OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Le bon filon des télécoms maghrébins http://owni.fr/2011/04/22/le-bon-filon-des-telecoms-maghrebins/ http://owni.fr/2011/04/22/le-bon-filon-des-telecoms-maghrebins/#comments Fri, 22 Apr 2011 12:10:26 +0000 Olivier Tesquet http://owni.fr/?p=58635 Devinette : quel est actuellement l’eldorado des grands opérateurs téléphoniques mondiaux? Brésil, Inde, Chine ? Perdu. Suivez plutôt la piste des révolutions en cours dans le monde arabe: Tunisie, Egypte, Libye… mais aussi le Maroc. A l’heure où la plupart des grands marchés sont saturés (Europe, Asie, Etats-Unis), l’Afrique et ses pays émergents sont devenus un terrain de bataille central dans les télécoms.

A cet égard, les erreurs d’appréciation d’Orange en Tunisie sont peut-être à chercher de ce côté-là… A la fin du mois de février, en pleine enquête sur le montage financier de la filiale, une source proche des dossiers de France Télécom avait fourni à OWNI les trois raisons pour lesquelles la Tunisie est “une usine à cash”:

1> Le potentiel d’exploitation sur des marchés où la croissance annuelle s’affiche à deux chiffres
2> Le marketing “ethnique” pour inciter les émigrés installés en France à souscrire des offres couplées avec leur pays d’origine
3> Le roaming, “parce qu’il s’agit d’un pays touristique”

Le roaming, vrai moteur de l’usine à cash des télécoms

Dans le jargon de la régulation des télécoms, on l’appelle l’itinérance internationale. De façon plus usuelle, c’est le roaming, le fait d’appeler ou de pouvoir être appelé quelle que soit sa position géographique. Et notamment à l’étranger. Dans l’Union européenne, le Parlement a imposé depuis 2007 l’eurotarif: ce texte fixe un prix plafond de la minute de communication en Europe. Mais hors de l’espace communautaire, ce tarif est à la discrétion des opérateurs de chaque pays. Cette différence d’environnement législatif permet tous les excès, puisque les opérateurs ont alors entière liberté de surfacturer leur service de roaming. Un spécialiste du secteur ne mâche pas ses mots en utilisant l’expression suivante: “l’interco dans les pays à régime autoritaire”.

Aux yeux de Patrick Fouquerière, directeur des relations fournisseurs chez Iliad, “c’est le manque de concurrence” qui provoque des écarts significatifs, et notamment sur le pourtour méditerranéen:

Certains pays ont un opérateur historique qui ne joue pas son rôle parce qu’il se comporte de manière monopolistique. La conséquence directe, c’est que les tarifs sont beaucoup plus élevés, sur le roaming mais aussi sur le prix des terminaisons d’appels (quand un abonné appel un autre abonné par le biais d’un opérateur tiers, ndlr). Au Maroc ou en Algérie, il est quatre fois supérieur à ce qui se pratique en France. En Tunisie, c’est pire: vous payez 12 fois plus cher. De ce qu’on voit, les opérateurs locaux n’ont pas l’air de vouloir changer de stratégie. Ils estiment qu’ils font plus de trafic entrant parce qu’ils accueillent beaucoup de touristes, et veulent donc maintenir des prix élevés.

L’importance du tourisme

Vendredi 8 avril, Mehdi Houas, 51 ans, Franco-tunisien né à Marseille, est l’invité d’honneur du maire  de Paris. Sous les lambris de l’Hôtel de ville, le tout-nouveau ministre tunisien du Commerce, du Tourisme et de l’Industrie  du gouvernement de transition, essaie de convaincre ses interlocuteurs. Invité par Bertrand Delanoë, ils ont joué ensemble les VRP de luxe pour essayer de “sauver ce qui peut l’être de la saison touristique”.

Le ministre estime que 40% des Tunisiens vivent de cette manne. Par un syllogisme et par un jeu de vases communicants (le tourisme fait vivre la Tunisie; les opérateurs ont besoin du tourisme; le tourisme fait en partie vivre les opérateurs), il faudrait y ajouter la part que représente le roaming pour les opérateurs télécom. Qui y a recours? Les touristes, dans les hôtels de Djerba ou Hammamet. Plus qu’ailleurs, l’articulation du marché est profondément ancrée dans la gouvernance.

Explication de Patrick Fouquerière:

Il y a un vrai particularisme au Maghreb, parce qu’il y a une dimension politique, qu’on ne retrouve qu’à Cuba. La situation peut être similaire dans des pays d’Afrique noire ou en Libye, mais pas dans les mêmes proportions.


Imposer les règles du low cost

Tourisme, paradis législatif et… low-cost. Pour comprendre l’attractivité de ces marchés, il faut aussi saisir leur dimension hautement spéculative. Selon une règle simple: remplir au maximum tous les créneaux disponibles, y compris celui des heures creuses, véritable gouffre des opérateurs.

Dans ce marché hautement spéculatif, une minute de télécom devient aussi fluctuante qu’une place d’avion. C’est une “matière première virtuelle” déconnectée de sa valeur d’usage, dont le cours peut progresser de manière exponentielle, ce qui n’est pas sans rappeler les mécanismes de l’industrie pétrolière, où une même cargaison de brut peut être revendue dix fois entre son extraction et le consommateur.

Ainsi, l’intérêt de nouveaux opérateurs pour le marché de l’émigration ne s’explique que par ses différences entre pays du Sud et du Nord. Cela permet aussi de comprendre pourquoi le prix de la minute Paris-Tunis n’a rien à voir avec celui de la minute Tunis-Paris. Dans cette mondialisation, les opérateurs traditionnels assument le fait de se positionner aussi comme des opérateurs low-cost.

La Sofrecom, discret poisson-pilote d’Orange

Stéphane Richard, le patron d’Orange, le dit lui-même, son groupe “a pour objectif d’accélérer sa croissance en pénétrant de nouveaux marchés émergents à fort potentiel”. Récemment, l’entreprise a réussi à mettre un pied dans le marché irakien, au terme d’âpres négociations. Mais pour se faire une place au soleil dans des terres parfois hostiles, France-Télécom n’opère pas seul.

Dans le secteur de l’armement, les entreprises françaises ont l’ODAS (ex Sofresa), une entreprise administrée par l’Etat, chargée de faciliter les négociations avec les clients étrangers. Le leader français des télécoms a lui la Sofrecom, une filiale aux prérogatives de poisson-pilote, qui opère selon un modus operandi bien rôdé. Dans un premier temps, elle s’implante dans un pays où les télécoms sont une exclusivité publique. Puis, elle conseille les opérateurs locaux avec qui elle est susceptible de s’associer et qui deviennent alors des partenaires dans l’obtention d’une licence lorsque le secteur est privatisé. De poisson-pilote, elle devient alors cheval de Troie : une méthode assez efficace.

