OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Portrait des migrants tunisiens http://owni.fr/2011/05/11/portrait-des-migrants-tunisiens/ http://owni.fr/2011/05/11/portrait-des-migrants-tunisiens/#comments Wed, 11 May 2011 13:38:44 +0000 Marie Barbier http://owni.fr/?p=62191 Qui sont ces migrants tunisiens récemment arrivés en France ? Ni persécutés, ni miséreux, pourquoi quittent-ils leur pays ? Clandestins clochardisés ici, ils font figure d’aventuriers au Maghreb où on les appelle les harragas, ceux qui brûlent les frontières. Virginie Lydie les a rencontrés en Tunisie. Elle publie un ouvrage très documenté sur ces grands incompris de l’immigration.

Qui sont ces harragas ?

Des Maghrébins qui ont envie de faire quelque chose de leur vie. Des garçons, entre 15 et 30 ans. Ils ne peuvent pas avoir de visas, donc ils partent avec les moyens du bord, en bateau. Littéralement,  « harragas » signifie « ceux qui brûlent » : les frontières, leurs papiers, leur identité et, parfois, leur vie lors d’un naufrage ou de longues années de clandestinité. Ces jeunes ne sont pas dans une logique suicidaire, mais ils sont tout de même prêts à mourir pour quitter la vie qu’ils mènent.

Partir ou mourir : comment arrive-t-on à de telles extrémités ?

Il y a d’abord la responsabilité de réussite sociale qui pèse sur leurs épaules. Là-bas, les parents retraités ont besoin de leurs enfants pour vivre. Or, le taux de chômage est énorme. Et si ces jeunes arrivent à trouver du travail, ils ne seront payés qu’une centaine d’euros pour 46 heures par semaine, soit tout juste de quoi survivre. Il y a aussi l’image de réussite véhiculée par l’Occident et par les migrants qui reviennent. Enfin, ces jeunes ont un très fort désir d’émancipation.

Ce n’est pas rien d’annoncer à sa famille : « Soit je pars, soit je meurs ». Cette décision, au fond très violente, explique aussi leur comportement en Europe. Ces migrants sont écartelés entre une vie très dure de clandestin régie par la loi de la jungle et le retour au pays forcément difficile car synonyme d’échec. Sans compter que s’ils partent, ils savent qu’ils ne pourront pas revenir compte tenu de la fermeture des frontières. Comprendre ces « brûleurs de frontières » qui n’ont pas de raisons évidentes de partir, c’est comprendre l’immigration.

Comment sont-ils perçus au Maghreb ?

Ils ont une image héroïque, celle du mythe d’Icare, de l’aventurier. Mais une amie géographe, qui enseigne dans la banlieue de Tunis, me racontait également qu’auprès des étudiants, leur image correspond au cliché sur nos banlieusards : issus de milieu défavorisés, pas très instruits et plutôt glandeurs…

La récente révolution tunisienne n’a rien changé à leur détermination ?

Ils sont très fiers de leur révolution mais ce n’est pas pour ça qu’ils ne veulent plus réussir leur vie ! La révolution ne va pas, du jour au lendemain, donner du travail à tout le monde. Beaucoup veulent venir en France parce qu’ils ont des repères ici. Le français est une des langues officielles de la Tunisie, même si tous ne la parlent pas. Il existe aussi une forme de revendication, ils disent : « La France nous a pas demandé notre avis pour nous coloniser ! »


Ils sont très mal perçus en Europe. Pourquoi ?

Chez nous, ils ne sont pas du tout considérés comme des aventuriers alors qu’ils sont, au fond, assez proches des gens qu’on admire et qui brûlaient les frontières, des Rimbaud ou des Henry de Monfreid qui étouffaient dans leur milieu. Ce dernier disait : « Je ne serai jamais l’épicier de Montrouge ». En Europe, les migrants d’aujourd’hui sont très stigmatisés. On les filme à leur arrivée en bateau pour faire des images choc. Pourtant, 90 % des migrants en situation irrégulière en France arrivent dans un avion avec des visas, mais c’est plus spectaculaire de montrer des gens qui arrivent dans des bateaux surchargés… On est presque dans la peopolisation. Ensuite, un autre mot prend le relais : clandestin. Celui qui se cache et fait peur.

En France ils sont découragés par ce qu’ils découvrent. Comment éviter ces traversées de harragas ?

