OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Les sondages écrivent notre futur politique http://owni.fr/2011/10/24/les-sondages-ecrivent-notre-futur-politique-presidentielle-ps/ http://owni.fr/2011/10/24/les-sondages-ecrivent-notre-futur-politique-presidentielle-ps/#comments Mon, 24 Oct 2011 09:49:21 +0000 Jean-Paul Jouary http://owni.fr/?p=84264

La question n’est pas, comme pour Hamlet, d’être ou de ne pas être, mais d’en être ou de ne pas en être.
- Marcel Proust

Revenons sur l’idée à laquelle nous étions parvenus dans la chronique précédente : alors que la parole vivante peut engendrer des créations historiques comme certains peuples l’ont prouvé au cours de cette année, les sondages sur les intentions de vote induisent des comportements d’adaptation à un avenir déjà écrit et enferment dans les logiques présentes. Ils ne sont cependant pas vécus comme tels.

Que le citoyen soit hésitant ou bien déjà décidé, il recevra les sondages comme un futur déjà écrit et ne pourra alors que s’interroger sur ce qu’il peut faire pour garantir ou empêcher ce futur. Dès lors, ce n’est plus son opinion ou ses engagements qui seront son critère de choix, mais une certaine idée de l’efficacité qui risque fort de l’inviter dans certains cas à rechercher à peser contre ce qu’il ressent comme la pire des perspectives, et dans d’autres cas à se réjouir de la configuration finale mais à rechercher le signe qu’il pourrait envoyer au premier tour à l’adresse du futur vainqueur. Un certain 21 avril encore tout proche, la certitude répétée que la gauche serait opposée à la droite au second tour, alimentée pendant deux ans par les sondages, éleva la présence de Lionel Jospin à ce second tour au rang de certitude absolue. Un futur nécessaire. Dès lors chacun se sentit en droit, au premier tour, de lui envoyer un message d’exigence de gauche et de mécontentements divers. Dès lors, ce présent engendra un futur modifié, et le cauchemar de Le Pen au second tour.

Jamais sondages d’opinion ne manifestèrent avant autant d’évidences leur capacité non à prévoir l’avenir, mais à le modifier à la façon des prévisions de trafic automobile de « bison futé », que nous évoquions dans notre précédente chronique. Et cette leçon a inspiré les sondages de la campagne présidentielle de 2012. Passons sur tous ceux qui prévoyaient une victoire de DSK, finalement écarté de l’élection dans les conditions que l’on sait. Ils rappelèrent les centaines d’enquêtes qui mesurèrent en 1995 le rapport Balladur / Delors au second tour d’une présidentielle où aucun des deux ne figura.

Cette fois, tout commence vraiment au mois de mars 2011 : deux sondages aux méthodes farfelues placent Marine Le Pen en tête des intentions de vote. Effroi : à droite comme à gauche, l’idée d’un nouveau 21 avril commence à dissuader de voter pour un candidat autre que le Président sortant ou le candidat socialiste. Du coup, les enquêtes suivantes consacrent cette bi-polarisation et découragent bien des autres candidats de se présenter.

On sait désormais qu’entre les intentions de vote et ce que sera réellement le vote, deux candidats seulement bénéficieront d’un réflexe de vote efficace au détriment de tous les autres. Et tant pis pour les convictions profondes des citoyens. Même pour se déterminer lors des « primaires » socialistes, chacun se demande avant tout qui serait le mieux placé pour figurer et l’emporter au second tour. Cela ne suffit pas : malgré l’absence d’échantillon crédible, malgré l’inconnue de la participation à ce scrutin sans précédent, les sondages d’intention de vote vont dès ce niveau pré-figurer qui peut accéder au second tour de la primaire elle-même, et induire la recherche du vote efficace.

Allons plus loin : puisque les sondages d’intention de vote contribuent en fait à les façonner, les divers scrutins finissent soit par leur donner raison, soit par leur donner tort parce que tel était le but recherché. Comme « bison futé » paraît avoir tort lorsque, à l’heure annoncée comme devant être celle des embouteillages, la circulation est finalement fluide : la prévision est démentie parce qu’elle a modifié les comportements des automobilistes dans le sens voulu.

Malgré l’absence d’échantillon crédible, malgré l’inconnue de la participation à ce scrutin sans précédent, les sondages d’intention de vote vont dès ce niveau pré-figurer qui peut accéder au second tour de la primaire elle-même, et induire la recherche du vote efficace.

