’ont pas vraiment d’instances représentatives qui me paraissent très pertinentes. C’est le problème des activités économiquement bancales comme la littérature, la chanson ou la BD. Ceux qui en vivent se défendent (et ils ont bien raison) ceux qui n’en vivent pas ne savent pas trop et ceux qui sont entre les deux sont un peu perdus et fort peu audibles.

On l’a vu avec la question de la numérisation des œuvres indisponibles, qui s’apparente à une privation de chances, d’opportunité pour les auteurs. Là encore les pouvoirs publics ont trouvé des soutiens qui m’ont un peu surpris. Pour moi cette loi est une aberration (en plus d’être un peu stupide, ce qui la rapproche du cas Hadopi) mais savoir que ceux qui prétendent porter la voix des auteurs la défendent, ça me fout un peu hors de moi.

Les autres gens ©Loic Sécheresse

En réalité, la plupart des auteurs sont tout seuls. La plupart ne touchent rien, ils ne vivent pas de leurs droits, ne sont pas syndiqués, ne pigent rien parce que tout est fait pour être imbitable. D’ailleurs si on voulait aider la création, faudrait déjà commencer par réformer un peu l’aspect administratif et l’aspect gestion de sécu de celle-ci… Si on y ajoute les scandales de type Sacem, l’auteur qui n’a pas envie de pleurer, il est rare.

“L’auteur aurait tout intérêt à être piraté.”

Ce que je veux dire c’est que ceux qui prétendent parler pour nous (et qui parfois le font très bien, qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit) n’ont pas du tout le même point de vue que nous, par nature. Nous ne sommes pas les mêmes. Un dirigeant de société de gestion de droit, lui, il veut des droits à gérer. L’écrivain, le dessinateur ou le parolier qui rapporte 30 € ou 150 € de droits par an ça l’intéresse parce que ça fait parti d’un tout. Alors il explique qu’il faut Hadopi pour défendre cet auteur. Mais putain, l’auteur, qu’est ce qu’il s’en fout du piratage ! 50 € ou 200 € ! Il aurait tout intérêt à être piraté, à rencontrer son public, à diffuser son œuvre. Hadopi dans ce cas là ne défend pas l’auteur mais défend la masse d’argent à gérer, le pouvoir.

Que ce soit clair, je ne suis pas un fanatique du piratage (même s’il ne me fait pas peur). Je suis simplement contre la réponse Hadopi à cette situation là. Quand je lis des abrutis défendre le piratage avec des arguments pathétiques de mauvaises fois en mode enfants gâtés, j’ai des envies de baffes mais il y aussi des débats passionnants sur la circulation des œuvres, sur le partage, sur la découverte. Ces débats, je n’aime pas qu’on les réduise à une caricature du “le pirate est un criminel”. C’est parfois un con, c’est souvent un passionné, c’est la plupart du temps ni trop l’un, ni trop l’autre. Alors ça implique un regard un peu plus précis sur une situation un peu plus complexe. Et la réponse Hadopi est à cette aune là d’une bêtise qui confine à l’exploit.

Qu’est ce qui te gênait principalement dans cette loi ?

Dans une première vie j’ai eu une maîtrise en droit. Pour moi, Hadopi piétinait des principes fondamentaux. Déjà, à mes yeux ça suffisait à l’invalider. Ensuite son idée inavouée et son problème majeur c’était tout de même qu’on opposait soudain la création à son public. C’est une bêtise.

Ce rapport au public m’est apparu comme très révélateur. On a peur du public, on ne s’adresse plus à lui, on le craint. On a besoin de lui mais on le tance. Il y a quelque chose qui cloche là dedans. Ce n’est pas Internet qui a rendu les métiers de la création incertains et difficile. Toutes les études le démontrent. Par ailleurs Internet, grâce à un nouveau rapport au public aurait même plutôt tendance à émanciper le créateur. Où sont ces débats là ?

Et enfin, il y a le problème, la question, la grande question du droit d’auteur. La dérive des droits d’auteur vers l’idée de rente. Par exemple, je ne comprends pas pourquoi mes petits-enfants devraient bénéficier de mes droits d’auteur pendant 50 ou 70 ans après ma mort. Alors que tout le monde sait bien que cette disposition ne permet pas d’éviter des trahisons de l’œuvre mais qu’elle permet juste de les privatiser.

Les autres gens ©Didier Garguilo

La réalité, c’est qu’il s’agit de défendre les intérêts de l’éditeur et des héritiers, pas ceux de l’œuvre. Les premiers bénéficiaires de la soi-disant protection des auteurs, ce sont les éditeurs (et les sociétés de gestion de droits). Ce n’est ni la création, ni la défense de l’auteur. Une fois mort, l’auteur, il s’en fout pas mal.

Alors certes j’aurais du mal à y renoncer parce que j’ai envie de transmettre les fruits de ce que je fais. Mais j’ai conscience que ça n’a rien d’une évidence et que les motifs qui sous-tendent ça ne sont que patrimoniaux, ils ne sont pas moraux, artistiques ou que sais-je. Ce que je veux dire c’est que ce sont des questions qu’il va bien falloir finir par se poser.

“Je ne suis pas contre le droit d’auteur.”

Qu’on comprenne bien : je ne suis pas contre le droit d’auteur. Sûrement pas. Sans lui je ne mange plus. C’est un système habile, intelligent. Mais très vieux et parfois complètement à coté de la plaque.

Je vois pas pourquoi on ne pourrait pas dépouiller, trucider, piller mon œuvre après ma mort. Enfin si quelqu’un a envie, pour peu que mon œuvre existe encore un peu.

Le pillage, la relecture, tout ça nourrit l’art. Toute l’histoire de l’art est fondée là- dessus.

Non seulement tu as créé les autres gens sur Internet, mais en plus tu y es assez actif et semble t’intéresser à de nombreux sujets. Quel est ton rapport au numérique ?

Techniquement, je n’y comprends rien. J’utilise les outils mais je suis terrifié à l’idée d’apprendre. Enfin, terrifié, disons que je n’ai pas une curiosité terrible vis à vis de tout cet aspect là et que je culpabilise parce que le nouveau discours c’est “il faut apprendre à coder, c’est le nouveau langage, par lui viendra notre libération” tout ça, tout ça. Donc Il va probablement falloir que je me décide à me familiariser avec ça, mais pour l’instant je reste pragmatique : je demande aux gens compétents et on se répartit les tâches.

En revanche, tout ce qu’il y a autour m’intéresse, forcément. Parce que j’y suis né (en tant qu’auteur, dans le numérique), parce que j’y ai crée mon projet le plus fou et parce qu’à cette occasion j’ai découvert les galères, les peurs, les frilosités et les implications, bien au delà de mon seul domaine.

Qu’est-ce qui t’a fait passer du droit à la bande-dessinée ?

Je gardais en tête, pendant mes études, la phrase : “le droit mène à tout à condition d’en sortir”, non pas parce que je n’aimais pas ça, j’adorais, mais parce que je ne voyais pas ce que j’allais bien pouvoir y faire, professionnellement. Mais j’ai gardé le goût de la précision et de l’argumentation… Sur Twitter ça me conduit à de nombreux tweet-clashs plus ou moins ridicules.

C’est utile Twitter ?

Je suis un convaincu, c’est incroyablement utile. Ça permet d’ouvrir un peu ses perspectives et de rencontrer des gens intéressants. Ça ne marche pas à chaque fois, mais c’est tout de même plus facile. Il y a des gens qui m’ignorent ouvertement. Et il y a ceux avec qui je me sens OK pour aller vers le tweetclash ou le dialogue.

Les autres gens ©Florent Grouazel

Et puis j’essaie de m’impliquer dans les débats qui me concerne. Sur le numérique par exemple. J’ai ramé mais j’ai fini par être repéré par Fleur Pellerin ou Laure de La Raudière par exemple pendant la campagne et d’avoir des échanges intéressants sur ces sujets. En parlant de la campagne, j’ai été un peu atterré tant j’ai trouvé sur les questions de la création numérique le candidat socialiste trop prudent et le candidat UMP caricatural et bloqué.


Illustrations de la BD Les autres gens, via Thomas Cadène. Tous droits réservés.

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L’Ina et Youtube rangent les fusils http://owni.fr/2012/03/29/lina-et-youtube-rangent-les-fusils/ http://owni.fr/2012/03/29/lina-et-youtube-rangent-les-fusils/#comments Thu, 29 Mar 2012 15:47:42 +0000 Dorothée Descamps http://owni.fr/?p=103775

Cliquez sur l'image pour voir la vidéo : la télévision oeil de demain

Ce 26 mars, l’Ina et Youtube ont annoncé la mise en place d’un partenariat : 57 000 vidéos provenant du fonds d’archives de l’Institut national de l’audiovisuel vont ainsi pouvoir être directement disponibles sur la plateforme aux 4 milliards de vues par jour.

À en croire leur communiqué commun, place donc à l’ouverture et au partage des contenus. Mais ce partenariat marque surtout la fin des litiges qui opposaient l’Ina à la filiale de Google.

Tout débute en 2006. L’Ina signale à Youtube la présence de vidéos appartenant à son catalogue d’archives, sur la plateforme d’hébergement. Ces mises en ligne “non autorisées” poussent l’Ina à assigner le groupe américain en justice pour contrefaçon. Celle-ci a été reconnue lors d’un jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de Créteil en décembre 2010.

Après maints développements de procédure, en guise d’alternative à un procès en appel, l’Ina et Youtube se rapprochent pour sortir du contentieux, comme l’explique Jean-François Debarnot, directeur juridique de l’Institut national de l’audiovisuel :

Les discussions ont mené à la fois à un protocole d’accord qui met fin au litige entre les deux parties en appliquant la condamnation qui a eu lieu en première instance – à savoir que Youtube verse 150 000 euros de dommages et intérêts – et à ce partenariat dit “d’avenir” sur la diffusion des archives de l’Ina sur le site de l’hébergeur américain.

Cliquez sur l'image pour voir la vidéo : Algérie, l'indépendance

Un bon compromis pour l’Ina qui compte sur la notoriété de ce site d’hébergement pour augmenter sa visibilité et toucher un public différent, notamment les jeunes en ciblant l’aspect communautaire, en terme de partage de vidéos. Et pourquoi pas générer des profits conséquents, grâce aux conditions financières couvrant le partenariat :

Le partenariat tient compte d’un pourcentage reversé à l’Ina sur les recettes publicitaires ainsi qu’un minimum garanti alloué, suffisamment intéressant pour que nous ayons accepté ce contrat. Nous recevrons ainsi le pourcentage sur les recettes publicitaires que si le trafic généré est assez important.

Bien qu’il ne s’agisse pas d’un contrat d’exclusivité puisque l’Ina est également partenaire avec Dailymotion et WatTV, Youtube y voit une occasion d’enrichir son offre culturelle, même si l’intégralité des vidéos dont il disposera est déjà disponible gratuitement sur le site ina.fr.


Ce genre d’alliance est typiquement ce que nous recherchons, assure une porte-parole de Youtube. Les vidéos seront accessibles sur des chaînes thématiques et pourront être mise en valeur selon une période de l’année, une date commémorative par exemple. Pour autant, nous ne mettrons en avant ces vidéos en avant par rapport à d’autres, ce n’est pas ainsi que fonctionne le site.


A travers cette démarche, le géant américain veut montrer qu’il s’engage un peu plus dans le respect des droits d’auteur et de diffusion, démarche enclenchée par ces récents accords avec quatre sociétés françaises de gestion des droits d’auteur, notamment la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) et la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD). Les auteurs ainsi concernés seront rémunérés pour la diffusion de leurs œuvres sur YouTube.

Cliquez sur l'image pour voir la vidéo "Relaxation dans le travail - Pauses en musique dans la journée" via Ina.fr

Pour protéger les contenus mis à disposition, les vidéos disposeront d’une empreinte numérique (ou watermarking), Content ID, système gratuit mis en place par la société Google.

Content ID permet la reconnaissance de vidéos qui auraient été récupérées par des utilisateurs tiers. Informée, l’Ina pourra alors décider de soit bloquer la vidéo, soit en tirer de l’argent, soit la laisser telle quelle et même récupérer les données statistiques qu’elle génère.