Forte d’un réseau de 1 000 consultants, la Sofrecom n’est officiellement présente que dans neuf pays, dont deux du Maghreb:

  • l’Algérie
  • l’Argentine
  • les Emirats Arabes Unis
  • l’Indonésie
  • la Jordanie
  • le Maroc
  • la Pologne
  • la Thaïlande
  • le Vietnam

Selon nos informations, elle aurait aussi pris part aux discussions organisées autour de la privatisation des télécoms en Syrie et en Libye, ce qu’elle reconnaît en creux. La filiale avait aussi opéré en Tunisie, au moment de l’implantation aujourd’hui problématique. Sollicitée par OWNI, la Sofrecom n’a pas donné suite à notre demande d’entretien. Règle d’or des affaires: rester discret.


Crédits photo: Flickr CC neutralSurface, the(?)

Téléchargez I’image de Une par Marion Boucharlat /-)

Retrouvez les articles de la Une “le business des télécoms au Magrheb” :

Lebara, opérateur low cost des quartiers populaires
Ben Ali: les compromissions d’Orange en Tunisie

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Pourquoi Wall Street domine le monde http://owni.fr/2011/03/15/wall-street-pouvoir/ http://owni.fr/2011/03/15/wall-street-pouvoir/#comments Tue, 15 Mar 2011 10:46:35 +0000 Adrien Auclert http://owni.fr/?p=51276 Comment comprendre la timidité des réformes du système bancaire et financier malgré l’ampleur de la crise ? Simon Johnson et James Kwak répondent dans leur livre qu’il faut regarder du côté des conflits d’intérêts entre les technocrates de Washington et les grandes banques d’investissement.

En septembre 2008, Simon Johnson assiste à la chute de Lehman Brothers alors qu’il vient d’achever son mandat en tant qu’économiste en chef du Fonds Monétaire International (FMI). Ce professeur à la Business School du Massachusetts Institute of Technology décide alors de créer un blog pour commenter l’actualité financière et contribuer au débat sur la politique économique et la régulation bancaire. Il s’associe pour cela à James Kwak, fin connaisseur des nouvelles technologies ayant un talent pour déchiffrer et vulgariser les concepts financiers qui sont alors au cœur du débat . The Baseline Scenario se veut un blog simple, sans images tape-à-l’œil, avec des articles argumentés, documentés, et accessibles à tous. En suivant ainsi l’actualité économique au quotidien, ils se rendent compte que les débats sont démesurément influencés par l’opinion des grandes banques (et de leurs présidents, « treize banquiers » puissants) et ils dénoncent ce fait dans leur blog. Ils appellent en particulier à limiter la taille des banques. Johnson est alors contacté pour réaliser des entretiens télévisés et il publie dans le magazine The Atlantic un long article intitulé « Le coup d’état silencieux » (The Quiet Coup), dans lequel il critique la manière dont une « oligarchie financière » a littéralement pris le pouvoir au sein du Congrès et du gouvernement. Le retentissement est tel que Johnson et Kwak sont ensuite invités à écrire un livre pour étayer davantage leur thèse : c’est ainsi qu’est né 13 Bankers, The Wall Street Takeover and the Next Financial Meltdown, qui se présente donc à la fois comme un essai engagé et une analyse informée et rigoureuse des liens incestueux entre la finance et la politique.

État des lieux des réformes

Deux ans après un effondrement spectaculaire du système financier qui a exposé au grand jour les faiblesses de la régulation bancaire internationale, les contours du nouvel ordre financier mondial ont été dessinés en 2010, notamment par le vote au Sénat américain de la loi Dodd-Frank en juillet , et la conclusion des accords de Bâle III par les pays du G20 en fin d’année . Tout porte à croire que ce nouvel ordre ressemblera de près à celui d’avant-crise. Fin 2008, après la chute de la banque Lehman Brothers et l’élection présidentielle américaine, un virage idéologique semblait pourtant possible, un virage d’ampleur comparable à celui impulsé par Ronald Reagan et Margareth Thatcher au début des années 1980, mais dans une direction opposée. Pour de nombreux économistes, la dérégulation financière initiée à l’époque était allée trop loin et était responsable de la crise. L’unique façon d’éviter une nouvelle catastrophe était donc de réguler mieux, voire davantage  – en limitant la taille et le niveau d’endettement des banques, en leur interdisant de prendre des risques immodérés avec les dépôts de leurs clients, en changeant le mode de financement des agences de notation pour éviter les conflits d’intérêt avec les institutions financières dont elles évaluent les produits, en réglementant les marchés de produits dérivés, en renforçant la coopération internationale pour éviter les « arbitrages de régulation », etc. Si certaines de ces réformes seront effectivement mises en place, elles le seront seulement de manière modeste : par exemple, les nouveaux minima de fonds propres imposés par Bâle III restent probablement en deçà de ce qui aurait été nécessaire pour éviter la faillite de Lehman Brothers , et ne représentent aujourd’hui de réelle contrainte pour aucune des grandes banques d’investissement. .

Régulation bancaire et conflit d’intérêts

La crise financière a beaucoup coûté aux pays qu’elle a touchés. Dans une récente étude du Fonds Monétaire International , les économistes Luc Laeven et Fabian Valencia estiment qu’en France et aux États-Unis, le PIB est 25% plus faible, et la dette publique 25% plus élevée, qu’ils n’auraient été sans la crise. Pour d’autres pays le choc négatif a été bien plus fort encore : ainsi l’Irlande et l’Islande ont été entraînées dans la chute de leurs banques en tentant de les sauver. Aujourd’hui le contraste est fort dans les pays occidentaux entre l’économie réelle, dont la reprise tarde à s’amorcer, et les banques d’investissement que les gouvernements ont sauvées, et qui ont presque retrouvé leurs niveaux de profits (et de bonus ) d’avant-crise. Cela appelle à se poser la question : pourquoi les réformes n’ont-elles pas eu plus d’ampleur ? Par exemple, pourquoi n’a-t-on pas imposé aux banques des ratios de fonds propres plus contraignants ?

À cause du conflit d’intérêts extrêmement fort existant entre les technocrates de Washington et (treize) grandes banques d’investissement américaines, répondent Simon Johnson et James Kwak dans leur livre. L’importance systémique de ces banques fait qu’elles disposent désormais d’une garantie explicite de l’État contre la faillite, leur permettant de se financer à des taux d’intérêt injustement faibles et de prendre des risques inconsidérés. Ce faisant, elles peuvent dès aujourd’hui engendrer de larges profits que se partageront les banquiers et leurs actionnaires jusqu’à la prochaine crise, lorsque le gouvernement sera à nouveau obligé de venir au secours de la finance – s’il en a encore les moyens. Il faut donc intervenir pour mettre fin à cette situation inacceptable en limitant la taille des banques, et par là leur importance systémique ainsi que leur influence politique, nous disent Johnson et Kwak.

