La France passe à côté d’un marché de 100 à 200 milliards de dollars par an. L’assertion est fréquente dans la bouche des entrepreneurs de sécurité à la tête des “sociétés militaires privées” françaises. Une appellation impropre au cas français, selon deux députés membres de la commission de la Défense, Christian Ménard (UMP) et Jean-Claude Viollet (PS), auteurs d’un rapport d’information sur le sujet.
Dans ce document, déposé le 14 février, les rapporteurs préfèrent l’expression “entreprises de services de sécurité et de défense (ESSD)” qui “regroupe[nt] un ensemble de prestations nombreuses mais cohérentes [ayant] en commun de se situer à la périphérie de ce qui fait l’essence du régalien”.
En France, l’état actuel de la législation ne permet pas de créer des sociétés militaires privées, tombant sous le coup de la loi de 2003 réprimant le mercenariat. Exit Bob Denard et ses sulfureuses barbouzeries africaines :
Il n’y a rien de commun entre les prestations d’ingénierie proposées par les grandes ESSD françaises et l’action menée jadis par Bob Denard et ses associés.
Oubliées aussi les curieuses missions à l’étranger, comme Secopex ou le fleuron des entreprises françaises, Géos en ont réalisées en Libye, au grand étonnement de ces mêmes députés.
Aujourd’hui, l’intérêt est d’abord économique. “Le marché mondial a probablement atteint les 200 à 400 milliards par an ces dernières années, artificiellement gonflés par les théâtres d’opération en Irak et en Afghanistan” explique Christian Ménard à OWNI. L’une des principales sociétés militaires privées américaines, la Military Professional Ressources Inc. (MPRI), a remporté un contrat de 1,2 milliard d’euros pour assurer la formation de l’armée afghane. Gallice est l’une des rares sociétés françaises à être implantée en Irak, où le trajet entre l’aéroport et la zone verte se monnaye 1000 dollars. Inconcevable, pour les députés, que les Français passent aujourd’hui à côté des principaux foyers de demandes, sans pouvoir définir précisément quelles missions pourraient être confiées à des privés.
Ce qui ne constitue pas le “cœur de métier” de l’armée a vocation à être externalisé. Pour l’heure, aucun consensus n’a pu être tiré sur ce fameux cœur de métier, comme l’écrivent les députés. Parmi les militaires interrogés, certains conservent une conception étendue du régalien, donc du cœur de métier. Sous l’effet combiné de la révision générale des politiques publiques lancée en 2007 et la rédaction du livre blanc sur la défense en 2008, la réflexion stratégique s’est concentrée sur la définition du cœur de métier, sans parvenir à la définir précisément.
A défaut de concepts solidement posés, le privé s’impose par la lorgnette du pragmatisme selon les deux députés, qui pointent les théâtres somaliens et libyens comme premiers marchés à conquérir. Christian Ménard et Jean-Claude Viollet se sont déplacés en Libye. Ils en sont revenus avec la conviction qu’il existait “une attente forte vis-à-vis de la France” dans ce domaine.
Il est donc très souhaitable que, dans le cadre du droit libyen, nos sociétés parviennent à nouer des partenariats afin de s’implanter durablement dans ce pays.
Une société française, Galea, est déjà installée en Libye, en partie grâce à sa présence en Égypte et à de bons réseaux dans le pays. Argus, une société de droit hongrois, dirigée par des Français, est sous contrat avec l’Union européenne pour “la protection de ses locaux et l’escorte de ses employés”. Curieusement, les gardes de la société sont armés, “par le truchement d’un statut diplomatique” écrivent les rapporteurs.
Mais c’est surtout du côté du détroit de Bab el Mandeb, au large de la Corne de l’Afrique, que se tournent les regards des “ESSD” françaises. Sous la menace de la piraterie, l’Union européenne a lancé l’opération Atalante. La France met à disposition des équipes de protection embarquées, notamment sur les navires du Programme agricole mondial et les thoniers senneurs. Une utilisation de l’armée qui ne va pas sans faire grincer des dents. Les députés notent que ces missions “relèvent davantage de la sécurité internationale que du domaine militaire proprement dit”. Elles reviennent à utiliser la force publique pour protéger des intérêts privés.
Les équipes de fusiliers marins coûtent 2000 euros par jour en moyenne, contre 3000 euros en moyens pour une équipe privée, écrivent-ils. La différence est prise en charge par l’armée elle-même, sur son budget annuel. Dans ce contexte, les deux rapporteurs estiment que la France “est désormais prête à autoriser l’embarquement de personnels privés armés à bord des navires commerciaux traversant des zones dangereuses”. Là encore, un marché colossal. Pour les entreprises françaises, il serait d’environ une centaine de millions d’euros.
Le Secrétariat général de la mer s’était penché sur la lutte contre la piraterie en 2011. Sa production n’a pas été rendue publique, mais il semble avoir retenu un processus de labellisation des navires, en fonction de plusieurs critères, dont l’intérêt stratégique du chargement pour la France. Selon nos informations, les convois jugés stratégiques seraient pris en charge par les forces publiques, les convois importants pourraient être confiés à la Marine ou à des gardes privés qui hériteraient systématiquement des navires n’entrant pas dans ces deux catégories.
Christian Ménard souhaite quant à lui une mise en place rapide des équipes embarquées privées, sans même attendre la prochaine législature. “A titre d’expérimentation, ces embarquements peuvent être tentés en se basant sur une modification des règlements” précise-t-il. Le rapport mentionne d’ailleurs une expérimentation en cours en Algérie, pour la protection d’enceintes diplomatiques. Le parc Peltzer, à Alger, est ainsi “géré par une [société de sécurité privée] algérienne supervisée par des gendarmes français”, de même que le lycée français.
De ces expériences, les députés retiennent que “les SMP peuvent être un instrument d’influence considérable pour les États” écrivent les deux députés, citant l’exemple de la société Blackwater. Devenue Xe pour faire oublier le carnage de septembre 2007 à Bagdad et aujourd’hui dénommée Academi, la société militaire privée américaine assure la sécurité de l’oléoduc Bakou-Tbillissi-Ceyhan et la formation de la marine azérie, des contrats qui “permettent très concrètement aux États-Unis de s’implanter discrètement dans une région sensible et stratégique, entre l’Iran et la Russie”.
