OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 La désobéissance civile comme expression d’un nouveau besoin de démocratie http://owni.fr/2011/02/16/la-desobeissance-civile-comme-expression-dun-nouveau-besoin-de-democratie/ http://owni.fr/2011/02/16/la-desobeissance-civile-comme-expression-dun-nouveau-besoin-de-democratie/#comments Wed, 16 Feb 2011 15:58:54 +0000 Marc Milet (Non fiction.fr) http://owni.fr/?p=38077 Arracheurs volontaires d’OGM cultivés en plein champ, enseignants qui refusent de communiquer leurs notes, directeurs d’école qui s’opposent à renseigner des bases informatiques, autant d’actes qui se sont multipliés depuis la dernière décennie et qui ont connu des interprétations contradictoires, tantôt jugés illégaux donc illégitimes pour les uns, parfois perçus comme une forme d’engagement citoyen par les autres.

Dans Pourquoi désobéir en démocratie ? Albert Ogien, sociologue, chercheur au CNRS, et Sandra Laugier, universitaire, professeure de philosophie, ont choisi de mettre en commun leur savoir-faire respectif afin de présenter et de mieux cerner la nature de ces formes publiques d’action présentées par Henry David Thoreau, dès le milieu du XIXème siècle, comme des actes de « désobéissance civile » (DC). La forme interrogative du titre énonce l’apparent paradoxe de ceux qui, selon l’heureuse formule employée, décident de « se mettre volontairement en illégalité ».

Le dilemme citoyen pourrait se présenter en ces termes : pourquoi donc opérer un choix relativement risqué en démocratie, alors même que nous vivons dans un régime de liberté qui offre mille et une manières et opportunités de contester la politique menée et les lois votées, qu’il s’agisse du recours, cyclique, au vote, ou encore de l’usage devenu ordinaire des formes d’action collective telle que la manifestation ? Albert Ogien et Sandra Logier récusent l’appréciation qui ferait de la DC la perception d’une faiblesse interne ou d’une dégénérescence de la démocratie. Ils énoncent, au delà même de la désobéissance civile, dans quelle mesure « la résistance » se révèle consubstantielle à la démocratie.

D’une désobéissance «civile» à une désobéissance «civique»

Cette thèse, forte, selon laquelle « la désobéissance civile est une forme d’action politique constitutive de la démocratie » (p.199) est défendue et assénée tout au long de l’ouvrage. La désobéissance civile contribue au perfectionnement démocratique par l’extension continue de droits qu’elle appelle, le contrôle citoyen qu’elle exerce, la manifestation d’une société ouverte dont elle témoigne. En ce sens, l’ouvrage offre une analyse des formes contemporaines de l’action collective alliée à une réflexion profonde sur l’essence même du politique. Les auteurs nous montrent ainsi notamment comment s’opère un déplacement du champ d’action, du champ politique au champ judiciaire dans lequel intervient la figure du juge appelé à trancher le litige démocratique. Même si l’on disposait déjà d’analyses centrées sur certains aspects de la question (citons les travaux de la juriste Daniel Lochak, du politiste Daniel Mouchard, de la sociologue du droit Liora Israël), l’alliance de deux approches, sociologique et philosophique, permet de disposer, une fois n’est pas coutume, d’une lecture relativement exhaustive du phénomène. En témoigne le plan retenu qui, après un cadrage des principaux enjeux, propose une enquête avant de revenir à une interrogation sur le statut même du politique.

Pour qui souhaite disposer d’un panorama historique des idées, l’ouvrage offre en premier lieu une présentation synthétique, claire et très utile de la pensée des principaux auteurs qui, de Thoreau, à Hanna Arendt, en passant par John Rawls, ont conceptualisé ou étayé la théorie de la désobéissance civile. Loin de s’en tenir à une pure reprise des théories évoquées, les auteurs s’engagent dans le débat, refusent de voir dans la désobéissance, devenue « civique » sous la plume d’Etienne Balibar, les prémices d’un grand soir, là où il s’agit avant tout de contester l’illégitimité des politiques menées.

Ils choisissent en ce sens aussi de bien distinguer les « désobéissants », professionnels ou militants de la contestation renouvelée, des « désobéisseurs », qui mettent en acte les quatre attributs définis par les deux auteurs comme aux conditions mêmes de l’acte : une rupture d’allégeance à l’Etat qui soit ainsi de caractère public, personnel, général et établi au nom de principes ou d’impératifs moraux supérieurs.

Les quatre domaines retenus – ceux de la médecine libérale, de l’hôpital, de l’école, et de l’université – contreviennent à la présentation devenue l’idéal typique du faucheur d’OGM, et nous montrent une autre réalité moins connue alors même qu’elle se révèle sans doute plus significative d’un phénomène qui, sans être majoritaire, s’est largement répandu. Les agents de l’Etat qui subissent une « dépossession » de leur activité au profit d’une culture du rendement aux résultats parfois absurdes s’engagent dans de multiples actions en désobéissance à travers le refus individuel ou collectif de remplir leurs obligations légales, pour l’essentiel sous forme d’un refus de transmission de données administratives.

Une réponse à l’émergence de la performance dans la sphère publique

Les pages sans doute les plus intéressantes de la partie empirique de l’ouvrage, dans la continuité d’une sociologie économique établie par Max Weber, montrent alors le lien étroit entre l’esprit du capitalisme et la dynamique bureaucratique. Au tournant de ce nouveau siècle, celui-ci prend la forme d’un impératif d’efficacité qui établit la culture de résultat en forme de gouvernement, impose désormais les critères de performance d’entreprise à l’action publique et politique, fait de la quantification (le recours aux chiffres afin d’évaluer l’écart par rapport aux objectifs) le nouvel étalon de la bonne gouvernance. Même si le détour par un chapitre complet consacré aux processus de chiffrage, éloigne quelque peu du propos, c’est pour mieux démonter les arcanes de ce processus : les buts secondaires (les moyens) se substituent aux objectifs, dont il est aussi rappelé dans quelle mesure leur définition même, loin d’être aisée, renvoie à de multiples problèmes et méconnaît les luttes sur les différents critères de finalité à retenir.

Dans la lignée cette fois-ci des travaux sociologiques français sur la fabrique des risques, il apparaît que c’est l’Etat en définitive qui contribue à créer lui-même la DC (l’orientation des politiques d’immigration est définie comme le point d’orgue de cette logique) ; dans les pages parmi les plus convaincantes de l’ouvrage, l’on comprend ainsi mieux le renouveau de ce type de pratiques. En guise de deuxième face d’un même miroir, le retrait de l’Etat de la sphère sociétale conduit aussi à rogner immanquablement sur l’espace de la désobéissance civile.

Le titre du livre ne rend toutefois pas pleinement compte du champ investi, car de ce fait, les cas traités demeurent centrés quasi-exclusivement (hormis la médecine libérale mais encore s’agit il d’un secteur en lien avec les subsides publiques) sur les actes de désobéissance civile dans les organismes de Service Public.

L’apport d’une double analyse de sociologue et de philosophe rencontre (seulement) sur ce point sa limite, dès lors que l’exercice s’apparente bien plus à une juxtaposition des approches qu’à un véritable regard croisé. Dans la lignée de la littérature existante, on peut aussi déplorer l’absence de confrontation avec le « cas limite » que constitue le positionnement de certaines associations anti-avortement qui aiment à se placer sous le sceau de la désobéissance civile. Les actions collectives d’empêchement de la pratique des avortements menées par des militants radicaux pose l’aporie que constitue l’autolégitimation de la mobilisation (j’énonce un principe que je pose comme universellement accepté, en l’espèce « le droit à la vie »). De notre point de vue, l’intégration dans le débat des ces formes de révolution conservatrice, offrirait une interrogation intéressante sur la nature même des attributs de la désobéissance civile.

On est en effet loin de penser que cette interrogation offrirait un cadre justificatif de ces actions, pas plus qu’elle ne saperait les fondements légitimes de la DC. Une telle comparaison aurait le mérite de contrevenir à l’idée selon laquelle la désobéissance civile ne servirait qu’à légitimer certains mouvements de protestation vis-à-vis des politiques gouvernementales menées. Albert Ogien doit d’ailleurs lui-même concéder que le cas des protestations des médecins « ne tomb[e] pas formellement sous la définition de la désobéissance civile ».

L’ouvrage publié dans une collection engagée de « philosophie pratique » entend bien répondre à la question posée. Pour le moins, quel que soit le point de vue adopté par le lecteur, il trouvera dans ces pages une aide à la réflexion citoyenne et un éclairage théorique des plus stimulants sur la question démocratique

Titre du livre : Pourquoi désobéir en démocratie ?
Auteur : Sandra Laugier , Albert Ogien
Éditeur : La Découverte
Collection : Textes à l’appui
Date de publication : 30/11/99
N° ISBN : 2707165409

Article publié à l’origine sur Non-fiction.fr sous le titre Sur le retrait d’allégeance en démocratie.

Photos FlickR CC : Cmic Blog ; Cicilie Fagerlid.

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La SNCF et l’écologie: essai en cours de transformation http://owni.fr/2011/02/15/la-sncf-et-lecologie-essai-en-cours-de-transformation/ http://owni.fr/2011/02/15/la-sncf-et-lecologie-essai-en-cours-de-transformation/#comments Tue, 15 Feb 2011 16:37:19 +0000 Ludovic Bu http://owni.fr/?p=38036 Lors de mes conférences, je cite régulièrement la SNCF comme le meilleur exemple d’une entreprise ayant pour stratégie une intégration horizontale de l’ensemble de la chaîne de mobilité. La compagnie de transports française a, en effet, parfaitement compris le fait qu’un voyageur souhaite qu’on le prenne en charge depuis son point de départ et jusqu’à son point d’arrivée, et non uniquement sur des tronçons de trajets (par exemple d’une gare à une autre). Challenge que seule la voiture individuelle en possession propre réussissait à relever jusqu’à présent, en étant présente dans votre garage et vous amenant jusqu’au parking de votre lieu de destination (voire vous permettant de ne pas avoir à sortir de votre auto en utilisant des services de “drive thru”).

Quand une entreprise publique agit pour l’environnement

Dans cette logique, la SNCF a totalement intégré Keolis (transports en commun locaux, un peu d’auto-partage) et Effia (stationnement, principalement à l’abord des gares, services de vélos, etc). Elle a également lancé le fond d’investissement “éco-mobilité”, doté de 15 millions d’euros, pour entrer dans des start-ups offrant des services permettant de compléter cette chaîne de mobilité. Lors de sa conférence annuelle “rencontres clients”, j’ai découvert qu’elle allait beaucoup plus loin dans sa mise en oeuvre de principes et d’actions en faveur de déplacements moins impactants écologiquement.