Pour les auteurs de 13 Bankers, les conflits d’intérêts entre la finance et le pouvoir politique se retrouvent à trois niveaux. D’abord, les banques contribuent au financement des campagnes politiques : ainsi en 2006, les partis politiques ont reçu 260 millions de dollars du secteur financier, bien plus que n’importe quel autre secteur (p. 90). Et les contributions les plus généreuses sont apportées aux élus en charge de la régulation financière, comme Christopher Dodd et Barney Frank. Ensuite, Washington a tendance à placer aux positions clés des anciens de certaines grandes banques de Wall Street, officiellement parce que la finance est devenue si complexe que seuls des initiés peuvent la comprendre. Les exemples les plus connus sont ceux des anciens directeurs de Goldman Sachs, Robert Rubin et Hank Paulson. Le premier a notamment eu une importance capitale dans la décision du Congrès, en 2000, de ne pas réguler les marchés de produits dérivés, ce qui aurait contraint les activités de Wall Street (p. 9). Le second était aux commandes pendant toute la crise financière et a notamment décidé de recapitaliser les banques en des termes très avantageux pour elles (p. 154). 13 Bankers cite encore bien d’autres exemples de va-et-vient de personnel entre Wall Street et Washington (p. 95). Enfin, ce qui est plus diffus et peut-être plus dangereux, le gouvernement a progressivement adopté l’idéologie de Wall Street, selon laquelle l’innovation financière est forcément une bonne chose, et selon laquelle ce qui est dans l’intérêt des banques est aussi dans l’intérêt du peuple américain. En bref, comme le soulignent les auteurs, le régulateur a été « capturé » (captured) par l’industrie qu’il régule, comme le prévoit la théorie de la régulation développée par George Stigler .

Johnson et Kwak ne sont pas seuls à avancer cet argument : la plupart des ouvrages sur la crise financière partagent leur point de vue. Dans un livre paru en français sous le titre Le triomphe de la cupidité (Freefall), le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz fait une analyse et propose des solutions remarquablement similaires à celles des bloggeurs du Baseline Scenario. Le conflit d’intérêts est aussi évident dans les conversations entre banquiers et régulateurs au sommet de la crise, que relate Andrew Ross Sorkin, journaliste au New York Times, dans son roman qui décrit la crise financière, Too Big To Fail. Et le dernier film de Charles Ferguson, Inside Job, dans lequel Simon Johnson fait d’ailleurs une courte apparition, dénonce lui aussi cet état de fait.

13 Bankers est proche du livre de Stiglitz : il donne un cadre d’analyse théorique, tente de conserver une approche académique, relativement modérée et très bien documentée (plus de 600 notes de bas de page !) et il fait aussi une proposition concrète de réforme. Mais alors que Le Triomphe de la cupidité place la régulation financière au côté de nombreuses autres idées de réformes macroéconomiques, Johnson et Kwak sont plus pragmatiques : leur livre traite entièrement de l’interaction entre la politique et la finance, sujet sur lequel ils font preuve d’une expertise indéniable. L’originalité de 13 Bankers tient d’une part à son niveau de précision et de détails, d’autre part à ses qualités pédagogiques (la description des mécanismes financiers au cœur de la crise est particulièrement limpide), enfin à sa mobilisation adéquate de références à la littérature académique. C’est là sans doute un signe de la complémentarité des deux auteurs.

Histoire des relations entre les banques et l’état fédéral américain

13 Bankers se focalise sur les États-Unis – un lecteur français pourra le regretter. Un de ses thèmes récurrents est ainsi la confrontation entre Thomas Jefferson, le troisième président des États-Unis, très méfiant envers les banquiers, et Alexander Hamilton, favorable au développement financier de son pays. Les auteurs montrent comment la tension entre ces deux points de vue a marqué l’histoire de l’industrie et de la finance en Amérique, dont un élément important a été la loi « Glass-Steagall ». Votée à la suite de la crise de 1929 sous Franklin Delano Roosevelt, cette loi exige une séparation entre les activités commerciales et spéculatives des banques et limite leur étendue géographique. En s’appuyant notamment sur les travaux de Thomas Philippon et Ariell Reshef , Johnson et Kwak montrent que, pendant les cinquante ans qui ont suivi, l’économie américaine a prospéré alors même que ses banques ont été remarquablement stables – les métiers de la finance étaient alors relativement peu complexes et peu rémunérateurs, « ennuyeux » en somme (p. 61-64).

À partir des années 1980, les règles limitant les activités des banques ont commencé à tomber. La nouvelle idéologie de la dérégulation, prônée par Milton Friedman et Eugene Fama, visait à limiter le rôle de l’État dans tous les secteurs de l’économie. Leur analyse de cette période, si elle n’est pas nouvelle, est très pédagogique et détaillée, expliquant les innovations financières de l’époque et mettant en lumière le rôle de facteurs économiques comme l’inflation des années 1970 (p. 66) et celui de personnalités politiques comme Donald Regan, l’ancien PDG de Merrill Lynch choisi par Ronald Reagan comme secrétaire au Trésor. La part des profits des entreprises attribuable au secteur financier a crû fortement entre le début des années 1980 et les années 2000, où elle a atteint 40% . Ceci a eu deux conséquences importantes : la finance a pu accroître son pouvoir politique en finançant les campagnes et en embauchant des lobbyistes, et elle a pu attirer une part croissante de diplômés des grandes universités, séduits par les perspectives de salaires et de bonus élevés et par la culture dynamique et méritocratique de Wall Street (p. 113-118). Par ailleurs, les anciens de Wall Street se sont retrouvés progressivement aux commandes à Washington. Un point culminant pendant cette période a été l’annulation officielle de la loi Glass-Steagal en 1999, qui était indispensable pour valider la fusion de Citicorp avec Travelers en 1998. Cette annulation a été notamment défendue par Robert Rubin, qui plus tard est devenu membre du directoire de Citigroup, ainsi que par Phil Gramm, qui est ensuite entré chez UBS.

Démanteler les banques

S’étant libérées des contraintes réglementaires, les nouvelles méga-banques ont pu grandir librement, et elles ont financé leur croissance en s’endettant. Cette stratégie leur a permis d’accroitre leur levier, c’est à dire d’augmenter les rendements du capital de leurs actionnaires. Des rendements élevés, supérieurs à 15% par an, sont rapidement devenus la norme – et ne pouvaient être conservés qu’en maintenant de forts niveaux de dette : celle-ci représentait entre 30 et 40 fois le capital pour de nombreuses banques à la veille de la crise . Mais plus d’endettement voulait aussi dire plus de risques : une chute de moins de 3% de la valeur de leurs actifs suffisait désormais pour mettre ces banques en faillite.