Je ne choisis plus le moment de mon départ en vacances selon mon désir, mais selon ce que l’on m’annonce comme futur découlant des choix qui découlent de mon désir. En matière d’élection, je ne choisis plus mon vote selon mes idées, mais selon ce que l’on m’annonce comme futur découlant des choix dictés par mes convictions. Je dois abandonner mon être au profit d’une foule extérieure à moi dont je dois ou ne dois par faire partie. Comme l’écrivait déjà Marcel Proust dans Sodome et Gomorrhe à propos de la politique en France, « La question n’est pas, comme pour Hamlet, d’être ou de ne pas être, mais d’en être ou de ne pas en être ».

Mais cette question en amène aussitôt une autre : comment les citoyens ont-ils pu être conduits à concevoir la politique, non plus comme une libre participation à un avenir commun, mais comme le transfert de leur souveraineté à une ou plusieurs personnes providentielles ? Si la démocratie suppose bien sûr le suffrage universel, le suffrage universel suffit-il à assurer la démocratie ? Cette interrogation a vingt six siècles, parce qu’elle est aussi ancienne que l’idée même de démocratie. Il faudra donc y revenir dans la prochaine chronique.

NB : A lire, si ce n’est fait, Le pari mélancolique, du regretté philosophe Daniel Bensaïd, publié aux éditions Fayard, pour sa façon d’articuler l’espace et le temps du politique, à l’aide de Pascal, Marx et Mallarmé. Une œuvre qui invite à s’expliquer avec la politique, en tant qu’ « elle a toujours affaire à l’obscurité et au péril des lendemains ».


Photo via Flickr par Paternité Sarai | Fotography et illustration de Marion Boucharlat pour Owni /-)

Essayiste, Jean-Paul Jouary chronique avec philosophie une présidentielle pleine de philosophie. Retrouvez ses billets sur OWNI.fr.

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Yves-Marie Cann, Ifop: “Pourquoi s’en prendre au thermomètre ?” http://owni.fr/2010/08/09/yves-marie-cann-ifop-pourquoi-sen-prendre-systematiquement-au-thermometre/ http://owni.fr/2010/08/09/yves-marie-cann-ifop-pourquoi-sen-prendre-systematiquement-au-thermometre/#comments Mon, 09 Aug 2010 10:54:08 +0000 Admin http://owni.fr/?p=24184 Étonnée par les conclusions tirées du sondage Ifop/Le Figaro au sujet des nouvelles annonces sécuritaires de Nicolas Sarkoy, la rédaction d’OWNI a publié un article s’interrogeant sur les méthodes sondagières en général et les méthodes employées par l’IFOP dans ce cas particulier. Yves-Marie Cann, Directeur d’études au Département Opinion et Stratégies d’entreprise de l’Ifop, a souhaité nous répondre.

Comment se passe le processus pour de tels sondages commandés ? Quels sont la place et le rôle du commanditaire ? Ne peut-on pas envisager qu’ils soient utilisés pour appuyer la politique ou les annonces du gouvernement ? Qui rédige les items, par exemple ? et quelle interaction y a-t-il eu ici avec Le Figaro ?

L’initiative d’un sondage peut revenir soit à l’institut soit au commanditaire de l’étude. Dans les deux cas, le questionnaire est toujours le fruit d’un échange approfondi entre les deux parties. À charge ensuite pour l’institut de mettre ceci en question puis de soumettre à son client un projet de questionnaire. Plusieurs allers-retours peuvent avoir lieu avant d’aboutir à la version finale qui sera administrée à un échantillon représentatif.

L’Ifop, comme tous ses confrères, veille en effet a ce que les libellés des questions soient les plus clairs possibles pour les personnes interrogées et ne prêtent pas à confusion. Lorsqu’une question porte sur l’actualité récente, celle-ci doit s’en tenir aux seuls faits et ne contenir aucun jugement de valeur : nous ne commentons pas la politique, ce n’est pas notre rôle. Sur ce point nous avons toujours le dernier mot et ceci peut parfois engendrer quelques tensions ! Il nous arrive d’ailleurs de refuser certaines questions, notamment lorsqu’elles auraient pour effet de susciter ou d’entretenir des attaques personnelles. Nous sommes très vigilants sur ce point.

Que pensez-vous de l’effet de l’accumulation de questions sur la sécurité sur la pertinence des réponses des sondés ? La tonalité des questions ne vous paraît-elle pas biaiser les réponses ?