Pourtant, de prime abord, je ne m’attendais pas que ce gros paquebot industriel soit à la pointe de l’innovation dans ce domaine. A la fois parce qu’il est toujours difficile de manoeuvrer un tel navire. Qui plus est pour le transformer d’une entreprise de cheminots qui font rouler des trains en une entreprise multi-services orientée voyageurs. A la fois parce que le discours simplifié de la SNCF consiste à expliquer que prendre le train est un acte écolo, car cela pollue moins qu’un même trajet effectué en voiture ou en avion, sans jamais remettre en question l’utilité même des multiples causes de déplacements. Enfin, parce que l’image communément associée à l’entreprise est moins celle d’une entreprise innovante que celle d’une compagnie publique toujours au bord du déficit et à deux doigts de la grève paralysante pour notre pays (image très caricaturale, d’ailleurs, car les jours de grèves ne sont pas si nombreux, mais ils sont très visibles).

Eh bien, lors de la rencontre client 2011, j’ai mangé mon chapeau, et j’ai découvert une entreprise à la pointe dans le secteur. Les initiatives sont lancées tous azimuts, et cela ne semble être qu’un début. Parmi la multiplicité des projets présentés, mon attention a particulièrement été attirée par le projet de gare HQE de Besançon, le nouveau service de mobilité totale à Pau et la transcription audio des affichages visuels à Nancy.

Réjouissances pour les voyageurs dès décembre 2011

La gare HQE ouvrira au public en décembre 2011. Ce sera la première gare en Europe labellisée Haute Qualité Environnementale. Elle sera notamment chauffée au bois et en partie enterrée, ce qui lui permettra d’avoir toujours naturellement au moins une température de 10°. Quant au second projet, la principale innovation est que, désormais, les Palois peuvent utiliser des services de transports en commun, d’autopartage et de location de vélo avec une seule carte et une seule tarification, assurant ainsi une facilité d’usage bien nécessaire pour imposer des modes alternatifs à la voiture individuelle.
Enfin, à Nancy, 120 mal et non voyants peuvent désormais entendre ce qui est affiché sur les panneaux de la gare, en temps réel ! Ce service est également disponible à Amiens et Orléans, et est en cours d’installation à la Gare de l’Est. Outre l’autonomie qu’il procure à ses utilisateurs, pour une fois pas obligés de demander à quelqu’un de leur lire ce qu’ils ne voient pas, j’y vois aussi un début de réponse pour aider tous ceux qui ont des difficultés avec la lecture, et pour qui il est handicapant pour se déplacer.

Mais, si ces trois projets ont retenu mon attention en particulier, il faut que j’ajoute qu’ils s’inscrivent dans un impressionnant ensemble de nouveautés ! Jugez-en vous même : carte interactive vélo + TER en Bretagne, Tram-train à Mulhouse, 25 tonnes de paniers fraîcheurs livrés chaque jour dans 80 gares (uniquement avec des produits de saison et de la région), expérimentation d’une locomotive hybride en vue d’une industrialisation, diminution de 7% des émissions carbones provoquées par la restauration à bord des Thalys (soit 2% de l’empreinte carbone totale de ce train), lancement de la V2 de l’éco-comparateur, création de pas@pas, une plateforme partagée d’achats responsables ou encore lancement de CO2Go, un éco-comparateur individuel en temps réel.

Seul petit bémol, la promotion du covoiturage pour aller dans les gares d’Ile de France, qui a tout de la fausse bonne idée dans son organisation actuelle. En effet, le système, basé sur un site web de mise en relation entre voyageurs, est présenté comme permettant de diminuer le nombre de voitures se rendant dans les gares tous les jours, et donc de la place nécessaire pour les parkings, alors que c’est plutôt la diminution du nombre de parkings aux abords des gares et la réservation des places disponibles aux seuls covoitureurs qui permettra l’augmentation de la pratique. D’ailleurs, aucun chiffre n’a été présenté pour appuyer la démonstration des orateurs, ce qui laisse penser qu’il n’y en a pas…

Mais c’est un bien petit bémol comparativement à tous les points abordés à l’occasion de cette rencontre. D’autant qu’au cours de la séance des questions / réponses, la langue de bois usuellement pratiquée par d’autres dans ce type de circonstances avait été remisée au placard, les principaux dirigeants de la société acceptant la remise en question (notamment du tout vitesse) et répondant parfaitement à mes interrogations. C’est aussi pourquoi, et au vu de cet immense ensemble d’initiatives, j’ai le plaisir de reconnaître que la SNCF est en passe de réussir son pari de devenir l’acteur majeur et incontournable de l’éco-mobilité ! A condition de déployer largement toutes ces bonnes initiatives dans l’ensemble des gares et trains de la compagnie, bien sûr.

Publié initialement sur Le blog de Ludovic Bu sous le titre SNCF: naissance d’un acteur majeur de l’éco-mobilité

Illustrations Flickr CC Mhliaw et Mgrenner

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Ces soldes au rayon justice qui provoquent l’ire des magistrats http://owni.fr/2011/02/08/juge-et-justice-pour-demain/ http://owni.fr/2011/02/08/juge-et-justice-pour-demain/#comments Tue, 08 Feb 2011 19:34:31 +0000 Michel Huyette (Paroles de juges) http://owni.fr/?p=37987 Il y a des jours comme cela. On croit avoir tout entendu, on croit ne plus être surpris par grand chose, mais il n’empêche que l’on sursaute, avant d’avoir envie de hausser le ton. Et c’est peu dire. Revenons un tout petit peu en arrière …

Voici quelques jours, un drame des plus épouvantables a secoué toute la France. Une jeune fille a été tuée dans des circonstances apparemment barbares (1), et un homme, présenté dans les medias comme le probable coupable, a été incarcéré. Aussitôt dans la bouche des élus il a été question de récidive, sans même qu’il soit démontré que tel était le cas, et, au plus haut sommet de l’Etat, une fois de plus, il a été promis la sanction des “responsables” de la justice et de la police.

Le président de la République (2) aurait dit notamment :

Quand on laisse sortir de prison un individu comme le présumé coupable sans s’assurer qu’il sera suivi par un conseiller d’insertion, c’est une faute. Ceux qui ont couvert ou laissé faire cette faute seront sanctionnés, c’est la règle

Les raisons de la colère? Le manque de personnels et les coupes dans le budget

Sauf que les éléments rapportés ces derniers jours nous apportent un éclairage bien différent.
Au service de probation du tribunal de grande instance de Nantes (3), il y aurait selon les informations apportées 16 travailleurs sociaux devant suivre chacun 181 personnes alors que la moyenne nationale est de 84 dossiers par fonctionnaire. A cause du manque majeur de personnel, à la date des faits 896 dossiers n’étaient pas traités, ce qui signifie que cela correspond à près de 900 personnes non suivies (L’Express). (Au même moment le service de probation d’un tribunal important de la région parisienne faisait savoir qu’il existe chez lui 600 dossiers non traités).

Notons en passant que l’individu arrêté faisait l’objet d’un sursis avec mise à l’épreuve pour outrage, ce qui est un très petit délit et peut expliquer, administrativement, que les agents de probation débordés aient privilégié les dossiers impliquant des individus condamnés pour des délits plus graves ou des crimes.

Il a été indiqué à plusieurs reprises que toute la chaîne hiérarchique, jusqu’au ministère de la justice, était totalement au courant et cela depuis longtemps. Pourtant, le ministère de la justice, tout en sachant qu’il manque un juge d’application des peines sur 5 (soit 20 % du personnel), aurait décidé en 2010 de ne pas nommer de quatrième magistrat (Le Point).

Dans un rapport parlementaire (n° 2378) du 15 juin 2005 un député de la majorité écrivait :

A cette faiblesse des effectifs des JAP [3.5% des effectifs du corps - 680 dossiers suivis par juge] s’ajoute celle, tout aussi regrettable des services pénitentiaires d’insertion et de probation et des greffes sur lesquels ces juges s’appuient. Compte tenu de ce qui précède, votre rapporteur ne peut que plaider, une nouvelle fois, pour le renforcement drastique des moyens dévolus à l’exécution et à l’application des peines qui doivent être considérées comme une véritable priorité car, à défaut, c’est l’ensemble de l’édifice pénal qui s’en trouve fragilisé.

Le syndicat de la magistrature a rappelé dans un communiqué que “Par des rapports des 19 janvier et 22 octobre 2010, les juges de l’application des peines du tribunal de Nantes ont averti leur hiérarchie que l’absence, depuis un an, d’un quatrième juge de l’application des peines les obligeait à effectuer des choix de priorités”, autrement dit et en clair que tous les dossiers ne pouvaient pas être traités“, et que “Le 4 novembre 2010, le premier président de la cour d’appel de Rennes a répondu que malgré de multiples rapports et mises en garde de sa part, la chancellerie avait décidé de ne pas pourvoir le poste manquant de juge de l’application des peines de Nantes, qu’il n’était dès lors pas illégitime que les magistrats établissent des priorités de traitement des affaires et que leurs choix n’étaient pas inopportuns”.

L’union syndicale des magistrats a de son côté fait part de son “écoeurement”, et souligné que (4)

800 dossiers ont, en outre, dû être laissés en souffrance, soit l’équivalent de 10 postes de conseillers d’insertion et de probation que le Ministère de la Justice a fait choix de laisser vacants à Nantes, malgré les rapports répétés des services.

C’est ensuite un syndicat de personnels de l’administration pénitentiaire qui a publié une lettre ouverte adressée au chef de l’Etat. On y lit notamment :

(..) L’inspection générale des services pénitentiaires était venue au SPIP de Nantes, il y a quelques mois. Le manque de moyens conduisant à la mise en place, en concertation avec les autorités compétentes, de la mise au placard des dossiers que le service ne pouvait prendre en charge faute de moyens, était connu ! Cette situation, qui existe dans de nombreux services, a été dénoncée à de multiples reprises. (..) En novembre 2010, la CGT Pénitentiaire, en mouvement, demandait entre autres, le recrutement de 1000 travailleurs sociaux, conformément à l’étude de l’impact de la loi pénitentiaire ! Madame Michèle Alliot-Marie, Garde des Sceaux, nous avait gentiment dit que le ministère de la justice et l’administration pénitentiaire étaient des privilégiés : pas d’emplois supplémentaires, hormis les 40 recrutements de travailleurs sociaux pénitentiaires pour l’année 2011. (..) la politique pénale menée par les ministres obéissant à vos ordres, a engendré une surpopulation carcérale, sans recruter des fonctionnaires supplémentaires tant à l’administration pénitentiaire qu’à la Justice en général. (..) a famille de la victime doit savoir que les dysfonctionnements de la Justice ne sont pas le fait d’un fonctionnaire d’un SPIP ou d’ailleurs, d’un magistrat, mais que c’est le fait de la défaillance d’un système, celui de l’Etat qui s’est désengagé de ses obligations depuis de longues années.