Aujourd’hui, les réformes de Bâle III ne changent pas fondamentalement la donne, comme le soulignent les auteurs dans leur blog : au contraire, la garantie de l’État devenue explicite ne fait qu’encourager les banques à s’endetter davantage, en maintenant de faibles taux d’emprunt et en leur assurant un sauvetage en cas de faillite. De nombreux économistes pensent qu’on devrait interdire aux banques de s’endetter autant. Cela fait même l’objet, depuis peu, d’un fort consensus dans la communauté académique réunie autour d’Anat Admati de l’Université de Stanford . Johnson et Kwak sont favorables à une autre mesure, qu’ils détaillent dans 13 Bankers : selon eux, il faudrait limiter la taille des banques – ils avancent les chiffres de 2% du PIB américain pour les banques d’investissement, et de 4% du PIB pour les banques commerciales. C’est peut-être la partie la moins convaincante du livre – l’argument en faveur de cette limite est un des moins détaillés, et de nombreuses critiques peuvent lui être opposées. Par exemple, on peut imaginer une très grande banque, bien capitalisée et ayant un profil de risque limité : en la démantelant, on risquerait de détruire des économies d’échelle sans pour autant rendre le système financier plus sûr. Par ailleurs, si cette règle des 2% et 4% n’impliquerait qu’une restructuration relativement modeste de six banques américaines dont aucune ne dépasse 16% du PIB (p. 217), que faire des banques européennes qui, telle BNP Paribas, sont nombreuses à avoir des actifs équivalents à 100% du PIB de leur pays d’origine ? . Cependant, cette mesure a le mérite de contribuer au débat – de même que la proposition encore plus extrême formulée par un autre économiste, Larry Kotlikoff, de transformer toutes les banques en fonds communs de placement , ou celle prônée par Benjamin Friedman de procéder à une analyse complète des coûts et des bénéfices du système bancaire pour décider s’il a sa place dans notre société .

Alors que l’État américain s’est désengagé du capital de Citigroup, qu’il avait sauvée de la faillite en novembre 2008 , et que Barack Obama a récemment choisi pour directeur de cabinet un ancien directeur de la banque JP Morgan , les perspectives d’un changement radical en matière de régulation financière et d’une gouvernance moins favorable aux grandes banques semblent s’être définitivement éloignées. Un changement de fond nécessiterait à la fois l’adhésion de l’opinion publique et de la communauté académique. 13 Bankers, qui réussit à être à la fois pédagogique et sérieux sur le plan académique, est en mesure de convaincre des deux côtés.

Article initialement publié sur La Vie des Idées

>> photos flickr CC Benjamin Dumas ; Laurent KB ; William Warby

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Les algorithmes ont-ils pris le contrôle des marchés financiers? http://owni.fr/2011/01/21/les-algorithmes-ont-ils-pris-le-controle-des-marches-financiers/ http://owni.fr/2011/01/21/les-algorithmes-ont-ils-pris-le-controle-des-marches-financiers/#comments Fri, 21 Jan 2011 15:02:40 +0000 antoinechampagne http://owni.fr/?p=43350 Pour qui a vu la saga Terminator, Skynet évoque ce réseau d’ordinateurs qui, une fois devenu plus malin que les humains, décide de déclarer la guerre à notre espèce. Depuis quelques années, des logiciels informatiques, plus précisément des algorithmes extrêmement complexes, ont peu à peu remplacé les traders. Aujourd’hui, selon les dernières études, quelques 73% des transactions aux États-Unis, sont réalisées par des machines à la vitesse de la lumière. C’est le High-Frequency Trading

Le monde de la finance est particulièrement inventif. Surtout lorsqu’il s’agit de créer les conditions d’une crise financière globale. Il y a eu la crise de l’immobilier, celle d’Internet, des “Subprimes”. Il y aura probablement celle du High Frequency Trading (HFT).

Développée dans une relative discrétion, cette technique permet de gagner sans prendre de risques. On embauche des mathématiciens, des astrophysiciens, des statisticiens –paradoxalement peu de traders ou de financiers- et on leur demande de réaliser des algorithmes d’acheter et vendre en quelques microsecondes (une microseconde = un millionième de seconde).

« On achète et on vend à une vitesse telle que l’on peut générer quasiment à coup sûr des petits bénéfices sur chaque transaction. Et comme c’est récurrent, mis bout à bout, ça fait des millions et des millions. Le premier qui commet une erreur sur un marché est immédiatement sanctionné car ces programmes informatiques réagissent bien plus vite que des hommes », explique un banquier. Un autre raconte :

La seule fois où ça n’a rien rapporté, c’est le jour où les types ont oublié de lancer les programmes. On en rigole encore

Exemple simple : la même valeur peut être cotée sur deux marchés (Paris et New York par exemple), mais le cours peut être très légèrement différent pendant quelques microsecondes. Les algorithmes repèrent ces différences, achètent au prix bas et revendent au prix haut en une fraction de seconde.

Pour certains, la bonne santé des banques pour ce qui est de leur activité de marché serait imputable au développement du HFT. Les banques empruntent à un taux proche de zéro, revendent à un peu moins de 4%. De l’argent gratuit qui peut être réinvesti sur les marchés, via la HFT. Jusqu’au moment où le HFT part en vrille… C’est d’ailleurs ce qui s’est passé le 6 mai dernier à New York, lors d’un épisode depuis surnommé « Flash Crash ». L’indice global avait alors perdu 9% en séance, avant de se refaire. Le tout, sans aucune raison évidente. Sauf à considérer que les algorithmes ont été arrêtés et que le marché s’est asséché.

On est très loin des marchés financiers qui soutiennent l’économie réelle. Selon Nanex, une petite société américaine de diffusion de flux de données boursière a analysé des années de données à la recherche d’incongruités liées au HFT. Elle a ainsi mis en évidence que certaines places boursières avaient fourni jusqu’à 5.000 cours pour un seul titre en une seconde. On cherchera longtemps le lien avec l’économie réelle.

Mieux, Nanex a mis en lumière la dernière arme des acteurs du HFT. Depuis des années, ils se livrent à une course aux armements visant à gagner des microsecondes sur les concurrents. Cela est passé par l’achat de machines plus performantes, plus rapides, par l’embauche à prix d’or de créateurs de scenarii ou d’algorithmes, par le raccourcissement des câbles. Cela a fini par la mise en place de centres serveurs en colocation au cœur des marchés financiers. Que faire pour aller plus vite que le voisin ? Simple, l’inonder de données pourries. Un déni de service au cœur de la finance. Un acteur va ainsi envoyer des milliers d’ordres d’achats qu’il annulera dans la microseconde. Les autres algorithmes seront obligés de traiter ces informations et seront ralentis… C’est le « quote stuffing ».

La SEC (autorité des marchés américaine) qui se penche sur ce sujet sans pour autant interdire le HFT a pondu un rapport comique sur le flash crash du 6 mai. On peut y lire ceci :

Le “high-frequency trading” peut générer plus de un million de transactions en un seul jour et représente maintenant plus de 50% du volume du marché des actions. De nombreuses entreprises génèrent plus de 90 ordres pour une seule transaction. Autrement dit : une entreprise qui effectue un million de transactions par jour peut soumettre plus de 90 millions d’ordres annulés.

En d’autres termes encore, le « quote stuffing » est prépondérant sur les marchés.

Bien entendu, les investisseurs individuels sont les escargots des marchés, ceux qui permettent en partie au HFT d’être aussi rentable. Tout est pour le mieux.