Même constat à propos du contrat de la société avec les Émirats arabes unis. D’un montant d’environ 500 millions de dollars, le contrat prévoit la formation “d’une force militaire supplétive”. Révélée par le New York Times en mai dernier, l’affaire avait attisé les craintes de voir cette deuxième armée être utilisée comme force de police, particulièrement dans le contexte des révoltes arabes.
Les rapporteurs préfèrent y voir “un formidable levier d’intervention pour [les] Etat[s] d’origine”. C’est aussi par promotion, et protection, de l’intérêt national que les deux députés souhaitent que les sociétés françaises puissent faire appel aux ESSD du même pays, ce qui “laisse supposer un meilleur respect des informations les plus sensibles”. L’équipe France ainsi constituée est perçue comme “un facteur de consolidation de l’influence française” à l’étranger.
Le rapport avance plusieurs possibilités pour assouplir la législation en vigueur, notamment en intégrant les sociétés militaires privées à la loi de 1983 sur les activités privées de sécurité. Le tout jeune Conseil national des activités privées de sécurité (Cnaps) pourrait se voir confier la tâche de labelliser les sociétés qui veulent avoir de telles activités à l’étranger.
Alors que les bagnards déportés dans les plantations de la côte américaine crevaient de faim, de soif, poussés pour certains au cannibalisme par l’acharnement de la Virginia Company à exploiter ces terres nouvelles, l’équipage du Sea Venture se constitua en mutinerie et envoya à Londres un message improbable : ils resteraient hors du système.
Présentée en exergue du livre de Marcus Rediker et Peter Linebaugh (L’Hydre aux mille têtes, histoire cachée de l’Atlantique révolutionnaire), le naufrage du Sea Venture trace la ligne qui a séparé jusqu’au XIXe siècle la marine britannique et la piraterie : d’un côté, les folles ambitions économiques des grands marchands anglais et, de l’autre, le refus de d’une poignée de marins de servir de chair à canotage à cette dictature maritime qui sonnait le début du capitalisme. Car, n’en déplaise à Peter Pan, Walt Disney et tous leurs amis, la cruauté maritime était plutôt l’apanage de la Compagnie des Indes et des divers amiraux de la Royal Navy que des pirates de tous les océans.
À l’époque où commence l’aventure maritime de l’Angleterre, le pouvoir doit faire face à un phénomène nouveau : l’exode rural. Avant même de les jeter dans les navires, la Couronne avait déjà commencé par jeter les pauvres à la rue en brisant le fonctionnement agricole traditionnel médiéval, basé sur l’usage de terres partagées (les commons), au profit de propriétaires terriens. Or, au même moment, les nouvelles colonies usaient à l’exploitation des champs et à la traite des Noirs des milliers d’hommes chaque mois, qui mourraient soit en route, soit sur place. La monarchie décida donc de déverser les prisons dans les bateaux qui, par la dureté de la mer, avaient l’avantage de se vider bien plus vite.
Poussé par la concurrence avec la Hollande pour l’appropriation du Nouveau Monde, l’Angleterre promulgua successivement des lois de plus en plus dures pour les marins et les paysans expropriés : en 1617, la déportation devint une peine criminelle légale ; en 1649, le refus de l’enrôlement forcé sur les chantiers navals devint passible de la peine de mort. En 1652, les Articles of War instaurèrent un véritable régime martial dans la Royal Navy, punissant 25 des 39 délits énumérés de la peine capitale. La terreur devint la règle des amiraux, seul outil dont disposait la Couronne pour faire tourner la machine atlantique qu’elle n’arrivait plus à alimenter. Car, les milliers d’hommes dont avait besoin le Commonwealth pour maintenir le pont de bateaux entre Londres, la Virginie et la Guinée, elle n’avait pas les moyens de les payer ou de les nourrir ! En 1620, les révoltes se multiplièrent pour non paiement de soldes et conditions de travail inhumaines : selon Rediker, trois quarts des marins recrutés de force périssaient dans les deux ans qui suivaient leur enrôlement. Et, parmi eux, seulement un cinquième mourrait pendant les batailles. Des conditions de vie qui poussaient des effectifs grandissants de l’autre côté de la loi de la Couronne, dans les bras des boucaniers et des pirates.
« Double inversé de la figure du souverain » pour reprendre la formule de Rodolphe Durand et Jean-Philippe Vergne, l’organisation pirate offrait une sorte de négatif des lois de la Royal Navy dans l’enceinte du bateau : au diktat d’un capitaine « imperator » ne répondant qu’aux ordres des actionnaires de sa compagnie, les pirates opposaient un chef élu démocratiquement, à une voix par tête, pouvant être démis de ses fonctions par le même suffrage, pour couardise, refus de pillage voire pour s’être trop comporté comme un gentilhomme ! Face à lui, un contrepoids, le quartier-maître gérant les réserves et les exigences des marins. Dans cette organisation égalitaire, chacun avait même accès aux vivres et à la boisson, « motivation plus forte que l’or », assurait le capitaine Bartholomew Roberts. Quant aux butins, ils étaient répartis en parts égales redistribuées selon une charte fixée dans chaque bateau : une par marin, une et quart ou une et demi pour les officiers subalternes et une et demi à deux pour le capitaine et le quartier-maître. Trois siècles et demi avant la lettre, les boucaniers avaient inventé le plafonnement des salaires ! Autre originalité : une partie de chaque butin était versé à un fond servant à indemniser les victimes des duretés de la mer, les amputés d’une jambe gagnaient ainsi trois parts du paiement du chirurgien mais, pour un œil, la moitié seulement de cette somme.
Il y a de maigres gages et un dur labeur ; ici, l’abondance et la satiété, le plaisir et l’aisance, la liberté et le pouvoir ; qui hésiterait à se ranger du côté du créditeur, quand tout le risque qu’il court est, au pis, de mourir étouffé ? Non, une vie joyeuse et une vie brève, telle est ma devise », Bartholomew Roberts, capitaine pirate.