Le 15 décembre 2010, le directeur inter-régional de l’administration pénitentiaire avait déjà alerté sur les manques en personnels, en ces termes : “Les difficultés en matière de ressources humaines au sein du ministère de la justice nous imposent d’opérer des choix en termes de répartition des effectifs ne permettant pas de satisfaire les besoins exprimés par chaque chef de service. Aujourd’hui c’est l’ensemble des services pénitentiaires d’insertion et de probation et les établissements qui se trouvent en sous-effectif, alors que la loi pénitentiaire vient ajouter de nouvelles missions aux compétences.” (Marianne)

Unanimité chez les magistrats et les fonctionnaires: tous derrière Nantes

De leur côté, profondément heurtés par les propos du chef de l’Etat, les magistrats et fonctionnaires du TGI de Nantes ont décidé de cesser (sauf urgences) toute activité juridictionnelle pendant au moins une semaine, ce qui, dans une sorte de mouvement désespéré de légitime défense, est plus que compréhensible. Et ils ont rédigé une motion dans laquelle ils écrivent notamment que (5) :

(..) le poste de juge de l’application des peines que le ministère de la justice s’est engagé dans la précipitation à pourvoir et le contrat d’objectif décidé dans l’urgence sont un aveu clair de l’incurie des pouvoirs publics et démontrent que la situation déplorable de la justice aurait pu être évitée depuis longtemps.

La conférence des premiers présidents de cour d’appel a – ce qui est rare – publié un communiqué dans lequel il est écrit qu’elle “exprime sa vive préoccupation devant la tentation de reporter sur les magistrats et fonctionnaires, y compris à travers l’imputation de fautes disciplinaires, la responsabilité des difficultés de fonctionnement que connaissent les cours et tribunaux sous les effets conjugués des contraintes budgétaires et des charges nouvelles imposées par la succession des réformes législatives.”
Dans son sillage, la conférence des procureurs généraux a fait valoir, sur un ton inhabituellement clair pour des magistrats de haut rang soumis au pouvoir hiérarchique du ministère de la justice, qu’elle :

Regrette que la responsabilité de magistrats et fonctionnaires judiciaires et pénitentiaires, comme celle des officiers de police judiciaire, qui oeuvrent au service de leurs concitoyens avec courage et détermination, soit publiquement et immédiatement affirmée avant même la publication du résultat des inspections en cours; Assure de sa totale confiance les magistrats et fonctionnaires mis en cause, alors même qu’ils avaient alerté leur hiérarchie de leur situation de pénurie; Constate que paraissent ignorés les efforts anciens et significatifs des magistrats et fonctionnaires pour faire face à l’accroissement constant des charges résultant de l’augmentation du nombre d’affaires à traiter, de l’exigence de performances plus quantitatives que qualitatives et de réformes législatives ininterrompues et complexes, voire divergentes, en particulier en matière d’exécution et d’application des peines tandis que les moyens humains et matériels sont chaque jour plus contraints;

Souligne que cette situation ne permet plus à l’institution judiciaire de remplir intégralement ses missions, obligeant les magistrats et fonctionnaires à fixer des « priorités parmi les priorités »; Appelle en conséquence l’attention sur l’insuffisance critique de moyens qui, dans de nombreuses juridictions, engendre des situations à risque, en particulier dans les domaines de l’exécution et de l’application des peines; Ne méconnaît pas pour autant les mesures qu’il est de la responsabilité des magistrats et fonctionnaires de mettre en œuvre pour améliorer le service qu’ils doivent à leurs concitoyens (..)

Les conférences des présidents et des procureurs ont, ensemble, fait ” part de leur inquiétude devant la recherche systématique, fondée sur une analyse objectivement contestable, des responsabilités individuelles de magistrats et de fonctionnaires qui effectuent leurs missions avec dévouement et en fonction des moyens limités dont le Gouvernement et le Parlement dotent l’institution judiciaire”, et constaté que ” les restrictions budgétaires et la multiplicité des charges nouvelles confrontent les chefs de juridiction à l’impossibilité d’assurer toutes leurs obligations et les contraignent à des choix de gestion par nature insatisfaisants pour une bonne administration de la justice tant civile que pénale et les intérêts des justiciables.”

L’association des juges d’application de peines a diffusé un communiqué de presse

Les enseignants des facultés de droit ont à leur tour voulu faire connaître leur point de vue.

Levée de boucliers chez les familles de victimes

Il est particulièrement intéressant, au vu du drame qui est en partie à l’origine de la polémique, de connaître l’avis de deux grandes associations de victimes, qui ont publié un communiqué dans lequel elles écrivent, notamment :

“elles demandent que les paroles du président de la République réclamant des sanctions pour les responsables des dysfonctionnements du suivi de l’assassin présumé de la jeune Laëtitia, soient traduites en actes. En effet, il apparaît que les responsables en question, ce sont essentiellement les représentants du pouvoir exécutif qui avaient été avertis du manque de moyens de la juridiction nantaise et des difficultés de celle-ci à suivre tous les dossiers des détenus en liberté conditionnelle”,

que ” Les responsables de l’exécutif, pourtant parfaitement informés de la situation délétère dans laquelle sont plongés les services de la probation et de l’insertion, n’ont pris aucune mesure pour y remédier. Pire, obnubilés par la réduction des dépenses publiques et la diminution du nombre de fonctionnaires, ils n’ont fait ces dernières années qu’aggraver la situation”,

que ” Trois rapports officiels, en effet, ont conclu au nécessaire renforcement des effectifs de conseillers d’insertion et de probation (CIP) : le rapport Warsmann en 2003 qui préconisait la création de 3000 postes, le rapport Lamanda en 2008 qui réclamait d’augmenter sensiblement les effectifs de l’insertion et de la probation et, plus récemment, le sénateur UMP Lecerf, rapporteur de la dernière loi pénitentiaire, qui, en 2009, estimait qu’il fallait la création de 1000 postes de CIP, la loi de finances de 2010 n’en prévoira que 260″,

que “Le problème des moyens se pose en fait d’un bout à l’autre du système judiciaire, des juges d’instruction aux juges d’application des peines : 100 000 peines de prison non exécutées, des prisons qui sont une honte pour notre pays et qui, du fait de la surpopulation carcérale et de l’absence de moyens pour le suivi des détenus se transforment en véritables écoles du crime”,

que ” Monsieur Sarkozy préfère rejeter la faute sur les « lampistes » plutôt que d’assumer les conséquences de ses choix politiques. Il est plus facile de surfer sur l’émotion de l’opinion à chaque fois qu’un drame horrible se produit, en désignant des boucs émissaires, que de reconnaître ses propres erreurs d’appréciation et de remédier à la situation en prenant les mesures concrètes dont le système judiciaire a besoin et qui seules permettront de prévenir la survenue d’autres drames dans le futur”,

que ” L’ANDEVA et la FNATH demandent que le gouvernement cesse ses attaques incessantes contre le système judiciaire, qu’il cesse de se précipiter sur chaque crime odieux dans le seul souci de l’exploiter politiquement dans sa lutte contre les magistrats, sans jamais apporter le moindre remède concret aux difficultés pourtant évidentes dont souffre le système judiciaire français”,

enfin que “L’intérêt des victimes, et plus généralement des citoyens, est d’avoir une justice indépendante, responsable et respectée, disposant des moyens nécessaires à son exercice. Force est de constater que ce n’est pas le cas actuellement et que le système judiciaire ne dispose ni du soutient politique ni des moyens lui permettant de remplir pleinement son rôle”.

Résumons tout ce qui précède : la situation catastrophique du service d’application des peines du TGI de Nantes est connue depuis longtemps, mais le ministère de la justice a choisi, en pleine connaissance de cause et en étant conscient des risques encourus, de ne pas y affecter le personnel nécessaire. (6)

“C’est alors que l’inacceptable rejoint l’injuste”

Mais allons encore un peu plus loin car, d’une certaine façon, ce qui atteint l’institution judiciaire, à Nantes, n’est que l’un des arbres de la même forêt.
Que signifie tout ceci ?

Que de nos jours ceux qui, au moment de la préparation et du vote des budgets, décident en pleine connaissance de cause de réduire et limiter les moyens des services publics, n’hésiteront jamais, même en cas de dysfonctionnement découlant essentiellement de l’insuffisance de ces moyens, à désigner comme seuls coupables et comme boucs-émissaires des professionnels étranglés par l’ampleur de leurs missions et incapables de faire mieux quelle que soit leur bonne volonté.

D’un point de vue psychologique cela est relativement aisé à décrypter. En effet quand, comme à Nantes, il semble que la réduction du budget ait entraîné une réduction insupportable des effectifs et que les coupes financières soient à l’origine d’un dysfonctionnement, l’Etat n’a que deux solutions : soit reconnaître qu’il est responsable des choix budgétaires et des décisions permanentes de réduction des moyens humains et financiers des services publics, donc que c’est lui le principal responsable quand la machine ne fonctionne plus, soit essayer, en jouant sur l’émotion pour dissimuler le stratagème tout de même un peu grossier, de trouver un tiers qui puisse être vu comme responsable à sa place.

C’est pas moi, parce que je veux pas que ce soit moi, alors forcément c’est les autres. Un grand classique que l’on voudrait voir limité à la cour des collèges.

L’enjeu n’est donc pas autour de la justice. Tous les professionnels de tous les services publics  ( la santé, éducation nationale, services sociaux, police et gendarmerie etc..), en tous cas tous ceux dont l’activité professionnelle peut présenter des risques importants pour eux ou pour des tiers, doivent comprendre que demain encore plus qu’hier ils sont susceptibles d’être désignés comme responsables en cas de problème grave, et cela peu important la situation réelle à laquelle ils doivent faire face.

C’est alors que l’inacceptable rejoint l’injuste. C’est alors qu’apparaît, à travers des dénonciations injustifiées, un véritable mépris pour des professionnels qui ne demandent pas mieux que d’offrir le meilleur service possible à leurs concitoyens. Sans doute y a-t-il bien longtemps que l’on sait que politique et morale sont deux termes inconciliables. Mais quand mensonges et mépris se conjuguent il n’est plus possible de se taire.


1. Le corps de cette jeune fille a été découpé avant d’être dispersé.
2. Si le sujet n’était pas si sérieux la phrase semblerait amusante. Il est en effet suggéré de garder les condamnés en prison, même quand ils ont effectué l’intégralité de leur peine, tant qu’il n’y a pas assez d’agents de probation pour s’occuper de tous !  Autrement dit, vous êtes condamné à 2 années de prison dont 1 année avec sursis, vous faites 365 jours de prison, mais comme vous êtes à nantes et qu’il n’y a pas d’agent de probation pour vous suivre, en attendant que les effectifs augmentent vous faites une 2ème, puis une 3ème, puis une 4ème…. année de prison.
3. Les services d’exécution des peines comprennent notamment un ou plusieurs juges d’application des peines, ainsi que des agents affectés au service de probation.
4. L’USMA a aussi publié un livre blanc sur l’état de la justice, que vous trouverez ici.
5. D’autres tribunaux ont adopté des motions semblables.
6. A la question qui lui était posée à l’Assemblée nationale le 2 novembre 2010 sur l’insuffisance des effectifs dans les services de probation la ministre de la justice d’alors a répondu : “Vous estimez le nombre supplémentaire de SPIP insuffisant. Ce n’est pas notre analyse au ministère où plusieurs réunions de travail ont eu lieu sur ce sujet : ce que nous avons prévu semble correspondre aux besoins.”……

Billet initialement publié sur Paroles de juges sous le titre De la récidive au moyen des services publics: entre mensonges et mépris

Illustrations Flickr CC ScottMontreal, Marisseay, Sercasey et Stuant63

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Scission de la Belgique : l’UE contre attaque ! http://owni.fr/2011/01/25/scission-de-la-belgique-lue-contre-attaque/ http://owni.fr/2011/01/25/scission-de-la-belgique-lue-contre-attaque/#comments Tue, 25 Jan 2011 15:32:13 +0000 LBLT http://owni.fr/?p=37809
L’UE a tout intérêt à favoriser des initiatives permettant d’anticiper les problèmes complexes qu’une séparation poserait. Toutefois, il serait improductif et surtout traumatisant pour les Belges de voir des partenaires européens de longue date s’ingérer dans leurs affaires intérieures. Certains axes de suggestion peuvent être privilégiés par l’UE afin de pérenniser la stabilité et la paix en Europe, et ce, quel que soit l’avenir de la Belgique. Ils sont présentés ci-dessous .