Cerise sur le gâteau, les algorithmes ne perçoivent pas de bonus en fin d’année…

>> photos flickr CC Deutsch Bank AG ; artemuestra

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L’influence de Mandelbrot dans la finance http://owni.fr/2010/10/29/linfluence-de-mandelbrot-dans-la-finance/ http://owni.fr/2010/10/29/linfluence-de-mandelbrot-dans-la-finance/#comments Fri, 29 Oct 2010 12:47:06 +0000 Alexandre Delaigue (Econoclaste) http://owni.fr/?p=33112

Titre original : Benoît Mandelbrot et l’histoire de la finance

Benoit Mandelbrot est mort, à l’âge de 85 ans. Il appartiendra à des mathématiciens d’expliquer les apports de cet immense personnage, l’un des plus importants de la seconde moitié du 20ième siècle. Les mathématiques de Mandelbrot ont touché à des domaines très différents, dont la finance et l’économie. C’est à sa place dans l’histoire de la finance qu’est consacré ce post. Attention, post long.

Un beau jour de mars 1900, Louis Bachelier, un mathématicien de tout juste trente ans soutenait sa thèse. Son directeur était l’un des plus grands mathématiciens de son époque, Henri Poincaré. Témoignant de la confiance qu’il avait dans son étudiant, il lui avait confié la résolution de l’un des problèmes les plus épineux des mathématiques de son temps : le mouvement Brownien.

La marche de l’ivrogne

Lorsqu’on observe des grains de pollen au microscope, on constate que ceux-ci ne sont pas immobiles, mais évoluent de manière erratique. Assez vite, les scientifiques se sont rendus compte que ce mouvement devait s’expliquer par le choc contre les grains de pollen d’une myriade de molécules d’eau dans lesquelles elles se trouvaient. Ce qui posait un redoutable problème : comment des minuscules molécules d’eau, bien plus petites qu’un grain de pollen, pouvaient-elles provoquer le mouvement d’un objet proportionnellement aussi gros ? L’explication devait être de nature statistique : si le contact d’une seule molécule d’eau ne peut rien, c’est le mouvement désordonné de l’ensemble des molécules d’eau contre le grain de pollen qui devait produire ce mouvement.

Mais il n’existait aucun outil mathématique permettant d’en rendre compte. C’est que le problème posé à Bachelier est redoutable : il s’agit d’étudier ensemble le mouvement de la particule, observable, et celui de millions de molécules d’eau, que l’on ne peut pas observer. Bachelier s’en sortit à l’aide de l’idée suivante : Il y a un temps mesurable entre chaque mouvement observé du grain de pollen, et entretemps, les molécules d’eau ont changé de direction. Ce qui permet de lier le mouvement de la particule et des molécules est le théorème central-limite : au bout du compte, chaque mouvement est indépendant du précédent. On parle pour décrire cela de marche aléatoire.

La marche aléatoire, parfois surnommée marche de l’ivrogne (imaginez un ivrogne cherchant à rentrer chez lui : il va dans une direction, puis une autre, se cogne dans un mur, etc..) vous l’observez quotidiennement. Lorsque vous mettez du lait dans une tasse de café, celui-ci se mélange selon ce mécanisme. La fumée de cigarette qui se dissipe dans l’atmosphère suit le même mouvement; vous ne verrez jamais deux fois le même, mais au bout du compte, le résultat final est toujours identique : la fumée se dissipe dans l’air. La démonstration de ce mécanisme est l’un des papiers les plus cités de la physique; ce papier avec d’autres a valu à son auteur un prix Nobel.

La “théorie de la spéculation” de Bachelier

Sauf que ce papier n’a pas été écrit par Bachelier, mais par Albert Einstein, 5 ans après la soutenance de thèse de Bachelier. En lisant les 70 pages de démonstrations de Bachelier, Poincaré s’est probablement demandé s’il s’agissait d’une plaisanterie. Intitulée “théorie de la spéculation”, elle ne comprenait aucune référence au mouvement des particules. Elle évoquait un objet qui n’intéressait pas grand monde, le marché boursier. C’est qu’à l’époque, la finance ne semblait être qu’un petit appendice sans intérêt du capitalisme, une affaire sans grande importance, tenue par une petite communauté de courtiers se connaissant tous entre eux et s’échangeant des tuyaux – une sorte de version à peine plus sérieuse des courses de chevaux. 180 ans après que Newton ait déclaré, dépité, suite à sa ruine sur le marché des titres, “qu’il pouvait prévoir le mouvement des astres, mais pas la folie des hommes”, Bachelier s’était plongé dans cette folie. Et il en avait retiré le modèle suivant.

Le cours de bourse d’une société peut être assimilé à une particule, dont le mouvement est déterminé par les millions d’achats et de ventes d’influence individuelle microscopique de l’ensemble des acheteurs. Les acheteurs ne se connaissent pas, et une fois que leur mouvement collectif a provoqué une fluctuation des cours, le cours “perd la mémoire” : il peut évoluer indifféremment à la hausse ou à la baisse. Comme il y a de très nombreux acheteurs et vendeurs, il est possible d’appliquer le théorème central-limite, et les différents mouvements suivent une courbe de Gauss, la loi normale.

Personne ne sait exactement ce qui s’est produit durant cette soutenance. Pour certains, Bachelier a eu tort de ne pas respecter la volonté d’un Poincaré qui n’était pas particulièrement commode. Par ailleurs, Bachelier aurait été très confus pendant sa soutenance, ne faisant à aucun moment le lien entre son travail et le mouvement brownien. D’autres constatent qu’il y avait quelques erreurs dans le travail de Bachelier, que sa thèse ne pouvait pas mériter mieux; et que Poincaré n’aimait guère l’idée d’appliquer les mathématiques à quelque chose d’aussi erratique que le comportement humain. Toujours est-il que la thèse de Bachelier n’obtint que la mention honorable, et pas le “très honorable” qui lui aurait permis de décrocher un poste de professeur; que son travail, après publication aux presses de l’ENS, tomba dans l’oubli, jusqu’à ce qu’Einstein refasse la démonstration en 1905, devenant pour la postérité celui qui avait résolu le mouvement brownien. Et l’idée qu’il était possible d’appliquer le raisonnement mathématique aux fluctuations boursières tomba dans l’oubli.

L’idée pourtant refit son apparition plus de 50 ans plus tard, grâce à Paul Samuelson. Celui-ci s’était intéressé, entre autres, aux fluctuations boursières. Pour lui, celles-ci étaient déterminées par l’impact d’informations sur les titres reçues par différents types d’investisseurs. Le comportement de ces investisseurs pouvait conduire les cours à des fluctuations absurdes, des contagions, des paniques. Dans ces moments, les cours boursiers ne reflétaient que cet état mental.

Mais que se passait-il en dehors de ces phases bien particulières ? Surtout, comment savoir si les cours évoluaient de façon “normale” en fonction de l’information disponible, ou d’autres facteurs ? des économistes s’intéressaient au problème, en particulier Houthakker, essayant de donner un sens aux séries de cours boursiers à l’aide d’outils statistiques. L’un d’entre eux, J. Savage, envoya un jour à une dizaine de ses collègues (dont Samuelson) une série de quizz qu’il avait trouvée dans un ouvrage écrit par Bachelier en 1910, “le jeu, la chance, le hasard”.