Une décision qui a de quoi surprendre, quand on sait que l’Ina possède son propre système de détection de copies audiovisuelles appelé Signature. Une technologie de filtrage utilisée pourtant par les autres hébergeurs partenaires de la banque d’archive française ainsi que Canal+, TF1 et même Europa Corp. L’Ina souhaitait pourtant imposer à Youtube sa solution anti-piratage dès décembre 2008, en voulant faire reconnaître devant la justice que le système de Google n’était pas assez efficace. Pour l’heure, Youtube et l’Ina semble avoir trouvé un terrain d’entente, selon Jean-François Debarnot :


On ne pouvait imposer Signature à Google qui posséde déjà sa propre technologie. Mais ce partenariat impose de réfléchir en vue d’optimiser le système de protection à mettre en place.


Technologie hybride en passe de voir le jour ou simple accord commercial, ce partenariat semble en tout cas marquer la fin des hostilités.


Captures d’écran via Ina.fr – Cliquez sur les captures pour accéder aux vidéos

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La portée du plagiat du jeu Zynga http://owni.fr/2012/02/01/le-plagiat-de-zynga/ http://owni.fr/2012/02/01/le-plagiat-de-zynga/#comments Wed, 01 Feb 2012 16:26:25 +0000 Lionel Maurel (Calimaq) http://owni.fr/?p=96842

L’un des points les plus discutables de l’accord ACTA, dont la signature par l’Union européenne a soulevé une vague de protestations, réside dans un durcissement et une automatisation des sanctions attachées aux actes de contrefaçon en ligne, combinés à une définition extrêmement floue des contours de cette infraction.

On nous l’a répété à l’envi : cette orientation répressive serait justifiée par la nécessité de protéger les industries culturelles du fléau que constitue la contrefaçon. Pourtant il est intéressant de constater que même dans des secteurs hautement concurrentiels, comme celui du jeu vidéo, les réponses qu’apportent ces mêmes industriels aux problèmes de plagiat peuvent être infiniment plus nuancées et disons-le : intelligentes !

C’est ce que l’on a pu constater cette semaine à l’occasion d’une polémique qui a opposé le géant du jeu social Zynga, développeur notamment du fameux Farmville, à plusieurs studios indépendants.

Le studio Nimblebit a en effet publié une infographie sarcastique pour montrer les très fortes similarités entre Dream Heights, le dernier jeu lancé par Zynga et une de ses créations, Tiny Tower, qui a reçu le prix Apple du jeu pour iPhone en 2011.

Tout l’intérêt de la démarche de Nimblebit, c’est que plutôt que de se lancer dans un procès coûteux et hasardeux en contrefaçon contre le géant Zynga, le studio a choisi tout simplement de lui dire… merci !

Mais avec un humour qui fait mouche et en prenant bien soin de mettre en avant que leur société ne compte que 3 personnes, comparés aux 2789 employés de Zynga :

Cher Zynga,

Nous avons remarqué que vous avez lancé un nouveau jeu pour iPhone intitulé Dream Heights. Félicitations !

Merci à tous vos employés d’être de si grands fans de notre Tiny Tower, le jeu de l’année sur Iphone !

Bonne chance pour votre jeu et nous espérons pouvoir continuer à vous inspirer pour vos jeux futurs !

Bien à vous (nous trois)

Comme le souligne le site Techdirt, la réaction de Nimblebit est particulièrement intelligente, car elle ridiculise Zynga, en révélant au grand jour le plagiat auquel ils se sont livrés, tout en leur permettant d’affirmer leur propre image et d’attirer l’attention sur leur jeu (la preuve, on en parle jusque sur OWNI !).

Il faut savoir en effet que Zynga, bien que souvent accusé de “pomper” ses idées ailleurs (cela vaut même pour Farmville, leur grand succès), s’est illustré par une attitude particulièrement agressive en justice, en attaquant tout ce qui pouvait ressembler de près ou de loin à ses jeux, afin d’éradiquer la concurrence. Zynga a même franchement dérapé dans le Copyright Madness, lorsque la firme a essayé de faire enregistrer comme marque le mot “Ville” pour empêcher des concurrents potentiels de s’en servir comme titre pour leurs jeux !

Au lieu de risquer son image dans des procédures en justice, Nimblebit a préféré jouer la carte de la réprobation sociale que le plagiat suscite toujours, montrant par là qu’il existe d’autres formes de régulation possibles de ce problème.  Cette attitude rejoint les réflexions sur le plagiat de l’activiste américaine Nina Paley qui considère que le droit d’auteur est inutile pour lutter contre le plagiat, voire même que d’une certaine manière, il peut le favoriser :

Quand les gens copient des chansons ou des films, ils ne changent pas le nom de l’auteur. Le plagiat est différent de la copie : c’est un mensonge. Si le droit d’auteur a quelque chose à voir avec le plagiat, c’est en cela qu’il le favorise, en le rendant plus facile (parce que les oeuvres protégées ne sont pas rendues publiques et qu’il est plus facile pour cela de mentir en dissimulant les sources). Le droit d’auteur incite même au plagiat (parce que copier une oeuvre en citant le nom de l’auteur est tout aussi illégal que de la copier sans le faire ; le fait de citer l’auteur peut même être utilisé à charge contre le copieur, car cela prouve qu’il savait que l’oeuvre était protégée).

Notons que la démarche de Nimblebit n’a pas manqué d’être elle-même… copiée, puisqu’une autre société de jeu vidéo, Buffalo Studios, a publié dans la foulée une autre infographie pour montrer que Zynga avait manifestement beaucoup aimé également son jeu Bingo Blitz, furieusement ressemblant à Zenga Bingo !

La réaction de Nimblebit n’est en fait pas isolée dans le monde du jeu vidéo, qui a une conception plus nuancée que l’on ne pense de la contrefaçon et des moyens de lutter contre elle. Pour preuve, on peut prendre les propos qui viennent d’être tenus par le dirigeant d’un autre géant du jeu vidéo, Mikael Hed, le PDG de Rovio, lors du Midem à Cannes. Le jeu phare de la firme, Angry Birds, fait l’objet de multiples clones, comme Angry Farm ou Angry Animals, qui ne cherchent même pas à dissimuler leurs sources d’inspiration. Mais le PDG de Rovio a déclaré que “le piratage n’est pas une mauvaise chose ; il peut même s’avérer bénéfique pour nos affaires”.  Rovio s’est en effet fixé comme ligne de conduite de n’attaquer que les clones de mauvaise qualité de ses créations, qui pourraient nuire à son image de marque. Critiquant les pratiques de l’industrie de la musique, Mikeal Hed a indiqué qu’il ne souhaitait par entrer en conflit avec les fans de ses jeux, qui constituent pour lui le socle de sa réussite commerciale.

Mais le plus fascinant est encore à venir dans cette histoire.

Les petits malins de Nimblebit ont en effet fini par se faire prendre à leur propre jeu. Un internaute a en effet réalisé une troisième infographie dans laquelle il montre que leur jeu Tiny Tower s’inspire très largement lui aussi de réalisations antérieures. L’accusation de plagiat est en effet dangereusement récursive et celui qui la brandit s’expose bien souvent à un effet boomerang. S’il en est ainsi, c’est parce que l’originalité de la création est toujours relative. Tout particulièrement dans le jeu vidéo, les sources d’inspiration sont multiples et les jeux s’inscrivent souvent dans des “lignées” de prédécesseurs qui forment les grandes archétypes de cet art.

A cet égard, le juriste américain Jonathan Band a écrit un billet remarquable sur son blog Plagiarism Today, dans lequel il fait l’histoire du plagiat dans le domaine du jeu vidéo et où il monte que la contrefaçon a un sens particulier dans cette branche des industries culturelles :

Les lois sur le Copyright indiquent clairement que les idées mises en forme sont protégeables, et cela inclut beaucoup d’éléments dont les jeux vidéos sont constitués. C’est pourquoi nous verrons certainement de plus en plus d’affaires de plagiat dans ce secteur finir par des poursuites en justice, non pas à cause des normes éthiques fluctuantes qui définissent le plagiat dans ce secteur, mais à cause des règles du copyright qui s’appliquent à lui.

Cependant, il existe une zone grise qui sépare ce que la loi interdit explicitement et ce que l’éthique professionnelle considère comme abusif et c’est dans cet espace que des clones et des remakes de jeux pourront continuer à être produits. C’est à ce sujet qu’il faut qu’une discussion s’engage pour que cette industrie fixe ses propres règles, afin d’éviter qu’une trop grande prolifération de pâles imitations ne finisse par menacer le marché [...]

Cette “zone grise” dont parle Jonathan Band, qui sépare le droit de l’éthique et qui joue un rôle essentiel pour la respiration de la création, c’est précisément ce qu’un traité comme l’ACTA va détruire s’il est ratifié par le Parlement européen. L’exemple du jeu vidéo montre que les industries culturelles elles-mêmes ont besoin d’une certaine souplesse pour aborder les questions de plagiat et de contrefaçon.Elles ont autant que les citoyens à perdre d’une rigidification à l’extrême du système.

Le plagiat, en un sens, fait partie des règles du jeu de la création…


Illustration principale de la chronique du copyright par Marion Boucharlat pour Owni
Illustrations par Fotofones/Flickr (CC-byncsa)

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http://owni.fr/2012/02/01/le-plagiat-de-zynga/feed/ 15
Un droit au prêt pour financer la création http://owni.fr/2011/09/13/un-droit-au-pret-plutot-quun-droit-dauteur-pour-financer-la-creation/ http://owni.fr/2011/09/13/un-droit-au-pret-plutot-quun-droit-dauteur-pour-financer-la-creation/#comments Tue, 13 Sep 2011 07:05:14 +0000 Jérémie Nestel (Libre Accès) http://owni.fr/?p=79148 Association militante pour la création indépendante et la culture libre, Libre Accès organise ce mardi 13 septembre une conférence à la Médiathèque musicale de Paris autour d’Hadopi et de la licence globale. Pour poser les termes de ce débat, Libre Accès s’est entretenu avec le hacker militant français Laurent Chemla.

Le 13 septembre 2011, Libre Accès organise une conférence autour d’Hadopi et de la licence globale à la Médiathèque Musicale de Paris. La médiathèque de Paris met en prêt 36 000 Cd, 12 000 partitions et méthodes, 5 000 livres, 2 500 dvd pour une adhésion de 30 euros par an.

Sur ces prêts, les sociétés d’auteurs n’ont jamais demandé à percevoir de droits. Il y a des médiathèques dans nombre de communes de France. Elles ont notamment pour mission de promouvoir la diversité musicale. Elles sont persuadées que les prêts d’œuvres ne nuisent ni à l’industrie musicale ni aux auteurs.

La thèse défendue par les médiathèques semble très proche des opposants à la loi Hadopi : plus un public découvre des œuvres, plus il va contribuer à leur rayonnement en les faisant découvrir à d’autres.

Le projet des bibliothèques publiques est directement issu des valeurs portées par la Révolution Française à laquelle tant de partis politiques se réfèrent. En ce sens, on aurait pu s’attendre à ce que les projets de Wikipedia et de Wikimedia soient publiquement soutenus, étant un développement logique des valeurs portées par le siècle des Lumières.

Pourquoi la Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des droits sur l’Internet ne favoriserait elle pas une offre de prêt légal des œuvres sur Internet portées par différentes médiathèques ?

Laurent Chemla
Il serait sans doute utile, tant pour les médiathèques que pour la bonne tenue en général de ce débat, de se replonger dans l’histoire de la transposition en France de la directive européenne sur le droit de prêt.

Entre des bibliothécaires attachés à la tradition du prêt gratuit et les sociétés d’auteurs (et les auteurs eux mêmes) qui défendaient la logique du paiement à l’acte, l’état a fini par adopter… une sorte de License GLobale (code de la propriété intellectuelle articles L. 133-1 et suivants. Lire en particulier).

Les auteurs sont rémunérés au travers d’une SACD (SOFIA)((branche de la Sacd)) à égalité avec leurs éditeurs, de sommes forfaitaires payées pour partie par les bibliothèques et pour partie par l’état lui-même. En contrepartie ils ont perdu le droit d’autoriser ou d’interdire le prêt de leurs œuvres.