Comment lutter contre un rêve ? Ils savent ce qui les attend mais pensent qu’ils ne feront pas comme les autres, que, eux, réussiront. Ils s’attendent aux naufrages, aux arrestations, mais pas aux conséquences intimes : le mépris, l’humiliation. Mais, même si vous leur dites ce qui les attend, ça ne les empêchera pas de partir. 70 % des personnes déjà expulsées n’ont qu’une envie : repartir. Tant qu’il y aura de tels écarts entre le Nord et le Sud, la fermeture des frontières est un non-sens. Je ne vois pas comment on peut empêcher à long terme des mouvements naturels de déplacements. Ces hommes ont risqué la mort et atteint leur rêve. Ils vont rester et tout faire pour réussir.


Article initialement publié sur le blog Laissez-Passer, sous le titre : “Les brûleurs de frontières, grands incompris de l’immigration”.

Crédits Photo FlickR : by-nc-sa Michele Massetani ; by DFID

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Le bon filon des télécoms maghrébins http://owni.fr/2011/04/22/le-bon-filon-des-telecoms-maghrebins/ http://owni.fr/2011/04/22/le-bon-filon-des-telecoms-maghrebins/#comments Fri, 22 Apr 2011 12:10:26 +0000 Olivier Tesquet http://owni.fr/?p=58635 Devinette : quel est actuellement l’eldorado des grands opérateurs téléphoniques mondiaux? Brésil, Inde, Chine ? Perdu. Suivez plutôt la piste des révolutions en cours dans le monde arabe: Tunisie, Egypte, Libye… mais aussi le Maroc. A l’heure où la plupart des grands marchés sont saturés (Europe, Asie, Etats-Unis), l’Afrique et ses pays émergents sont devenus un terrain de bataille central dans les télécoms.

A cet égard, les erreurs d’appréciation d’Orange en Tunisie sont peut-être à chercher de ce côté-là… A la fin du mois de février, en pleine enquête sur le montage financier de la filiale, une source proche des dossiers de France Télécom avait fourni à OWNI les trois raisons pour lesquelles la Tunisie est “une usine à cash”:

1> Le potentiel d’exploitation sur des marchés où la croissance annuelle s’affiche à deux chiffres
2> Le marketing “ethnique” pour inciter les émigrés installés en France à souscrire des offres couplées avec leur pays d’origine
3> Le roaming, “parce qu’il s’agit d’un pays touristique”

Le roaming, vrai moteur de l’usine à cash des télécoms

Dans le jargon de la régulation des télécoms, on l’appelle l’itinérance internationale. De façon plus usuelle, c’est le roaming, le fait d’appeler ou de pouvoir être appelé quelle que soit sa position géographique. Et notamment à l’étranger. Dans l’Union européenne, le Parlement a imposé depuis 2007 l’eurotarif: ce texte fixe un prix plafond de la minute de communication en Europe. Mais hors de l’espace communautaire, ce tarif est à la discrétion des opérateurs de chaque pays. Cette différence d’environnement législatif permet tous les excès, puisque les opérateurs ont alors entière liberté de surfacturer leur service de roaming. Un spécialiste du secteur ne mâche pas ses mots en utilisant l’expression suivante: “l’interco dans les pays à régime autoritaire”.

Aux yeux de Patrick Fouquerière, directeur des relations fournisseurs chez Iliad, “c’est le manque de concurrence” qui provoque des écarts significatifs, et notamment sur le pourtour méditerranéen:

Certains pays ont un opérateur historique qui ne joue pas son rôle parce qu’il se comporte de manière monopolistique. La conséquence directe, c’est que les tarifs sont beaucoup plus élevés, sur le roaming mais aussi sur le prix des terminaisons d’appels (quand un abonné appel un autre abonné par le biais d’un opérateur tiers, ndlr). Au Maroc ou en Algérie, il est quatre fois supérieur à ce qui se pratique en France. En Tunisie, c’est pire: vous payez 12 fois plus cher. De ce qu’on voit, les opérateurs locaux n’ont pas l’air de vouloir changer de stratégie. Ils estiment qu’ils font plus de trafic entrant parce qu’ils accueillent beaucoup de touristes, et veulent donc maintenir des prix élevés.