Intrigué, Samuelson alla fouiner à la bibliothèque du MIT, n’y trouva pas le livre en question, mais quelque chose de beaucoup plus utile : la thèse de Bachelier, qui fut une révélation. Il disposait enfin d’un outil, la marche au hasard, permettant de comprendre l’évolution des cours boursiers. Samuelson corrigea le papier de quelques bizarreries (comme le fait que dans le modèle de Bachelier, il pouvait y avoir des prix négatifs), puis d’autres économistes travaillèrent sur cette base, pour construire un modèle décrivant l’évolution du cours d’un titre comme une marche au hasard autour du rendement moyen du marché boursier dans son ensemble.

Une remise en cause du talent des courtiers

On peut difficilement minimiser l’impact de cette découverte. Auparavant, on considérait que la bourse était affaire de talent, de courtiers plus ou moins compétents, qui soit parvenaient à anticiper les fluctuations des cours grâce à l’étude des performances des entreprises individuelles, soit qui lisaient dans les évolutions passées des cours des schémas permettant de déterminer les cours futurs. La théorie de la marche aléatoire (et le modèle d’équilibre des actifs financiers, qui en découle) démolit totalement cette histoire.

Si vraiment les fluctuations des cours suivent une marche aléatoire, alors toute tentative pour prévoir les cours futurs à l’aide des informations passées est vouée à l’échec, et n’est pas meilleure qu’un chamane qui vous dirait quels titres acheter après avoir étudié attentivement des entrailles de poulet. Si les cours des actions fluctuent de façon aléatoire autour du rendement moyen du marché, alors, il est impossible en moyenne de “battre le marché”, c’est à dire de construire un portefeuille d’actifs “intelligent” qui fera mieux, et avec moins de risque, qu’un simple fonds constitué des valeurs qui composent l’indice boursier.

Certains gestionnaires de fonds peuvent être chanceux, d’autres pas; mais leur talent n’a rien à voir avec leur performance. Et si un gestionnaire de fonds a eu de bons résultats dans le passé, la marche au hasard indique que cela ne garantit en aucun cas qu’il pourra reproduire sa performance dans l’avenir, pas plus que le fait d’avoir gagné au loto témoigne d’un quelconque talent individuel de prévision.

Comme on peut s’en douter, les professionnels des marchés financiers de l’époque n’ont pas reçu très favorablement une approche théorique qui expliquait qu’ils ne servaient à rien, et que le “talent” qu’ils vendaient fort cher à leurs clients n’était que de la chance. Certains pourtant devaient essayer de mettre en pratique ces idées. On vit apparaître progressivement, dans les années 60, des fonds reproduisant passivement le marché. C’est à ce moment-là que Mandelbrot fit son entrée dans l’histoire de la finance.

Mandelbrot était un immigré juif polonais, arrivé en France en 1936, qui avait passé ses années de lycée à se dissimuler des nazis, avant d’intégrer l’école polytechnique. Au début des années 50, il s’était intéressé à un livre du linguiste George Zipf traitant de la distribution des mots. Prenez un texte, classez les mots par ordre décroissant d’utilisation, représentez le résultat graphiquement : vous constaterez que quelques mots sont extrêmement utilisés, d’autres beaucoup moins. La courbe que vous obtenez plonge très rapidement, puis s’aplatit pour décroître très lentement. Ce genre de distribution avait été découvert à la fin du 19ième siècle; Pareto avait ainsi constaté que la répartition des revenus et des patrimoines était de ce type, selon le principe du 80-20 : 80% des revenus totaux étaient touchés par les 20% les plus riches.

Des fractales dans les cours boursiers

Récemment installé aux USA, Mandelbrot s’intéressait donc à la répartition des revenus et des patrimoines, pour voir dans quelle mesure exacte elle suivait ce type de loi statistique (que l’on baptise Levy-stable, du nom du mathématicien français Paul Lévy, professeur de Mandelbrot et qui avait refusé un poste de prof à Bachelier : le monde est petit…). Houthakker, intéressé par ses travaux statistiques, l’avait donc invité à faire une présentation lors d’un de ses séminaires à Harvard en 1960.

Mandelbrot arriva au séminaire un peu en avance, se rendit dans la salle de cours, où il rencontra Houthakker. Au tableau, il y avait quelques graphiques du cours précédent, qui n’avaient pas été effacés. Etonné, Mandelbrot remarqua : “tiens, c’est pratique, vous avez déjà mis au tableau les graphiques de ma présentation”. Houthakker le regarda sans comprendre. Mandelbrot insista : “oui, ces graphiques au tableau : ils ont exactement la même forme que ceux que je vais utiliser pour ma présentation”. Houthakker comprenait encore moins. Ces graphiques n’avaient rien à voir avec la distribution des revenus : il s’agissait de l’historique des prix des contrats à terme sur le coton à la bourse de Chicago.

Mandelbrot venait de trouver un nouvel objet pour ses travaux : les cours boursiers. Il se lança aussitôt dans l’analyse, travaillant avec les économistes spécialisés dans la finance. Et commença une tournée des universités américaines pour y présenter sa découverte : les cours boursiers ne semblaient pas obéir à la marche au hasard et la courbe de Gauss, selon le modèle de Bachelier; ils semblaient obéir à une “loi puissance”. L’autre propriété qu’ils avaient était d’avoir une forme “fractale” (Mandelbrot allait définir le mot au début des années 70) : quelle que soit l’échelle de temps que vous utilisez pour suivre la courbe des fluctuations, elle présente la même allure.

A ce stade, j’imagine que la différence entre “marche au hasard et courbe de Gauss, loi puissance” n’est pas très évidente. Un exemple permettra de le clarifier. Imaginez que vous ayez 100 personnes adultes dans un bar, et que vous vous intéressiez à leur taille. Vous allez leur trouver une taille moyenne (par exemple, 1.70 m). Vous allez aussi constater que les tailles sont distribuées selon une courbe de Gauss, qu’on appelle aussi “courbe en cloche”. Cela signifie que les tailles sont assez regroupées autour de la taille moyenne. Il peut y avoir des grands et des petits, mais ils ne sont pas immenses ni minuscules. Dans une courbe de Gauss, 95% des gens se trouvent dans un intervalle centré sur la moyenne, et de rayon deux fois l’écart-type (l’écart moyen à la moyenne). Dans l’exemple, si vous trouvez que l’écart-type de taille est de 10cm, vous constaterez que 95% des clients du bar ont une taille comprise entre 1.5 et 1.9 m.

Autre caractéristique de cette distribution : supposez que l’homme le plus grand du monde entre dans ce bar. Si l’on en croit le livre des records, il mesure 2.46 mètres. Que devient alors la taille moyenne des clients du bar? Elle va légèrement augmenter suite à l’entrée de cet homme extrême. Mais pas de beaucoup : si vous calculez, elle va augmenter de 7.5 mm, même pas un centimètre. même l’homme le plus grand jamais mesuré (2.72m) ne ferait monter la taille moyenne que d’un centimètre à peine. C’est une autre caractéristique des distributions gaussiennes : les extrêmes n’ont pas beaucoup d’importance.