Les parallèles avec la situation actuelles, sont nombreux, et frappants :

  1. de nombreux auteurs se sont élevés contre le principe même du prêt gratuit et ont menacé les bibliothèques d’interdire le prêts de leurs œuvres, tandis que d’autres soutenaient les bibliothécaires qui défendaient la gratuité d’accès à la lecture.
  2. la situation préalable à l’adoption de la nouvelle loi n’était qu’une tradition peu ou mal réglementée, dans lequel le prêt était gratuit, et où les auteurs ne touchaient rien.
  3. il a fallu pour que les lignes bougent qu’un rapport (trop) favorable aux auteurs soit publié et déclenche enfin un débat trop longtemps repoussé.

Mais le rapport de force n’était pas le même que dans cas de la musique et du cinéma. Il y a en France une grande tradition du prêt de livre, et un très vaste réseau de bibliothèques, soutenu bien sûr tant par leurs adhérents que par les municipalités qui les accueillent. Face au lobbying des auteurs et des éditeurs, ils n’étaient pas aussi démunis que peuvent l’être aujourd’hui les partisans du partage gratuit, qui ne disposent ni d’établissements reconnus ni de relais politiques. Et les médiathèques sont hélas moins nombreuses et moins fréquentées que les bibliothèques.

Il n’en reste pas moins que le compromis issu de ce débat là pourrait facilement être adapté à d’autres œuvres que la seule littérature, et que l’antécédent créé par le droit de prêt pourrait être un argument des plus utiles pour les opposants de l’HADOPI.

Cependant il ne faut pas se leurrer : dans une économie dématérialisée et avec l’avènement du livre numérique, même le droit de prêt, pourtant très récent, ne pourra pas longtemps échapper à la vaste remise à plat du droit d’auteur qu’imposent les nouvelles technologies.

Beaucoup de médiathèques réfléchissent à cette offre de prêt sur Internet, Indirectement la licence globale ne serait elle pas mise en place alors par l’HADOPI ?

HADOPI est chargée de la protection des droits d’auteurs (et des voisins) et de la promotion des offres légales. Cette mission ne se limite pas aux offres payantes, ni à aucun mode de distribution quel qu’il soit.

Rien s’oppose donc à ce que l’HADOPI soutienne une offre de la part des Médiathèques. Mais les questions qui risquent de se poser, là comme ailleurs, sont la gestion des copies faites par l’usager de l’oeuvre ainsi obtenue, les modes de rémunération des ayant-droits, et la concurrence d’une offre “pirate” plus diversifiée (et souvent de meilleure qualité) et peu ou pas soumise à la chronologie des médias pour ce qui est de l’audiovisuel.

Du coup en dehors d’une frange « légaliste » de la population qui verrait là une façon d’éviter les foudres de la haute autorité, on voit mal à quel public une telle offre pourrait s’adresser : même si elles agissent dans un cadre non-marchand, les médiathèques relèvent de la même logique de distribution physique des œuvres que les autres. Logique qui est entièrement remise en cause par la numérisation et la dématérialisation des échanges.

Ce n’est pas d’un nouveau mode de distribution dont on a aujourd’hui besoin.

Ces nouveaux modes, ce sont les pirates qui les ont créés et à ce jour aucune technologie n’est mieux adaptée à la distribution des œuvres que les P2P.

Là où les médiathèques, là où les bibliothèques peuvent et doivent apporter leur savoir-faire, c’est dans le classement, le conseil, l’archivage des œuvres. Je paierais volontiers pour une médiathèque en ligne capable de me proposer une collection de liens bittorrent mais qui seraient vérifiés, classés par genre, proposant conseil et suivi.

Pas besoin pour ça qu’elles en assurent la distribution.

Si l’on parle de la licence associée au droit de prêt dont je parlais plus haut, alors oui idéalement elle devrait s’appliquer aux œuvres librement consultables via les médiathèques. Mais je rappelle que cette licence là est financée par l’état et les collectivités, pas par les intermédiaires.

Jérémie Nestel : N’est-il pas paradoxal d’appeler « catalogue légal » ce qui n’est justement pas permis d’échanger… N’aurait-il pas mieux valu garantir un internet non marchand où tout le contenu serait librement partageable?

ll faut sans cesse rappeler que, depuis l’invention du droit d’auteur, ce qui est vendu au public ce n’est pas l’œuvre – le contenu – mais son seul support physique (le livre, le disque, le DVD). Ce dont il est ici question c’est donc de la survie d’une industrie non pas du contenu mais du contenant.

Le contenu, lui, n’était pas commercialisé et à toujours fait l’objet d’échanges non-marchands. On peut faire écouter un disque à qui on veut dans un cadre non-marchand : personne ne viendra jamais vous le reprocher.

On peut raconter l’histoire d’un livre à ses amis sans rien demander à personne, et quand j’invite mes proches à regarder un film sur mon home-cinema, je n’ai pas l’habitude d’acheter des droits de projection.

Et même dans un cadre marchand, le partage des contenus est presque entièrement hors du contrôle des majors, des studios et des éditeurs : les droits de diffusion au public sont perçus par les sociétés d’auteurs, qui reversent les sommes perçues aux auteurs, pas aux industriels de la copie physique des contenus.

Dès lors que l’on dématérialise le contenu, dès lors que sa diffusion n’est plus ni centralisée (grâce au P2P ) ni physiquement restreinte par le besoin de multiplier et de diffuser des objets physiques, il n’y a plus rien qui justifie la rémunération de ces intermédiaires entre l’auteur et son public : ils ne jouent plus aucun rôle (et si l’auteur lui-même a des contrats qui le lient à des producteurs, eh bien c’est à lui d’assumer le paiement de ce qu’il leur doit, pas au public – qui ne leur doit rien).

La seule chose que le terme « catalogue légal » pourrait recouvrir serait donc la liste des œuvres légalement diffusables en France (liste par exemple limitée par la chronologie des médias, ou par des décisions judiciaires). Mais rien d’autre.

On est en face d’un faux débat. Ce qui est en jeu c’est la rémunération des auteurs, mais ce dont on débat c’est de la sauvegarde d’une industrie de la copie physique. C’était logique quand cette industrie était utile, on pouvait se servir du nombre de copies vendues pour déterminer la rémunération de l’artiste, et il était cohérent de payer le copiste pour qu’il reverse ensuite à l’auteur ce qui lui était dû.

Quand le copiste disparaît, que son job ne sert plus à rien, il faut trouver d’autres moyens de payer l’auteur, pas chercher à sauvegarder un modèle qui n’a plus lieu d’être. Et c’est faisable : on est passé d’une économie de la rareté (la place limitée dans les bacs des disquaires donnait mécaniquement de la valeur à la copie diffusée) à une économie de l’illimité, mais aucun acteur n’a réellement pris en charge ce nouveau modèle (Itunes et consors se contentant de mimer dans l’immatériel les modèles de l’économie de la rareté en centralisant la distribution de copie s quasi-physiques). Pourtant il y a plus que jamais besoin de médiateurs, pour trier, conseiller, évaluer, critiquer une offre devenue sans limite.

Il y a là toute une économie à construire (et les médiathèques y ont tout leur rôle). Et si l’on crée de la valeur ajoutée, alors on dispose d’un nouveau moyen de rémunérer les auteurs via ces intermédiaires à valeur ajoutée d’un nouveau genre.

La seule chose qu’on ne pourra pas changer, sauf à vouloir fermer Internet, c’est le partage gratuit des contenus. La distribution des oeuvres est devenue non-marchande, c’est un fait inéluctable. Ceux qui ont a coeur de défendre les libertés publiques ne peuvent pas faire autrement que de garantir l’existence d’un Internet libre, et donc le libre partage. Reste aux auteurs et à leur public d’établir un nouveau contrat social pour assurer la rémunération des uns et l’accès à la culture des autres.

Peux-tu revenir sur la notion « de droit de prêt » ?


Laurent Chemla
: Elle repose sur une directive européenne (Directive n°92/100 du 19 novembre 1992) qui n’a été que très partiellement traduite dans le droit français, qui ne l’applique qu’au prêt du livre. Mais le texte européen est bien plus généraliste et traite aussi bien de la musique et du cinéma.

Cette directive affirme le droit pour les auteurs et les producteurs d’autoriser ou d’interdire le prêt de leurs œuvres. Mais il pose, en son article 5, que les états peuvent déroger à ce droit à la seule condition que les auteurs reçoivent une rémunération.

Dans le cas du livre, la loi française a imposé aux auteurs, dès lors qu’ils ont fait le choix de publier leurs œuvres, l’interdiction de s’opposer au droit de prêt en bibliothèques. Et elle prévoit en contrepartie une somme forfaitaire, payée par l’état.

Non seulement la même chose pourrait (et devrait, puisqu’une directive européenne s’impose aux législations nationales) s’appliquer aussi bien aux œuvres sonores et audiovisuelles, mais en plus la condition préalable de la rémunération est déjà réalisée dans le cadre de la taxe pour la copie privée numérique.

Le seul choix qui devrait rester aux auteurs, dans le cadre de cette directive et dès lors qu’ils ont rendu leurs œuvres publiques, serait de refuser toute rémunération provenant de cette taxe s’ils souhaitent interdire le partage de leurs œuvres.

A la limite, l’HADOPI pourrait servir à garder à jour la liste des auteurs qui refusent toute rémunération garantie par l’état. Ceux là conserveraient le droit d’interdire la diffusion de leurs œuvres au public. Je gage qu’ils seraient peu nombreux.

La SACEM quant à elle souhaite taxer les fournisseur d’accès à Internet… Pourquoi se focalise t-elle seulement sur la question de la rémunération alors que bon nombre d’auteurs n’arrivent plus à être correctement diffusés ?

Laurent Chemla Mais c’est là tout son rôle. La SACEM n’a pas pour objectif de mieux faire diffuser la musique, mais seulement de percevoir les droits de reproduction ou de diffusion en lieu et place des auteurs quelle représente.

D’ailleurs dans le cadre d’un droit de prêt universel – ou dans n’importe quel autre cadre pensé pour résoudre la question de la rémunération des auteurs dans un monde numérique tel que la License globale, le don défiscalisé ou autre – elle aurait tout son rôle à jouer pour éviter la multiplication des intermédiaires.

Si les auteurs veulent mieux diffuser, ou mieux se faire connaître, c’est à eux de s’organiser pour ça, la SACEM n’est pas là pour ça.

Si je veux en tant que blogueur mieux diffuser ma pensée ou être d’avantage connu, je n’attends pas de ma banque qu’elle s’en charge.

La taxe sur les FAI si elle voit le jour, entraînerait-elle la fin de tous les fournisseurs d’accès associatifs ?

Laurent Chemla
Le principe d’une telle taxe, récemment défendue au prix de quelques mensonges par Jean-Michel Jarre, me rappelle cette autre taxe un temps imaginé et nommée « taxe Google ». Il consiste à « prendre l’argent là où il est ». Au seul prétexte qu’une industrie meurt pendant qu’une autre agonise, ce serait à la première de voler au secours de la seconde ?

S’il s’agit de rémunérer les auteurs, pourquoi pas taxer les FAI, mais à quel titre, et pourquoi ne pas taxer aussi les transporteurs routiers qui participent à la diffusion des disques en les livrant aux distributeurs tant qu’on y est ? C’est ridicule, et d’autant plus qu’en parallèle on répète chaque jour l’importance d’Internet, et la volonté de réduire la fracture numérique, et la création d’un tarif d’accès social.

Si l’objectif est que chaque citoyen dispose d’un accès à Internet, alors une taxe sur cet accès deviendrait évidemment un impôt équitablement réparti, mais au dépends d’un accès dont tous les politiques affirment (enfin) l’importance démocratique. On est à la limite de l’oxymore, mais admettons : je suis d’accord pour que la création soit financée par l’impôt, mais à la condition qu’elle sorte alors totalement du milieu commercial et que son accès soit universel et non-marchand.