La ratification par la Belgique de la Convention de Vienne sur la succession d’États en matière de traités de l’ONU de 1978 serait une première étape importante. Elle éviterait d’accentuer la crise en cas de scission soudaine. Cette convention règlerait de facto un certain nombre de problèmes complexes de succession d’ordres juridique et économique, rassurant la communauté internationale et l’UE. L’UE pourrait avoir un rôle important à jouer dans cette étape au vu de la crise économique en cours affaiblissant l’euro et la crédibilité européenne.

Créer une unité culturelle pour réinventer une « âme belge » meurtrie

Endettée à plus de 90% de son PIB, la Belgique pourrait faire des réformes structurelles. Elle en est toutefois privée en raison d’un gouvernement sans majorité depuis près de 2 ans, situation propice à une augmentation de la dette post-crise et à l’affaiblissement de l’euro. Les partenaires européens ont donc tout intérêt à intensifier leur lobbying auprès des politiques belges afin qu’ils trouvent rapidement une solution à ce statu quo politique nuisant aux finances belges et pouvant affaiblir de nouveau l’euro.

En contrepartie des efforts institutionnels ci-dessus consentis par la Belgique, l’Union européenne pourrait s’engager à participer au financement d’un grand événement culturel dans différentes villes de Belgique, à rayonnement Européen et international inspiré des « villes capitales européennes de la culture ». Cet événement serait pour les Belges l’occasion de présenter leur pays, leurs cultures et leur histoire au monde entier.

Aussi, cela leur permettrait de revenir sur leur passé, présent et futur autrement que par des sondages d’opinion et les médias. Cet événement permettrait au peuple belge de se décider en pleine âme et conscience sur son futur. Si séparation il y avait, l’avantage serait de présenter les deux nouveaux pays à la communauté internationale toute entière. Dans les deux cas, l’Europe a tout intérêt à appuyer et participer à cet événement à caractère exceptionnel et unique sur tout le territoire belge.

De plus, des retombées économiques importantes sont à prévoir dans tout le pays si l’on en juge par ce qu’il s’est passé à « Lille, capitale Européenne de la culture » (1€ public dépensé à rapporté 10€ de retombées économiques locales).

Eviter la partition par l’éducation

Le risque « d’effet domino » et de contagions à d’autres régions européennes étant réel, il est important de renforcer les échanges régionaux dans les régions considérées comme sensibles en termes de demande de plus d’autonomie ou d’indépendance.

Afin de pallier le manque de connaissance de la culture de l’autre, souvent responsable d’un repli sur soi et ses valeurs, le public scolaire est particulièrement visé puisque ces enfants sont les adultes de demain. Afin de faire prendre conscience de ce qui nous uni dans nos différences, le respect des valeurs de la culture de l’autre, de sa langue et l’enseignement d’une forme de culture Européenne pourraient être promus à l’échelle nationale et européenne. Cela permettrait de favoriser une plus grande ouverture d’esprit de la population dont l’Europe a tant besoin pour poursuivre sa construction dans l’Union plutôt que la division.

La région de Bruxelles cristallisant les désaccords, une solution de compromis entre Wallons et Flamands pourrait être un facteur de réussite d’une éventuelle séparation. Quel compromis trouver cependant ? Au vu du contexte international et institutionnel de Bruxelles-Capitale, une idée déjà proposée serait d’en faire une ville internationale à statut unique. Les 18 autres communes périphériques pourraient demander leur rattachement à la Wallonie ou la Flandre par référendum local.

La scission belge : une chance pour la construction européenne !

Une autre idée consiste à aller plus loin et de saisir cette opportunité afin de sceller la construction de l’Europe dans le marbre. En clair, faire de ce que tous considèrent comme une menace pour la construction Européenne une véritable force. Comment ? Décembre 2009 a vu l’émergence d’un Président du Conseil européen avec une nouveau traité. Puisque siègent à Bruxelles le Président du Conseil européen depuis cette date, la Commission, les députés Européens pour plus de 60% de leur temps et de nombreux services européens associés, faire de Bruxelles-capitale LA Capitale de l’Europe serait une idée très forte pour la construction européenne. Son statut serait du type cité État dont le caractère serait unique à l’échelle européenne et internationale.

De plus, quel bel exemple pour le futur que de sceller dans le marbre la construction européenne avec un territoire commun à tous les Européens, territoire donné par Flamands et Wallons ?

En définitive, une éventuelle séparation de la Belgique pourrait s’avérer être une chance pour la construction européenne, si tant est que son peuple soit d’accord pour mettre ce petit bout de territoire en commun avec tous les autres Européens.

Finalement, Flamands et Wallons auraient-il l’avenir de l’Europe entre leurs mains ?

Article initialement publié sur Le Taurillon sous le titre : Quel rôle pour l’UE en cas de scission de la Belgique 2/2.

Photo FlickR CC – RockCohen ; James Cridland ; Kwatoko.

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16 ans au parloir, 18 ans dans l’isoloir : la contradiction de la réforme Estrosi http://owni.fr/2011/01/24/16-ans-au-parloir-18-ans-dans-lisoloir-la-contradiction-de-la-reforme-estrosi-securite-mineurs-prison/ http://owni.fr/2011/01/24/16-ans-au-parloir-18-ans-dans-lisoloir-la-contradiction-de-la-reforme-estrosi-securite-mineurs-prison/#comments Mon, 24 Jan 2011 08:08:32 +0000 Jean-Pierre Rosenczveig http://owni.fr/?p=37766 C’est un lieu commun que de relever qu’à moins de 18 mois des élections présidentielles de 2012 tout est pensé, dit, mis en œuvre dans cette perspective chez eux qui aspirent à l’emporter. A l’orée de l’été le président de la République avait remis une feuille de route très claire dont tous les grands médias s’étaient fait l’écho : pendant l’été il fallait « cliver » l’opinion. On n’a pas été déçu du voyage ! On en a payé le prix fort en interne et à l’international avec l’attaque anti-roms.

Aujourd’hui, le nouveau leader des députés UMP s’en prend à la fonction publique en remettant en cause de manière radicale le statut des fonctionnaires. Et bien évidemment le terrain de la sécurité offre une foultitude de pistes, souvent exploitées dans le passé, mais toujours susceptibles de faire recette dans la mobilisation médiatique de l’opinion. Et encore plus quand il s’agit déjà de reconquérir l’électorat droitiste perdu.

Estrosi, propositions…

Le président lui-même reprend sa vieille idée de juges populaires élus auprès des juges correctionnels et des juges de l’application des peines quand, dans son coin, apparemment en flibustier, Christian Estrosi agite à nouveau le spectre de la délinquance juvénile qui met à feu et à sang le pays en toute impunité. Pour le maire de Nice, en phase dans l’analyse avec le président, la jeunesse d’aujourd’hui serait différente de celle d’hier. il conviendrait donc de lui appliquer un droit différent : à tout dire celui des adultes qui serait plus performant.

Il propose déjà de revenir sur deux l’idée qui a dominé le XX° siécle depuis 1912 qui veut qu’un enfant ne doive pas être puni comme un adulte.

Il entend supprimer le bénéfice de l’excuse de minorité qui fait qu’une personne de moins de 18 ans encourt une peine moitié moins élevée que celle encourue par un majeur qui aurait commis des faits analogues : un an et demi pour un vol simple quand la peine est normalement de 3 ans, 2 ans et demi pour un vol avec violence au lieu de 5 ans, 3 ans et demi si ce vol avec violence est commis en réunion et pour peu qu’il soit commis dans un lieu destiné aux transports voyageurs la peine est de 5 ans quand pour un adulte elle pourrait être de 10 ans. Précisons que cette règle n’empêche pas un mineur d’être plus sévèrement puni qu’un majeur s’il a eu une part plus importante dans l’action delictuelle commune.

Estrosi, action!

La proposition Estrosi ne vise que les 16-18 ans. En l’état elle épargne les moins de 16 ans pour lesquels cette réduction de la peine encourue est en toutes circonstances acquise : un moins de 16 ans ne peut pas être tenu pour un adulte. En revanche, le principe serait de punir systématiquement les 16-18 ans comme des adulte saufs à ce que le juge des enfants maintienne qu’ils n’ont pas la maturité d’un enfant.

Concrètement, et c’est la deuxième proposition Estrosi, les 16-18 seraient renvoyés devant un tribunal correctionnel normal pour être jugés, sauf à ce que le juge des enfants qui a instruit le dossier s’y refuse, mais il lui faudra se justifier.

En langage commun avec ces deux préconisations il s’agit bien d’abaisser a priori la majorité pénale à 16 ans au prétexte affirmé, mais pas démontré de l’évolution de la psychologique des jeunes. De même affirme-t-on que cette reforme serait conforme aux grands principes du droit et à l’ordre international auquel la France a adhéré.

Surtout ne pas laisser l’idée germer chez les parlementaires

On pourrait négliger ce projet et son argumentaire en considérant qu’une telle réforme n’a quasiment aucune chance d’être votée au regard déjà de l’ordre du jour parlementaire, avec un gouvernement et des élus qui doivent déjà faire face à la nécessité d’une réforme de la garde à vue, qui doivent se positionner sur le statut du parquet avant d’envisager de s’attaquer, réforme qui tient à coeur du président, à la suppression du juge d’instruction.
La barque était déjà bien chargée pour une année qui doit certes être utile, mais qui on le relèvera aussi ne peut pas être concentrée sur la justice. Elle l’est encore plus qu’il faut d’ici un an introduire les juges correctionnels populaires et montrer que ce dispositif peut fonctionner.

Il faut pourtant mener le combat des idées afin de ne pas laisser s’installer insidieusement l’idée que M. Estrosi pourrait avoir raison sur un quelconque point quand il a tort sur l’ensemble.

Eléments pour un contre-argumentaire

Premier élément du constat faux : les 16-18 ans ont désormais une maturité d’adultes et non plus d’enfants.

Il va de soi qu’on doit se méfier des généralisations. Certains peuvent être mûrs très tôt et faire preuve de très grand sens des responsabilités – conf. la période de la Résistance – quand d’autres à 77 ans sont encore des enfants.