L’importance du tourisme

Vendredi 8 avril, Mehdi Houas, 51 ans, Franco-tunisien né à Marseille, est l’invité d’honneur du maire  de Paris. Sous les lambris de l’Hôtel de ville, le tout-nouveau ministre tunisien du Commerce, du Tourisme et de l’Industrie  du gouvernement de transition, essaie de convaincre ses interlocuteurs. Invité par Bertrand Delanoë, ils ont joué ensemble les VRP de luxe pour essayer de “sauver ce qui peut l’être de la saison touristique”.

Le ministre estime que 40% des Tunisiens vivent de cette manne. Par un syllogisme et par un jeu de vases communicants (le tourisme fait vivre la Tunisie; les opérateurs ont besoin du tourisme; le tourisme fait en partie vivre les opérateurs), il faudrait y ajouter la part que représente le roaming pour les opérateurs télécom. Qui y a recours? Les touristes, dans les hôtels de Djerba ou Hammamet. Plus qu’ailleurs, l’articulation du marché est profondément ancrée dans la gouvernance.

Explication de Patrick Fouquerière:

Il y a un vrai particularisme au Maghreb, parce qu’il y a une dimension politique, qu’on ne retrouve qu’à Cuba. La situation peut être similaire dans des pays d’Afrique noire ou en Libye, mais pas dans les mêmes proportions.


Imposer les règles du low cost

Tourisme, paradis législatif et… low-cost. Pour comprendre l’attractivité de ces marchés, il faut aussi saisir leur dimension hautement spéculative. Selon une règle simple: remplir au maximum tous les créneaux disponibles, y compris celui des heures creuses, véritable gouffre des opérateurs.

Dans ce marché hautement spéculatif, une minute de télécom devient aussi fluctuante qu’une place d’avion. C’est une “matière première virtuelle” déconnectée de sa valeur d’usage, dont le cours peut progresser de manière exponentielle, ce qui n’est pas sans rappeler les mécanismes de l’industrie pétrolière, où une même cargaison de brut peut être revendue dix fois entre son extraction et le consommateur.

Ainsi, l’intérêt de nouveaux opérateurs pour le marché de l’émigration ne s’explique que par ses différences entre pays du Sud et du Nord. Cela permet aussi de comprendre pourquoi le prix de la minute Paris-Tunis n’a rien à voir avec celui de la minute Tunis-Paris. Dans cette mondialisation, les opérateurs traditionnels assument le fait de se positionner aussi comme des opérateurs low-cost.

La Sofrecom, discret poisson-pilote d’Orange

Stéphane Richard, le patron d’Orange, le dit lui-même, son groupe “a pour objectif d’accélérer sa croissance en pénétrant de nouveaux marchés émergents à fort potentiel”. Récemment, l’entreprise a réussi à mettre un pied dans le marché irakien, au terme d’âpres négociations. Mais pour se faire une place au soleil dans des terres parfois hostiles, France-Télécom n’opère pas seul.

Dans le secteur de l’armement, les entreprises françaises ont l’ODAS (ex Sofresa), une entreprise administrée par l’Etat, chargée de faciliter les négociations avec les clients étrangers. Le leader français des télécoms a lui la Sofrecom, une filiale aux prérogatives de poisson-pilote, qui opère selon un modus operandi bien rôdé. Dans un premier temps, elle s’implante dans un pays où les télécoms sont une exclusivité publique. Puis, elle conseille les opérateurs locaux avec qui elle est susceptible de s’associer et qui deviennent alors des partenaires dans l’obtention d’une licence lorsque le secteur est privatisé. De poisson-pilote, elle devient alors cheval de Troie : une méthode assez efficace.

Forte d’un réseau de 1 000 consultants, la Sofrecom n’est officiellement présente que dans neuf pays, dont deux du Maghreb:

  • l’Algérie
  • l’Argentine
  • les Emirats Arabes Unis
  • l’Indonésie
  • la Jordanie
  • le Maroc
  • la Pologne
  • la Thaïlande
  • le Vietnam

Selon nos informations, elle aurait aussi pris part aux discussions organisées autour de la privatisation des télécoms en Syrie et en Libye, ce qu’elle reconnaît en creux. La filiale avait aussi opéré en Tunisie, au moment de l’implantation aujourd’hui problématique. Sollicitée par OWNI, la Sofrecom n’a pas donné suite à notre demande d’entretien. Règle d’or des affaires: rester discret.


Crédits photo: Flickr CC neutralSurface, the(?)