Toutes ces idées, les pirates ne les avaient pas créées de toute pièce : nombreux anciens bagnards, ils avaient pour certains vécu comme paysans avant la fin des commons et héritaient de cette tradition paysanne de mutualisation. Sur le bateau, pas même le capitaine n’avait de cabine qui ne soit partagée, et toute atteinte au bien commun était sévèrement sanctionnée : citée dans L’organisation pirate, le « code de la côte » du capitaine Roberts prévoyait la mort pour qui détournerait « ne serait-ce qu’un dollar » du butin collectif.
À cette tradition rurale médiévale s’ajoutait l’apport des cultures indiennes et africaines niant la propriété : face aux mutineries et à la désertion, la Navy se voyait poussée à recruter des Français, des Hollandais mais aussi des Amérindiens, Caraïbes ou Africains, lesquels fuyaient parfois vers les bateaux ayant levé le drapeau noir. Il y était accueilli au même titre que les Européens. Moins nombreuses, les femmes avaient également leur place à égalité avec leurs camarades marins. L’équipage du capitaine noir Sam Bellamy comptait en 1717 huit nationalités, dont des Amérindiens, des quarterons et des esclaves affranchis ou échappés. De ces brassages émergea même un créole des mers, le pidgin, qui, à des mots anglais, ajoutait des bouts de français ou de hollandais, des termes de dialectes algonquins, une grammaire proche des langues d’Afrique occidentale… Face à ces échanges, la Navy édictait des lois : en 1743 encore, elle pendait des marins pour avoir entonné « des chants nègres ».
Bien que disposant de quelques « havres » (notamment en Jamaïque), la « nation pirate » restait très fragmentée : le plus gros équipage, celui du capitaine Morgane qui comptait 2000 hommes, était une exception au milieu d’organisations de quelques bateaux, réunissant une ou deux centaines d’hommes tout au plus.
En marge des nouvelles routes commerciales, la haute mer constituait pour les pirates un « maquis » où ils survécurent ponctuellement. Trois « vagues » de piraterie se brisèrent sur trois murs d’argent : en 1670, les boucaniers furent décimés par la Virginia Company, en 1690, la Compagnie des Indes fit pièce à leurs successeurs et, au début du XVIIIe, c’est le très lucratif commerce de l’esclavage qui eu raison des pavillons noirs.
Car, malgré son aspect marginal, la piraterie se mit en travers du processus d’accumulation capitalistique des premiers grands commerçants anglais. Sans être une révolution, elle s’est imposée comme une « insurrection toujours avortée sans cesse renouvelée », pour reprendre les mots de Rodolphe Durand et Jean-Philippe Vergne. Bien que discontinu, ce système de territoires d’égalité et de démocratie en dehors des cartes du Commonwealth a constitué une avant-garde sociale qui résonne jusqu’à aujourd’hui. Pour Hakim Bey, ces « zones d’autonomie temporaire » ou TAZ (Temporary autonomous zone) sont la réponse au problème de la masse nécessaire pour enclencher la dynamique révolutionnaire. Une insurrection permanente d’avant-garde sociale alimentée par des îlots reliés par un réseau hors de contrôle des autorités normatives ? Peter Pan a du souci à se faire…
Quelques pistes pour poursuivre l’exploration
Crédit photo : FlickR CC Pacticaowl ; earcos / Wikimedia Fish and karate.
]]>Chevreuil – L’Organisation Pirate
“Ce groupe, que nous apprécions depuis plusieurs années, a dans sa musique une manière de composer qui nous rappelait la structure de notre argumentation, détaille Jean-Philippe. Nous essayons de développer une perspective évolutionniste pour évoquer le développement du capitalisme. Dans toute théorie évolutionniste, il y a deux éléments importants : une source de variations, et une source de sélection. Chevreuil est un groupe qui fait des morceaux instrumentaux, assez longs, ils ne sont pas du tout cycliques, contrairement aux compositions de pop rock classique, avec un couplet un refrain. Ils sont plutôt linéaires et évoluent de façon imprévisible, leurs morceaux sont ponctués par des crises. Le guitariste travaille à partir de différentes boucles, qu’il va superposer, ils ont quatre amplis sur scène, il va mettre simultanément plusieurs loops les uns sur les autres à la guitare, certaines variations vont être sélectionnées, d’autres disparaissent. Le batteur fait un travail similaire.
Notre idée aussi, c’était de décloisonner le monde des sciences sociales, nous avions envie de nous ouvrir à un autre public et nous nous sommes dit qu’il pouvait y avoir une grande proximité d’intérêt entre un public académique et un public culturel. C’est une ouverture dans les deux sens.”
Contacté par Jean-Philippe, Tony Chauvin, le guitariste, a été enthousiasmé par la démarche, il en a parlé à son acolyte batteur Julien Fernandez, tout aussi séduit. Concrètement, les musiciens ont travaillé de façon autonome. S’ils ont bien reçu les épreuves du livre au fur et à mesure, le but de toute façon n’était pas d’illustrer le sujet, pour cela, on ira écouter la BO de Pirates des Caraïbes : “Nous n’avons pas essayé de parler de leur travail à travers la musique, explique Tony, la démarche en elle-même en parle : composer et publier en CC, à partir d’un ouvrage.” Le résultat, une plage de plus de 7 minutes, a été publié au même moment que le livre.
Libre maintenant à chacun de remixer le morceau : “Que les gens se l’approprient, le détournent, si un remix a plus de succès, c’est bien, il faut que la diffusion soit autonome”, complète l’artiste. À ce jour, on compte trois remixes, dont, c’est étonnant, un “WikiLeax Remix”. Autre originalité, le mode de financement : livre et musique sont conçus comme une coproduction, la production et l’enregistrement du morceau étant financés par les droits d’auteurs issus des ventes de l’ouvrage
Pour adhérer à un tel projet, il faut aller plus loin que le bout du nez de la Hadopi, on s’en doute : “Nous sommes dans une période de mutation, je n’ai pas de réponse toute faite, estime Tony. Téléchargeons et on verra ! Je veux bien être téléchargé illégalement, au moins cela me procurent des concerts. Hadopi ? Je ne comprends pas grand’ chose à cette loi, c’est une question de gros sous, pour protéger toujours les mêmes, les petits labels, ils n’en n’ont rien à cirer.”