On ne peut pas demander le beurre et l’argent du beurre

A contrario quelle devrait être la politique d’une « nouvelle économie » sur Internet

Je n’y connais rien en économie, moi. En ce qui concerne Internet en général, je ne suis pas certain que l’état doive y jouer un rôle, quel qu’il soit, en dehors d’établir des règles de protection de la vie privée et du consommateur plus en adéquation avec l’économie en ligne.

Mais en dehors de ça, je ne sais pas : normalement le rôle régulateur de l’état intervient en opposition à des dérives dues à une économie qui est, elle, presque totalement dérégulée. Mais sur Internet, le simple citoyen n’a jamais été aussi démuni face à ces dérives que dans le monde dé l’économie physique. Il peut s’y exprimer aussi bien, sinon mieux, que les commerçants. Il peut y trouver de l’aide, dénoncer les dérives qu’il constate, et – pour les plus techniciens – créer des contre-mesures face à ces dérives (en développant par exemple une concurrence non-marchande). Et il en est de même face aux dérives de ces mêmes états.

Il suffit de constater qu’à chaque fois que l’état a voulu se mêler du monde numérique, il n’a fait qu’accumuler erreur sur erreur. A trop vouloir garantir les revenus de quelques industries dotées de lobbyistes efficaces (le spectacle et le jeux en sont les meilleurs exemples), il est en train de tenter d’élever des châteaux de sable pour éviter la marée. Et moins ça marche, plus il ajoute du béton sans voir à quel point tout ce qu’il fait est néfaste : après des lois inefficaces, il a commencé à voter des lois plus répressives à l’encontre de ceux qui partagent de la musique sans rien y gagner qu’à l’égard de très nombreux délits dont la gravité est pourtant sans rapport. Et quand ça n’a pas fonctionné, il a commencé à vouloir revenir sur le principe de neutralité du réseau et à soutenir l’industrie du DPI, au point d’être carrément cité comme exemple par la Chine. C’est délirant.

Et pendant ce temps ce sont de simples citoyens, sans la moindre intervention de l’état, qui ont créé des outils permettant d’éviter les traçages, de se protéger de l’invasion publicitaire, et qui cherchent à répondre aux questions de fond soulevées par l’avènement du réseau global…

On a déjà échangé sur la licence globale lors de notre dernière entretien, entre temps, Ludovic Penet du Laboratoire des Idées du Parti Socialiste a été interviewé sur Numérama à propos de la Licence Global et de la Neutralité du Net. L’as-tu ? Et qu’en- as tu pensé ?

Laurent Chemla
Oui j’ai lu, et avant ça on a un peu échangé via twitter. Ludovic est quelqu’un de lucide et de compétent, et ça change agréablement des discours préformâtes des professionnels qu’on entend habituellement.

Quant aux propositions qu’il avance, elles restent pour le moment, sinon nébuleuses, du moins assez diplomatiques pour ne pas risquer de se fâcher avec les candidats en lice. En tous cas c’est l’impression que j’ai eue (mais je me trompe forcément). Les problèmes sont bien identifiés, mais les réponses sont encore vagues. Pourtant je pense que nous nous rejoignons sur pas mal de points.

En fait le seul reproche que je pourrais faire à ce stade c’est que parmi les propositions avancées aucune ne remet en cause la notion même de droit d’auteur, ni même le nécessaire rééquilibrage de ce droit au profit de la société qui doit absolument avoir lieu après des décennies de dérive en faveur des ayant-droits. C’est dommage, parce qu’on risque de rater là une occasion historique de remettre à plat un débat de société complexe et passionnant, mais c’est hélas assez logique tant les esprits ont été durablement formatés par le discours des majors.

Au moins les propositions du « lab » vont-elles dans le bon sens. C’est déjà pas si mal.

Je regrette dans cette approche du Lab socialiste de ne pas remettre en cause la durée du droit d’auteur qui génère une économie de rente et freine la diversité des productions musicales actuelles.

Laurent Chemla
Sur la durée du droit d’auteur, je ne saurais trop conseiller encore et toujours aux politiciens de se souvenir de leurs cours d’histoire et en particulier du combat mené par Jean Zay avant la dernière guerre.

C’est dire si ce débat est n’a rien de nouveau, et il est intéressant de noter que déjà à l’époque il avait dû faire face – sans s’y plier – au lobbying des éditeurs. Il est bien dommage pour notre pays qu’il ait été ué par la milice en juin 44.

Dans sa proposition de loi, Jean Zay proposait non seulement de faire disparaître la fausse notion de « propriété »
intellectuelle (un terme utilisé après la révolution pour éviter le trop connoté pour l’époque « privilège »), mais encore de garantir les auteurs contre la cession de leurs droits inaliénables pour autre chose qu’une durée limitée, mais aussi et surtout – à l’instar d’Alfred de Vigny en 1811 déjà que la durée des droits après la mort de l’auteur soit limitée à 10 ans. On en est très loin aujourd’hui, hélas.

N’est pas non plus Jean Zay qui veut.

Jérémie Nestel
Laurent merci, j’espère que notre entretien favorisera mardi prochain un débat riche et fraternel. Je pense que les questions de neutralité de l’internet, du partage des œuvres et de la rémunération des artistes et des producteurs auront des conséquences sur notre société. Je suis persuadé que c’est avec humanisme qu’elles seront en conséquence traitées. Nous serons dans la maison de Jean Macè (fondateur des bibliothèques) à la Médiathèque des Halles, une belle maison pour inventer une troisième voie.

Jean Macé au 21ème siècle serait-il attaqué par la SACEM et SCPP pour Mise à disposition d’œuvres en libre téléchargement ?(((http://www.a-brest.net/article4551.html)))

Interview publié à l’origine sur le blog de Libre Accès sous le titre Hadopi & Licence Globale : et si on réduisait la durée du Droit d’Auteur ?

FlickR Paternité damj002 ; PaternitéPas d'utilisation commerciale Marc Wathieu ; PaternitéPas d'utilisation commerciale Ex-InTransit ; PaternitéPartage selon les Conditions Initiales pfly.

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http://owni.fr/2011/09/13/un-droit-au-pret-plutot-quun-droit-dauteur-pour-financer-la-creation/feed/ 6
La licence globale, une “mauvaise solution pour un faux problème” http://owni.fr/2011/08/04/la-licence-globale-une-mauvaise-solution-pour-un-faux-probleme/ http://owni.fr/2011/08/04/la-licence-globale-une-mauvaise-solution-pour-un-faux-probleme/#comments Thu, 04 Aug 2011 06:33:52 +0000 Jérémie Nestel (Libre Accès) http://owni.fr/?p=75270 La licence globale est le serpent de mer de la propriété intellectuelle: régulièrement, elle se repointe au devant des débats geeko-politiques. Dernière sortie en date à l’occasion de la présentation du programme numérique du Parti Socialiste, porté par Christian Paul (voir notre comparatif avec les intentions de l’UMP), dans laquelle la licence globale est présentée sous la forme d’une “contribution individuelle au financement de la création”.

Afin de faire le point, le site Libre Accès a invité Laurent Chemla, pionnier du réseau en France, à s’exprimer sur la question.


“Pour que cette taxe soit juste, il faudrait qu’elle finance tous les contenus produits sur Internet, sans aucune distinction”

Jérémie Nestel : Il y a bientôt deux ans, lors des débats sur la loi Hadopi, tu avais fait savoir ton opposition à l’instauration d’une licence globale, est-ce toujours ta position ? Et pourquoi ?

Laurent Chemla : Je ne suis pas opposé à une licence globale : je suis opposé à une taxe qui ne financerait que les contenus produits par les industries du loisir au détriment de tous les autres types de contenus. La logique qui sous-tend le discours des majors (et des politiciens qui les soutiennent) est toujours la même : on dirait que, pour eux, la seule et unique chose que le public vient chercher sur Internet ce sont les « œuvres » qu’elles produisent. C’est bien sûr totalement faux, mais à les entendre ils ne semblent pas pouvoir imaginer une seule seconde qu’en dehors de leurs productions il y a tout un monde de contenus ; comme si rien n’avait changé avec Internet et qu’on se trouvait encore au siècle dernier quand les seuls contenus qui passaient dans les mass-media étaient les leurs ; mais avec Internet tout ça a changé.

Le public est devenu tout autant producteur que consommateur, et la production des industriels ne constitue qu’un tout petit bout de ce que le public consulte sur le web. Et pourtant ceux qui parlent de licence globale n’envisagent que de financer ce petit bout là, comme si tout le reste n’avait aucune importance.

C’est parfaitement ridicule. Ça reviendrait à créer un impôt qui financerait la culture “professionnelle” (pourtant produite par des sociétés privées) au détriment de toute la culture produite, elle, par le reste de la population. Je ne suis pas assez calé en droit pour dire si une telle taxe serait légale ou pas, ou si elle pourrait passer les fourches caudines d’une Commission Européenne qui défend farouchement la concurrence “libre et non faussée”, mais je suis assez citoyen pour affirmer que ce serait parfaitement injuste. Et si taxe il y a, un très grand nombre d’artistes ne dépendant pas des majors devront réclamer leur part à juste raison. Et quid des blogs ? Quid des journaux en ligne ? Quid des logiciels libres ?

Ces produits-là ne sont-ils pas tout autant, sinon plus importants que la seule production d’une poignée de multinationales dont le modèle économique est en train de rendre l’âme ? Pourtant il y va de l’avenir d’une bien plus grande proportion de la population que celle des seuls artistes labellisés. Mais voilà, si on voulait faire de cette taxe un impôt juste, alors il faudrait qu’elle finance tous les contenus produits sur Internet, sans aucune distinction. Autant dire que toute personne accédant à Internet, et donc payant la “licence globale”, serait aussi en tant que producteur un “ayant-droit” au produit de cette taxe. Autant se payer soi-même : cela éviterait les frais de recouvrement.

“Envisager d’autres moyens de financements de la culture est une gageure”

Pourtant, une grande partie des acteurs qui s’étaient opposés à Hadopi, soutiennent la « licence globale ». En ce sens, ne soutiennent-ils pas implicitement les seuls contenus produits par les « industriels », au détriment des artistes sous licence libre, du public producteur et des amateurs d’art ? Comment l’expliques-tu ?

J’y vois un peu de paresse intellectuelle, d’une part, et une grande lassitude de la part de gens qui ont mené un long combat et voient dans cette (mauvaise) solution une porte de sortie rapide à une guerre qui n’a que trop duré. Envisager d’autres moyens de financements de la culture est difficile quand on a baigné toute sa vie dans un système de production soutenu par la logique du droit d’auteur et des droits voisins. Envisager en plus de faire partager ces nouveaux moyens par des gens (majors et politiques) qui n’arrivent déjà même pas à imaginer qu’il puisse exister d’autres contenus que ceux financés par les anciens modèles est une gageure devant laquelle beaucoup de monde recule (moi le premier : je ne fais que m’opposer à une mauvaise solution mais sans avoir le courage d’en envisager sérieusement d’autres).

Une solution telle que le mécénat global, par exemple, a nécessité pour être formalisée et diffusée un travail gigantesque de la part de Francis Muguet, et il a fallu un livre entier à Philippe Aigrain pour expliquer et détailler les principes de la contribution créative.

On peut comprendre que les auteurs de telles avancées, comme la contribution créative, aient fait des compromis avec la licence globale qui va au moins dans la bonne direction même si elle est viciée – plutôt que de se battre encore et passer pour de dangereux extrémistes face à des gens qui ont prouvé leur incapacité à comprendre les enjeux des lois qu’ils votent.

Philippe Aigrain le reconnaît lui-même quand il “accepte le principe d’une introduction d’abord pour certains médias comme la musique” même s’il recommande à terme un dispositif couvrant l’ensemble des médias. Mais ce n’est pas une raison pour ne pas dénoncer le danger d’un système qui tend d’abord à soutenir une industrie incapable de se remettre en question face à l’une des plus grandes avancées de la culture et de la liberté d’expression dans l’histoire.