La formulation d’une question et le choix des items de réponse peuvent “influer” sur les résultats obtenus. Ceci explique notamment que pour deux sondages réalisés sur un même sujet les résultats ne soient pas exactement les mêmes. D’où les écarts existant notamment entre notre enquête pour Le Figaro et celle réalisée par CSA pour L’Humanité. La première portait sur l’approbation des mesures annoncées, la seconde sur la nécessité perçue de ces mesures. Ce n’est pas tout a fait la même chose !

En revanche, ces deux enquêtes indiquent clairement que ces mesures rencontrent un écho favorable au sein d’une proportion élevée de la population.

N’y a-t-il pas une forme d’opportunisme dans un tel sondage, réalisé à chaud sur la base de déclarations d’intentions de la part du pouvoir ?

Sur l’opportunisme, je vous laisse juge : l’actualité récente ne portait-elle pas sur ce sujet ? En quoi serait-il illégitime d’interroger les Français sur les propositions présidentielles ?

Comment avez vous utilisé la méthode CAWI ? Avez vous utilisé des vidéos, documents sonores, images pour illustrer le questionnaire ? Peut-on en avoir des copies d’écrans ?

Les études par Internet suscitent d’important débats depuis quelques années, j’en suis bien conscient. Certains nous opposent d’ailleurs parfois l’argument selon lequel certains instituts n’utiliseraient pas ce mode de recueil car ils ne le jugent pas suffisamment fiable pour des études d’opinion. Qu’on m’explique alors pourquoi ce qui n’est pas suffisamment fiable pour de tels sujets l’est tous les jours pour des enquêtes marketing réalisées pour de grand groupes de l’agro-alimentaire, des cosmétiques, etc.

D’un point de vue méthodologique, les études CAWI, c’est-a-dire les sondages réalisés par Internet, sont aussi fiables que ceux réalisés en face-à-face ou par téléphone -précision devant être faite que, de notre point de vue, il n’existe pas de mode de recueil idéal-. En fait, seule la façon dont est collectée l’information diffère. Pour le reste, nous avons recours à la méthode des quotas et utilisons un logiciel professionnel dédié à ce type d’enquête. Celui-ci permet notamment de gérer automatiquement les quotas d’enquête et d’empêcher les participations multiples. Et contrairement à une rumeur avancée par certains chercheurs en science sociales, nos échantillons ne sont pas reconstitués à posteriori, ce serait pure folie !

Les questions portant sur des sujets politiques sont systématiquement posées en début de questionnaire (après les questions de quota permettant de qualifier la personne interrogée et de constituer l’échantillon, comme pour les autres modes de recueil). Pour ces questions, les interviewés ne sont exposés à aucun visuel ou vidéo.

Enfin, nos  sondages (et ceux de nos confrères) ne sont pas réalisés en plaçant des bannières ou tout autre lien URL sur un ou plusieurs sites internet. Nous avons recours à des bases qualifiées et sollicitons par courrier électronique des individus qui en sont extraits aléatoirement.

Pour plus de précisions je ne peux que vous renvoyer à mon article sur le sujet, publié il y un près d’un an par la Revue politique et parlementaire.

Le sondage a eu lieu en plein mois d’août. N’y a-t-il pas un biais par rapport à la représentativité ?

Le débat sur la période de l’enquête n’a pas grand sens. Si pendant de nombreuses années les instituts ont banni les enquêtes du 15 juillet au 15 août, c’est davantage par commodité (la gestion des vacances de leurs collaborateurs et enquêteurs face-à-face et téléphone) que pour des raisons méthodologiques. Arrêtons l’hypocrisie : la France ne s’arrête pas en été ! S’il est effectivement un peu plus difficile qu’en plein hiver d’entrer en contact avec les personnes, ce problème reste très limité.

L’Internet est un média nomade, il n’est pas nécessaire d’être à domicile pour y avoir accès. De plus, tous les Français ne partent pas en vacances en même temps. Ce problème ne se pose plus non plus pour le téléphone puisque l’Ifop inclut systématiquement une proportion significative de téléphones cellulaires dans ses échantillons. Quelqu’un oserait-il avancer l’idée que les Français ne partent pas en congés avec leur téléphone mobile ? Les critiques sur la période d’enquête révèlent avant tout une méconnaissance de notre métier. Sans doute avons-nous notre part de responsabilité et devons faire preuve de davantage de pédagogie en la matière.

Quel est le nombre de personnes qui n’a pas répondu au questionnaire ? Ne pensez-vous pas que ne pas faire figurer les “NSPP” soit dangereux en terme d’interprétation ?