Si M. Estrosi est si sûr de lui pourquoi n’en tire-t-il pas la conséquence en proposant l’abaissement de la majorité politique à 16 ans comme certains l’ont déjà fait dans le passé (les jeunes UDR, François Dolto). Il suffit de relire son texte pour en mesurer la vacuité. On affirme, on ne démontre pas.

Un mineur de 1945 n’est plus un enfant en 2010 ! C’est d’ailleurs la raison qui a conduit les majorités successives à confier de plus en plus de responsabilités aux jeunes : abaissement de la majorité civile à 18 ans, création de la conduite accompagnée qui permet de conduire dès 16 ans, abaissement de l’âge pour devenir député à 18 ans voté à l’assemblée dans un texte en cours de discussion.

Bref, le seul exemple valable est tiré de la conduite assistée. Quelle rigueur scientifique et politique. Un peu plus loin – rigueur dans la pensée et dans l’écriture ! – M. Estrosi avance que

Cela parait plus en phase avec la réalité de notre temps et permet de coordonner la majorité pénale avec l’âge de la non obligation de scolarisation et l’âge légal du travail.

Travailleur, délinquant mais pas électeur ! Cherchez la cohérence.

Deuxième argument : la délinquance des moins de 18 ans a augmenté de 16,19 % entre 2004 et 2008.

Vrai en valeur absolue ; faux en valeur relative. La part de la délinquance des moins de 18 ans dans la délinquance globale décroit depuis 2000. Elle était de 16% dans les années 80 pour monter à 20,4 % en1999 et décroitre en 2008 à 17%. En d’autres termes, non seulement la délinquance de adultes reste de 4 fois supérieure à celle des moins de 18 ans, mais elle reprend plus d’ampleur dans la dernière période.

M. Estrosi vise peut être les jeunes adultes de18-25 ans, mais cela ne concerne pas les moins de 18 ans !!!! Dit autrement : où est l’actualité sociologique d’une réforme qu’on présente comme révolutionnaire ? On est bien purement et simplement dans l’idéologie.

Troisième argument : la proposition de loi Estrosi se veut innovante.

Il estompe qu’en 2007 deux lois (mars et septembre) sont venues élargir considérablement les possibilités de retirer l’excuse atténuante de minorité aux 16-18 ans auteurs de délits ou de crimes introduite en 1992. Non seulement le juge peut considérer comme par le passé qu’au moment du délit le jeune de 16-18 ans a fait preuve d’une maturité digne d’un adulte, mais il peut encore s’attacher à la gravité de l’acte commis lui-même, ce qui est déjà aberrant. Mieux, la loi retire automatiquement le bénéfice de l’excuse de minorité au jeune en double récidive légale quitte au juge a lui en restituer le bénéfice s’il trouve des argument dans le dossier (et s’il est près à en assumer la responsabilité publique quand il sera interpellé). Ces deux réformes, l’une votée avec M. Sarkozy comme ministre de l’intérieur l’autre avec M. Sarkozy comme président de la République, étaient-elles aussi mal évaluées par leurs auteurs qu’il faille les revoir 3 ans plus tard?

Quatrième argument : tout cela est conforme à la Constitution et à l’ordre international.

M. Estrosi affirme avoir beaucoup travaillé sur ce point. Là encore il est léger.
Dans sa décision du 29 août 2002 le Conseil Constitutionnel considère que

constituent des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, ayant à ce titre valeur constitutionnelle en vertu du Préambule de la Constitution de 1946, les principes de l’atténuation de responsabilité pénale des mineurs en fonction de l’âge, de la primauté de l’action éducative, s’agissant de la «nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité» et de la spécialisation des juridictions et des procédures concernant les mineurs.

Ainsi la loi de 1906 qui fixe à 18 ans la majorité pénale est un grand principe de constitutionnalité

Le risque encouru? Stigmatiser les jeunes

Le Conseil Constitutionnel n’aurait pas à pousser très loin les investigations sur les intentions du législateur. M. Estrosi l’assène :

Ces deux mesures reviendront à abaisser dans la plupart des cas l’âge de la majorité pénale à 16 ans.

De même le Conseil entend-il garantir la spécificité de la justice des mineurs à travers des magistrats spécialisés. Il censurerait le renvoi devant un tribunal correctionnel auquel la Commission Varinard elle-même avait renoncé dans le rapport remis le 3 décembre 2008.

Nous avons ratifié la Convention internationale sur les droits de l’enfant en adhérant à la majorité civile et pénale à 18 ans. Ce texte fait un sort spécifique aux enfants parce que justement ce sont des enfants. Ce serait fantastique de voir la France revenir sur son engagement. Là encore n nous porterions un sacré coup de canif – un de plus – à notre fond de commerce international de patrie auto proclamée des Droits de l’homme.

On peut argumenter et polémiquer sur tout cela. La réalité est bien connue de ceux qui réellement se sont penchés sur le dossier et ne sont pas dans des enjeux électoraux où il faut agiter la peur d’une partie de la population en détournant son attention des vrais problèmes du pays. On doit refuser le discours sur les jeunes, (avec l’amalgame enfants et jeunes majeurs) responsables de tous nos maux, ne respectant pas l’autorité, pour ne pas viser les jeunes de certains quartiers et ceux issus de l’immigration récente !

Et dans la réalité, les faits ne sont pas si sombres

On peut résumer simplement les données du problème « Prévenir la récidive des enfants délinquants». Les lecteurs réguliers de ce blog ne seront pas surpris.
Là encore on ne peut pas faire l’économie de les réaffirmer :

- La loi est plus performante qu’on le dit pour avoir été régulièrement révisée. Il ne faut pas la révolutionner au point de supprimer le sort particulier fait aux enfants avec le souci d’etre non pas angélique, mais performant, les techniques appliquées aux adultes ne peuvent pas fonctionner pour eux. Il ne faut pas changer la loi, mais réunir les moyens pour la servir ;

- Avant d’être judiciaire, le problème est policier : le taux de réussite de la police est de moins de 30% !

- L’enjeu n’est pas tant de punir que de mettre en œuvre les mesures éducatives décidées. Ce qui est loin d’être le cas : on manque de structures d’accueil pour les jeunes que l’on veut éloigner et le milieu ouvert n’a pas les moyens nécessaires. Les délais de mises en œuvre des mesures restent trop longs.

- Il faut s’inscrire dans la durée : vouloir revenir en quelques temps sur des années de dégradations relève de l’utopie, de même qu’on ne peut pas soigner une maladie grave en 5 mn avec un cachet d’aspirine ;

- Il faut imaginer des réponses sur mesure pour les jeunes vraiment inscrits ou en passe de s’inscrire dans la délinquance ;

- Il faut mobiliser les compétences parentales et non pas les dégrader et les pénaliser ;

- Il faut valoriser les compétences des jeunes et non pas vouloir les mater ;

- Il faut souvent les soigner avant de les punir ;

- Surtout il faut leur donner de l’espoir de pouvoir vivre autre chose et déjà leur offrir de faire un long bout de route avec des adultes qui croient en eux et dans lesquels ils se reconnaissent.

- S’ils suffisaient d’incarcérer les enfants pour éradiquer le crime cela se saurait depuis longtemps. Des hommes ( et des femmes) plus que des murs reste le vrai slogan à retenir.

A quelques détails près, telles sont les pistes à suivre pour répondre à la délinquance acquise des moins de 18 ans. Je ne reprends pas ici l’autre démarche qui vise à prevenir la primo-délinquance.

Interrogeons nous et vérifions si les conditions sont déjà réunies pour mettre en place ce programme. J’observe que malgré toutes les fausses critiques qui lui sont adressées (absence de réponse judiciaire, laxisme, lenteur, inefficacité etc.), notre justice tient la barre et contribue à protéger la population et à rendre justice aux enfants mais aussi aux victimes.

Je ne relèverai qu’un point : 85% des jeunes personnes délinquants le temps de leurs enfants ne le sont pas après leur majorité. On est loin d’échouer.
Ce n’est pas en abaissant la majorité à 16 ans, à 14, à 10 voire à 3 ans comme je le proposais avec un brin d’humour qu’on éradiquera le crime, mais en menant une politique pénale de réinsertion fondée sur l’éducation, ce qui n’exclut pas la fermeté.

C’est sûrement plus facile de voter un texte de loi. Mais ce n’est pas protéger la population, réellement.
Même la commission Varinard n’a pas osé tordre le cou aux réalités comme M. Estrosi le fait. On est dans la démagogie pure et dure. Espérons que l’électeur s’en rendra compte car nous n’en sommes qu’aux hors d’œuvre de la campagne.

A lire pour ceux qui m’accuseraient d’anti-UMP primaire: un écrit commun sur le sujet avec un député UMP [Claude Goasguen]

Billet initialement publié sur Jprosen sous le titre Cap2012: on recharge les accus sécuritaires

Illustrations Flickr CC Luigipics, FloridaMemory, State Library

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Réforme du bac STI : de la fin des ateliers pratiques à la disparition des ouvriers http://owni.fr/2011/01/18/reforme-du-bac-sti-de-la-fin-des-ateliers-pratiques-a-la-disparition-des-ouvriers/ http://owni.fr/2011/01/18/reforme-du-bac-sti-de-la-fin-des-ateliers-pratiques-a-la-disparition-des-ouvriers/#comments Tue, 18 Jan 2011 11:04:11 +0000 Mathieu L (Les privilégiés parlent aux Français et au Monde) http://owni.fr/?p=37671 En France, on se passionne toujours, lorsqu’on parle d’éducation, sur des sujets touchants les matières générales. Par exemple, la disparition de l’histoire-géographie en terminale scientifique a fait couler beaucoup d’encre durant les mois précédents. On s’intéresse beaucoup moins à toute une série de matières et de disciplines qui concernent plutôt les domaines techniques et industriels. Aujourd’hui, il existe plusieurs bacs techniques et professionnels qui forment à ces voies.

Dans les lycées généraux et techniques, on trouve principalement les bacs Science et technologies industrielles (STI) et Sciences et technologies de laboratoire (STL). Ces bacs aboutissent à des formations courtes dans le supérieur et donnent en général de bons débouchés aux élèves qui les choisissent. Ils ont largement participé à la démocratisation du baccalauréat engagée dans les années 1980.

Pour les inspecteurs d’académie, la France est un pays de concepteurs, pas d’ouvriers

Le bac STI nécessitait une réforme car ses programmes dataient de 1993. Les syndicats enseignants la réclamaient largement et un premier projet était en préparation sous les gouvernements Raffarin puis De Villepin, avec de fortes discussions entre entreprises, gouvernement et syndicats enseignants. Il avait presque abouti mais Xavier Darcos le suspendit brutalement en 2007.

A l’époque, nous avions pensé que le ministère allait tout simplement le supprimer, laissant ces formations à l’enseignement professionnel. Or, dans le cadre de la réforme du lycée, le gouvernement y est revenu, annonçant au début de 2010 la naissance du bac Sciences et technologies Développement Durable (STI2D)… Bon, voici encore le développement durable qui réapparaît et qui encadre le futur de nos ouvriers spécialisés. Actuellement, ce terme figure dans tous les programmes de l’école, à tous les niveaux.