Les pirates des mers ont fait évoluer les normes dans le bon sens, évoque l’ouvrage. En sera-t-il de même pour le domaine de la culture en début de XXIe ?
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L’organisation pirate, essai sur l’évolution du capitalisme, Rodolphe Durand et Jean-Philippe Vergne, Le bord de l’eau éditions, 16 euros
http://www.organisationpirate.com/
Pour voir des vidéos de Chevreuil en live ; Chevreuil nous a demandé de transmettre la demande suivante : si leur composition vous a plu, faites un don à Universal Music : “Il nous semble raisonnable et cela nous tient de plus particulièrement à coeur de reverser tout éventuel bénéfice à “Universal Music”.
> Pour envoyer votre remix : organisationpirate@gmail.com
Photo © Tony Chauvin & Chevreuil 2010
]]>Si l’on peut contester parfois leurs analyses – le capitalisme, autour duquel s’articule leur réflexion est un sujet trop complexe pour mettre tout le monde d’accord -, cet ouvrage dense et transversal n’en est pas moins stimulant. L’entretien avec Jean-Philippe Vergne fut riche, prolongé et attira autour de la table aussi bien Sylvain Lapoix, d’OWNIpolitics, que Martin Clavey, d’OWNIsciences et Jean-Marc Manach.
Si l’on regarde ce qui se passe au niveau historique, on a toujours au cours de l’histoire du capitalisme des organisations pirates qui émergent et qui contestent certaines normes qui sont imposées par des États qui contribuent à mettre en place et diffuser ce capitalisme. Il y a donc toujours une relation d’attraction et de répulsion entre l’État et les organisations pirates. Il en a à la fois besoin, puisqu’elles permettent de diffuser de nouvelles normes, de produire certaines innovations, il en a parfois même besoin pour s’y allier et lutter contre d’autres États. Et en même temps, l’État est l’ennemi de l’organisation pirate dans la mesure où elle conteste son monopole quand il impose des normes sur des territoires.
Ainsi, au XVIIe siècle sur les mers, les États européens principalement, qui avaient fait des grandes découvertes -les Indes orientales et occidentales, les Amériques-, avaient déclaré des monopoles sur les routes commerciales pour échanger des épices entre l’Europe et ces territoires qui deviendront plus tard des colonies. À cette époque, il existait déjà localement depuis des décennies des commerçants qui possédaient leurs navires, et qui, du jour au lendemain, du fait des monopoles, attribués par les États européens aux compagnies des Indes, ont été déclarés pirates. Il sont devenus des pirates d’une manière un peu particulière, c’est-à-dire qu’ils étaient utilisés par certains États européens pour contrer leurs concurrents. Les Hollandais se sont par exemple alliés avec certains pirates locaux contre l’Espagne autour de ce que l’on appelle aujourd’hui l’Indonésie. Du coup, ces pirates étaient considérés comme des corsaires lorsqu’ils travaillaient pour un État et comme des pirates par les autres. La notion de pirate est relative. Tout corsaire est un pirate du point de vue d’une certaine personne. En revanche, tous les pirates ne sont pas corsaires, certains refusent constamment d’être rallié à un État, c’était assez rare en mer au XVIIe siècle et au XVIIe siècle: l’équipage de Barbe Noire était une exception. La plupart des pirates connus sont passés d’un État à l’autre, se vendant parfois au plus offrant, parfois à ceux qui leur accordaient un asile, pour des raisons religieuses, politiques, culturelles, etc. Il y a une multitude d’intérêts en jeu.
La question de la définition du capitalisme est une question délicate. Certains ont une approche historique, et le font commencer au XII-XIIIe, avec les premières grandes cités marchandes, en Italie, par exemple. Les économistes pour la plupart n’ont pas d’avis sur la question, pour eux le capitalisme c’est en gros l’économie de marché, cela existerait donc depuis l’Antiquité, depuis qu’il y a des sociétés humaines, des villages organisés.
Notre approche est un peu différente, nous nous basons sur les travaux de deux philosophes, Gilles Deleuze et Félix Guattari, qui ont eu recours à des travaux philosophiques, psychanalytiques et anthropologiques. Ils définissent le capitalisme principalement par rapport à l’époque féodale : c’est un mode d’échange dans une société qui permet la rencontre de flux déterritorialisés, de flux de capital et de travail. Ce n’était pas possible à l’époque féodale car il y avait un système de seigneuries, avec des paysans qui étaient des esclaves, des serfs, attachés à une terre, quand elle était vendue à un autre vassal, ils étaient vendus avec. Le capital et le travail étaient rattachés à la terre. À partir du moment où le système féodal s’effondre, toutes sortes de pressions sociologiques, démographiques, comme par exemple l’exode rural, font que cette force de travail et les capitaux deviennent mobiles. À partir de là, il peut y avoir un calcul quasi systématique de la façon dont ces forces sont organisées pour créer des entreprises -cela peut être envoyer un navire en Indonésie. Les codes féodaux s’effondrant, on arrive dans une société décodée, déterritorialisée.
Cette rencontre ne peut s’opérer que sur un territoire rendu homogène, ce qui n’était pas le cas avant, même dans l’Italie du XIIIe, chaque cité avait ses droits de douane, ses unités de mesure, son armée. Là on voit apparaître l’État souverain qui impose des normes homogènes sur le territoire dont il a pris le contrôle d’un territoire, cette circulation peut alors s’opérer et forcément, elles définissent une inclusion et une exclusion. C’est là qu’apparait l’organisation pirate, qui remet en cause la norme.
Un exemple flagrant, c’est le moment où la compagnie des Indes orientales hollandaises arrive en Indonésie et s’aperçoit que la compagnie équivalente des Espagnols et des Portugais est arrivée avant eux et a dit : “la route que j’ai empruntée pour venir, je la décrète monopole de la couronne portugaise”. Les Hollandais contestent et sont qualifiés de pirates.