Téléchargez I’image de Une par Marion Boucharlat /-)

Retrouvez les articles de la Une “le business des télécoms au Magrheb” :

Lebara, opérateur low cost des quartiers populaires
Ben Ali: les compromissions d’Orange en Tunisie

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[ITW] “C’est l’armée qui a chassé Ben Ali du pouvoir, pas la rue” http://owni.fr/2011/01/27/itw-cest-larmee-qui-a-chasse-ben-ali-du-pouvoir-pas-la-rue/ http://owni.fr/2011/01/27/itw-cest-larmee-qui-a-chasse-ben-ali-du-pouvoir-pas-la-rue/#comments Thu, 27 Jan 2011 16:01:33 +0000 David Servenay http://owni.fr/?p=44161 Alain Chouet est un ancien chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE chargé de la lutte anti-terroriste, co-auteur de plusieurs ouvrages concernant l’islam et le terrorisme. Dans La Sagesse de l’Espion, paru aux éditions L’Oeil neuf en octobre 2010, il explique ainsi que “C’est ne rien comprendre que d’accuser les services secrets de faire « dans l’illégalité ». Bien sûr, qu’ils font « dans l’illégalité ». Ils ne font même que cela. C’est leur vocation et leur raison d’être“.

Autant dire que son point de vue sur la “révolution” tunisienne, et l’éventualité d’un processus de démocratisation du Maghreb, dénote quelque peu avec les visions romantiques que certains se font de ce qui se passe en Tunisie.

L’exemple de la Tunisie est-il en train de faire tâche d’huile en Égypte ?

Alors, d’abord sortez un peu de votre vision de journalistes bobos coincés au sein du périphérique parisien. C’est l’armée qui a chassé Ben Ali du pouvoir, pas la rue. Des troubles, en Tunisie, il y en a toujours eu, depuis des années. Là, le chef d’État-major des armées, le général Rachid Ammar, a dit au président : « C’est fini, on ne te protège plus ». Mais il n’a pas fait cela sans avoir de garanties. Le soutien n’est pas venu de ses voisins… alors d’où a-t-il eu ces garanties ?

Des Américains… pourquoi Washington a-t-il donné son feu vert ?

Le plan américain du grand Moyen-Orient, qui consiste à remodeler la région sur des bases démocratiques, n’a pas été abandonné par l’administration Obama. Ce qu’ils ont du mal à comprendre, c’est que le « one man, one vote » est un système de riches. Ou alors, on vit dans une société fondée sur l’esclavagisme, comme sous la Grèce antique. Je m’explique : ce système marche lorsque le privilège de se mettre à l’abri des aléas de la vie dépend de sa richesse. Si votre avenir dépend de la famille, du clan, de la tribu… alors vous allez voter comme la famille, le clan, la tribu. Dans les pays pauvres, c’est la règle.

Bien sûr, la Tunisie était le maillon faible du Maghreb. Mais aujourd’hui, nous sommes le 26 janvier. Le 30, il va falloir payer les fonctionnaires, avec une administration qui est en panne. Dans quelques jours, l’armée va donc sortir du bois pour remettre tout le monde au boulot. Il faudra un patron, venant de la structure existante du pouvoir, soit :

  • le RCD et ses restes qui a géré l’État
  • l’armée
  • et les islamistes, car tout le monde va jouer avec eux

La démocratisation, telle que nous la voyons, ne plaît pas aux voisins immédiats (Algérie, Libye), ni aux voisins lointains (les Saoudiens, vous allez leur parler de démocratisation ?). Il faudra des élections : que va-t-il en sortir ? Le candidat de l’armée ou celui des islamistes, en priant pour que ça ne soit pas le même. L’opposition tunisienne est démonétisée, d’abord parce qu’elle n’était pas là quand ça n’allait pas. Alors, on va donc faire des élections, comme on l’a fait en Afghanistan. Les dirigeants algériens et les Libyens ne vont pas pas laisser passer ça.

Les États-Unis vont-ils faire la même chose en Égypte ?

L’Égypte, ça va mal se terminer. Le régime Moubarak est en bout de course, complètement exsangue. La société est pénétrée par l’idéologie des Frères Musulmans, qui ont infiltré tout le système social. Le tout est soutenu par les Saoudiens. Enfin, la population connaît une misère noire : le Caire est en train de devenir Calcutta. Quand vous avez 3 à 5 millions de personnes dans la rue (et cela s’est déjà produit dans ce pays), ce n’est pas maîtrisable. Les Américains ne pourront rien faire.