Maintenant, supposons que nous nous intéressions au revenu annuel des clients de ce bar. On constate qu’ils ont un revenu moyen de 25 000 euros annuels (ce qui correspond en gros au revenu moyen des français). Et supposons que Liliane Bettencourt vienne boire un verre dans ce bar. Avec son patrimoine de 15 milliards d’euros, Liliane Bettencourt gagne environ 600 millions d’euros par an. Son entrée dans le bar ferait donc passer le revenu moyen des clients à environ 6 millions d’euros annuels! Comme vous le voyez, cette moyenne ne signifie plus rien : personne dans le bar, de près ou de loin, ne touche un tel revenu. Il n’y a que des gens qui touchent beaucoup moins, et une personne qui touche 100 fois plus. C’est la caractéristique d’une distribution suivant une loi puissance : les extrêmes ont un impact considérable.

Lorsqu’on a compris ce qu’est une loi puissance, on la voit partout, souvent dans les activités humaines. Prenez le répertoire de votre mobile : il est probable que vous passez plus de 80% de vos appels à une très faible fraction de vos contacts. Ou le coût des tremblements de terre : il y en a des milliers chaque année, et une toute petite fraction d’entre eux concentre la quasi-totalité des victimes et destructions qu’ils causent. Ou la distribution des revenus et des patrimoines. Ce que constatait Mandelbrot, c’est que les fluctuations des cours boursiers suivaient aussi une telle distribution.

Ce qui a la conséquence suivante. Si comme le considère le modèle de la marche au hasard, les cours boursiers suivent une loi normale, alors, on doit observer des fluctuations autour du cours moyen qui ne changent pas beaucoup. Si par exemple le cours d’une action fluctue en moyenne de 2% par jour, avec un écart-type de 1%, 95% des fluctuations quotidiennes se trouveront entre 0 et 4%. Une fluctuation extrême (+100% dans une journée) ne peut pour ainsi dire jamais se produire (une fois toutes les 100 milliards d’années, par exemple). Si par contre son cours suit une loi puissance, de tels évènements extrêmes se produiront certes rarement, mais peuvent se produire beaucoup plus souvent que ne le prévoit le modèle de la loi normale. Les cours boursiers seront alors surdéterminés par des évènements très rares.

Mais il y a pire. Dans certaines configurations, une loi puissance peut présenter une variance infinie. Or la variance des fluctuations des cours était au centre du modèle de la finance qu’établissaient les économistes, mesurant la “volatilité” des cours. Prise à la lettre, l’idée de Mandelbrot signifiait que l’essentiel des travaux statistiques que les économistes étaient en train de mettre en œuvre pouvaient être jetés à la poubelle, ou du moins, allaient présenter de sérieuses défaillances. L’évaluation du risque et du rendements des actifs financiers (les fameux alpha et beta) était beaucoup moins fiable et utilisable que ne l’indiquaient les modèles.

Les travaux de Mandelbrot suscitèrent dans un premier temps un très grand intérêt parmi les chercheurs. Un étudiant de l’université de Chicago, en particulier, devait les considérer comme une révélation : Eugene Fama. Très impressionné par l’idée selon laquelle dans un marché des titres qui fonctionne bien, les fluctuations de cours boursiers étaient imprévisibles, il s’attacha à leur étude et devait formuler rigoureusement ce que l’on appelle l’hypothèse d’efficience des marchés, dont une version est le fait qu’il est impossible de battre le marché sans disposer d’informations dont les autres opérateurs ne disposent pas. L’évolution de Fama dans les années 70 est intéressante parce qu’elle correspond au mouvement suivi par les économistes. D’abord très intéressé par les idées de Mandelbrot, en étudiant les cours boursiers concrètement, il devait se ranger progressivement vers le modèle de la marche au hasard.

Les 60’s et 70’s, le retour du hasard

Les économistes se sont rangés à la marche au hasard dans les années 60-70 pour deux raisons. Premièrement, cette théorie permettait des avancées rapides – théorie du portefeuille, modèle de Black-Scholes – qui au fur et à mesure se diffusaient du monde universitaire vers celui des praticiens de la finance.

Écouter Mandelbrot impliquait de laisser tomber une bonne partie de ces avancées, sans savoir par quoi les remplacer (les mathématiques nécessaires n’étant pas disponibles, ou donnant lieu à des applications très limitées). Avant de tout abandonner, il fallait vérifier si effectivement, ces outils étaient à côté de la plaque. Or, comme devait le constater Fama, la théorie de l’efficience des marchés et la marche au hasard pouvaient faire l’objet de tests empiriques; et au fur et à mesure, ces tests empiriques confirmaient l’idée de marche au hasard et de fluctuations suivant la loi normale.

A l’inverse, les prédictions des modèles inspirés de Mandelbrot n’étaient que difficilement testables. Au bout de quelques années, le rapprochement entre Mandelbrot et les économistes devait prendre fin, d’un commun accord. Pour les économistes, parce que le modèle de la marche au hasard gaussienne donnait des résultats; pour Mandelbrot, parce qu’il avait tendance à aller de sujet en sujet, sans se focaliser sur un seul. Il allait consacrer les années 70 à travailler sur les fractales, et la finance cessa d’être son objet d’étude principal.

Le retour de Mandelbrot dans l’économie

Dans la seconde moitié des années 80, pourtant, les choses changèrent. Mandelbrot accéda à la célébrité dans la communauté des mathématiciens, et dans le grand public, grâce à son livre “the fractal geometry of nature” paru en 1982, puis à son rôle décrit dans le best-seller “chaos” de James Gleick qui rendait les fractales et la théorie du chaos accessible au grand public. Surtout, un évènement devait bouleverser la théorie financière : le krach de 1987.

Depuis le début des années 80, l’hypothèse d’efficience des marchés était secouée dans le monde universitaire. Les validations empiriques sur lesquelles elle reposait semblaient ne s’appliquer qu’à une période particulière, et semblaient de moins en moins vraies. Larry Summers avait publié sa célèbre conférence intitulée “il y a des idiots : regardez autour de vous” critiquant les hypothèses d’acteurs rationnels, et montrant de façon flamboyante que les “validations empiriques” de la théorie de l’efficience des marchés correspondaient au fait d’aller au supermarché, de constater que le prix d’un flacon d’un demi-litre de ketchup était en gros égal à celui de deux flacons d’un quart de litre, pour en déduire que “le marché du ketchup était efficient”.

Le krach de 1987 devait précipiter la critique des modèles financiers assis sur la marche au hasard : selon ce modèle pris à la lettre, cet évènement extrême n’avait pour ainsi dire aucune chance de se produire. En réalité, il y a beaucoup trop d’évènements extrêmes dans les fluctuations des cours, et ceux-ci ont beaucoup trop d’impact, pour conserver en l’état l’idée que les fluctuations des cours suivent une loi normale.

Aucune nouvelle information particulière ne pouvait justifier la plongée des cours de 1987. Fisher Black, qui avait quitté le monde universitaire pour travailler chez Goldman Sachs en 1984, avait déclaré que “les marchés semblent beaucoup plus efficients depuis un bureau d’université que dans un bureau à Wall Street”. Fama lui-même est revenu à ses origines, et à une perspective beaucoup plus proche de celle de Mandelbrot des fluctuations financières.