À un niveau théorique, je ne sais pas, à un niveau empirique, si on regarde ce qui se passe depuis les débuts du capitalisme, que nous situons dans le livre au moment des premières grandes découvertes, effectivement, on voit que l’organisation pirate surgit à chaque grande période de mutation du capitalisme : la révolution commerciale avec les grandes découvertes des Amériques et des Indes, les pirates arrivent sur mer. Puis la révolution des télécoms avec les premières radiodiffusions, des radio pirates apparaissent contre lesquelles luttent des États, qui peuvent même aller les éliminer sur des plates-formes maritimes depuis lesquelles elles émettent, en envoyant l’aviation, l’armée. Il y a aussi les communications téléphoniques: aux États-Unis le monopole de AT&T, contesté par des phone phreaks qui rejettent l’idée que l’État puisse avoir un monopole sur le contrôle des réseaux de communication et considèrent donc qu’ils devraient pouvoir utiliser ce réseau librement, en l’occurrence cela peut aussi vouloir dire sans payer.
Ensuite, il y a la révolution numérique, avec la mise en place d’un nouveau réseau de communication, Internet. Encore une fois l’organisation pirate conteste certaines modalités d’imposition de normes par l’État. Il peut s’agir du filtrage du Net, des droits de propriété de certains contenus. Encore plus récemment est arrivée la révolution des biotechnologies, les États essayent de contrôler les normes qui peuvent être imposées sur la recherche en biogénétique, par exemple, ce qui peut être breveté ou pas. Il y a tout une série d’organisations pirates, qui vont des petits groupements d’amis qui font du DIY bio (do it yourself, ndlr) dans leur garage pour s’amuser, à des organisations beaucoup plus complexes et financées, comme Celera Genomics, qui vise à concurrencer les États dans la recherche en biogénétique et finalement, créer de nouvelles espèces vivantes brevetées, en dehors de toute légalité.
Des travaux historiques se sont focalisés sur des normes développées par des organisations pirates en mer, elles pouvaient être très différentes de celles que l’on trouvait à bord de la navire marchande ou de la marine de guerre d’État au XVIIe. Elles pratiquaient un embryon de démocratie à bord; ils pouvaient élire le capitaine, le révoquer s’il ne faisait pas son travail, n’agissait pas dans l’intérêt de la communauté, alors qu’on avait à la même époque de véritable dictature où le capitaine avait un droit de vie et de mort sur n’importe quel membre de l’équipage. Certaines organisations pirates acceptaient des femmes à bord et des Noirs, deux gros interdits dans la marine d’État à l’époque. Ces travaux ont montré qu’en fait, au fur et à mesure que la piraterie en mer a décliné, au XVIII et XIXe siècle, ces gens-là se sont reterritorialisés d’une certaine manière, ils sont arrivés dans les colonies anglaises en Amérique avec leurs normes, et elles se sont diffusées, et cela représentait une part importante de la population à l’époque. Les travaux de Christopher Hill, notamment, montrent que ces normes ont été une influence importante dans la révolution américaine. Aujourd’hui, quand on regarde les principales sociétés capitalistes, ce sont des démocraties basées sur ces normes-là.
Que les normes évoluent dans un sens positif n’est pas une nécessité… Prenons deux exemples contemporains qui, justement, semblent évoluer dans des directions opposées, et laissons à chacun le soin de déterminer ce qui est “positif” et ce qui ne l’est pas.
Premier cas, la piraterie informatique. En retraçant les origines de l’open source, on se rend compte à quel point le rôle des organisations de cyberhackers qui promouvaient le free software a été important. Entre le copyright version “hard” (avec DRM et tout le toutim) et le copyleft un peu idéaliste et dépouillé de toute contrainte, il existe aujourd’hui une multitude de droits intermédiaires qui sont autant de variations générées sur le long terme par l’action des organisations pirates. D’une certaine manière, le développement communautaire “libre” du système UNIX puis la réclamation de royalties pour ce produit par l’entreprise AT&T en 1982 préfigure l’avenir, car c’est alors la première fois que les différentes composantes du concept de “propriété” apparaissent au grand jour dans l’industrie du software – ou plus généralement dans les industries “collaboratives”. La propriété apparaît alors comme un déterminant essentiel de l’innovation, de sa diffusion, et de la répartition des profits que cette dernière génère – que ce soit en termes monétaires ou réputationnels. Dès lors, les questions essentielles sont posées: comment définir le nouveau ? (problème de l’innovation); dans quelle mesure, par quels canaux, et à quelle vitesse l’innovation doit-elle se propager ? (problème de la diffusion) ; comment répartir les flux de capitaux et de prestige générés par l’innovation et sa diffusion? (problème de l’attribution).
Deuxième exemple, la piraterie du vivant. Des organisations pirates, telles que la secte Raël ou l’entreprise Celera Genomics, ont vocation à générer du profit et du capital réputationnel à partir de la manipulation de l’ADN (clonage, vie synthétique, création de nouvelles espèces en laboratoire). Comme les pirates du Net, les pirates de l’ADN font fi des monopoles et des normes souveraines – elles opèrent dans une zone grise du capitalisme et comptent bien imposer leurs propres règles au jeu de l’innovation biogénétique. Seulement voilà, cette fois-ci, c’est vers la privatisation croissante du vivant que ces organisations pirates s’orientent : capitaux privés, laboratoires clandestins hors de tout contrôle souverain, et dépôts de brevets qui excluent le public des découvertes réalisées. On est loin de l’idéal du freeware !