Il faut ajouter à cela qu’un des nombreux effets pervers de l’Hadopi a été d’habituer les internautes à payer des services de téléchargement tels que Megaupload et consorts qui ont vu leur chiffre d’affaire exploser en France grâce au législateur. Payer un service de ce genre pour contourner la loi ou payer son fournisseur d’accès pour que la loi soit abrogée ne fait dès lors guère de différence, les montants en jeu étant proches. Mais on oublie qu’une mauvaise solution à un faux problème ne risque pas de résoudre grand-chose…

Je dis “faux problème” parce que, dans ce débat, on se base encore beaucoup trop souvent sur des données fournies par les mêmes industriels qui ont demandé et obtenu la taxe sur les supports physiques, puis Dadvsi, puis Hadopi et qui comptent bien sur la licence globale pour continuer à faire du gras sur le dos des artistes, le jour inéluctable où cette dernière aura disparu.

Qui parle encore des études qui prouvent que les « pirates » sont de plus grands consommateurs de culture que le reste de la population ? Qui a encore en mémoire les statistiques qui montrent une progression du chiffre d’affaire du cinéma ou du DVD, même à l’époque où le P2P était encore légal ? Qui s’intéresse au fait que de nombreux artistes créent leurs œuvres sans aucune garantie de financement et que seule une toute petite minorité peut réellement en vivre malgré ces taxes et ces lois qui ne financent majoritairement que quatre multinationales et une (grosse) poignée d’intermédiaires de redistribution ?

Le financement de l’art est une question globale, inhérente à toute société. Elle est pervertie aujourd’hui par la logique des ayant-droits et celle des intermédiaires techniques et financiers. C’est cette logique qui mène tout droit à la licence globale. Et c’est de cette logique-là qu’il faut enfin se défaire pour commencer à réfléchir vraiment à des solutions qui soient justes pour tout le monde, pas seulement pour quelques privilégiés.

“Tant que le public aura l’impression d’être obligé de payer pour des artistes qu’il n’apprécie pas, il n’aura aucune envie de payer pour ceux qu’il écoute”

A contrario de la licence globale, des artistes se sont engagés dans la libre diffusion de leurs œuvres… Certains ont essayé d’inventer de nouveaux modèles économiques avec leurs publics, aucun ne s’est avéré concluant, qu’en penses-tu ? Si la licence globale n’est pas la solution, quelles sont les pistes permettant d’innover dans la « marchandisation des produits culturels numériques » ? N’est-ce pas l’absence d’alternative qui conforte la majorité des artistes à soutenir à regret les majors qui les exploitent ?

Une chose est sûre : tant que le public aura l’impression d’être obligé de payer pour des artistes qu’il n’apprécie pas (que ce soit via une taxe sur les supports physiques, une loi liberticide ou des services tiers pour se protéger de cette loi), il n’aura aucune envie de payer pour ceux qu’il écoute. C’est dommage, mais c’est humain, et la bourse des clients n’est pas extensible à l’infini.

Il est donc difficile de juger aujourd’hui de l’efficacité des modèles de demain, du moins tant qu’une vaste réflexion à grande échelle n’aura pas eu lieu. C’est d’ailleurs bien ce qui est le plus dangereux dans les campagnes de publicité que mène actuellement l’Hadopi, qui ne fait que repousser encore une réflexion qui n’a que trop tardé en essayant de montrer que seuls les anciens modèles pourront permettre à de nouveaux auteurs d’exister dans le futur. On a rarement vu campagne plus réactionnaire.

Mais dans d’autres domaines on a pu constater dans la réalité qu’une autre économie pouvait parfaitement exister et permettre à des créateurs de vivre de leurs œuvres. Je pense bien sûr d’abord aux logiciels libres, parce que j’en ai fait moi-même l’expérience à l’époque où ni moi ni mes associés n’avions de clients et que nous devions nous faire connaître. Nous avons fabriqué des logiciels libres, librement diffusés et copiés, ce qui nous a amené une reconnaissance plus grande et nos premiers clients. D’autres que nous ont suivi d’autres chemins, certains en vendant des services autour des logiciels qu’ils créaient, d’autres en trouvant des mécènes : l’économie du libre ne se limite pas à un seul modèle mais elle existe malgré les affirmations de tous ceux qui, à la fin du siècle dernier, disaient qu’elle détruisait des emplois et qu’elle ne pouvait pas perdurer.

Je ne suis pas pour ma part absolument certain qu’un produit culturel puisse rester un produit marchand. La question de la place de l’artiste dans la société revient régulièrement, je crois, au baccalauréat philo, et je suis assez mauvais en philo, mais ce simple fait prouve que cette place-là est à part et qu’il est donc difficile sinon impossible de la résoudre de la même manière marchande que le reste de l’activité humaine. La question du revenu de vie, par exemple, pourrait bien être un début de réponse. Je n’en sais rien et je n’ai pas les capacités nécessaires pour le penser. Mais je m’attriste de voir qu’on n’arrive pas à dépasser enfin des modèles révolus.

Il faut bien comprendre qu’on est entré dans un monde numérique et qu’une économie qui – pendant plus d’un siècle – a en réalité été davantage celle de la copie physique de supports et de la distribution à large échelle de ces supports n’a plus aucune raison d’être aujourd’hui. Toutes les méthodes qui veulent la faire perdurer sont vouées à l’échec. Ce n’est qu’une fois qu’on aura vraiment entériné ce fait qu’on pourra enfin penser le futur comme il doit l’être, et pas comme de l’acharnement thérapeutique sur une industrie mort-vivante.

Si quelqu’un veut l’œuvre, qu’il la copie.
Jean-Luc Godard

Connaissais-tu cette position de Jean-Luc Godard : “Comme la salle de cinéma, Internet n’est qu’un moyen de diffusion. Si quelqu’un veut l’œuvre, qu’il la copie. J’ai été payé pour mon travail, ou je me suis débrouillé pour être payé pour mon travail. Si je n’ai pas été payé, c’est que je suis idiot, que j’ai travaillé pour rien. Pour le reste, ce n’est plus mon problème” ?

Jean-Luc Godard a le mérite de dire clairement ce que d’autres préfèrent taire. J’ai souvent pris l’exemple de Yann Arthus-Bertrand et de son film Home – qui a été un succès de vente en DVD alors qu’il avait été diffusé gratuitement dès sa sortie – pour montrer qu’il n’existait pas de rapport simple entre une diffusion libre et un succès commercial. Mais ce film a été entièrement financé par le groupe PPR qui a choisi de faire œuvre de mécénat, donc même si le succès n’avait pas été au rendez-vous, les auteurs et les techniciens qui ont permis au film d’exister auraient été payés de toutes manières. Dans le cinéma c’est presque toujours comme cela qu’un film peut exister. Il faut le financer avant qu’il soit tourné, et la rentabilité n’est jamais garantie. Que ce soit via le mécénat d’entreprise, via les pré-achats des chaînes de télévision ou via le CNC, le modèle est forcément différent de celui de la musique parce que tourner un film coûte forcément plus cher qu’enregistrer une chanson. La rémunération de l’auteur est donc presque toujours assurée, ce qui n’est évidemment pas le cas des arts qui n’ont pas développé le même genre d’infrastructures de financement.

“Il ne s’agit plus de lutter contre Hadopi : cette guerre-là est déjà gagnée’

Au final pour lutter contre Hadopi, peut-on se passer d’analyser l’économie “subventionnée” des industries culturelles ? As-tu commencé à le faire ? Je me rappelle que tu évoquais que payer la redevance SACEM revenait à augmenter ses impôts de 4% ?

Il ne s’agit plus de lutter contre Hadopi : cette guerre-là est déjà gagnée et il suffit de lire le rapport de l’ONU sur la liberté et Internet pour comprendre que cette loi est déjà du passé.

Il s’agit aujourd’hui de commencer enfin à réfléchir à la place de l’artiste dans la société, au principe du droit d’auteur et à la diffusion de la culture, le tout à l’heure d’Internet et du numérique. J’avais, à l’occasion d’un débat, fait un rapide calcul qui montrait qu’il suffisait de 33 euros par foyer fiscal imposable et par an pour obtenir de quoi remplacer totalement la SACEM et autoriser du même coup une musique libre et gratuite pour tous. Mais ça supposait bien sûr qu’on ne finançait que les artistes qui sont déjà payés par la SACEM, pas les autres. En ce sens c’était encore une façon de perpétuer des rentes de situation qui ne sont qu’un effet pervers des systèmes anciens.
Tout ce qui revient à faire perdurer les anciens modèles contre vents et marées, c’est du temps et de l’énergie dépensés en vain. Cela suffit, il faut passer à autre chose de plus sérieux. Faut-il que la société finance les artistes (et non l’industrie culturelle) via des subventions ? Pourquoi pas, mais qui va décider de ce qui relève de l’art et de ce qui mérite d’être subventionné ? Faut-il proposer des réductions d’impôts en échange du mécénat ? Pourquoi pas une sorte de “loi Coluche” de la culture, grâce à laquelle n’importe qui pourrait financer les artistes de son choix en échange d’un crédit d’impôt ? Il y a tellement de pistes. Et personne n’a jamais dit qu’elles étaient exclusives les unes des autres.

“Le terme de propriété associé aux idées est absurde”

Nous avons récemment interviewé Richard Stallman et ensuite Albert Jacquard sur l’erreur de sémantique “propriété intellectuelle” ; toi, à la place d’Albert Jacquard, qu’aurais-tu répondu ?

Je n’ai pas un ego assez surdimensionné pour pouvoir ne serait-ce que m’imaginer à la place d’Albert Jacquard, et je me souviens avec émotion d’une intervention qu’il avait faite au réfectoire de mon lycée (ça remonte à loin) et qui nous avait – à tous – ouvert l’esprit comme jamais sur les notions de race et de racisme.

Sur le plan sémantique, bien sûr que le terme de propriété associé aux idées est absurde. Mais je ne suis pas sûr que les promoteurs du concept se préoccupent de la valeur intrinsèque de ces mots : ce qui compte c’est qu’en réduisant le champ des idées à la notion de propriété on permet d’opposer à une valeur lourdement protégée par les droits de l’Homme (le droit à liberté d’expression) une autre valeur tout aussi largement défendue (le droit à la propriété individuelle).

C’est donc plutôt sur le terrain juridique que la notion prend toute sa “valeur”. Et on sait que la sémantique du droit n’a pas toujours beaucoup de rapport avec le langage commun. En prétendant qu’une œuvre (ou qu’une idée) peut être la propriété de quelqu’un, on assied la nouvelle notion de “propriété intellectuelle” sur tout un corpus juridique qui fait sens, tant dans l’esprit du législateur que dans celui du juge judiciaire. On sort du domaine des idées pour entrer dans celui du commerce, et du droit commercial, et de là on ne peut plus sortir sans devoir longuement disserter et expliquer des notions complexes, bien plus difficiles à faire passer que le discours manichéen de la possession et du vol. Et c’est bien là l’objectif.

Il suffit de voir combien de fois les défenseurs des libertés ont dû, à longueur de débats, rappeler qu’on ne pouvait pas assimiler la copie au vol, qu’une copie ne dépossédait pas le “propriétaire” de l’original et qu’au contraire chaque copie créait une richesse (culturelle) supplémentaire plutôt qu’une perte. En face la seule réponse est encore et toujours d’assimiler le copieur à un voleur (le “pirate” qui s’approprie le bien des autres) et le partage au vol ou à la destruction de biens physiques. C’est tellement plus facile, tellement plus démagogue aussi. Tout au plus pourrait-on ajouter au développement d’Albert Jacquard que non seulement une idée n’appartient jamais à celui qui l’a émise, mais qu’au surplus une œuvre quelle qu’elle soit, s’inspire toujours de ce qui l’a précédée, et qu’ à ce titre elle ne peut pas non plus appartenir en totalité à son créateur.

Laurent, cette interview sous quelle licence libre souhaites-tu qu’elle soit publiée ? Sous Licence Art Libre ? Et que penses tu de la position de Richard Stallman qui ne souhaite pas que ses écrits d’opinions utilisent des licences libre telles que la LAL ou CC by-sa par peur de voir modifier ses propos ?