En matière de “sans opinion” il existe deux écoles : certains instituts offrent cette possibilité dans leurs enquêtes auto-administrées, d’autres non. Après réflexion, lIfop a fait le choix de ne pas proposer cet item de réponse pour les questions portant sur des opinions. Il s’agit en effet d’un item dit “refuge” utilisé par les personnes ne souhaitant pas répondre à une question. S’il était proposé par Internet, cet item pourrait enregistrer des scores de 10 voire 15%. Pour une même question posée par téléphone, nous aurions 1 à 2% maximum, et 5% environ pour une enquête en face-à-face car les enquêteurs ont pour consigne d’effectuer des relances auprès des personnes cherchant à ne pas répondre.

Notre principal mode de recueil étant le téléphone (à taux de NSPP faible voir nul) et compte-tenu de la nécessité de pouvoir comparer des résultats d’enquête indépendamment du mode de recueil, nous avons fait le choix de ne pas laisser la possibilité aux personnes interrogées de ne pas répondre aux questions d’opinion. Ceci signifie aussi que si les questions avaient été posées par téléphone, nous aurions eu pratiquement les mêmes résultats car il y aurait eu très peu voir pas de NSP.

Comment définiriez-vous le pouvoir qu’ont aujourd’hui les instituts de sondage pour faire ou défaire l’opinion publique ? Ne pensez-vous pas que les sondages occupent une place trop importante dans le débat public alors qu’on en connaît les faiblesse et les carences ?

Je suis très étonné par cet éternel débat sur l’influence supposée des sondages sur l’opinion publique. Car finalement, c’est faire bien peu de cas du libre-arbitre de chacun. En quoi l’exposition aux résultats d’un sondage influerait-il sur vos opinions ?

Étrange conception de la nature humaine et plus globalement de la démocratie ! En revanche nos données peuvent effectivement être utilisées comme argument dans le jeu politique comme le sont tout autant celles d’autres acteurs. Nous parlons alors de l’interprétation qui peut être faite de nos données, notamment pas les journalistes et les politiques.

Pourquoi s’en prendre systématiquement au thermomètre ? Apporter l’information selon laquelle des mesures annoncées par le gouvernement sont approuvées par une majorité ne signifie pas que ces mesures sont nécessairement de bonnes mesures. Nous ne sommes pas ici pour porter un jugement de valeur, encore moins défendre une politique mais montrer que celle-ci peut rencontrer effectivement un écho favorable. À charge ensuite pour les opposants de défendre leurs contre-propositions, d’argumenter et de faire œuvre de pédagogie. C’est notamment le rôle des politiques et des intellectuels.

Pourquoi considérer d’emblée les résultats d’un sondage comme un horizon indépassable ? Quelle perspective pessimiste pour le débat démocratique ! Je prendrais le meilleur contre-exemple qui soit sur la nécessaire capacité de chacun à dépasser les données d’enquête : la peine de mort a été abrogée alors qu’une majorité de Français la défendait. Aujourd’hui, les enquêtes menées par l’Ifop démontrent clairement qu’une majorité de la population s’opposerait à son rétablissement. Ce retournement de tendance est à porter au crédit d’un travail de fond mené sur le sujet par les principaux acteurs publics. Nos enquêtes ne font que le mettre en lumière.

Notre travail consiste à mesurer des tendances, à identifier les contradictions et les lignes de fracture qui constituent l’opinion publique. Celle-ci est complexe par nature et impose beaucoup d’humilité dans notre travail au quotidien. Les données que nous produisons, notamment via les sondages réalisés pour la presse, n’ont pour seule vocation que d’apporter un éclairage sur un enjeu donné sans prétendre à présenter toute la vérité sur un sujet donné.

Illustrations CC FlickR par Guillaume Brialon, Stuart`Dootson

Téléchargez l’affiche de Elliot Lepers

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Journalistes, vous avez une opinion, ne la cachez pas! http://owni.fr/2010/07/12/journalistes-vous-avez-une-opinion-ne-la-cachez-pas/ http://owni.fr/2010/07/12/journalistes-vous-avez-une-opinion-ne-la-cachez-pas/#comments Mon, 12 Jul 2010 07:52:18 +0000 Michael Arrington http://owni.fr/?p=21706 Je suis choqué de voir que les journalistes continuent à être punis, voire renvoyés, pour avoir exprimé leur opinion sur les sujets qu’ils couvrent. CNN a très récemment mis fin au contrat d’Octavia Nasr sur la base d’un tweet faisant l’éloge d’un ancien leader du Hezbollah. Le mois dernier, Helen Thomas a été obligée de démissionner à cause de ses déclarations sur Israël.

