OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 La philosophie du gouvernail http://owni.fr/2011/11/10/la-philosophie-du-gouvernail/ http://owni.fr/2011/11/10/la-philosophie-du-gouvernail/#comments Thu, 10 Nov 2011 07:37:48 +0000 Jean-Paul Jouary http://owni.fr/?p=86153

Si nous avons un prince, c’est afin qu’il nous préserve d’avoir un maître.
- Pline l’Ancien

La planète a échappé à un scandale : un peuple d’Europe a failli être consulté sur l’avenir de ses salaires, de ses services publics, de son économie, de tout ce qui fait sa vie. Fort heureusement, ce ne sera pas le cas : les Grecs – dont les ancêtres inventèrent jadis la démocratie –  devront subir leur sort sans mot dire. Les grands de ce monde et les Bourses avaient bondi à cette simple idée, les traitant d’irresponsables et de « populistes » : quiconque prétendant donner au peuple un rôle décisionnel se voit ces temps-ci traité de « populiste », ce qui signifie en clair que la félicité du peuple dépend toujours de ses maîtres et jamais de lui-même.

Combien de fois des gouvernants élus ont-ils manifesté leur mépris pour les « porteurs de pancartes » et autres manifestants ou grévistes, clamant haut et fort que la politique ne se décide pas dans la rue mais seulement parmi ceux que les citoyens ont élus ? Et il est vrai que ce sont bien les citoyens qui leur ont conféré leurs pouvoirs. On objectera peut-être que ces pouvoirs sont injustement définis par une Constitution peu démocratique. Mais ce sont encore une fois les citoyens eux-mêmes qui ont, directement ou indirectement, explicitement ou implicitement, activement ou passivement, permis à cette Constitution d’être promulguée et conservée ou même aggravée avec le temps. Si toute légitimité repose en dernière analyse sur la volonté du peuple lui-même, si « toute loi que le peuple en personne n’a pas ratifiée est nulle ; ce n’est point une loi », selon les termes du Contrat social de Jean-Jacques Rousseau, alors les élus des démocraties représentatives modernes n’ont en un sens pas tort de se déclarer « légitimes ». Et ils ne s’en privent pas.

En même temps, en un autre sens, ce raisonnement peut apparaître très contestable, et relever du pur sophisme. C’est même pour que les citoyens n’aillent pas plus loin dans leur dangereuse réflexion, que l’accusation de « populisme » leur est si souvent lancée. Admettons que les citoyens aient voté d’une manière ou d’une autre pour que ceux qui les dirigent aient accédé à leurs places et disposent de tels pouvoirs de décision ; que leur ont-ils transféré par cette voie ? La réponse semble aller de soi : on élit des représentants pour qu’ils gouvernent, qu’ils soient parlementaires ou Présidents. Pourtant chaque mot pose problème.

Représenter, c’est rendre présent ce qui est absent, comme s’il était effectivement présent. Par exemple, un Ambassadeur ne décide pas quelles seront les relations de son pays avec le pays où il est en poste : il ne fait que représenter son gouvernement et ne dit donc rien d’autre que ce que son gouvernement lui demande de dire. Un représentant de commerce ne doit de même rien faire d’autre que ce que son entreprise lui demande de vendre dans telles ou telles conditions.

Ce qui signifie qu’un « représentant » ne peut être doté d’aucun « pouvoir » propre, faute de quoi il cesse de « représenter » pour se mettre « à la place de ». Au nom de quoi les « représentants du peuple » ont-ils alors le pouvoir de décider des lois et de toute la politique d’un pays sans que les citoyens aient aucun moyen de ratifier ou non leurs décisions ? On a pu voir dans la chronique précédente qu’aucun démocrate ne l’a toléré jusqu’à une période historique récente.

Mais si ce mot « représenter » pose ce problème, c’est parce que l’autre mot, « gouverner », en pose un autre, d’aussi grande ampleur. Dans la conscience des citoyens d’aujourd’hui, « gouverner » et « diriger » sont devenus synonymes.

Or gouverner c’est tenir le gouvernail, et diriger c’est définir une direction, un cap. En navigation, d’où ces métaphores tirent leur origine, le cap est décidé par les utilisateurs du bateau, les passagers qui doivent rester maîtres de la destination de leur voyage, et le gouvernail est confié par nécessité pratique à quelques marins à seule fin que ce cap soit maintenu. Qui accepterait que celui à qui l’on confie la barre se mette à décider de modifier le pays d’arrivée ?