Il faut laisser tomber l’Égypte ?

Ils vont se retrouver comme la poule qui a trouvé le couteau, avec un truc ingérable. Soit il faudra assumer la prise du pouvoir par les Islamistes, soit il faudra trouver un dictateur à poigne, comme l’actuel patron des services de renseignement, le général Omar Souleïman, un bon mais très dur. A la place du pouvoir « civil » qui préserve les apparences, il va falloir mettre les militaires.

Quid de l’Algérie, devenue la place forte de plusieurs bases militaires américaines (à Tamanrasset notamment) ?

Du moment que l’on contrôle les tuyaux pétroliers… Le nord du Niger, ce n’est pas que de l’uranium (encore que cela a son importance) c’est aussi un immense dôme de gaz. Comme pour le gaz en Algérie, le problème va être de faire sortir ce gaz. La voie passant par le golfe de Guinée est de plus en plus complexe, l’autre voie passe par le Nord, par l’Algérie. Ce qui importe aux Américains, c’est que l’ordre règne pour le passage des tuyaux.

A propos de la zone sahélienne, que pensez-vous du changement de doctrine revendiquée par l’Élysée depuis la dernière prise d’otages au Niger qui s’est terminée par un bain de sang ?

Je pense qu’on va être obligé d’en rabattre, parce qu’on voit bien que cela ne marche pas. Pour que la politique française marche, il faut tenir des mois, avec le risque d’avoir des dégâts collatéraux comme on dit. Encore un coup comme la mort des deux jeunes au Niger et la coupe est pleine. D’un autre côté, à 1 ou 2 millions d’euros l’otage, cela va devenir une rente. Il faut donc une adhésion populaire sans failles -à l’israélienne- pour cette politique de fermeté marche.

L’Elysée a pris le parti de réagir (ce qui pour moi est pas mal), mais est-ce tenable à long terme ? Je ne sais pas.

Propos recueillis par Jean-Marc Manach et David Servenay. Illustration CC magharebia.

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Algérie: l’autre pays du Maghreb sur la sellette http://owni.fr/2011/01/17/algerie-lautre-pays-du-maghreb-sur-la-sellette/ http://owni.fr/2011/01/17/algerie-lautre-pays-du-maghreb-sur-la-sellette/#comments Mon, 17 Jan 2011 07:38:33 +0000 Merouane Cherif http://owni.fr/?p=42734

Photo prise le 7 janvier dernir à Alger.

Deux jours après la chute de Ben Ali en Tunisie, les yeux se tournent désormais vers le reste des pays arabes et du Maghreb. La révolution des jasmins peut-elle se propager à d’autres pays qui connaissent les mêmes problèmes ? La semaine dernière en Algérie, de violentes émeutes ont secoué le pays. Pendant cinq jours, la jeunesse est descendue dans la rue pour dénoncer ses mauvaises conditions de vie. Mais contrairement à ce qui s’est passé en Tunisie, le mouvement n’a pas dépassé le stade des émeutes de jeunes. La société civile et les partis d’opposition, que le gouvernement a tout fait pour casser et pour les priver de tous les moyens de lui nuire, n’ont pas rejoint le mouvement. Et le calme est revenu sans apporter le changement politique rêvé par beaucoup d’Algériens.

Contre les violences, la tactique de la marginalisation

Petit retour en arrière. Mercredi 5 janvier, des violences éclatent dans la soirée dans le quartier populaire de Bab el Oued à Alger. Des jeunes manifestent contre la flambée des prix de certains produits de base comme le sucre et l’huile qui touche le pays depuis le début de l’année 2001. Un peu plus tôt dans la journée, ce sont plusieurs quartiers d’Oran, la deuxième ville du pays, qui se sont embrasés. Dès le lendemain les émeutes gagnent en intensité et se propagent à une dizaine d’autres villes du pays. Partout le même scenario. Des centaines de jeunes descendent dans les rues et se confrontent violemment à la police et aux forces anti-émeutes qui tentent de maintenir l’ordre. Ils lancent des pierres et s’attaquent aux bâtiments des services publics, aux administrations, mais aussi à certains commerces, notamment ceux qui leur renvoient l’injustice qu’ils vivent au quotidien. Des concessionnaires automobiles et un restaurant à la mode sont saccagés. Ces violences vont durer cinq jours.