L’année dernière, le Washington Post a contraint ses journalistes à ne pas exprimer leurs opinions sur les médias sociaux : “cela pourrait être perçu comme reflétant des partis pris politiques, raciaux, sexistes, religieux ou autres qui pourraient ternir notre crédibilité journalistique.” Et la liste continue.

Un moyen détourné de me mentir

Je pense que les journalistes devraient avoir le droit de donner leur point de vue sur les sujets qu’ils traitent. Plus important encore, je pense que les lecteurs ont le droit de savoir quelles sont ces opinions. Franchement, je préfèrerais savoir à l’avance à quel point les gens de CNN ou de Fox News sont fous. Les empêcher de me fournir cette information est simplement un moyen détourné de me mentir.

Il y a quelques années, j’ai assisté à un diner à New York, en compagnie d’un journaliste très connu qui couvrait les informations nationales importantes, et particulièrement la politique. Il était dans le secteur depuis un long moment (le début des années 70) et nous avons eu une conversation édifiante autour de la collecte et de la conception de l’information, et sur la manière dont la technologie transforme l’industrie.

À un moment donné, je lui ai demandé avec désinvolture ce qu’il pensait du président Bush comme leader. Il est devenu très sérieux et m’a répondu qu’il ne commenterait pas. Curieux, je lui ai alors demandé quel parti politique emportait sa préférence. Là encore, il n’a pas répondu. Il m’a dit qu’il était important pour lui de garder cela secret pour que personne ne puisse lui reprocher un quelconque parti pris dans sa couverture des évènements.

Voilà qui  a pimenté la conversation.
Il a admis qu’il soutenait certains hommes politiques et pas d’autres et qu’il avait tendance à voter pour un seul et même parti. Il ne voulait simplement pas donner de noms. Et c’est le moment où je suis devenu sérieusement perplexe. Et je le reste. En tant que journaliste expérimenté, il voyait son métier comme le fait de présenter l’information de façon équilibrée et impartiale. Exprimer publiquement ses tendances politiques pourrait mener les gens à voir son travail différemment.

Le noyau dur de la formation

Je voulais lui démontrer que ses lecteurs avaient besoin de connaitre ses a priori politiques pour replacer le contenu qu’il leur propose dans son contexte. Il me semble presque impossible de ne pas intégrer ce type de parti pris dans ses articles. Il n’était pas d’accord et m’a fait remarquer que le noyau dur de sa formation était justement de parvenir à l’objectivité. Bien évidemment, son penchant était assez clair : il détestait Bush avec passion. Mais je ne suis pas parvenu à lui faire dire.

Il a tort. Un adjectif placé par ici, un paragraphe ajouté là, la bonne citation d’une source au bon endroit et voilà, vous êtes en présence d’un article exprimant une opinion mais avance sous le masque de l’objectivité pure.

J’ai été témoin de ce genre d’articles plus souvent qu’à mon tour, ce qui fait que j’ai tendance à ne pas accorder d’interview aux journalistes que je ne connais pas ou en qui je n’ai pas confiance. Il suffit d’un lapsus et tout l’article tourne autour, même si c’est hors-contexte. Le message d’ensemble est alors noyé sous la petite phrase qui donne au journaliste l’angle dont il a besoin.

Dans un article qui date de l’année dernière, je défendais l’idée que le journalisme collaboratif [NDT : "Process Journalism" en anglais] n’était pas une mauvaise chose, et qui bien au contraire il s’agissait là de la meilleure manière de développer ses articles :

Je frissonne toujours quand j’entends des journalistes dire “ne dites rien, trouvez une source pour le dire et citez-la”. Cela conduit à de terribles situations. Prétendre que l’on écrit sur un sujet alors qu’en fait on s’intéresse à tout autre chose pour ensuite tordre ce que vous disent vos sources pour cadrer avec ce que votre rédacteur en chef vous a demandé d’écrire n’est pas du journalisme éthique. Ces pratiques sont peut-être en accord avec ce que vous avez appris en école de journalisme, mais il s’agit en réalité de tribunes [NDT: "op-ed" en anglais ne connaît pas d'équivalent en français] sans faits réels pour appuyer l’argument.