On a donc besoin de « gouvernants » pour mettre en œuvre une politique décidée par les citoyens, pas pour la définir ou la modifier. Sans quoi il n’y a plus de démocratie entre deux élections. « Si nous avons un prince, c’est afin qu’il nous préserve d’avoir un maître », selon les mots de Pline que Rousseau cite dans son Discours sur l’inégalité.

C’est en ce sens que l’expression « démocratie représentative » devient une contradiction dans les termes : à force de confondre gouverner et diriger, les citoyens en viennent à se détourner des formes institutionnelles de leurs démocraties pour tenter d’inventer autre chose. Et si certains appellent cela une « dépolitisation » ou un « populisme », on peut y voir peut-être aussi une promesse de réinvention des libertés humaines.


PS : À lire, dans La solitude de l’isoloir, que viennent de publier les éditions Autrement (ouvrage collectif dirigé par Pascal Perrineau et Luc Rouban), le chapitre que Pascal Perrineau consacre au vote d’extrême-droite, dans son rapport à la crise de la démocratie représentative. Et relire, avec passion et rigueur, Le Contrat social de Jean-Jacques Rousseau pour s’orienter dans les enjeux d’avenir.


Essayiste, Jean-Paul Jouary chronique avec philosophie la présidentielle. Retrouvez ses billets parus sur OWNI.


Illustration via Flickr par Temari09 [cc-by-nc] remixée par Ophelia Noor pour OWNI.
Poster-citation de Marion Boucharlat [by-nc-sa] pour OWNI.

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Débat de l’eau, si laid? http://owni.fr/2011/07/08/debat-de-leau-si-laid/ http://owni.fr/2011/07/08/debat-de-leau-si-laid/#comments Fri, 08 Jul 2011 14:41:59 +0000 Raphaël Pepe (Attac Italie) http://owni.fr/?p=73177 En se saisissant de la possibilité constitutionnelle d’un référendum, les citoyens italiens ont remis en cause une privatisation à marche forcée de l’eau en Italie. Membre du Comité référendaire pour l’Eau bien commun et d’Attac Italie, Raphaël Pepe raconte comment cette mobilisation a été possible.

Dans un pays où la démocratie est continuellement piétinée, un pays où les médias conditionnent la politique depuis plus de 20 ans, dans un pays où le processus de privatisation des biens communs ne connait aucun frein, nous avons réussi à nous réapproprier nos droits en disant non à la marchandisation de l’eau et aux politiques néo-libérales et en disant oui à une démocratie participative et à la défense des biens communs.

Ce référendum populaire est né de l’initiative des Comités citoyens pour l’eau publique de toute l’Italie, qui depuis 2006 sont coordonnés par le Forum Italien des Mouvements pour l’Eau Publique. Déjà en 2007, ce réseau de comités avait recueilli plus de 400.000 signatures pour proposer une loi d’initiative populaire malheureusement jamais discutée au Parlement.

Une privatisation légale à 40% des régies d’eau

Fin 2009, le gouvernement Berlusconi approuvait le décret Ronchi qui obligeait les institutions locales à transformer toutes les sociétés qui géraient le Service de distribution de l’eau en S.P.A mixtes et à organiser des appels d’offre pour attribuer au moins 40% des actions à des entreprises privées dans chacune de ces sociétés.

Prenant acte de cette situation, nous avons décidé de proposer un référendum populaire pour l’abrogation des lois qui imposaient la privatisation et d’autres normes qui prévoyaient un minimum de 7% de profits dans les SPA pour la rémunération du capital investi (art.154 du décret environnemental fait par le gouvernement Prodi en 2006).

La Constitution italienne prévoit que pour proposer un référendum abrogatif, il est nécessaire de recueillir 500.000 signatures. Alors dans chaque région, chaque province, chaque ville, des comités de citoyens se sont organisés pour récolter ces signatures. En moins de 3 mois, nous avons recueilli 1,4 millions de signatures. Nous entrions déjà dans l’histoire sans qu’aucun journal ne prenne acte de ce grand résultat.

Dès janvier de cette année, nous avons repris la mobilisation pour nous préparer à la campagne. En mars, nous avons fait une manifestation nationale qui a vu la participation de près de 500.000 personnes à Rome, et nous avons su la date du référendum : 12 et 13 juin !

Informer dans la rue, dans les écoles, dans des réunions publiques

Le gouvernement choisissait d’envoyer les Italiens aux urnes, à un moment de l’année où historiquement l’affluence est toujours basse en Italie. La raison était simple, en Italie pour qu’un référendum soit validé, il faut un quorum de 50% de participation.

La solution la plus simple aurait été de faire le référendum en même temps que les élections municipales de mai, mais cela aurait signifié une plus grande facilité à atteindre le quorum. Début juin, la campagne officielle devait commencer, mais la télévision publique, la RAI n’avait pas l’intention de respecter les normes prévues pour une campagne électorale.