A ceux qui croient que l’éducation n’a plus d’objectifs politiques…

Au-delà de ce terme, il est intéressant de regarder ce que contient ce nouveau diplôme qui remplacera la STI le 1er septembre prochain.

Tout d’abord, les enseignements généraux sont nettement augmentés (avec l’arrivée de la 2e langue). Surtout, on change totalement l’approche de la partie technique en abandonnant le travail sur machines et en s’appuyant uniquement sur des notions théoriques et de conception.

En clair, on met en place un bac qui n’est plus du tout une voie permettant de former des ouvriers très qualifiés mais visant plus précisément à former des concepteurs et des ingénieurs. La formation des ouvriers retombe donc sur le lycée professionnel. On peut voir clairement l’objectif budgétaire qu’il y a derrière ça : en se passant des ateliers, on fait d’importantes économies, et les régions qui ont construit ces dix dernières années de magnifiques lycées autour de machines flambant neuves vont en être pour leurs frais.

Il y a aussi là-dedans de grosses économies de postes et les premières vraies attaques contre les statuts des enseignants, mais je voudrais plutôt souligner autre chose et m’intéresser aux discours des inspecteurs de ces disciplines. Lorsque ceux-ci présentent le nouveau bac aux enseignants, ils n’y vont pas par quatre chemins et sont très directs : la France ne doit plus former d’ouvriers, même très qualifiés, mais des concepteurs. Nous sommes dans une situation où il est évident que les tâches de fabrication ne se feront plus ici et il devient inutile d’envoyer des jeunes dans le mur en les formant à des métiers qui n’existeront plus dans notre beau pays.

Sans ouvrier pourquoi relocaliser les usines?

Cette réforme permet de comprendre trois choses à propos des politiques menées actuellement par notre gouvernement :

Tout d’abord, on peut vraiment remettre en cause ce calcul. En effet, les nouveaux pays industrialisées se sont depuis longtemps attaqués à la conception mais ne maîtrisent pas toutes nos techniques industrielles. Se priver de bons ouvriers en s’appuyant sur une organisation du travail déjà dépassée est très risqué. Très vite, nous n’allons plus du tout être les commandants de la production des usines du Sud, mais les concurrents de ces mêmes pays sur des productions industrielles équivalentes aux nôtres. Nous pourrions encore conserver un peu d’avance, mais si nous formons des cerveaux, nous n’aurons plus de bras.

Ensuite, cette réforme sépare les parcours possibles pour les jeunes entre le général et le professionnel. Que vont devenir tous ces gamins qui partent aujourd’hui dans le technique s’ils n’ont plus le choix qu’entre du général pur ou du technique très élevé mais forcément difficile, et du professionnel très mal vu dans notre pays ?

Enfin, on peut clairement remettre en question les beaux discours de notre président sur la soi-disant réindustrialisation nécessaire de la France. On peut toujours ramener des usines ici, mais si on a plus d’ouvriers très qualifiés à y mettre, quel intérêt ?
En clair, l’Etat a fait un choix fort : la France poursuivra définitivement sa désindustrialisation. On ne peut que s’en étonner et même s’en inquiéter. Je me demande bien ce qu’en pensent les patrons des entreprises industrielles qui sont encore en France et qui ont choisi d’y rester. Sont-ils informés que les filières qui leur fournissent leurs salariés vont profondément changer ? Cher camarade employeur, il est à craindre que tu sois obligé de délocaliser, même si tu ne le voulais pas.

Étonnante époque…

Article publié initialement sur Les privilégiés parlent aux Français et au Monde sous le titre Par la réforme du bac STI, la France entérine la disparition de son industrie.

Illustrations CC Flickr par Stéfan et CAPL

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Politics fiction: qui s’occupera des deux (ou trois) Belgique ? http://owni.fr/2011/01/17/politics-fiction-qui-s%e2%80%99occupera-des-deux-ou-trois-belgique-partition-wallonie-bruxelles/ http://owni.fr/2011/01/17/politics-fiction-qui-s%e2%80%99occupera-des-deux-ou-trois-belgique-partition-wallonie-bruxelles/#comments Mon, 17 Jan 2011 13:35:21 +0000 LBLT http://owni.fr/?p=37650

Beaucoup s’accordent à dire aujourd’hui que la probable scission de la Belgique serait une catastrophe et un échec de la construction européenne. Certes, après le « non » français et hollandais à la constitution de Lisbonne, la volonté des peuples européens de poursuivre l’aventure de leurs gouvernants, vieille de près de 60 ans, était fortement remise en cause. Le colosse aux pieds d’argile a vibré mais reste bien ancré et s’est consolidé fin 2009 avec un nouveau traité donnant plus de droit au Parlement et instituant un Président de l’UE. Aujourd’hui, de nouveaux éléments menacent le devenir de la construction européenne.

A l’heure de la globalisation et de cette « super Union » qui lie les pays dans un marché commun à grande échelle, nous prenons peu à peu conscience que les régionalismes s’exacerbent au niveau local, menaçant le postulat de base de la construction européenne : faire la paix en Europe et compter sur le fait que l’on est plus fort ensemble. Le cas belge en est la parfaite illustration : deux peuples se déchirent et ne semblent avoir aujourd’hui en commun que leur Roi.

La scission d’un Etat membre, une hypothèse absente des traités

Le Belgique se trouve aujourd’hui dans une situation paradoxale. Pays fondateur des Communautés européennes, venant tout juste de conclure la présidence tournante de l’Union, il perturbe la construction européenne par les menaces de scission des Flamands et Wallons. Il est d’ailleurs particulièrement symbolique qu’une éventuelle scission d’un pays européen se déroule justement dans celui où se trouvent les institutions européennes, symboles de paix et de construction d’un avenir commun.

Il y a quelque chose de paradoxal : d’un côté on veut construire la paix en unissant les peuples via des institutions communes donnant des droits nouveaux aux citoyens européens. De l’autre, à l’échelle locale, on s’aperçoit que les nationalismes s’exacerbent, et que l’on ne souhaite plus partager un héritage avec son voisin pour des raisons linguistiques, culturelles et/ou économiques. La solidarité européenne ne vaut peut-être plus à l’échelle locale.

Alors que les Allemands se sont réunifiés il y a 20 ans, les Flamands souhaitent aujourd’hui se séparer des Wallons.
Deux nouveaux pays provenant de la scission d’un autre seraient-ils automatiquement intégrés à l’Union Européenne ou bien faut-il revoter leur adhésion via un accord de l’ensemble des autres partenaires Européen ? Que disent les traités européens sur le sujet ? Question complexe que les traités ne prennent pas en compte.

Aussi, en cas de scission, que deviendrait l’héritage de la Belgique ? Comment flamands et wallons se partageraient-ils le patrimoine commun…et les dettes ?

Ce genre de problèmes juridiques est normalement géré via la Convention de Vienne sur la succession d’Etats en matière de traités, rapport « onusien » de 1978 et entré en vigueur en 1996. Ce document règle la succession des Etats. Or, la Belgique n’a pas signé ce traité. L’héritage de la séparation risquerait d’être aussi douloureux sinon plus que la séparation elle-même. En cas de divorce, la situation pourrait s’apparenter à un couple qui n’arrive pas à se séparer dans un premier temps, puis, lorsqu’il se décide enfin à officialiser cette séparation, continue de se déchirer pour régler la séparation des biens. Il serait donc urgent d’y réfléchir au plus vite afin d’éviter une situation politique et juridique complexe et inédite.

La Wallonie française : bon deal diplomatique pour Paris mais gros poids économique
Certains disent déjà que la Wallonie demanderait son rattachement à la France. Il est bien difficile de prédire la réaction d’une Wallonie indépendante comme d’un gouvernement français futur sur le sujet. Toutefois, en termes d’intérêts stratégiques et politiques, quelques données peuvent être introduites. Au premier abord, il pourrait être intéressant pour un pays comme la France de voir sa sphère d’influence politique, géographique et économique s’agrandir face à l’Allemagne disposant de 20 millions d’habitants supplémentaires.

Cela signifierait aussi une influence plus grande au sein des institutions européennes via un nombre de députés et diplomates plus important notamment. Toutefois, en termes économiques, le bas blesse. La Wallonie est connue pour son manque d’industrialisation, son chômage (15,4 % en aout 2010 alors que la Flandre est proche de 7 %) et son endettement (entre 4 et 11 milliards d’euros selon les chiffres, la Flandre ayant presque épuré la sienne). Quel gouvernement français aurait intérêt à rajouter un poids supplémentaire aux déficits déjà abyssaux alors que la crise économique hypothèque l’avenir de toute une population ?

De plus, revendiquer la Wallonie éveillerait probablement l’opposition de l’Allemagne dont ce n’est pas l’intérêt premier. La France deviendrait en effet plus influente.

Bruxelles, région capitale des convoitises

La région de Bruxelles, territoire principalement francophone immergée en Flandre, fait l’objet d’appétit commun des flamands et wallons (francophones), et pour cause. Avec 19 communes et environ 1 millions d’habitants (soit 10 % de la population), la ville de Bruxelles, capitale de la Flandre, reste un symbole en raison de son dynamisme économique – il s’agit de la 3ème région la plus riche d’Europe – et de sa connotation internationale très forte.

En effet, plus de 120 grandes institutions internationales y ont leur siège : l’OTAN avec 4.000 personnes, Eurocontrol (2.000 personnes), l’Organisation de l’Unité Africaine, l’Organisation Mondiale des Douanes, l’Assemblée des Régions d’Europe), la Fondation Européenne pour le Management par la Qualité, etc. ou une représentation : l’ONU, avec l’UNESCO, l’UNHCR, l’UNICEF, le PNUD ; l’OMS, le BIT, la Banque Mondiale, la Conseil de l’Europe, l’Organisation Internationale pour les Migrations.

Ce sont au final environ 120 organisations internationales gouvernementales, 1.400 organisations internationales non gouvernementales, 186 ambassades et de nombreuses délégations et représentations diplomatiques au sein d’autres institutions comptant près de 5.000 diplomates et faisant de Bruxelles-Capitale la première place diplomatique au monde. Près de 30% des habitants sont étrangers, et 47% d’origine étrangère. Parmi ces derniers, 55% sont européens (170.000 personnes dont près de 50.000 français qui constituent le groupe le plus important).

C’est également la ville au monde où les lobbies industriels seraient les plus présents après Washington : entre 15.000 et 20.000 personnes dont 5.000 au Parlement Européen. Près de 70% d’entre eux servent les intérêts des entreprises, 20% ceux des régions, villes et institutions internationales et 10% ceux des ONG déversant chaque année près de 750 milliards d’euros dans le monde.

La rue de la Loi, à Bruxelles : à gauche, le siège du Conseil européen, et à droite, le siège de la Commission européenne.