C’est peut-être un des aspects les plus surprenants de notre ouvrage, on en vient à considérer que les pirates en Somalie ne sont pas des pirates de notre point de vue. Pour nous, la piraterie se développe dans les zones grises du capitalisme, dans les territoires qui ne sont pas encore tout à fait normalisés où dans lesquels elles sont très contestées. Or en mer, depuis la convention de Paris du milieu du 19e siècle, il n’y a plus de contestation. Tous les États souverains de la planète se sont entendus sur des règles qui définissent quelles sont les eaux territoriales, celles où tel État a la souveraineté et celles où aucun État ne l’a, il ne peut donc plus y avoir de piraterie. De manière équivalente, à partir du moment où il n’y a plus de distinction possible entre un pirate et un corsaire, il n’y a pas de piraterie. Et on voit bien aujourd’hui en Somalie, il n’y a pas de corsaire. Il y a des armées conventionnelles qui sont envoyées, et des brigands. Si ces Somaliens qui se baladent sur une barque avec un kalachnikov au lieu de braquer un navire, se baladaient sur la terre ferme 50 km plus loin et braquaient un convoi de jeeps, on ne les qualifierait pas de pirates. Il y a une ressemblance de forme mais le fait de commettre un délit ou un crime en mer ne fait pas de quelqu’un un pirate.
Effectivement, nous pensons qu’il y a un nouvel âge d’or de la piraterie, principalement sur Internet avec les cyberhackers et dans les territoires biogénétiques. Dans ce dernier, certaines organisations sont de pacotille, ainsi la secte Raël. Elle présentent toutes les caractéristiques d’une organisation pirate : un groupe de gens qui va résister à l’État en général et à plusieurs en particulier, il va chercher toujours à se localiser en dehors des frontières des États souverains, il est très mobile, va aller dans des paradis fiscaux, tantôt aux Bahamas, tantôt en Israël, en Floride, et propose quelque chose qui n’est tout simplement pas légitime, c’est-à-dire cloner des êtres humains. On est dans une zone grise totale, il n’y a pas encore de législation internationale sur le clonage humain, certains États ont l’air pour, d’autres contre, beaucoup n’ont pas encore légiféré à ce sujet.
Certaines organisations font la même chose de manière beaucoup plus sérieuse et crédible, et parviennent à des résultats assez impressionnants. Nous donnons l’exemple du Craig Venter Institute, qui a récemment élaboré la première bactérie entièrement synthétique en laboratoire.
Jean-Philippe Vergne : C’est la prochaine étape annoncée, le leader de cette organisation était impliqué dans le décryptage du génome humain, ensuite il a été à l’origine du premier chromosome synthétique, il y a quelques mois c’était la bactérie, et son projet c’est de créer de nouvelles espèces vivantes. Avant il opérait dans une organisation corsaire, le National Health Institute, où il faisait de la recherche pour le compte du gouvernement américain, et au bout d’un moment, il a dit : “cela ne m’intéresse plus, il y a trop de contraintes, vous changez d’avis tout le temps sur ce que l’on a le droit de faire, de ne pas faire, je m’en vais chercher des capitaux privés pour faire ma recherche dans mon coin.” Il va enregistrer ses sociétés dans des endroits où il sera tranquille au niveau fiscal et légal. Il exploite le trou dans la législation et dans les normes, on différencie beaucoup la légalité de la légitimité dans le livre.
Oui, c’est une notion importante pour la plupart des organisations pirates, même si elle n’est pas forcément revendiquée. En quelques mots, la cause publique défendue par l’organisation pirate est celle de l’expropriation légitime, que nous opposons aux modes d’appropriation légitime encadrés par l’État souverain. Cette cause est publique à plusieurs niveaux : elle s’inscrit contre une forme d’appropriation exclusive, c’est-à-dire qui exclut le plus grand nombre au profit d’une poignée d’individus ; elle se propose de rendre visible, publiquement, les mécanismes dissimulés derrière les échanges économiques, afin de montrer qu’ils n’obéissent pas à des lois “naturelles”, mais à des règles produites socialement par des différentiels de pouvoir, et que l’on pourrait très bien changer (il y a là une dimension pédagogique de la cause publique, qui cherche à révéler que d’autres modèles d’échange sont possibles). L’action des organisations pirates sur Internet, des Legions of the Underground qui combattent la censure du Net en Chine à Anonymous qui soutient la croisade de WikiLeaks pour la transparence, illustrent parfaitement cette idée : de leur point de vue, certaines informations devraient légitimement être et rester publiques ; si ce n’est pas le cas, alors il devient légitime de forcer un peu la main de ceux qui les détiennent.
Il y a effectivement un ouvrage de Philippe Escande et Solveig Godeluck, qui développent cette thèse, Les pirates du capitalisme. Notre approche est différente, en s’articulant autour de la notion de territoire. Dans le cas des hedge funds, on ne voit pas trop quel serait le territoire qui serait piraté. On est dans des actes qui consistent à exploiter la concurrence entre des États. Les gens ont une image du capitalisme assez simpliste; le capitalisme, c’est la concurrence entre les entreprises, mais c’est aussi et peut-être même surtout la concurrence entre les États et les individus. Quand les États ont des législations différentes en matière d’investissements financiers, des organisations se créent pour exploiter ces différences, entre deux taux d’imposition sur un produit financier par exemple. Avec les hedge funds, on est soit dans ce cas-là, soit dans le cadre d’organisations criminelles qui font des choses qui ne sont pas légales.
Il y a beaucoup de ressemblances. Si on compare les organisations pirates en mer au XVIIe siècle et les cyberhackers, on a dans les deux cas des gens qui opèrent en réseau, qui ont des hubs dans lesquels ils peuvent se réunir, c’était par exemple dans les Caraïbes au XVIIe siècle et c’est aujourd’hui dans la toile les forums ou même des lieux géographiques, comme les conférences de hackers. Ils utilisent des pseudos aussi. Cela permet à la fois de rester anonyme et d’accumuler une réputation, la notion d’ego est présente, les gens peuvent être motivés par autre chose que l’appât du gain; la prouesse technique, l’idée de dépasser une frontière, faire mieux que ce qui a été fait avant peut être suffisant. On a aussi l’idée d’opérer avec un vaisseau : les pirates des mers c’est un navire, les pirates informatiques, un ordinateur. On a un phénomène de capture d’un navire, qui va faire ensuite partie de l’organisation pirate. Chez les cyberhackers, on capture des ordinateurs pour ensuite organiser ce que l’on appelle un botnet, c’est ce qui a été fait par le collectif Anonymous suite à l’affaire WikiLeaks.