Vous pensez qu’il est insensé de dire que les journalistes traquent les citations dont ils ont besoin pour raconter l’histoire qu’ils ont envie de raconter ? Et bien Tim O’Reilly avoue que cela a eu lieu très récemment :

Frustré par le reportage du New York Times sur Microsoft, j’ai été plutôt surpris de trouver des citations qui émanent de moi dans l’article d’Ashlee Vance. L’auteur a écrit une tribune comme si elle ne faisait que rapporter mes commentaires.

Nous sommes beaucoup critiqués chez Techcrunch pour produire des articles clairement biaisés. Et cela malgré le fait que nous exprimons nos opinions très clairement, parfois même dans le foutu titre.

Une combine à laquelle les journalistes sont habitués pour gagner en crédibilité

Ce n’est pas du journalisme, selon certains. Bien, je suis d’accord avec ça. Mais on ne peut pas être accusés d’être malhonnêtes avec nos lecteurs. Nous décrivons les choses comme nous les voyons. Nous ne manipulons pas les faits et n’inventons pas d’histoires. Nous ne partons pas à la recherche de citations pour les retravailler et les placer en soutien à l’article que nous voulons écrire, nous ne faisons que l’écrire. D’autres personnes peuvent écrire des articles différents présentant d’autres opinions. Et le lecteur peut tous les lire et en faire son propre billet de blog avec une tout autre opinion. Chacun dispose d’une imprimerie aujourd’hui, et l’encre est gratuite. Cela a changé le monde, et le journalisme a besoin de changer avec lui.

Le fait est qu’il est impossible pour un être humain d’écrire quelque chose qui ne soit pas subjectif. Nous ne sommes pas des robots, nous sommes humains. Au moment même où vous avez choisi le sujet de votre article, vous avez fait le choix subjectif de passer du temps à traiter ce sujet au lieu d’un autre. Tout découle de cela. Lisez attentivement l’article sur Microsoft vers lequel Tim O’Reilly renvoie et vous verrez surgir le parti pris de l’auteur entre les lignes.

Cela n’était pas si clair pour moi jusqu’à ce que je me mette réellement à produire de l’information. Je peux à présent lire n’importe quel article et vous dire en un clin d’œil quel est le parti pris de l’auteur, subtil ou pas. Toutes ces conneries sur l’objectivité dans le journalisme peuvent être analysées comme une combine à laquelle les journalistes sont habitués pour gagner en crédibilité auprès du public, qui y croit.  Il va falloir que j’écrive un autre article, ou un peut être bien un libre, pour étayer cet argument.

Voilà de quoi commencer diffuser ces idées au plus grand nombre, que chacun puisse en juger.

Billet initialement publié sur Techcrunch

Illustration CC FlickR par TarikB

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Quel pouvoir pour l’internaute engagé et bavard ? http://owni.fr/2009/10/28/quel-pouvoir-pour-l%e2%80%99internaute-engage-et-bavard/ http://owni.fr/2009/10/28/quel-pouvoir-pour-l%e2%80%99internaute-engage-et-bavard/#comments Wed, 28 Oct 2009 10:23:08 +0000 Damien Van Achter http://owni.fr/?p=4989 Post image for Quel pouvoir pour l’internaute engagé et bavard ?

Chronique diffusée ce mercredi dans Matin Première (RTBF) :

Selon les termes d’une récente étude menée par des chercheurs de l’université de l’Ohio, « Les personnes ayant des opinions fortes ont plus tendance que celles plus modérées à s’exprimer sur les réseaux sociaux. Ce qui leur donne l’impression d’être en majorité et que leurs avis sont plus partagés qu’ils ne le sont en réalité » (…) »Plus ces personnes s’expriment en public, plus elles ont l’impression qu’elles sont nombreuses et représentatives de l’opinion de la majorité » (…) « C’est un cercle qui se nourrit lui-même« . Et la chercheuse Kimberly Rios Morrison de conclure, comme le titre très justement l’Atelier.fr: « L’internaute engagé et bavard ne fait pas forcément le leader d’opinion« .

Et pourtant, quand les internautes s’en mèlent …

Trois exemples dans l’actualité récente ont toutefois démontré que la mobilisation d’une partie des internautes, précisément celle la plus active sur les réseaux sociaux comme Twitter et Facebook, pouvait en l’espace de quelques heures mettre sur la sellette une personnalité politique (1),  une société « Entreprise de l’année 2009″ (2) ou encore un commerçant indépendant (3). A tort ou raison ? Bien malin (et surtout très présomptueux) celui qui se permettrait de répondre à cette question. Mais les faits sont-là et les conséquences en terme d’image de marque pour les entités ciblées par cette forme d’activisme éphémère, concentré et souvent non dénué d’humour, peuvent être importantes. Leur « karma » (càd leur réputation en ligne via notamment les références dans les moteurs de recherche) peut en être durablement affecté … et donc leur business aussi.