Bruxelles est aussi une place financière importante puisqu’elle est quatrième au niveau européen où près de 16.000 colloques d’affaires se tiennent chaque année, classant la ville à la 3ème place mondiale. Enfin, c’est le siège de la Commission européenne et du Conseil de l’Union. Le Parlement européen où siègent les représentants de tous les peuples européens s’y réunit trois semaines sur quatre. Au total à Bruxelles, près de 30% de l’espace de bureaux disponibles est occupé par des acteurs européens, dont la moitié par les institutions européennes et les organes consultatifs associés.
La présence des institutions européennes engendre près de 13% du PNB et des emplois directs et indirects de Bruxelles-capitale avec près de 30.000 fonctionnaires de la Commission, 3.000 fonctionnaires de Parlement auxquels s’ajoutent 3.000 assistants parlementaires embauchés par 785 députés, 3.500 personnes pour le Conseil de l’Union Européenne et près de 1.500 pour le Comité des Régions et le Comité Economique et Social Européen. Soit au total plus de 40.000 emplois directs. Aussi, jusqu’à 2.000 journalistes sont accrédités au sein des institutions.

Au vu de ce contexte économique, institutionnel et international aux enjeux stratégiques très importants, il est clair que Bruxelles et sa région demeurent un problème supplémentaire et de taille en vue de la séparation car elle cristallise les divergences des Flamands et Wallons.

Le Roi et le peuple, les deux grands perdants

Dans le cas d’une scission, que deviendrait le Roi, peut-être un des derniers dénominateurs communs des Wallons et Flamands ? Celui qui porte par le bout des doigts la stabilité de la Belgique depuis de nombreux mois pourrait bien être le grand perdant d’une scission belge. Les monarchies sont de véritables vecteurs de stabilité d’un pays et de son peuple car elles représentent le référent vers lequel le peuple peut s’adresser et avoir confiance en dernier recours.

Le Roi est donc vecteur de stabilité et de paix et sur le long terme – même si ses pouvoirs sont d’ordre symbolique, ce que ne possède pas un système Républicain qui connait des changements politiques sans « référent suprême » durable. La scission belge aurait certainement pour conséquence a minimal’affaiblissement du système monarchique tout entier, voir l’éviction totale du Roi des Belges. Sa chute représenterait un message fort à toutes les monarchies de la planète, et il est difficile de présumer des effets qu’aurait un tel événement à court ou long terme. Quoi qu’il en soit, le système monarchique en ressortirait affaibli.

Quoi qu’il arrive, la population serait la première concernée par une scission. Source de craintes et de peurs pour le futur, une scission trop rapide et donc traumatisante pourrait avoir des conséquences terribles pour le peuple et la stabilité régionale et Européenne.

Toutefois, même s’il faut laisser la possibilité aux peuples de décider de leur autodétermination et de construire leur propre histoire, ils ne peuvent ignorer leurs voisins souvent inquiets des risques associés à une telle séparation. En tant que peuple fondateur de l’Union européenne, les Belges doivent aussi être attentifs aux craintes de leurs partenaires européens vis-à-vis de leur stabilité nationale (qu’en diraient les Catalans, Basques, Corses ou autres régionalismes européens et internationaux ?) et également de la construction européenne. Il est de leur responsabilité de rassurer la communauté européenne et internationale en créant, en amont, des conditions de séparation pacifique au cas où la séparation deviendrait réalité.


Billet initialement publié sur Le Taurillon sous le titre Quel rôle pour l’UE en cas de scission de la Belgique ? 1/2.

Pour creuser le sujet, découvrez l’application OWNI.fr La crise belge par les datas : démographie, économie et autres critères selon les schémas de partition (deux Etats, Bruxelles indépendante ou ralliée, etc.).

FlickR CC Fr Leslie Sachs ; Anton Raath ; Kristof van Landshoot ; Bruno Desclee.

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Santé : le Vioxx, un serial killer plus fort que le Mediator http://owni.fr/2011/01/03/sante%c2%a0-le-vioxx-un-serial-killer-plus-fort-que-le-mediator/ http://owni.fr/2011/01/03/sante%c2%a0-le-vioxx-un-serial-killer-plus-fort-que-le-mediator/#comments Mon, 03 Jan 2011 12:25:33 +0000 Napakatbra (Les mots ont un sens) http://owni.fr/?p=37473 Le Mediator a tué entre 500 et 2000 personnes. Scandale ! Que penser, alors, du Vioxx, ce médicament anti-douleur et anti-inflammatoire largement utilisé contre l’arthrite entre 1999 et 2004. Il aurait, selon la FDA (Food and Drug Administration, agence de régulation américaine des médicaments) provoqué 160 000 crises cardiaques et attaques cérébrales et 30 000 décès, rien qu’aux Etats-Unis. Chiffre récemment réévalué à 40 000 par une nouvelle étude. En France, c’est le flou artistique… y a-t-il eu un seul mort ? On ne le saura peut-être jamais…

L’inquiétant mutisme de l’Afssaps face à des études accablantes

En 2007, le géant pharmaceutique Merck (commercialisant le Vioxx) a négocié un règlement à l’amiable concernant 95% des 26.600 plaintes déposées contre lui, pour un montant de 5 milliards de dollars. Mais certains plaignants ont refusé l’arrangement, et les procès qui suivent leur cours dévoilent régulièrement quelques cadavres, bien planqués au fond des placards. Le bimensuel Archives of Internal Medicine a notamment révélé, l’année dernière, que Merck n’avait pas publié les résultats d’études cliniques effectuées après la mise sur le marché du médicament. Un oubli, sans doute.

Fâcheux, puisque ces études montraient dès 2001 que le Vioxx augmentait nettement le risque d’attaques cardiaques et cérébrales. Un accroissement estimé à 35% en juin 2001, à 39% en avril 2002 et à 43% en septembre 2004, au moment de son retrait du marché. Malgré ces études, le laboratoire a toujours nié tout risque sanitaire… et pendant ce temps là, il continuait d’accumuler les profits, 2 milliards de dollars tous les ans.

Dans cette affaire, les autorités sanitaires, dont l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), ont été d’une passivité exemplaire. En novembre 2000, l’étude américaine Vigor prouve que le Vioxx entraine une très nette augmentation du nombre d’infarctus du myocarde, ce qu’admet l’Afssaps dans un communiqué. Mais notre Agence nationale fait valoir qu’à l’origine :

cette étude n’avait pas « pour objectif l’étude de la tolérance cardio-vasculaire », elle ne vaudrait donc pas grand chose car « seule une étude spécifique permettrait d’évaluer le risque cardio-vasculaire éventuel » du médicament.

Et les patients sont priés de gober la pilule.

Recommandation d’urgence : attention… aux brûlures d’estomac !

En juin 2002, constatant que le Vioxx est devenu un best-seller en quelques mois (Merck a cartonné sur la pub), le coeur léger, l’Afssaps se décide tout même à recommander aux médecins d’avoir la main un peu plus légère sur les prescriptions, car la molécule engendrerait des effets secondaires notables… sur le système digestif. Quant aux risques cardio-vasculaires, il « est en cours d’évaluation ». En juillet 2004, l’Afssaps rend compte d’une réévaluation du rapport bénéfice/risque avalisée par la Commission européenne quatre mois plus tôt : RAS, tout va bien, « la sécurité d’emploi des coxibs [dont le Vioxx fait partie] n’est pas remise en cause ». Et bonjour chez vous.

C’est alors qu’en septembre 2004, l’Agence tombe des nues. Elle annonce, dans un communiqué, qu’elle « vient d’être informée [...] de la décision des laboratoires Merck Sharp & Dohme-Chibret de l’arrêt mondial de la commercialisation de leur spécialité Vioxx ». Il lui faudra 9 mois de plus pour admettre officiellement que le médicament est effectivement dangereux sur le plan cardio-vasculaire. Ce que ne contesteront certainement pas les milliers de malheureux qui ont claqué entre temps…

Ce qu’on appelle un plan (de pharmacovigilance) qui se déroule sans accro(c)… ?

Billet publié initialement sur le blog Les mots ont un sens sous le titre Vioxx : Le médoc qui a fait 40 000 morts aux Etats-Unis… et aucun en France ?

Photos FlickR CC Hector Garcia ; Adisson Berry.

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La France des rentiers 2, le retour http://owni.fr/2010/12/14/la-france-des-rentiers-2-le-retour/ http://owni.fr/2010/12/14/la-france-des-rentiers-2-le-retour/#comments Tue, 14 Dec 2010 11:35:30 +0000 Patrick Savidan (Observatoire des inégalités) http://owni.fr/?p=37429 Dans une société où le rapport à l’emploi – à des degrés variables selon les secteurs et les niveaux de qualification – devient plus instable, la question de l’épargne et du patrimoine est déterminante. Dans une étude récente, l’Insee a présenté un tableau des pratiques françaises à cet égard. Instructif, le rapport souligne que les Français jouent la sécurité. Finis les placements risqués ! En période de crise, on joue la carte des biens immobiliers, des livrets, des plans épargne-retraite et de l’assurance-vie. On apprend ainsi notamment qu’un cinquième des ménages détiennent des valeurs mobilières en 2010, contre un quart en 2004 et que le nombre de ménages possédant une assurance-vie ou une assurance décès volontaire est en augmentation : 41,8 % en possèdent au moins une en 2010, contre 35,3 % en 2004. Cette étude, qui montre aussi qu’une part croissante de la population dispose de produits financiers et immobiliers (92 % des ménages pour les premiers et 62 % pour les seconds), ne rend toutefois pas compte des inégalités qui persistent dans ce domaine, ni ne souligne le rôle majeur qu’elles joueront, entre héritages et donations, dans la production d’inégalités plus fortes encore dans les années à venir.

Retour au (dés)équilibre du début du XX e siècle

Les inégalités salariales restent certes préoccupantes : en France par exemple, sans tenir compte des avantages en nature, des primes, des stock options, l’échelle des salaires bruts est en effet déjà de 1 à 10 (1 400 euros environ pour un ouvrier non qualifié et 14 000 euros pour un cadre supérieur dans le secteur financier). Et ces chiffres ne reflètent qu’une partie du problème. Par le jeu des moyennes, ils dissimulent d’abord la très forte augmentation des hauts salaires entre 1996 et 2006 (+ 28% pour les 0.1% salariés les mieux rémunérés, alors que 90 % des salariés, sur la même période, ont dû se contenter d’une augmentation de 6,2%). Ces chiffres surtout ne prennent pas en compte la situation de celles et ceux qui ne perçoivent pas de salaires (ou très irrégulièrement), ou qui ne reçoivent que des fragments de salaire sur fond d’emploi en miettes (de ce point de vue, les femmes subissent, on le sait, des injustices profondes).

Dans des sociétés telles que les nôtres, ces inégalités jouent un rôle important dans la reproduction des inégalités de condition. On aurait tort pour autant d’en rester là. De fait, le travail et son salaire ne sont pas les seuls facteurs de différenciation sociale. Il faudrait encore se rappeler qu’il existe une autre manière de devenir riche : l’héritage, anticipé ou à terme.