Pour éviter la propagation à d’autres franges de la société, les autorités algériennes tentent de marginaliser le mouvement. D’abord en gardant le silence. Ni le Président de la République, Abdelaziz Bouteflika, ni le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, ne s’expriment, renforçant par là même le sentiment de divorce avec la population. Le ministre de la Jeunesse, Hachemi Djiar, dénonce lui l’action des jeunes en affirmant que la violence « n’a jamais donné des résultats, ni en Algérie ni ailleurs », et les appelle à « dialoguer de façon pacifique et civilisée, loin des actes de vandalisme qui ne mènent nulle part ». Sur le terrain les policiers reçoivent la consigne de limiter au maximum l’affrontement direct et de ne pas faire de blessés parmi les manifestants. Ils utilisent des gaz lacrymogènes et des balles à blanc. Mais deux jeunes sont tués. L’un touché par un tir à balle réelle et l’autre mortellement blessé après avoir reçu une grenade lacrymogène au visage. Au total, mille personnes seront arrêtées, et huit cents blessées dont sept cents parmi les forces de l’ordre selon les chiffres officiels.

Une même revendication : plus de liberté

Les médias publics taisent pendant trois jours ce qui se passe dans le pays. Quand la télévision et la radio d’État évoquent pour la première fois les violences, c’est pour donner la parole aux habitants qui se plaignent des dégâts causés par les manifestants. Mais la presse privée et surtout Internet relaient le mouvement. Sur les réseaux sociaux, les images des émeutes circulent presque instantanément. Des dizaines de « groupes » et de « forums » sont créés, malgré les difficultés que connaissent les internautes pour se connecter. Pendant plusieurs jours, Facebook et Twitter seront ainsi quasi inaccessibles. Une censure qui accroit la solidarité entre Algériens et Tunisiens, qui se battent finalement pour la même chose : plus de liberté. Car aux mots d’ordre initiaux sur la cherté de la vie, ont succédé des revendications plus profondes sur les conditions de vie d’une jeunesse sans espoir ni perspectives d’avenir. « Ces populations expriment des préoccupations non seulement d’ordre social, mais aussi d’ordre économique, culturel, cultuel (…) Aujourd’hui, ce mouvement contestataire multiforme, qui a tendance à se radicaliser et à être de plus en plus violent, se propage dans d’autres régions du pays et touche les petites villes et les localités notamment de l’extrême sud, connues pourtant pour leur calme imperturbable », analyse le sociologue Nacer Djabi.

Face à cette détresse, le gouvernement ne propose que des mesures économiques et strictement conjoncturelles : des exonérations de charges pour faire baisser les prix de l’huile et du sucre. Pour les Algériens c’est un nouveau scandale. Pour beaucoup, les importateurs et les grossistes, qui ont construit leur richesse par la corruption et le détournement de la manne pétrolière, renforcent encore un peu plus leur position dans un pays qui importe la grande majorité des biens qu’il consomme. D’ailleurs, certains les accusent d’avoir sciemment déclenché ces « émeutes de la faim » pour mettre en difficulté les autorités qui tentent en ce moment de reprendre la main sur le commerce informel qui gangrène l’économie du pays.

Dans le fond, rien n’est réglé

Aujourd’hui, le calme est revenu dans le pays mais dans le fond rien n’est réglé. L’émeute semble être devenue le seul moyen d’expression et de rébellion d’une population ignorée de ses dirigeants. Le pays a d’ailleurs connu d’autres mouvements de protestation ces derniers mois, pour réclamer des logements, la construction de routes, etc. À chaque fois, ces mouvements s’éteignent aussi vite qu’ils ont commencé. Difficile alors de croire à un changement imminent. L’opposition a pourtant décidé ces derniers jours de prendre le relai sur le terrain, sans doute piquée au vif par la réussite de la protestation chez le voisin tunisien, souvent moqué de ce côté de la frontière. Mais la situation en Algérie est différente de celle de la Tunisie et la mobilisation est difficile. La population qui a vécu plus de dix ans de terrorisme craint toujours un retour à la violence et une récupération d’un éventuel mouvement par les islamistes. Le Rassemblement pour la culture et la démocratie, parti laïc dirigé par l’opposant Saïd Sadi, appelle tout de même à une marche samedi prochain à Alger. Une marche que le pouvoir algérien a d’ores et déjà interdite.

Images CC Flickr magharebia et amekinfo

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