Les temps étaient mûrs pour retravailler. A partir des années 90, la théorie de la finance devait donner lieu à de nombreux travaux visant à enrichir le modèle standard pour le rapprocher d’une perspective plus réaliste; vous trouverez quelques exemples de ces évolutions ici. Il y a d’ailleurs là un paradoxe. L’époque où les universitaires développaient des modèles montrant les limites de la théorie standard de la finance (marche au hasard, Merton-Scholes) a été celle dans laquelle cette même théorie standard a fait son entrée dans le monde professionnel de la finance, avec un rôle de plus en plus important des “quants”, ces mathématiciens de haut vol chargés de faire de l’ingéniérie financière à l’aide de modèles sophistiqués pour des banques ou des hedge funds.

L’un des exemples fameux de cette entrée des quants dans la finance restera le fonds LTCM, dont les succès comme les échecs traduisent les triomphes et la difficulté à intégrer les évènements rares de la finance issue du modèle de Black-Scholes. Il y aurait une merveilleuse étude, sociologique, économique, psychologique, à faire pour comprendre la façon dont les modèles de la finance sont utilisés par les institutions financières sans prendre suffisamment en compte leurs limitations, que pourtant tout le monde connaît. Certains le font, comme Paul Wilmott. Mais ils restent isolés. Trop de gens considèrent que l’on peut se contenter d’une analyse sur le thème “les financiers sont stupides et cupides (et de droite), ils croient leurs modèles supersophistiqués et après c’est nous qu’on paye” ce qui, vous en conviendrez, ne va pas très loin.

En 2004, Mandelbrot est revenu à la finance dans un livre célèbre, “the misbehaviour of markets“, traduit en français sous le titre “une analyse fractale des marchés“. Ses successeurs les plus nets sont probablement ceux que l’on appelle les éconophysiciens. Un peu comme Mandelbrot, ils appliquent des modèles mathématiques (inspirés le plus souvent de modèles utilisés en physique) aux données économiques et financières pour déterminer des manières plus satisfaisantes d’analyser celles-ci.

Pour l’essentiel, les éconophysiciens ne sont guère appréciés des économistes. il faut dire que la façon dont ils sont arrivés dans le domaine n’était guère diplomatique, et souvent très arrogante. Ils ont trop tendance à dire aux économistes “vos petits modèles mathématiques sont bons pour les enfants; vous allez voir ce que de vrais scientifiques savent faire”, et au passage, surestiment l’ampleur de leurs apports, et méconnaissent les connaissances accumulées par les économistes. En bref, ils se comportent un peu comme les économistes se comportent vis à vis des sociologues lorsqu’ils abordent leurs domaines. On peut espérer que ces deux tendances finissent par parvenir à dialoguer, comme l’a fait Mandelbrot avec les économistes en son temps.

Dans l’histoire de la finance, Mandelbrot a un statut particulier : il n’en a jamais véritablement été considéré comme un membre, sans être en dehors, et en servant d’inspirateur et d’aiguillon à des générations de chercheurs, de spécialistes et de praticiens. A cette place, pourtant, son influence est considérable, et ne fait que commencer.

>> Illustrations FlickR CC : SamikRC, Barabeke, Foxtongue,fd

>> Article initialement publié sur Éconoclaste

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La Grosse Bertha http://owni.fr/2010/05/10/la-grosse-bertha/ http://owni.fr/2010/05/10/la-grosse-bertha/#comments Mon, 10 May 2010 14:45:05 +0000 Paul Jorion http://owni.fr/?p=15091 [Ce texte est un « article presslib’ »]*

Alors, est-ce vraiment depuis hier « Un pour tous, tous pour un » ?

On a en tout cas rassemblé 750 milliards d’euros. Autrement dit, on a sorti la Grosse Bertha.

Qu’est-ce qui s’est passé ces jours derniers ? Eh bien, tout ce à quoi on aurait dû penser à froid, au moment où l’on mettait en place la zone euro, on a été obligé de le résoudre à chaud, dans la précipitation et en courant dans tous les sens. Le texte du Traité de Lisbonne, tel qu’il a été rédigé, étant inutilisable, on a été obligé de le contourner par des astuces comme un SPV (Special Purpose Vehicle), une structure ad hoc à qui on prête de l’argent et qui elle, l’utilisera ni vu ni connu, sa spécificité étant qu’elle a le droit de faire toutes les choses qu’on s’était interdit de faire à soi-même. Et tout particulièrement que les nations dans la zone euro manifestent les unes envers les autres une réelle solidarité.

Eh ! que voulez-vous, c’est une Europe « libérale » que Maastricht avait mis en place, pas l’Europe solidaire dont on s’est rendu compte sur le tard qu’on avait réellement besoin !

Il reste un peu de naïveté cependant dans la démarche : défier la spéculation en se tambourinant la poitrine et en criant : « Je suis plus fort que toi ! », ça ne suffit pas. La spéculation est comme l’hydre de Lerne : on lui coupe l’une de ses sept têtes, ou même les sept à la fois, et elles repoussent aussitôt.

Ce qu’il faut mettre en place, pour mettre la spéculation hors d’état de nuire, c’est une interdiction des paris sur les fluctuations de prix. On ne pourra pas en faire l’économie.

Est-ce que tous les problèmes sont résolus ? Non bien sûr puisque le cadre conceptuel erroné est intact. Tant que la dette publique et le déficit d’une nation seront calculés par rapport à leur PIB, ils sembleront augmenter de manière mécanique en période de récession, par une illusion d’optique : simplement parce que les chiffres absolus sont divisés par un coefficient qui se réduit pendant ce temps-là comme peau de chagrin. Alors que c’est précisément dans ces périodes que les États devraient pouvoir mobiliser l’outil de l’endettement plus librement.

Pour que l’Europe de la zone euro cesse de s’en prendre à ses citoyens chaque fois que ses banquiers perdent certains de leurs paris, il faudra que dettes et déficits cessent d’être calculés en pourcentage du PIB. Si l’on ne résout pas cette erreur conceptuelle, toute crise aura toujours le même effet : elle débouchera sur des programmes d’austérité qui s’en prennent par priorité aux avantages sociaux.

Le Pacte de Stabilité de la zone euro doit être réécrit en des termes qui aient un sens du point de vue économique. Quand il aura un sens économique il aura automatiquement aussi un sens social.

Dans l’euphorie ambiante de ce matin, il ne faudrait pas perdre de vue que quelle que soit la radicalité apparente des mesures prises hier, le système qui siphonne l’argent du contribuable vers les plus grosses fortunes est toujours en place, et plus que jamais en excellente santé.

Lire, sur le même sujet et sur le même blog :

> Le Fil rouge

> La Grèce, Moody’s et le destin de la zone euro

> Pourquoi la Grèce peut sauver le monde

> Les gouvernements d’union nationale

Article initialement publié sur le blog de Paul Jorion

Illustration CC Flickr “The 10 on Crisis Street” par Andres Rueda

(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.

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