Dans les sociétés d’Ancien régime et encore au XIXe siècle, c’est ainsi que l’on devenait riches. Au XXe siècle, la tendance s’est inversée et la baisse des inégalités de patrimoine a effectivement entraîné une baisse des inégalités. Comme les travaux de l’économiste Thomas Piketty l’ont montré pour la France, c’était en grande partie lié à la création de l’impôt sur le revenu et au renforcement de sa progressivité après la Seconde Guerre mondiale. En a résulté le sentiment que le rentier était en voie de disparition et que désormais il appartiendrait à chacun de tracer sa propre route, d’assumer par le travail la responsabilité de sa situation sociale, de se « faire soi-même ». L’heure était à la méritocratie !

Un ressort profond de l’inégalité sociale

Nous savons bien que l’égalité des chances, dans les faits, dissimule mal les déterminants sociaux et culturels de la « réussite » sociale. Mais l’injustice ne s’arrête pas là. L’héritage et la rente n’ont nullement dit leur dernier mot ! On s’y intéresse peu et c’est pourtant à ce niveau aussi que se joueront les inégalités abyssales de demain, c’est au creuset de cette injustice que se forgera la société de rentiers qui renaît sous nos yeux aveuglés. Les chiffres sont éloquents, comme le montre une étude récente menée par Thomas Piketty. La part de l’héritage, par donation ou au décès, représentait environ 20 à 25 % du produit intérieur brut au début du XXe siècle. Dans les années 1920-1930, s’est amorcée une baisse, portant celle-ci dans les 1950 à 5% du PIB. Depuis, cette part de l’héritage s’est réorientée à la hausse, lentement tout d’abord, puis de manière rapide depuis trente ans, atteignant 15 % en 2008, avec un horizon, en 2050, estimé à 20-25 %. Si l’on repart de plus loin dans le temps, l’augmentation est encore plus frappante. Et si l’on prend comme point de référence, non plus le PIB, mais le revenu disponible (voir le graphique ci-dessous), nous constatons que la part de l’héritage est aujourd’hui revenue à 20 % du total, soit le niveau qui caractérisait le fonctionnement du capitalisme au tout début du XXe siècle.

L’affaire est grave, et pourtant rien ne bouge. On s’agite sur la question de l’insertion (importante), on promeut l’égalité hommes-femmes (et il faut le faire), on s’inquiète des discriminations (à juste titre), on veut promouvoir « l’égalité des chances », mais pourquoi cette cécité sur ces ressorts profonds de l’injustice sociale ? Il est en effet crucial que tous les individus d’une société donnée puissent, sur un pied d’égalité, entrer et évoluer sur le marché du travail, mais qu’est-ce que cela changera au fond si la société de ce marché du travail est profondément inégalitaire et injuste ? Comment ne pas prendre conscience que, si rien n’est fait au niveau le plus fondamental, les réussites en matière d’insertion, les progrès dans l’égalité salariale, la disparition des discriminations, la prise en compte des conditions de l’égalité des chances, resteront marginales dans les effets produits. On pourra affirmer qu’il y a une valeur éthique de l’accumulation (comme l’avait montré Max Weber dans son “Ethique protestante et esprit du capitalisme”, voir ci-dessous), qu’il y a aussi sans doute une moralité intrinsèque à l’acte de transmission, mais cela doit-il pour autant suspendre tout jugement critique sur les usages et la répartition de cette accumulation du capital et sur la portée et la destination de la transmission ?

On aura senti, sans qu’il soit nécessaire peut-être de prolonger l’analyse, que l’injustice sociale ici n’est pas une abstraction, ni même un risque. Elle existe, elle s’avance. Faut-il alors que nous restions indifférents au prodigieux décalage qui s’annonce ? Ce type de questions devrait nous encourager à aborder le problème des inégalités au niveau de radicalité qui est le sien. Réduire les inégalités, c’est s’attaquer aussi à cette question de l’héritage.

Patrick Savidan, président de l’Observatoire des inégalités. Auteur notamment de Repenser l’égalité des chances, édition poche, février 2010, édition Hachette Littératures, collection Pluriel, 325 pages. Lire l’avant propos.

L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme
Dans L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme – 1904 pour la première édition -, Max Weber écrivait : “L’idée que l’homme a des devoirs à l’égard des richesses qui lui ont été confiées et auxquelles il se subordonne comme un régisseur obéissant, voire comme une “machine à acquérir”, pèse de tout son poids sur une vie qu’elle glace. Plus grandes seront les possessions, plus lourd, si le sentiment ascétique résiste à l’épreuve, le sentiment de responsabilité à leur égard, [Le devoir] de les conserver intactes pour la gloire de Dieu, et [même, si faire se peut] de les multiplier par un travail sans relâche. Comme tant d’éléments de l’esprit du capitalisme moderne, par certaines de ses racines, l’origine de ce style de vie remonte au Moyen Age. Mais ce n’est que dans l’éthique du protestantisme ascétique qu’il a trouvé son principe moral conséquent. Sa signification pour le développement du capitalisme est évidente. (p.208, édition Plon 1967)”. L’accumulation ne se fait peut-être plus aussi nettement pour la “gloire de Dieu”, mais le pli est pris et justifié, pour d’autres usages, comportant un fort degré de légitimité aussi : “transmettre aux siens”…

Article publié initialement sur le site de l’Observatoire des inégalités sous le titre Les rentiers : chronique d’un retour amorcé.

Photo FlickR CC : The Library of Virginia ; State Library of New South Wales collection.

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Les monnaies sociales: et si on arrachait aux banques le privilège de la monnaie ? http://owni.fr/2010/12/03/les-monnaies-sociales-et-si-on-arrachait-aux-banques-le-privilege-de-la-monnaie/ http://owni.fr/2010/12/03/les-monnaies-sociales-et-si-on-arrachait-aux-banques-le-privilege-de-la-monnaie/#comments Fri, 03 Dec 2010 07:43:51 +0000 TAOA (There are other alternatives) http://owni.fr/?p=37321 La croissance du PIB reflète-elle le bien-être de notre société ? Notre richesse se mesure-t-elle à notre compte en banque ? Fin 2009, une amie nous prête le livre de Patrick Viveret, « Reconsidérer la Richesse », sa bible nous dit-elle, elle deviendra aussi la notre…

Patrick Viveret critique le PIB, expliquant que cet indicateur est complètement inadapté aux grandes questions sociales et écologiques, voire qu’il est même contreproductif ! Même si la plupart de nos responsables ne se fient qu’à sa croissance, le PIB n’est pas vraiment la meilleure boussole ! Il se moque de la nature et de l’impact des activités qu’il additionne pourvu que celles-ci génèrent des flux monétaires. Il comptabilise positivement toutes les destructions. Aussi aberrant que cela puisse paraître, les catastrophes comme la vache folle, l’Erika ou encore les accidents de la route sont alors de vraies bénédictions pour notre Produit Intérieur Brut !

Une unité de mesure devenu objet de spéculation

Patrick Viveret poursuit sa critique avec le système monétaire.

L’argent est le nerf de la guerre, il régit notre monde ! Or le droit de créer de la monnaie a été transféré aux banques à travers l’émission de crédits, sans véritable débat démocratique. Pourquoi une communauté ne pourrait-elle pas produire elle-même l’argent dont elle a besoin ? Après tout, la monnaie n’est qu’un moyen de paiement scellant un « accord » entre 2 parties. C’est une unité de compte qui ne devrait pas avoir de valeur en soi.

Comme les mètres ou les kilos, la monnaie est un étalon qui permet d’additionner des éléments hétérogènes et ainsi multiplier les échanges. Mais au lieu d’être un simple moyen au service de la création de richesses, la monnaie est devenue un bien, un bien privé qui a lui-même de la valeur, objet de compétition, de spéculation, de thésaurisation. Et c’est ainsi qu’on finit par penser que la richesse se mesure à son compte en banque….

Parmi les solutions proposées par Patrick Viveret, les monnaies sociales ! Pour la première fois, nous découvrons cette expression originale qui associe deux termes à priori assez antinomiques.

Les monnaies sociales : point de départ d’une économie de partage

Elles désignent un ensemble de dispositifs d’échange de biens, de services ou de savoirs organisés par et pour de petites communautés au moyen d’une organisation monétaire ad-hoc, une monnaie propre à une communauté.

En d’autres mots, il s’agit d’échanger sans argent conventionnel mais avec une monnaie propre à la communauté. Créer une économie complémentaire, basée sur l’autogestion, le partage et la coopération. C‘est un peu comme du troc, mais en beaucoup mieux.  Avec le troc, si X veut acquérir un DVD auprès de Y, il faut que X ait quelque chose à offrir, d’une valeur équivalente, et qui intéresse Y. Sinon, l’échange ne peut avoir lieu. En créant une monnaie ad hoc, j’échange avec un membre auquel je transmets des unités de compte qu’il pourra utiliser, quand il voudra, pour acquérir ce qu’il aura choisi dans un autre échange.

Les monnaies sociales sont parfois perçues comme une innovation modeste de troc « amélioré ». Nous pensons qu’elles sont un fantastique vecteur de transformation de la société.
Les monnaies sociales permettent de :

  • Transformer la nature des échanges, en récréant le lien social, ciment essentiel d’une communauté.
  • Relocaliser l’économie en développant des sphères locales de production et d’échange de biens et services. La monnaie, n’ayant de valeur qu’au sein d’une certaine communauté, ne fuit pas à l’extérieur.
  • Lutter contre la pauvreté, en fournissant des moyens supplémentaires d’acquisition de biens, capables de multiplier par deux, et parfois par cinq ou dix, le revenu moyen d’une famille.
  • Lutter contre l’exclusion, en insérant les personnes sans emploi dans une logique d’échange mettant en valeur leurs capacités contributives et leur redonnant confiance et espoir.
  • Préserver l’environnement, en privilégiant production et consommation locales, et en valorisant les produits d’occasion.

Les monnaies sociales nous apparaissent comme un levier de transformation incontournable pour favoriser un développement soutenable. Convaincus à 200% par ce formidable outil, nous décidons de quitter nos emplois respectifs et notre vie parisienne pour consacrer nos prochaines années au développement et à la promotion de ces monnaies complémentaires !

Et l’aventure commence …

Dans les mois à venir, les trois trentenaires à l’origine de l’association Taoa (pour There are another alternative, contradiction du slogan néolibéral définitif Tina de Margaret Thatcher) ont pour projet de parcourir plusieurs pays d’Amérique Latine pour y explorer des initiatives de monnaies alternatives : sucre, circuit de troc, etc. Curieux de toutes les initiatives de changement de société, OWNIpolitics publiera (grâce à l’aimable autorisation de l’association) les comptes-rendus de ces explorations monétaires au fil des mois.

Compilation de deux billets initialement publiés sur le site de l’association There are another alternative (Taoa) sous les titres « Reconsidérer la richesse », comment un livre a changé nos vies … et Les monnaies sociales en quelques mots.

Photo : FlickR CC Donovan ; Bill Jacobus.

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