Effectivement, je ne sais pas si c’est nouveau [On se tourne alors vers Jean-Marc Manach, notre mémoire du web à tous :)]
JMM : Oui, il y avait eu l’Electronic Disturbance Theater (EDT) [en] qui avait lancé FloodNet, pour attaquer l’ambassade du Mexique en soutien à Marcos durant l’année 1998. C’était public, sous forme de page qui relançait des frames à l’intérieur de frames. Il y a aussi eu des actions au moment de la guerre en Yougoslavie, la toywar également. Ces outils mis à disposition n’ont pas vraiment fait florès dans le sens où il n’y a pas un logiciel libre qui aurait été constitué avec plein de déclinaisons.
Jean-Philippe Vergne : C’est intéressant, on retrouve cette idée de cause publique, on a une organisation qui estime pratiquer une forme expropriation légitime et que cela défend une forme d’intérêt général.
Sur les variations, si on prend le cas de Craig Venter Institute, on a l’impression qu’il défend une cause publique mais d’une manière un peu inversée. Il ne cherche pas à rendre accessible et à faire de l’ADN un bien commun, comme on l’a fait avec les mers, comme on essaye de le faire avec les ressources lunaires, ou l’air, etc; non lui il veut privatiser des séquences d’ADN, il veut pouvoir privatiser de nouvelles espèces, qu’il va créer. Le défenseur des intérêts privés, c’est cette organisation pirate. Mais si on observe son discours il est quand même influencé par cette idée de cause publique, puisqu’il explique qu’en privatisant une séquence d’ADN, cela va permettre de générer un profit, de financer de l’innovation, qui permettra à terme, parce qu’elle a été privatisée, de bénéficier au plus grand nombre. On retrouve l’État souverain, qui d’habitude a tendance, lorsqu’il y a de nouveaux territoires, à tenir des arguments similaires.
On essaye de ne pas trop généraliser car les organisations pirates ne sont pas un ensemble homogène. Aujourd’hui, on retrouve effectivement dans certains organisations pirates, que ce soit sur Internet ou dans le domaine de la biogénétique, cette volonté de favoriser une concurrence plus libre entre les organisations c’est-à-dire sortir du monopole d’État. Si on regarde le cas de la piraterie sur Internet, les personnes qui travaillent sur les identités des cyberhackers remarquent qu’il existe des différences dans différentes régions du monde. On va retrouver des hackers un peu libertaires en Europe ; en Chine, ils sont plutôt nationalistes et ont tendance, même s’ils ne sont pas liés directement à l’État, à essayer de promouvoir des valeurs nationalistes ; et puis on a des communautés de hackers carrément anarchistes. La revendication de la lutte contre le monopole revient souvent mais ce n’est pas systématique.
Les pirates du présent peuvent même créer les futurs monopoles. Il y a un exemple connu assez marrant : Steve Jobs, qui a commencé étudiant comme phone phreaks, il fabriquait des blue boxes et il les vendait dans des campus en Californie pour que les gens puissent pirater le monopole d’AT&T et téléphoner gratuitement. Il a fondé ensuite Apple, qui n’est pas spécifiquement open source. Au début il y avait un petit drapeau pirate qui flottait sur le toit du siège social, il n’y est plus. On n’avait un activiste qui est devenu chef d’entreprise, s’il avait plus de parts de marché, cela ne le gênerait pas. Il y a beaucoup d’histoire comme ça, d’individus qui deviennent corsaires ou qui se rangent ou forment des monopoles dans leur carrière. Il y a une erreur à ne pas commettre quand on observe ce genre de phénomène: c’est de parler de récupération. Je ne crois pas qu’il y ait forcément une force qui opère au-dessus de ces gens-là et essaye de leur laver le cerveau. Je pense qu’il y a des intérêts différents à des périodes différentes.
La grande nouveauté depuis l’apparition du capitalisme, c’est l’émergence d’organisations transnationales, donc l’émergence d’une notion de souveraineté qui dépasse les frontières de l’État. L’OMC, l’ONU, l’UE et même des ONG, qui vont par exemple essayer d’imposer des normes à toute une industrie au niveau mondial ou à un pan de l’activité humaine. De grandes multinationales sont aussi productrices de normes à cette échelle; des normes d’échange, des normes de fabrication. C’est un changement de la structure du capitalisme, les États souverains se retrouvent confrontés à un dilemme : d’une part ils continuent d’être attaqués, contestés dans certains territoires par les organisations pirates ; d’autre part leur souveraineté est aussi contestée au-dessus par des organisations méta-souveraines. Soit ils acceptent de se fondre dans une méta-souveraineté, et les arguments sont nombreux -notamment le fait que les organisations pirates aujourd’hui sont transnationales et donc assez puissantes gêner un État qui n’aurait pas cette dimension-, et les organisations criminelles posent des problèmes identiques. Autre solution, s’allier avec une organisation pirate ou une organisation criminelle, généralement de petits États ont fait ce choix. Ils décident de relâcher la normalisation dans leur territoire, au niveau fiscal, économique, des droits de l’homme. Les paradis fiscaux ont opté pour ce choix.
Notre sentiment, c’est que chaque État va devoir faire un choix. Il reste peu de marge pour rester complètement indépendant, à part quelques exceptions : des États tellement grands et puissants qu’ils peuvent se permettre de repousser cette échéance.
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L’organisation pirate, essai sur l’évolution du capitalisme, Rodolphe Durand et Jean-Philippe Vergne, Le bord de l’eau éditions, 16 euros
http://www.organisationpirate.com/
Images CC Flickr Jamison Wieser ntr23 minifig quimby pasukaru76 – Une CC Marion Boucharlat pour OWNI /-)
]]>Vous n’en ferez peut-être rien mais cette liberté supplémentaire change la donne puisque vous n’êtes plus condamné à être passif. Si un jour il vous prend l’envie d’ajouter du code à un logiciel libre ou de compléter un article de Wikipédia, vous pouvez le faire.
Par extrapolation, nous ne voulons pas d’une vie qui nous serait proposée par d’autres uniquement en lecture seule. Nous souhaitons pouvoir agir sur elle et y participer. « L’imprimerie a permis au peuple de lire, Internet va lui permettre d’écrire », nous dit ainsi Benjamin Bayart.