La tentation est alors bien sûr grande de sortir l’artillerie lourde et d’envoyer la cavallerie aux trousses de ces empêcheurs de tourner en rond. Certaines sociétés se sont d’ailleurs fait une spécialité de « nettoyer »  voire de faire disparaître les articles gênants, lettres d’avocats à entête à l’appui. Les cas se multiplient et à défaut de prouver leur légitimité, ces menaces de poursuites en diffamation suffisent généralement à pousser l’internaute à mettre « off line » ses propos, voire à les amputer des termes les plus litigieux.  La liberté d’expression n’est pourtant pas l’apanage des Pullitzer et  les juges placent généralement cette notion au-dessus des intérêts particuliers, fussent-ils ceux de multinationales.

De quoi faire changer les rapports de force ? A voir … Ceci dit, rien n’empêchera jamais une entreprise de dépenser son argent à criminaliser ses clients mécontents  plutôt qu’à les écouter …

Ressources:

(1) Le web, moteur de l’affaire Jean Sarkozy (Slate.fr)

(2) Election de Proximedia: réactions vives ou diffamation ? (Belgo IT)

(3) Retour de flamme pour un bijoutier belge qui voulait censurer Twitter (Blogging The News)

Crédit photo: PASIONARIA, by bruxella


» Article initialement publié sur Blogging The News

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Terroriste, mais pas (vraiment) coupable. http://owni.fr/2009/04/29/terroriste-mais-pas-vraiment-coupable/ http://owni.fr/2009/04/29/terroriste-mais-pas-vraiment-coupable/#comments Wed, 29 Apr 2009 04:58:58 +0000 Abeline Majorel http://owni.fr/?p=586 Je suis une terroriste. Je n’en avais pas vraiment conscience car, jusqu’à la lecture de cet article, le terrorisme, à mes yeux naïfs de classe moyenne parisienne, c’était « des actes graves de violence dirigés contre la vie » (Convention de Strasbourg 1977)  et des crétins enrhumés par des fanatiques qui ne piégeaient pas que leur cadavre. Mais, fort heureusement, la justice de mon pays m’a ouvert les yeux. Au terme de l’article 421-1 du Code Pénal, l’acte terroriste n’a pas besoin d’être commis, il suffit, par une appréciation purement subjective de notre amie aveugle (parfois) la Justice, d’avoir l’intention de (cf loi du 13/02/08)…  Je suis coupable. En tout cas, ma bibliothèque et un faisceau d’indices capillotractés le prouvent.

Examinons ensemble les preuves  avant que je ne fasse un autodafé salvateur dans mon salon (Si vous croyez que je suis prête à subir 6 mois de détention pour des livres que j’ai déjà lus !).  D’abord, je pensais qu’un terroriste se reconnaissait au moins à son horreur de l’épilation ou à son couteau entre les dents, ce qui, de fait, m’excluait. Or, Marc Sageman m’a fait comprendre mon erreur : le commun des mortels et un terroriste ont énormément de ressemblance, comme qui dirait qu’ils sont identiques ( sauf quand on les radiographie ). Je suis fille de classe moyenne, classe moyenne moi-même, éduquée, diplômée, avec une prédilection pour les sciences humaines et une tendance à préférer en matière d’enveloppe à glisser dans une urne,  ma main gauche à ma main droite. Les points d’achoppement entre ma biographie et celle de Julien Coupat vous sautent aux yeux n’est ce pas ? De plus, du plateau de Millevaches à ceux du Larzac dont je suis originaire, il n’y a qu’un pas, Michèle Alliot Marie vous le dira. Mais, l’indice essentiel, si Hadopi ne prend pas encore possession de mon ordinateur, reste ma bibliothèque. Lors d’une perquisition, la SDAT ( sous direction de l’anti-terrorisme) y aurait trouvé : l’intégrale de Marx, Bakounine, Tchakhotine et Proudhon, mais aussi du Agamben et du Baumman et évidemment tout Sade. J’avais jusqu’alors aux yeux et à la barbe de tous mes  visiteurs, pêle-mêle, La Grande Famille de Jean Grave, une biographie de Louise Michel et autres incitations à la violence, telle qu’Aragon, Rimbaud  ou Léon Bloy. J’avais même un exemplaire de Mein Kampf, que je brûlerai en premier de peur de me faire taxer d’antisémitisme, en plus de terrorisme d’ultra-gauche. Et au centre, trônait L’homme Révolté de Camus dont j’avais fait mienne son inversion du cogito cartésien « Je me révolte donc nous sommes. Et nous sommes seuls. » Sachant que le terrorisme se classifie selon deux échelles, l’une de destruction, l’autre de propagation, et  sachant que j’ai prêté beaucoup de ces livres (mais jamais à Alain Bauer  qui lui, a la même bibliothèque que moi, mais lui c’est pour son travail de conseiller de MAM), les considérant comme une base à la culture classique et à la réflexion critique, je suis bonne, pour la taule, le gnouf… Pire, j’ai des circonstances aggravantes… J’ai « updaté » ma bibliothèque.