Non, tout ce que je publie, et c’est pratiquement uniquement de l’opinion, est publié en licence libre par défaut (CC by-sa). De mon point de vue une opinion est libre par nature, en ce qu’elle est donnée justement pour que d’autres puissent se former la leur à partir – ou contre – celle qui leur est livrée. Si on ne peut pas faire ce qu’on veut des opinions d’autrui il y a comme un problème quelque part. Quant à voir mes opinions déformées, si je ne le veux pas, je ne les publie pas. C’est le prix à payer.


Pour aller plus loin… Voir la vidéo de John Perry Barlow, réalisée à l’occasion de l’e-G8 en mai dernier:

Cliquer ici pour voir la vidéo.


Article initialement publié sur le site Libre Accès sous le titre “Licence Globale versus Hadopi et si on faisait le point…”

Illustrations: montage réalisé à partir des images promotionnelles du Label PUR, CC FlickR Jonathan W, 200moremontrealstencils

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http://owni.fr/2011/08/04/la-licence-globale-une-mauvaise-solution-pour-un-faux-probleme/feed/ 27
Licence Edition Equitable : vers des archives ouvertes ? http://owni.fr/2011/04/29/licence-edition-equitable-vers-des-archives-ouvertes/ http://owni.fr/2011/04/29/licence-edition-equitable-vers-des-archives-ouvertes/#comments Fri, 29 Apr 2011 08:30:37 +0000 Lionel Maurel (Calimaq) http://owni.fr/?p=59915 Présentée lors du Salon du Livre de Paris, la Licence Édition Equitable proposée par C & F Editions, a déjà fait l’objet de plusieurs commentaires, louant cette initiative visant à garantir un certain nombres de droits aux lecteurs de livres numériques. Elle se rapproche en cela de la récente Déclaration des Droits de l’Utilisateur de Livres Numériques proposée outre-Atlantique et s’inscrit dans le mouvement de protestation contre les DRM qui s’est exprimé lors du Salon du Livre cette année.

Cette licence propose en effet de créer « entre lecteur et éditeur un contrat équitable et durable« , en excluant pour ce dernier le recours aux DRM (verrous  numériques) afin de garantir au lecteur certaines facultés essentielles : le droit de lire sur les supports de son choix (interopérabilité), le droit de copier sur des supports personnels (copie privée), le droit de changer de format, le droit de copier des extraits ou le droit de faire circuler dans un cercle de proximité.

Après avoir discuté avec Hervé Le Crosnier sur son stand, à l’origine de cette initiative, j’aimerais revenir sur un autre aspect de cette licence, qui a fait l’objet de moins de commentaires, mais qui me paraît important dans la mesure où il pourrait introduire dans le domaine de la création la logique des archives ouvertes.

La licence ne consacre pas seulement des droits au profit du lecteur ; elle propose également d’instaurer un équilibre entre les droits du lecteur et les droits de l’éditeur (on verra qu’il s’agit même d’un tryptique, avec les droits de l’auteur).

Les auteurs disposent des Licences Creative Commons pour indiquer au lecteur ce qu’il peut faire avec leur œuvre. La Licence Édition Équitable vise à remplir le même rôle pour définir les droits du lecteur et ses responsabilités envers le processus éditorial.

C & F Editions a en effet déjà publié des livres papier sous licence Creative Commons (voir un exemple ici sous licence Creative Commons Attribution-Pas d’usage commercial). Cette ouverture est concevable pour l’édition classique (certains en ont même fait un modèle économique à part entière), mais elle peut poser problème avec le livre numérique, dans la mesure où un utilisateur peut tout à fait mettre à disposition à titre gratuit un fichier sous licence CC-BY-NC (y compris en P2P), ce qui est difficilement compatible avec son exploitation commerciale.

L’idée de la licence Edition Equitable consiste à dissocier le droit de l’auteur sur le texte « brut » des droits de l’éditeur sur la version « transformée » à l’issue du processus de mise en forme de l’oeuvre, aboutissant à l’eBook.

Ainsi, selon les termes de la licence, l’auteur conserve la possibilité de placer son oeuvre originale sous licence Creative Commons (ce qui implique qu’il ne cède pas ses droits à l’éditeur de manière exclusive, comme avec un contrat d’édition classique). L’éditeur conserve cependant des droits exclusifs sur la version eBook qu’il aura produite, sous réserve de respecter les facultés essentielles  garanties au lecteur par la licence. Le lecteur de son côté dispose du droit de copier et de rediffuser le contenu « brut » de l’oeuvre :

Le lecteur/lectrice a le droit de rediffuser le contenu de l’œuvre en respectant les volontés de l’auteur quand elles sont exprimées par une licence d’usage. Ceci est distinct de la rediffusion du document édité (livre, notamment livre numérique, album musical, et cela plus encore s’il s’agit d’œuvres de collaboration ou de compilation).

Droits dissociés, archives ouvertes

On voit donc que des droits différents sont attachés à différentes « manifestations » de la même oeuvre (pour parler en langage FRBR) : il ne sera pas permis de faire des copies et de diffuser gratuitement les versions au format ePub mises en forme par l’éditeur, mais rien n’empêchera l’auteur de diffuser son texte original sur un blog ou site personnel, ni aux lecteurs d’en faire de même (si l’auteur le permet, en plaçant son texte sous une licence CC, par exemple)

Cette logique de droits dissociés me paraît particulièrement intéressante, dans la mesure où elle introduit dans le secteur de la création littéraire la logique des archives ouvertes.Dans le modèle de l’Open Access, les auteurs d’articles de revues scientifiques concluent avec les éditeurs des contrats spécifiques de cessions de droits limitées, de manière à pouvoir conserver la faculté d’auto-archiver une version de leur production, soit sur un site personnel, soit dans une archive ouverte.

Dans certains modèles d’Open Access, l’auteur peut archiver un pre-print, c’est-à-dire son propre « manuscrit numérique »,  antérieur à la mise en forme opérée par l’éditeur (PDF éditeur). On est alors très proche de la logique de la Licence Édition Équitable (voyez ici)

[...] in terms of content, post-prints are the article as published. However, in terms of appearance this might not be the same as the published article, as publishers often reserve for themselves their own arrangement of type-setting and formatting. Typically, this means that the author cannot use the publisher-generated .pdf file, but must make their own .pdf version for submission to a repository.

C’est par exemple un tel système d’auto-archivage qui est accepté par la célèbre revue scientifique Nature :

When a manuscript is accepted for publication in an NPG journal, authors are encouraged to submit the author’s version of the accepted paper (the unedited manuscript) to PubMedCentral or other appropriate funding body’s archive, for public release six months after publication.
In addition, authors are encouraged to archive this version of the manuscript in their institution’s repositories and, if they wish, on their personal websites, also six months after the original publication.

Étendre cette logique de l’Open Access au domaine de la création me paraît particulièrement intéressant. A titre personnel, je n’accepte plus de céder mes droits de manière exclusive pour des projets d’édition, qu’il s’agisse d’ouvrages ou d’articles. Cela heurte de front mes convictions et je sais que je suis loin d’être le seul auteur dans ce cas !

Sortir le livre numérique de l’impasse

Des appels avaient déjà été lancés pour construire un pont entre la logique des archives ouvertes et l’édition numérique générale. Pierre Mounier et Marin Dacos appelaient ainsidans les colonnes du Monde en mai 2010, à sortir le livre numérique de l’impasse, en faisant le choix de « l’édition électronique ouverte » impliquant que l’eBook soit « lisible, manipulable et citable« , en phase  avec la « culture web » des utilisateurs. La licence Edition Equitable constitue un premier effort pour construire une telle passerelle.

Il est également frappant de voir que la Licence Edition Equitable se rapproche dans son esprit du système du Freemium adopté par Revues.org, destiné à servir de modèle économique durable au libre accès. Les articles de Revues.org en HTML demeurent en accès libre et gratuit, mais ces mêmes contenus, en format ePub et assortis de services et fonctionnalités ajoutés, font l’objet d’un accès payant, par le biais de formules d’abonnement.

Ces modèles, qui distinguent selon les manifestations différentes des mêmes oeuvres, repositionnent la valeur du travail éditorial dans l’environnement numérique, non sur l’accès exclusif, mais sur les services associés aux contenus (voir le billet consacré par Silvère Mercier à ces questions de migration de la valeur dans l’environnement numérique,  déjà largement à l’oeuvre dans le domaine de la musique).

En l’état, la Licence Edition Equitable n’a cependant pas encore la consistance d’une « véritable » licence. Elle ressemble davantage aux Common Deeds des licences Creative Commons (versions simplifiées destinées au grand public) et il manque encore à formaliser un véritable « code » qui traduirait les droits et obligations découlant des principes énoncés en termes juridiques.
On pourrait se tourner pour cela vers les outils déjà mis en place pour l’Open Access et notamment la Copyright ToolBox de la fondation SURF.

Il conviendrait également d’étudier quelles sont les répercussions de cette licence, destinée à encadrer les rapports entre l’éditeur et le lecteur, sur le contrat d’édition signé entre l’éditeur et l’auteur. Comme le montre l’expérience de l’Open Access, c’est dès ce niveau que se jouent beaucoup des libertés du lecteur. Hubert Guillaud a également lancé des pistes intéressantes, en préconisant d’ajouter au concept de Licence Edition Equitable des dispositions garantissant certains droits aux auteurs, notamment en terme de rémunération, tout comme le commerce équitable assure un revenu décent aux producteurs.

Ce travail de formalisation de la Licence Édition Équitable mérite à mon avis sérieusement d’être entrepris, et il serait d’autant plus intéressant qu’il soit conduit de manière collaborative entre juristes, utilisateurs d’eBooks, auteurs et bien entendu éditeurs, dont on espère qu’ils seront nombreux à rejoindre C & F Editions dans cette initiative.

Ils seraient en tout cas bien avisés de le faire pour sortir de l’impasse dans laquelle les sirènes législatives actuelles sont en train de les enfermer…

En refusant le web et son ouverture par crainte du piratage, en tentant de clôner le livre imprimé – sa représentation, ses usages de lecture, son mode de distribution et jusqu’à son modèle économique, sur le support numérique, en n’accordant pas une place primordiale à l’innovation et à l’imagination, les principaux acteurs du monde de l’édition se sont engagés dans une voie sans issue.
(Pierre Mounier et Marin Dacos)


Publié initialement sur ::S.I.Lex:: sous le titre, Licence Edition Equitable : vers des archives ouvertes de la création ?
Crédits photos et illustrations :
Via Flickr : Livre origami par Elmthelemon [cc-by-nc-sa] ; Ebooks galore par Libraryman [cc-by-nc-sa] ; Creative Commons road sign par Giuli-O [cc-by] ; (Kafka) Uneasy Dreams par Celeste [cc-by-nc]

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http://owni.fr/2011/04/29/licence-edition-equitable-vers-des-archives-ouvertes/feed/ 1
Et si le droit d’auteur s’appliquait aux tatouages? http://owni.fr/2011/04/09/droit-dauteur-tatouages/ http://owni.fr/2011/04/09/droit-dauteur-tatouages/#comments Sat, 09 Apr 2011 10:00:35 +0000 Lionel Maurel (Calimaq) http://owni.fr/?p=55885 La semaine dernière, un billet intitulé Tattoos and moral rights: a couple of points to ponder (en) est paru sur l’excellent site anglais, The 1709 Blog, qui soulève des questions surprenantes (et assez tordues) sur les rapports entre le droit d’auteur et le tatouage.

Un lecteur se demande si le le tatoueur qui réalise un tatouage pour un client dispose d’un droit de propriété intellectuelle sur cette création, et dès lors, s’il peut utiliser son droit exclusif de représentation pour empêcher que le tatouage soit montré en public. Dispose-t-il également d’un droit moral qui pourrait lui permettre de s’opposer à ce que l’on modifie ou efface le tatouage, en mettant en avant son droit au respect de l’ œuvre ? Et qu’en est-il en matière de tatouage du droit de retrait ou de repentir qui permet théoriquement à un auteur de mettre fin à la publication d’une œuvre ?