Techniquement parlant, tout est en place pour que cela ait bien lieu et les nouvelles pratiques de la jeune génération témoignent tous les jours de cette aspiration[1].
Et pourtant, il semblerait que certains ne souhaitent pas nous voir profiter pleinement de ce progrès. Et d’ériger alors toujours plus de barrières et de péages artificiels.
Comme nous le signale son auteur en fin d’article, ce petit texte rédigé dans le train en 2006 « a pour simple but de vous faire réflechir aux politiques des grands groupes des médias et/ou de votre gouvernement ». De nombreux bits ont beau avoir coulé sous les ponts d’Internet depuis, il garde toute son acuité. Jusqu’à y voir parfois modestement une sorte de manifeste de la jeunesse du début de ce nouveau siècle.
Olivier Cleynen – 2006 – Licence Creative Commons By
(Traduction Framalang : Olivier, Pablo, Djidane et Siltaar)
Pour eux, c’est de la piraterie. Carrément du vol, voilà ce qu’est le téléchargement. Vous prenez quelque chose qui a un prix, sans le payer. Volez-vous à l’étalage ou cambriolez-vous des maisons ? Pourquoi alors télécharger gratuitement ?
Créer du contenu est très difficile : rien que pour remasteriser, créer l’emballage et faire de la publicité pour la dernière compilation, il faut aligner trois millions de dollars. Comment les artistes peuvent-ils s’en sortir ? Comment la vraie culture peut-elle encore survivre ?
En fait, peut-être que vous n’avez pas vraiment dépossédé quelqu’un de quelque chose. Peut-être ne vous êtes-vous pas vraiment servi dans un rayon. Peut-être que vous n’auriez de toute façon pas dépensé un centime pour ce truc « protégé contre la copie ».
Et tous ces trucs ont la peau dure. De la musique que vous n’avez pas le droit de copier, des films que vous n’avez pas le droit d’enregistrer, des fichiers protégés par des restrictions et des bibliothèques musicales qui disparaissent lorsque vous changez de baladeur… Certaines entreprises produisent même des téléphones et des ordinateurs sur lesquels elles restent maîtresses des programmes que vous pouvez installer.
Les choses empirent lorsque la loi est modifiée pour soutenir ces pratiques : dans de nombreux pays il est devenu illégal de contourner ces restrictions.
Qu’attendez-vous de la vie ? Quelles sont les choses qui comptent vraiment ? Lorsque vous faites le bilan de votre année, qu’en retenez-vous ? Les bons moments passés entre amis ou en famille ? La découverte d’un album génial ? Exprimer votre amour, ou votre révolte ? Apprendre de nouvelles choses ? Avoir une super idée ? Un e-mail de la part de quelqu’un qui compte pour vous ?
Et des choses passent au second plan : un grand nombre de pixels, le tout dernier iPod… déjà dépassé, un abonnement « premium », une augmentation vite dépensée, profiter de sa toute nouvelle télévision HD… Tout le monde apprécie ces trucs, mais si on y réfléchit un peu, c’est pas si important.
Vous ne deviendrez certainement pas un astronaute exceptionnel. Vous ne traverserez pas l’Atlantique à la nage. Vous ne serez pas leader international. La vie c’est maintenant. Et c’est quand on partage ses idées, ses pensées et sentiments.
La vie n’est pas en lecture seule. Elle est faite de petites choses qui ne peuvent être vendues avec des verrous. Si l’on ne peut plus choisir, essayer, goûter, assister, penser, découvrir, faire découvrir, exprimer, partager, débattre, ça ne vaut pas grand chose. La vie devrait être accessible en lecture et en écriture.
Peut-être que le droit d’auteur n’est pas aussi légitime que certains voudraient nous faire croire. En fait, le discours de Martin Luther King « I have a Dream © » est toujours protégé par le droit d’auteur. Vous ne pouvez pas chanter la chanson « Joyeux anniversaire © » dans un film sans payer de droits. L’expression « Liberté d’expression™ » est une marque déposée.
Le partage de fichiers est criminalisé. Certains sont jugés et emprisonnés pour avoir développé des technologies qui permettent d’échanger des fichiers (la loi réprime le fait « d’éditer, de mettre à la disposition du public ou de communiquer au public, sciemment et sous quelque forme que ce soit, un logiciel manifestement destiné à la mise à disposition du public des copies non-autorisées d’œuvres ou objets protégés »).
Mais qu’en est-il de ceux qui ont inventé et vendu les magnétoscopes, les photocopieurs, les lecteurs de cassette munis d’un bouton d’enregistrement ? Et d’ailleurs, où sont les personnes qui ont inventé les baladeurs numériques ?
Vous avez dit deux poids, deux mesures ? Des milliers de personnes gagnent leur vie en poussant nos enfants à fumer ou en développant l’export de mines anti-personnelles. Et à coté de ça, le partage de fichier, ces mêmes fichiers que l’on peut voir sur YouTube, est puni par une amende compensatoire pouvant atteindre 150 000 dollars par fichier.
Et on dit que l’industrie de la musique est en danger.
Qui veut d’une industrie musicale ? Et plus particulièrement telle qu’elle existe ? Laissons l’industrie, aux boîtes de conserve et aux voitures.
La culture ne se meurt pas dès que vous téléchargez un fichier. La créativité n’est pas diminuée lorsque vous découvrez quelque chose. C’est toute la société qui en profite lorsqu’on peut apprendre et s’exprimer.
Participez. Appréciez. Découvrez. Exprimez. Partagez.
Donc, une société équilibrée où les artistes peuvent gagner leur vie et où le partage de fichiers n’est pas criminalisé est possible. Voici quelques suggestions :
LifesNotReadOnly.net a pour simple but de vous faire réflechir aux politiques des grands groupes des médias et/ou de votre gouvernement. Ça n’est qu’un petit manifeste rédigé dans le train en 2006. Olivier Cleynen en est l’auteur. Vous êtes libre de répliquer le contenu de ce site Web, même pour des applications commerciales, sous les termes de la license CC-by.
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Article initialement publié sur Framablog
Crédits photos CC FlickR jmc, Toban Black
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