OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 La course aux fadettes du couple Lauvergeon http://owni.fr/2011/12/22/lecoute-du-couple-lauvergeon/ http://owni.fr/2011/12/22/lecoute-du-couple-lauvergeon/#comments Thu, 22 Dec 2011 07:10:34 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=91542 Le Canard enchaîné de mercredi révélait l’espionnage d’Anne Lauvergeon par une agence privée suisse. En ligne de mire, les factures détaillées du couple et le suivi minutieux des faits et gestes du mari de l’ancienne présidente d’Areva. Le couple a déposé plainte lundi auprès du procureur de la République de Paris pour surveillance de leurs correspondances privées. Motifs de la plainte : “complicité et recel de violation du secret professionnel”, “complicité et recel de divulgation de données portant atteinte à l’intimité de la vie privée” et “complicité et recel d’abus de confiance”.

Jean-Pierre Versini-Campinchi, l’avocat du couple a précisé à OWNI :

Il ne s’agit pas d’écoutes mais de demandes de fadettes. Entre février et juin 2011.

Au programme, l’épluchage non seulement des communications de l’ancienne présidente d’Areva, mais aussi celles de son mari Olivier Fric, consultant en ingénierie technique dans le domaine de l’énergie – hydrocarbures, chimie et énergie renouvelables – à Lausanne. MATRIC SA récemment immatriculée en Suisse – en mai dernier – a donc aussi fait partie du lot de factures téléphoniques et aller-retours listés minutieusement. Toujours selon le Canard, l’enquête de police privée a listé “sa vie personnelle, ses séjours en Suisse [...] et même les dates de ses arrivées dans tel ou tel hôtel”“. Parcours universitaire, casier judiciaire vierge et comptes en banque compris.

UraMin et surveillance des proches de la transaction

Avec sa longue expérience dans les industries minières et pétrolières, l’ex-directeur de Mocoh Resources, ancien directeur exécutif d’Anzon Energy Ldt (compagnie pétrolière australienne et gazière cotée en bourse et récemment racheté par ROCOil) et ancien directeur du groupe de dérivés énergétiques à Total Fina Elf a aussi travaillé comme cadre supérieur chez Elf Trading. Ce qui pouvait intéresser les commanditaires de la surveillance d’Anne Lauvergeon : les conflits d’intérêts possibles avec son mari dans le cadre du rachat d’UraMin, transaction aujourd’hui jugée à un tarif exorbitant.

Les raisons invoquées de la surveillance d’Anne Lauvergeon, de son mari et de Daniel Wouters – ancien directeur du développement d’UraMin – et d’une amie de sa fille : l’achat polémique de la petite société canadienne implantée en Namibie – mais immatriculée dans les Îles vierges britanniques – entre 1,6 et 1,8 millions par Areva en 2007, affaire révélée par Paris Match. Entre le second tour de la présidentielle et le premier des législatives, alors même que les Canadiens n’avaient encore rien exploité.

La décision hâtive en a intrigué plus d’un et si le cabinet d’Eric Besson et une cellule de trois indépendants du côté de chez Areva – appartenant au conseil de surveillance du groupe – vont à leur tour enquêter séparément sur les conditions de rachat de ce qu’il est commun d’appeler le gouffre financier d’Areva, certains avaient des raisons de surveiller les allées et venues téléphoniques de l’ancienne présidente et de son mari. Juste avant sa non reconduction à la tête du groupe. De quoi chercher à savoir comment charger la mule de celle qui allait être évincée de l’entreprise qu’elle avait créée.

Partage des responsabilités

Pourtant, Anne Lauvergeon n’apparaît pas être seule responsable de l’achat d’UraMin. Pointée dans le rapport de Marc Goua qu’OWNI avait mis en ligne, la responsabilité de l’Agence des participations de l’état et la précipitation de la prise de décision en plein moment électoral, sous pression d’UraMin qui fixe alors le calendrier.

Tantôt l’urgence est décrétée, au motif qu’UraMin a fixé au 31 mai 2007 la date limite d’une opération d’achat de ses titres. Personne ne s’étonne que le calendrier puisse être fixé par le vendeur. L’urgence invoquée cache pourtant mal sa ressemblance avec les méthodes de marketing en usage dans la grande distribution à l’occasion des ventes flash de fruits et légumes. Dans ces circonstances, tout devrait inciter à la retenue, et en premier lieu le respect du temps démocratique. Pourtant l’entreprise, et les services du ministère à sa suite, paraissent au contraire placer insensiblement l’autorité politique devant le fait accompli. Le 15 juin 2007, Areva annonce une offre publique d’achat sur Uramin sur la base d’un prix de 7,7 dollars américains par action, soit une prime attractive hors dividende de 21 % sur le cours moyen pondéré vingt jours au 8 juin 2007. Le communiqué d’Areva indique que le conseil d’administration d’UraMin a jugé que l’offre « était dans le meilleur intérêt de [ses] actionnaires [...] En juillet 2007, l’acquisition récente est encore qualifiée par les services de l’APE de « beau succès ». ».

Mais dans ce rachat, “d’autres intermédiaires de poids sont intervenus” selon une source proche du dossier. De quoi faire frissonner plus d’un des soupçonnés par le Canard, à commencer par Henri Proglio, François Roussely et Luc Oursel, dans le cercle restreint des dirigeants du groupe depuis janvier 2007. Pour le trio pressenti, la solution de sécurité : surveiller ses appels, ceux de ses proches et leurs aller-retours.