L'affiche de campagne "OUI à l'eau publique / référendum des 12 et 13 juin"

Jusqu’au référendum, l’information a été dérisoire. C’est dans les rues, dans les écoles, dans les universités, en participant à tout les événements publics, en organisant des conférences, des débats, des forums, des fêtes que nous avons fait cette campagne sans jamais attirer l’attention des grands médias qui pendant ce temps préféraient s’intéresser à toutes autres choses.

Nous n’avions aucun doute sur le résultat du vote, le plus dur n’était pas de convaincre les gens de voter OUI pour l’eau publique, mais de les informer qu’il y avait un référendum et de faire en sorte qu’ils aillent voter.

Reprendre contrôle de la démocratie en commençant par ses canalisations !

En Italie, nous votons le dimanche et le lundi jusque 15h ! La fête a commencé bien avant le dépouillement, parce que nous n’avions aucun doute sur le résultat final. À 15h, nous avons enfin su que 57 % des Italiens avaient voté ! Ce n’était pas arrivé à un référendum depuis 1995.

Nous avons écrit une belle page d’histoire. Le détail des votes n’était ensuite qu’une formalité, parce que nous le connaissions déjà, au plus profond de nous tous : 95% des votants se sont exprimés pour l’eau publique et contre les profits sur ce bien commun !

Le 13 juin, de nombreux partis ont cherché à s’attribuer une victoire qui est celle du peuple. On parle beaucoup de la défaite de Berlusconi, mais ce sont les politiques néo-libérales et les grandes multinationales qui ont été battues !

Une nouvelle ère commence dans ce pays.

Ce que nous répétons depuis le début de cette campagne s’est avéré : « ça s’écrit EAU, mais ça se lit démocratie »

Article publié initialement sur Bastamag sous le titre Eau : comment les Italiens ont dit non à sa marchandisation.

FlickR PaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales Referendum Acqua 2011 – Foto ; PaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales Referendum Acqua 2011 – Foto ; Paternité HPUPhotogStudent ; PaternitéPas d'utilisation commerciale Jekyll283 ; PaternitéPas d'utilisation commerciale rafa2010.

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La si forte demande de démonétisation de l’espérance http://owni.fr/2009/10/04/la-si-forte-demande-de-demonetisation-de-lesperance-apres-le-capitalisme/ http://owni.fr/2009/10/04/la-si-forte-demande-de-demonetisation-de-lesperance-apres-le-capitalisme/#comments Sun, 04 Oct 2009 12:36:23 +0000 Nicolas Voisin http://owni.fr/?p=4182 La France de Maastricht était anti-élites. Celle de la Votation, contre la privatisation de la Poste et pour un referendum citoyen, est “anti-pognon”. Puisqu’il fuit, détestons-le.

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Les rurbains ont bobo à la cité : Le nouveau front contestataire en France comme en Europe n’est pas anticapitaliste mais anti-précarité et anti “bling-bling” à la fois. Duels et paradoxaux, inquiets (terrifiés) déçus (terriblement déçus) et populistes (en diable) l’essentiel des contestataires n’en sont pas moins consuméristes. L’insurrection, qui ne vient pas mais fait de plus en plus jour dans la société, est moins anarchiste et “de gauche” que sociétale (sans projet de société clair) sociale (de moins en moins sereine matériellement) et écologique (mais refusant la culpabilisation et consciente de son égoïsme).

Le paradoxe écologique est à ce sujet représentatif : pour sauver le bien commun il faut lui donner une valeur marchande, ce qui est une perte de valeur(s). L’aspiration soufflée par le Surmoi (très fort) de la société européenne, également caractérisé par les dernières séquences politiques en France, est à la démonétisation de l’espérance. La demande est forte à défaut d’être claire. En face l’offre, si faible, n’est que “gagner plus”. Autant dire mensonges ou vacuité.

L’heure est aux inégalités croissantes (vues de tous, partout, tout le temps, en temps réel). Payer les élèves pour qu’ils aillent en cours, ou transformer la Poste en SA est l’illustration nationale (après tant d’autres) de ce grave faux-pas… En monétisant ce qui ne l’était pas, l’offre politique de notre représentation publique fait le pas de trop, sans que leurs éprouvettes n’aient encore su leur avouer.

La demande de démonétisation de l’espérance est si forte qu’elle porte en elle, par delà les clivages politiques ou nationaux, le cœur du projet à mener.

Article initialement publié sur Nuesblog / Image issue de ce court-métrage, diffusé sur Owni /-)

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