Certains commentaires sous le billet vont encore plus loin dans le questionnement. L’un d’eux se demande [EN] ce qui pourrait se produire si un tatoué devient obèse, au point que cela déforme le tatouage. Le tatoueur peut-il agir en prétendant que l’on a dénaturé son œuvre ? Une autre personne répond qu’en vertu du droit de la personne à disposer de son corps, le tatoueur ne peut prétendre à l’intégralité de ses droits et que ceux-ci se limitent en fait au droit à la paternité sur l’œuvre. Voilà des questions juridiques comme je les aime ! Et cela m’a donné envie de creuser cette question du statut juridique du tatouage, ce qui m’a permis de constater qu’il existe un régime complexe en la matière et toute une jurisprudence – impliquant parfois des célébrités comme David Beckham ou Johnny Halliday ! – s’efforçant de concilier tant bien que mal des principes contradictoires. Vous allez voir que l’on est quand même pas loin du CopyrightMadness

Le droit d’auteur dans la peau

Tout d’abord, porter un tatouage, c’est indéniablement accepter d’avoir « le droit d’auteur dans la peau » (Brrr…). Car si le dessin reproduit sur l’épiderme du client par le tatoueur présente suffisamment d’originalité, il n’y a pas de raison de ne pas lui reconnaître le statut « d’œuvre de l’esprit », telle que l’entend le Code de Propriété Intellectuelle, et ce même si elle n’est pas signée :

Les dispositions du présent code protègent les droits des auteurs sur toutes les oeuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination.

La reconnaissance d’une œuvre de l’esprit est donc indépendante du support qui la véhicule, les juges exigeant seulement qu’il y ait une mise en forme suffisante des idées, de manière à les rendre sensibles, ce qui est bien le cas avec un tatouage. Néanmoins, le Code consacre également un principe essentiel de séparation des propriétés matérielle et intellectuelle, en définissant le droit d’auteur comme une « propriété incorporelle [...] indépendante de la propriété de l’objet matériel ». L’acquéreur d’un tableau par exemple n’est pas du seul fait de la vente investi des droits de propriété intellectuelle sur l’œuvre fixée sur la toile. Il ne peut vendre des reproductions tirées du tableau ou l’exposer en public, sans l’autorisation de l’auteur. C’est cette indépendance entre l’œuvre et son support qui crée une situation étrange en matière de tatouage, car le tatoué doit quelque part accepter qu’une partie de son propre corps ne lui appartienne plus entièrement. C’est même plutôt en un sens l’œuvre qui « possède » le tatoué !

Un cas intéressant survenu en 2010 aux Etats-Unis illustre bien les difficultés qui peuvent naître de la collision entre le droit sur l’œuvre et le droit sur le corps. En voyant le tatouage qu’il avait réalisé pour un basketteur célèbre, Rasheed Wallace, apparaître dans une publicité pour Nike, un tatoueur décida d’agir en justice pour revendiquer son droit d’auteur sur l’œuvre. Le basketteur avait versé 450 dollars pour le service rendu par le tatoueur, mais aucun contrat de cession de droit de propriété intellectuelle n’avait été signé. L’affaire s’est résolue par une transaction, mais il y a tout lieu de penser que le tatoueur aurait pu obtenir gain de cause devant un juge, car il restait titulaire des droits patrimoniaux sur le tatouage.

Une mésaventure inverse est arrivée au footballeur David Beckham. En 2005, des hommes d’affaires japonais essayèrent d’acquérir auprès du tatoueur de la vedette les droits sur le fameux tatouage d’ange ornant ses muscles dorsaux, afin de l’utiliser pour une ligne de vêtements. Refusant de voir une partie de son corps utilisée ainsi, David Beckham s’efforça de racheter lui-même de son côté les droits sur les dessins, mais pour une somme jugée insuffisante par le tatoueur. Devant les menaces de poursuites, celui-ci renonça au projet de création d’une ligne de vêtements, mais à titre de représailles, il menaça à son tour d’attaquer le footballeur si son œuvre apparaissait dans une campagne publicitaire montrant le footballeur dos nu ! Une telle « guérilla juridique » peut durer longtemps…

Le casse-tête des juristes

Pour débloquer de genre de situations, les juges s’efforcent de distinguer autant que possible les droits sur le dessin-tatouage (l’œuvre) et ceux sur le tatouage dessinée sur la peau (une des manifestations de cette œuvre). C’est ainsi qu’a procédé un juge belge en 2009 à propos d’une affaire dans laquelle un client se plaignait qu’un tatoueur ait utilisé une photo de son tatouage dans un annuaire à des fins publicitaires. Le juge a estimé au nom du droit de la personne à disposer de son corps qu’un tatoueur ne peut imposer à son client d’exposer son tatouage ou de le faire prendre en photo. Inversement, le tatoueur ne peut pas interdire à son client de se faire prendre en photo, s’il le désire. Par contre, le tatoueur est libre de son côté d’utiliser le dessin utilisé pour réaliser le tatouage, mais pas directement une photo du corps de son client, à moins que celui-ci ne donne son autorisation.

Les juges français raisonnent à peu près de la même façon, en accordant une primauté aux droits de la personne du tatoué sur le droit d’auteur du tatoueur, même si celui-ci dispose quand même de moyens d’agir en justice, comme l’a montré une affaire portant sur l’épaule… de Johnny Halliday ! Un tatoueur avait réalisé pour Johnny un tatouage représentant une tête d’aigle gratuitement, mais il prit tout de même la précaution déposer son dessin à l’INPI… Lorsque la maison de disques décida de commercialiser une série de CD, DVD et vêtements portant le dessin de cet aigle, le tatoueur attaqua en justice pour contrefaçon de son œuvre. Le juge a rendu une décision nuancée à cette occasion en reconnaissant à Johnny le droit d’exploiter son image, à condition que le tatouage apparaisse « de manière accessoire ». Mais pour des usages séparés du dessin, l’autorisation du tatoueur est bien requise et la maison de disques fut condamnée.

Enfin, outre le couple tatoueur/tatoué, un troisième personnage peut surgir, lorsque le tatoueur reproduit pour orner la peau de son client une œuvre préexistante et protégée, sans demander l’autorisation à l’auteur original. Il commet alors un acte de contrefaçon, qui s’inscrit de manière indélébile sur la peau du client ! C’est pourtant une pratique courante de s’inspirer d’œuvres préexistantes pour réaliser des tatouages, mais avant de choisir de choisir de se faire tatouer Mickey, Hello Kitty ou Dark Vador sur le corps, mieux vaut réfléchir, car n’oublions pas que les juges en matière de contrefaçon ont le pouvoir d’ordonner des saisies des copies, voire même… leur destruction. On imagine mal que les choses aillent aussi loin, mais allez savoir, il y a peut-être quelque chose dans ce goût-là dans l’accord ACTA ;-) !

Ce que je trouve intéressant, c’est que dans le domaine du tatouage, ce sont finalement moins les règles juridiques qui régulent les usages que d’autres types de code. Des règles de déontologie par exemple, dans la relation avec le client, comme on peut le lire ici. Et un certain code d’éthique entre tatoueurs (voir ici), qui fait qu’on répugne à se copier entre professionnels. Ce qui n’est pas sans me rappeler d’autres domaines, comme la cuisine, où le droit d‘auteur a du mal à s’appliquer, mais où des règles d’une autre sorte assurent une forme de régulation, d’une manière souvent plus souple.

Si ce sujet, vous intéresse, je vous recommande la lecture de cet article L’art dans la peau, par Judith Lachapelle, le dossier Droit du tatoueur et du tatoué sur le site tatouagedoc, ainsi que l’article Tatouage, droit d’auteur et droit du corps, paru dans Tatouage Magazine.


Article initialement publié sur le blog de Calimaq sous le titre : Tatouage : le droit d’auteur dans la peau

Photos flickr CC Julie Kertesz ; Tattoo lover ; Brice Hardelin

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http://owni.fr/2011/04/09/droit-dauteur-tatouages/feed/ 11
Livre numérique: quand les auteurs s’en mêlent http://owni.fr/2011/03/18/livre-numerique-quand-les-auteurs-sen-melent/ http://owni.fr/2011/03/18/livre-numerique-quand-les-auteurs-sen-melent/#comments Fri, 18 Mar 2011 13:15:40 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=52076

En octobre 2007, le Kindle d’Amazon sort. Deux ans plus tard, il est commercialisé dans plus de cent pays. Depuis d’autres tablettes sont nées et la révolution numérique en littérature est en cours, opposant numérique et papier.

Premiers concernés, les éditeurs, qui se sentent menacés. Mais un tout autre bras de fer s’est peu à peu engagé: celui entre des écrivains lésés et des éditeurs qui profitent d’un pourcentage de rémunération qui reste le même quelque soit le format, alors que les coûts de production sont plus faibles quand il s’agit de numérique.

Il ne s’agit pas d’une guerre de principe. Plutôt d’une vision d’un avenir encore incertain: les quelques 3% de vente de livres numériques représentent pour le moment une petite partie du marché. Reste que les auteurs se demandent, tout comme les éditeurs, de quoi demain sera fait. L’économie du livre va sans nul doute devoir s’adapter à la consommation et aux technologies émergentes. Si le volume du livre papier diminue et que celui du livre numérique augmente, les auteurs, qui signent la plupart du temps leurs contrats à vie, ont tout intérêt à s’occuper dès maintenant de leur rémunération et de leurs droits d’auteur.

Les 10% du prix de vente hors taxe que perçoivent en moyenne les auteurs français sur les versions papiers sont certes justifiables par les éditeurs, mais le même pourcentage semble très faible sur le numérique. En effet, la rémunération de l’auteur basée sur le livre papier se justifie par les coûts d’impression, de stockage et de manutention, inhérents à la publication d’un roman papier. Et l’éditeur touche en moyenne 20 % en fin de chaîne. Or, le livre numérique n’a pas de coûts de stockage ni d’impression. Pour le numérique, les seuls coûts sont le DRM ajouté pour éviter le piratage et l’hébergement des livres sur des librairies virtuelles. Il reste donc un peu moins de 90 % du prix du livre pour l’éditeur.

Eric Pessan, romancier, auteur de pièces de théâtre et collaborateur de remue.net, explique que la réponse de Gallimard et Flammarion à Google Books et Amazon sur le site Feedbooks ne peut pas tenir: les éditeurs français vendent en effet les œuvres au même tarif quelque soit le format. Pour lui:

Les 10% en moyenne pour les parutions papiers appliquées aux ventes numériques sont totalement ridicules : le travail d’édition est déjà fait, il suffit juste de reprendre le fichier, de le verrouiller et de le mettre en ligne. La rémunération faible de l’auteur ne se justifie plus.

Pour le moment, ce prix unique laisse la possibilité aux librairies “physiques” de rester en vie: les acheteurs ne sont de fait pas incités à préférer le format numérique. Alors pour se protéger des éventuels abus des éditeurs, la plupart des auteurs se défendent en solitaire et ajoutent des nuances à leur contrat.

Faire valoir ses droits: navigation en solitaire

La plupart sont amenés à négocier la clause numérique de leur contrat. Au cas par cas. L’an dernier, au cours du Salon du Livre de Paris, les auteurs de BD ont créé un syndicat et ainsi tenté d’anticiper les effets du numérique sur leur métier: ils demandaient une revalorisation de leurs droits d’auteurs et ont obtenu un peu plus de 30%.

Pour un premier roman, la marge de manœuvre est souvent très faible. Malgré tout Natacha Boussaa, primo-romancière de la rentrée 2010 avec Il vous faudra nous tuer, a eu la quasi audace de signer son contrat sur 5 ans et de demander une augmentation de son pourcentage de droits d’auteur à la vente numérique.

Pour la jeune Alma Brami (trois romans à son actif dont Ils l’ont laissée là), le rapport avec l’éditeur est primordial.

je lui fais confiance et il a un respect du livre qui me correspond beaucoup, de fait je n’irai pas voir s’ils pratiquent les mêmes pourcentages de rémunération à la vente que pour les tirages papiers.

Certains auteurs ne s’attardent pas forcément sur leurs droits numériques, trop contents de signer chez un éditeur. En particulier lorsqu’ils sont publiés pour la première fois. Mais selon les maisons d’édition, les contrats divergent. “Chez Héloïse d’Ormesson par exemple, il n’y a pas d’avenant au numérique et avec Gilles [Cohen Solal] ou Héloïse [d’Ormesson], les contrats fonctionnent sur le principe de “une bonne affaire est une affaire qui sert les deux parties” ” explique l’écrivain Harold Cobert.