Refuser un poste de ministre à Nicolas Sarkozy, tenir tête à Bouygues, et chercher à éviter le démantèlement de l’entreprise en conservant le modèle intégré tout en s’opposant à la filialisation des mines sont autant de prises de position qui auront couté son poste à Anne Lauvergeon. Et occasionné l’épluchage de sa vie privée.


Photo d’Anne Lauvergeon par Claire Berthelemy à Science-Po Bordeaux en novembre 2011 [cc-byncsa]

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Les grandes oreilles sur terrain vague http://owni.fr/2011/09/27/26-decoutes-pour-de-vagues-motifs/ http://owni.fr/2011/09/27/26-decoutes-pour-de-vagues-motifs/#comments Tue, 27 Sep 2011 08:16:46 +0000 Alexandre Marchand et Rodolphe Baron http://owni.fr/?p=80993 5 979 c’est le nombre d’interceptions de sécurité (lignes de téléphones mobiles, téléphones filaires, Internet…) demandées par le gouvernement en 2010. En augmentation de 18% par rapport à 2009, selon le dernier rapport publié par la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) qu’OWNI a épluché (consultable dans son intégralité au bas de cet article). Sur ce nombre, 1 554 écoutes appartiennent à la catégorie des interceptions au titre de la “sécurité nationale“, soit 26% des interceptions. Or celles-ci ne concernent en rien les affaires de terrorisme, de criminalité organisée ou d’espionnage économique, répertoriées dans d’autres catégories.

Le fourre-tout de la “sécurité nationale”

La notion de sécurité nationale n’est pas clairement définie dans le droit français. Le concept a été introduit par l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme puis repris par l’article 3 de la loi du 10 juillet 1991. Il est désormais assimilable à celui, historique en droit français, d’intérêts fondamentaux de la nation, précisés par l’article 410-1 du code pénal :

Les intérêts fondamentaux de la nation s’entendent au sens du présent titre de son indépendance, de l’intégrité de son territoire, de sa sécurité, de la forme républicaine de ses institutions, des moyens de sa défense et de sa diplomatie, de la sauvegarde de sa population en France et à l’étranger, de l’équilibre de son milieu naturel et de son environnement et des éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique et de son patrimoine culturel.

La définition particulièrement large du code pénal ouvre un champ considérable pour les interceptions invoquant la “sécurité nationale”. Interrogée par OWNI, la CNCIS s’est montrée embarrassée pour dénommer les critères que recouvrait l’appellation:

Nous ne pouvons pas expliquer davantage les thèmes de sécurité nationale sur lesquels travaillent les services car nous sommes couverts par le secret-défense. La limite d’un rapport public est que nous devons nous cantonner aux définitions. La commission a cependant la préoccupation permanente que les services demandent des interceptions pour les bons motifs.

L’intérêt du Triple Play

Ces 1 554 écoutes au titre de cette sécurité nationale se réalisent dans un environnement technologique offrant des moyens accrus aux services de renseignement. La répartition des interceptions montre en effet l’accent mis sur la surveillance des téléphones mobiles, devant la téléphonie fixe et Internet – les demandes visant Internet ayant diminué de 4,97% en 2010. Mais le rapport de la CNCIS indique :

Ces évolutions sont à rapprocher du succès croissant des offres commerciales “Triple Play”  et bientôt “Quadruple Play” grâce auxquelles les particuliers ont désormais accès sous un même numéro d’abonnement à la téléphonie fixe, à Internet et à de la téléphonie mobile ainsi qu’à la télévision numérique.

En clair, la mise sur écoute d’un numéro de téléphone, associé à un boîtier ADSL, permet dans le même temps de surveiller tout le trafic transitant par Internet, sans vraiment le dire, entraînant une diminution a priori des interceptions dirigées spécifiquement sur Internet.

L’astucieuse combine des fadettes

Le flou qui entoure ces interceptions au titre de la sécurité nationale intervient dans un contexte déjà tendu pour la CNCIS, avec l’affaire des “fadettes”. Plutôt que d’avoir accès directement au contenu de la communication, les agents du renseignement peuvent consulter le contenant qui comprend les identifications des numéros appelés ou appelants, le détails des contacts et la géolocalisation des terminaux utilisés… Il s’agit d’une des pierres angulaires des techniques de renseignement. Celle-ci a été utilisée récemment par la DCRI, qui s’est donc procurée des factures téléphoniques détaillées (“fadettes”) afin de tenter de démasquer les sources de journalistes dans diverses affaires. Notre interlocuteur à la CNCIS tente de nuancer, sans vraiment convaincre:

Ces mesures sont moins intrusives dans la vie privée et moins attentatoires sur le plan des libertés publiques que l’interception des communications qui permet d’appréhender le contenu des échanges et des conversations. Néanmoins, elles portent atteinte partiellement au droit à l’intimité de la vie privée et au secret des correspondances. Nous espérons que l’autorité est toujours respectée. Mais lorsque des infractions sont commises, elles sont commises…


Photos et Illustrations via Flickr : Loppsilol [cc-by] ; Heretakis [cc-by-nc]

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