Lebara, opérateur low cost des quartiers populaires

Le 22 avril 2011

En peu de temps Lebara, l'opérateur de réseau mobile virtuel s'est ouvert le marché du low cost téléphonique en conquérant les quartiers populaires à coup de financements d'assos et de soutiens aux révolutions arabes.

En quelques semaines du printemps 2010, Barbès, Belleville, La Chapelle (à Paris), le cours Belsunce (Marseille) et autres quartiers populaires de France ont connu un ravalement de façade sans précédent. Les vitrines mornes des taxiphones ont été recouvertes d’immenses stickers bleus et, à chaque arrêt de métro ou de tram, des gars et des filles du coin, casquettes et gilets assortis, glissaient dans les mains des passants des plaquettes de tarifs téléphoniques aux noms exotiques. Rien de bien neuf, en fait, la France venait de basculer dans le marché du premier « opérateur mobile virtuel ethnique » : Lebara Mobile.

371 millions d’euros de CA en 2009

Yoganathan Ratheesan, PDG et fondateur de la société, décrit modestement sa technique comme une « force extraordinaire et irrésistible ». Créée en 2001 à Londres, la société a commencé sa conquête du marché des appels de l’Europe vers les pays d’Afrique et d’Asie en Hollande, en chassant sur les terres d’un autre gros acteur du marché, Ortel.

Sa méthode : des tarifs à quelques centimes la minute et un « blitz » marketing dans les quartiers populaires des grandes villes avec distribution de prospectus et prospection des points de vente par des gens du coin issus des communautés majoritaires : Sri lankais à La Chapelle, Chinois à Belleville, etc. Benoît Chamoux, directeur marketing de Lebara France, revendique 14 à 15 origines nationales représentées parmi les 200 employés de la filiale :

Nous cherchons à être le plus près possible des lieux où habitent nos clients, de leurs habitudes, de leurs modes de consommation.

Après la Hollande et dans cinq autres pays européens, sans oublier l’Australie, Lebara s’est lancé en France. En janvier 2010, le groupe annonçait 371 millions d’euros de chiffre d’affaires pour 2009, soit 105% d’augmentation annuelle, pour une clientèle estimée à 2,5 millions de personnes. Depuis, un autre million d’individus auraient adopté les services de Lebara, appuyant les performances de l’entreprise, autofinancée : “nous n’avons que les trois actionnaires fondateurs qui nous abondent, chaque bénéfice contribue à notre croissance et à la réduction de nos coûts”, soutient Chamoux:

Nous sommes dans un système de forte économie d’échelle où l’augmentation de la clientèle nous permet d’être plus compétitif.

Aussi fort que Virgin Mobile

D’un point de vue technique, Lebara applique à la téléphonie mobile les vieilles techniques des opérateurs de réseaux mobiles virtuels (en anglais, Mobile Virtual Network Operator, MVNO)1 mais avec une botte secrète. Au lieu d’acheter comme les autres des minutes à l’international vers les pays demandés par ses clients, Lebara achète des minutes vers Londres où il dispose d’un « dispatcher » permettant de les réorienter lui-même dans la bonne direction.

En quelques années, la marque est devenue aussi puissante dans certains pays (notamment en Angleterre) que des opérateurs virtuels comme Virgin. En plus des opérations de “street marketing”, Lebara apparaît désormais comme sponsor des championnats du monde de cricket ou même derrière les buts de la dernière rencontre amicale France-Angleterre à Wembley, aux côtés des grands noms de la bière ou de l’électronique grand public.

En France, le marché a été plus difficile à conquérir. Branché sur le réseau Bouygues Télécom, Lebara doit son lancement tardif à quatre ans de négociation entre les différents opérateurs, “les tarifs proposés n’étaient pas viables mais nous avons su apporter des garanties qui nous ont permis d’obtenir la confiance de l’opérateur”, précise-t-on chez le MVNO. Chez Bouygues, pas un mot, “ces discussions tombent sous le coup du secret des affaires”.

“Les MVNO à destination des pays étrangers sont souvent profitables pour les opérateurs des réseaux, décrypte un cadre à l’international d’un groupe concurrent. Leur trafic est calibré sur les pics de consommation, tout ce qu’ils vendent en plus est du pur bénéfice“. Seul soucis avec Lebara : il applique les méthodes du low cost à un bien de consommation jusqu’ici réservé à une clientèle business, payant cash et cher… mais bien moins nombreuse.

Promos pour les révolutions arabes et la crise ivoirienne

En un an à peine, Lebara s’est glissé jusque dans les tabacs de quartier et les grands circuits de distribution de cartes téléphoniques prépayées. « Pas de chiffre » sur les ventes mais un fait : l’opérateur ethnique anglais y tutoie désormais les français historiques, SFR, Bouygues et Orange.

La raison en est simple pour Benoît Chamoux : « Nous avons une organisation très industrielle : au niveau technique, au niveau marketing, au niveau commerciale… Nous appliquons la même recette méthodiquement. Mais, au final, nous sommes surtout dans le marketing et la vente, l’infrastructure technique est réunis en Angleterre. » La tentative de résistance de son concurrent hollandais Ortel a été vaine : quelques bannières jaunes ont traversé le front des boutiques et des taxiphones… avant d’être avalées par le grand bleu. Selon le siège français de Levallois Perret, les effectifs marketing et vente sur le terrain sont évalués à 100 personnes.

Nous embauchons sur place, dans les quartiers, indique-t-on chez Lebara. Des CDD, de plus ou moins longue durée, mais souvent à des personnes qui n’auraient pas eu de travail autrement.

À son arrivée en France, le patron de Lebara n’a pas caché son intérêt pour ce marché de 5,7 millions d’immigrés et étudiants étrangers, « l’un des plus prometteurs d’Europe » selon un concurrent. Aussi, la société ne tarie pas d’efforts pour entretenir son capital sympathie/prix auprès des communautés : dans certains quartiers de Lyon ou de Paris, elle devient mécène d’associations, participe à des événements culturels… Pour les révolutions arabes et les crises africaines, elle a même lancé des tarifs promotionnels :

Un centime vers l’Algérie, le Maroc ou le Côte d’Ivoire, précise Benoît Chamoux. On ne gagne pas beaucoup d’argent dessus mais c’est important de permettre aux familles d’être en contact dans ces périodes.

Mais la dernière invention de Lebara va peut-être l’amener à une autre échelle : après avoir signé un partenariat avec MasterCard, le MVNO a fait part de son intention de se lancer sur le marché du transfert d’argent. Une manne pour l’instant principalement capté par Western Union, lui-même versé dans la communication aux communautés avec ses affiches multilingues et ses caissiers polyglottes. Un nouvel horizon vers lequel la société britannique s’avance prudemment mais sûrement. Une nouvelle façon de faciliter les liens entre la diaspora et le pays d’origine. Des liens low cost, évidemment.


FlickR CC Paternité Herederos de Rowan et Paternité FaceMePLS

Téléchargez I’image de Une par Marion Boucharlat /-)

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  1. Virgin, NRJ, Crédit mutuel, etc. []

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