Personne ne semble être sur la même longueur d’onde. C’est pourquoi Stéphanie Hochet, auteure de sept romans dont La distribution des lumières, exprime la nécessité pour les auteurs de se grouper en collectif pour obtenir une revalorisation de leurs droits : “C’est une question qui nous préoccupe, nous en parlons avec d’autres auteurs et des membres de la Société des Gens de Lettres”.

Récemment s’est formé le Collectif du 4 février. Fédéré par les auteurs d’une tribune dans Le Monde du 2 décembre 2010, il dénonce les abus des éditeurs en terme de pourcentage consenti aux auteurs lors de la vente numérique. Aux États-Unis, le pourcentage de vente est également sujet à débat : Random House a vu les héritiers de William Styron quitter la maison pour un éditeur web qui leur proposait 50% sur les ventes numériques.

À ceux qui voient le livre numérique comme une concurrence au livre papier, Eric Pessan répond que le vrai débat se pose d’un point de vue économique. Pour autant, même si aucun des auteurs interrogés ne possède d’Ipad ou autre liseuse, pas un seul d’entre eux n’écrit encore à la main ni ne considère le livre papier et le livre numérique comme antinomiques. Au contraire certains pensent que les deux formes peuvent coexister pacifiquement.

Attachés aux livres, numériques ou pas

Harold Cobert explique:

le livre papier, ce sera peut-être le vinyle de la littérature.  Les deux vont effectivement se compléter. Le livre papier étant très sacralisé, ça va juste étendre la sphère du livre. Des non-lecteurs deviendront peut-être des lecteurs numériques, qui sait ?

Pas de mort du livre programmée, non seulement ils se complètent mais en plus leurs utilisations sont totalement différentes : “D’une part les deux existences sont compatibles mais surtout c’est une bonne chose qu’ils existent en même temps. On ne les utilise pas de la même façon !” rassure Stéphanie Hochet.

Façons différentes de l’utiliser ou extension du lectorat, il n’existe pas d’opposition réelle entre papier et numérique. Le livre selon Eric Pessan aurait simplement une troisième vie “entre la version brochée, celle en poche et celle numérique, si le livre est bien référencé, les possibilités de le trouver s’élargissent. Et même en tant qu’auteur, le livre numérique m’amène sur des territoires où je ne serais pas allé avec le romanesque papier”.

Les territoires en question pourraient très bien concerner la BD augmentée, une expérience de lecture partagée depuis un lecteur e-books ou encore l’émergence de fictions à partir des réseaux sociaux.


Photos, Elliot Lepers pour Owni
Illustrations CC Flickr Bob August

> Vous pouvez retrouver tous les articles de la Une : De la datalittérature dans le 9-3, Le papier contre le numérique et Ce qu’Internet a changé dans le travail (et la vie) des écrivains

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ACTA, l’échec de la ligne dure? http://owni.fr/2010/10/07/acta-lechec-de-la-ligne-dure/ http://owni.fr/2010/10/07/acta-lechec-de-la-ligne-dure/#comments Thu, 07 Oct 2010 15:11:17 +0000 Olivier Tesquet http://owni.fr/?p=30849 Depuis plus de six mois, l’ACTA, l’accord anti-contrefaçon à visée mondiale, cristallise autour de son sigle les remontrances des militants du web ouvert, et même au-delà, puisque le Mexique, qui faisait partie des pays engagés, a préféré se retirer de la table des négociations.

Alors que le 11e et dernier cycle de négociations vient de s’achever à Tokyo, le texte tel qu’il devrait apparaître dans sa version finale a été mis en ligne (PDF) par la eurodéputée Sandrine Bélier (Europe-Ecologie), engagée de longue date dans le camp des opposants. D’autres organismes en pointe de la contestation s’en sont également chargés, au premier rang desquels la Quadrature du Net.

A la lecture de cet opus magnum du langage technocrate, on peut déjà tirer une première conclusion: le document exfiltré en mars (mais daté de janvier) par la Quadrature du Net (PDF), faisait 56 pages; celui du 25 août en comptait 29; celui-ci en recense 24, ce qui laisse à penser que les parties impliquées depuis deux ans dans ce chantier babylonien ont éliminé quelques scories.

Deuxième observation: malgré la fin officielle du round de discussions, certains passages ne font pas encore l’unanimité, ce qui laisse présager un niveau bonus dans ce jeu vidéo institutionnel aux conséquences encore floues. Ainsi, dans la section 5 (ex-section 4), qui concerne “l’application des droits de la propriété dans l’environnement digital” (auparavant “mesures spéciales liées aux moyens technologiques et à Internet”), le terme de “marque déposée” (“trademark” dans le texte) gêne aux entournures certains pays. Fermement réclamé par les États-Unis depuis de longs mois, le mot pourrait disparaître du texte final, remplacé par les notions de copyright et de droits voisins.

“ACTA ultra-light”

Au début de l’année déjà, le débat idéologique entre droit moral et droit patrimonial était saillant. Quelques centaines de pages noircies plus tard, les différents acteurs du dossier s’opposent encore sur un élément structurel, pour déterminer si l’ACTA défend un produit artistique, un droit d’auteur ou une marque.

Comme le remarque l’universitaire Michael Geist, l’un des meilleurs spécialistes du droit d’auteur, le texte tel qu’il est présenté aujourd’hui constate avant tout l’échec des Etats-Unis, qui cherchaient à imposer un intermédiaire entre les ayants-droits et les fournisseurs d’accès. Pour le chercheur canadien, cet “ACTA ultra-light” ne fait que “promouvoir la coopération, sans imposer de nouvelles lois”. En outre, l’article 2.18.2 de la page 15 laisse augurer d’un abandon du filtrage, sinon d’une négociation à l’échelle nationale:

Ces procédures doivent être implémentées de telle façon qu’elles ne créent pas d’obstacles pour les activités légitimes, notamment le commerce électronique, et que, en accord avec la législation de chaque pays, elles préservent les principes fondamentaux tels que la liberté d’expression, l’équité et la vie privée.

Certes, l’accord prévoit toujours sa dose de mesures coercitives, comme l’interdiction de contourner les clés DRM, qui régentent la gestion des droits numériques. A ce sujet, Numerama rappelle que la commercialisation d’appareils permettant un tel bypass “sera interdite”. Mais après avoir essayé de vendre à ses interlocuteurs une transposition du Digital Millennium Copyright Act, qui accorde l’immunité aux fournisseurs d’accès si ceux-ci acceptent de supprimer du contenu spoliant les ayants-droits, la délégation américaine a du revoir ses prétentions à la baisse.

Si le texte est “beaucoup moins problématique” maintenant qu’il est délesté de ses points les plus clivants, ce dont se félicite l’organisation Public Knowledge, la rancoeur subsiste au sujet de l’opacité des discussions. “Contrairement aux accords commerciaux qui concernent des biens et des services, l’ACTA se concentre exclusivement sur la propriété intellectuelle”, précise l’association américaine. “Or les justifications de secret qui peuvent s’appliquer à des accords commerciaux ne cadraient pas avec l’ACTA. Lui donner une coloration économique a permis une subversion du processus démocratique. L’accord aurait dû être négocié dans le cadre d’un forum ouvert et démocratique, tel que celui de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (sous l’égide des Nations unies, ndlr).”

Illustration CC par Geoffrey Dorne

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SACEM / YouTube : accord imparfait http://owni.fr/2010/10/06/sacem-youtube-accord-imparfait/ http://owni.fr/2010/10/06/sacem-youtube-accord-imparfait/#comments Wed, 06 Oct 2010 14:33:21 +0000 Michèle Battisti http://owni.fr/?p=26890 Après plus de trois ans de négociations, la Sacem et YouTube ont conclu un accord rendu public le 30 septembre 2010.

Selon l’article du Monde [1], ce contrat couvre la diffusion en ligne par YouTube du répertoire musical géré par la Sacem et la période du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2012. Si l’on ne dispose pas de tous les détails de l’accord, le montant versé par YouTube serait calculé en fonction de la part de marché de YouTube et des montants versés par ses concurrents  pour la période 2006-2010, puis en fonction du nombre de vidéos visionnées par jour et des types de formats publicitaires associés pour la période 2011-1012.

Si la négociation a achoppé si longtemps entre la Sacem et YouTube, c’est parce que la Sacem tenait à appliquer la règle qui, en droit français, veut qu’une rémunération proportionnelle à l’exploitation de l’œuvre soit versée aux auteurs. Selon l’article L 131-4 du Code de la propriété intellectuelle (CPI), en effet, on ne peut envisager un paiement forfaitaire que lorsque la base de calcul de la participation proportionnelle ne peut être pratiquement déterminée, lorsque les moyens d’en contrôler l’application font défaut ou lorsque l’utilisation de l’œuvre ne présente qu’un caractère accessoire par rapport à l’objet exploité.

Fourniture des données statistiques de visualisation

Pour répondre au souci de rémunérer chaque auteur en fonction des usages réels de leurs œuvres, la Sacem a donc obtenu de YouTube un engagement à fournir les données statistiques de visualisation à compter de l’année 2011.

Il était effectivement intéressant de souligner que, contrairement à Viacom, aux États-Unis, la Sacem n’a jamais exigé que l’on retire de la plate-forme les œuvres qu’elle gère, mais qu’elle entend favoriser une exposition maximale  de son répertoire pour rémunérer au mieux ses auteurs [1].

On notera aussi avec intérêt que YouTube avait déjà négocié, souvent avec difficultés, avec les homologues de la Sacem au Royaume-Uni et en Allemagne. Et l’on ajoutera que la Sacem avait déjà négocié avec deux sites français –  Dailymotion, en octobre 2008 et  WatTV – et qu’elle peut s’attaquer maintenant à MySpace et Facebook. De son côté, YouTube a signé aujourd’hui avec huit sociétés d’auteurs dans le monde. Cet accord ne couvrant que la musique, YouTube doit négocier à présent, en France, avec la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (Sacd) et la Société civile des auteurs multimédias (Scam), pour que les vidéos soient totalement couvertes.

Il faut encore demander l’autorisation des producteurs, voire celle des artistes-interprètes

Moins satisfaisante sans doute sera cette dernière remarque soulignant que l’accord a été établi avec la Sacem, société de gestion collective qui représente les paroliers, les compositeurs et les éditeurs de musique. La Sacem ne représentant ni les producteurs ni les artistes-interprètes, il convient toujours, lorsque l’on entend utiliser des œuvres musicales protégées par le droit d’auteur et les mettre en ligne sur YouTube ou d’autres plates-formes ayant négocié avec la Sacem, obtenir l’autorisation des producteurs, voire celle des artistes-interprètes si les producteurs ne disposent pas de leurs droits. En outre, n’oublions pas qu’il faut toujours disposer des droits des auteurs, via la Sacem ou par d’autres voies si les auteurs ne sont pas membre de cette société, pour diffuser cette œuvre musicale sur d’autres supports (un blog, un intranet, un site internet, ..). Doit-on ajouter que l’accord via Dailymotion ou YouTube n’autorise qu’un usage privé et personnel, ce qui rend impossible tout usage collectif, par exemple dans une entreprise ou une bibliothèque ?

Références

1. Un accord entre la Sacem et YouTube garantit la rémunération des auteurs, Véronique Mortaigne, Le Monde, 30 septembre 2010

2. La Sacem annonce un accord rétroactif avec YouTube, Guillaume Champeau, Numérama, 30 septembre 2010

3. YouTube et les artistes français : Sacem à la folie,  Alexandre Hervaud, Ecrans 30 septembre 2010

4. Accord Sacem-YouTube, avancée pour le droit d’auteur sur internet, AFP, Le Point, 30 septembre 2010

5. YouTube et la Sacem signent un accord de diffusion et de rémunération, Christophe Auffray, ZDNet, 30 septembre 2010

Billet initialement publié sur Paralipomènes

Image CC Flickr jk5854

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