Curieuse coïncidence, face à l’émergence de cet ennemi intérieur  j’ai pu acheter dans les 6 derniers mois, en vente libre, en cherchant un peu, dans une grande enseigne qu’on peut taxer à 5.5% de tout, sauf de tendance anarchiste ( à part peut être dans son rayonnage, mais je m’égare..) trois ouvrages qui me classent définitivement parmi les tenants de l’action directe :  Le cheval blême de Boris Savinkov, De A à X de John Berger, Le week-end de Bernard Schlink,  . Tous posent la seule véritable question ainsi formulée par Camus ( encore lui !) : « le seul problème moral vraiment sérieux, c’est le meurtre ».  

Savinkov était lui-même un terroriste, l’Histoire lui doit notamment l’attentat qui coûta la vie au grand duc Serge, le 4 février 1905, la France l’a accueilli en exil, et il inspira notamment Lukàcs. Le cheval blême, sous titré journal d’un terroriste, tire son titre de l’Evangile, c’est vous dire combien la morale est présente. Existe-t-il une foi en l’homme si supérieure que l’on puisse enfreindre ce commandement ? Peut-on vouloir à ce point que la cité des hommes devienne celle de Dieu sur cette terre ? Savinkov le croyait, mais pas sans doute. On ne résout pas si facilement l’antinomie du bien et du mal. Pourtant, la première évidence, celle de la révolte, mène au combat, à l’action directe, et à se condamner dans cette vie, et dans l’autre possible, pour le bien des autres. Même Churchill ( encore un anarchiste ! ) a admiré la pureté et l’inspiration dostoievskienne de ce court texte.

Et une fois, l’acte terroriste commis et que l’on est pris, condamné et enfermé ? John Berger a imaginé la correspondance entre Aïda et Xavier, elle condamnée à l’attendre, lui enfermé pour terrorisme. « A Toi je dis OUI ; à la vie que nous avons à vivre je dis NON. Pourtant je suis fière de cette vie, fière de ce que nous avons fait, fière de nous. »  lui écrit-elle. Aïda et Xavier se parlent avec l’érotisme de l’absence et la foi en eux des  utopistes. Mais A et X nous parlent, sans détour, de leur vision d’un monde qui s’écroule autour du veau d’or du dieu des 4 M : Marché, Mondialisation, Média et Morale.

Et si, comme Jean-Marc Rouillan , après avoir purgé sa peine, l’on pouvait être libéré ? Jörg, protagoniste du Week-end  est dans ce cas. Face à sa famille et ses amis, tout au long d’un éprouvant week-end, il se cramponne à ses idéaux, ses justifications, quand tous le confrontent à l’horreur humaine de l’acte. Ce qu’ils attendent de lui, c’est plus qu’une explication : ils comptent sur ses remords. Eux ont eu le temps de changer, de sacrifier à la vie, petit à petit leurs idéaux de jeunesse. Pour eux « fighting for peace is like fucking for virginity ». En lui, reste toujours vivace l’innocence que confère le droit à la révolte, jusqu’à se rendre insupportable à lui-même et inaccessible au pardon.

En trois ouvrages récemment publiés et en vente libre, j’ai acquis un manuel de vie du parfait terroriste. Et pour passer à l’action directe, j’aurai obtenu par le biais de circuits secrets et étrangers (allemands évidemment )  des aiguilles à tricoter  qui me permettraient de torturer en effigie des poupées que j’aurai nommées UTOPIE, OPINION, et ESPRIT CRITIQUE …Mais finalement, je vais préférer brûler mes livres et tricoter une belle poupée que j’appellerai CONSENSUS , en oubliant ce  que j’ai lu chez Robert Merton  c’est à dire que ce ventre mou peut aussi mener au crime.

 

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