La nuit parisienne est-elle soluble dans l’Europe?

Le 17 mars 2010

Une fois n'est pas coutume, Owni publie un article ayant trait à la vie culturelle de notre bonne vieille capitale. L'auteur de l'article, Florian Pittion-Rossillon, est associé à une joyeuse entreprise hébergée dans la vraie vie par la soucoupe. Il sévit également en tant que DJ sous le nom de Speedloader.

Lafete

Paris la nuit meurt-il ? Paris la nuit a surtout pris l’habitude de faire la fête ailleurs. La génération New Clubbing va vivre à l’étranger les plaisirs simples d’une nuit démocratiquement festive que la capitale lui refuse. Pourtant, alors que la dictature des programmateurs mous et des fanatiques du DBmètre croit avoir gagné le Premier Prix de Soporifique, des acteurs culturels, économiques et politiques agissent.

Quand même les allemands, pourtant friands de fanfreluches parisiennes, titrent “Paris capitale de l’ennui” dans l’équivalent germanique de « L’Express », force est de mesurer l’étendue des dégâts. En commençant par constater que tout le monde à Paris a acquiescé, très simplement, n’étaient-ce quelques barons de la nuit parisienne en baskets fluos. En 2010, le français pourtant fier admet que le reste du monde ne soit plus aveuglé par les lumières de sa capitale. La population subit une situation que ses élites culturelles refusent d’admettre : la situation est pré-révolutionnaire.

Mais le peuple festif n’attendra pas que les édiles en charge de ses loisirs nocturnes répondent par une énième variante d’évènements aux concepts rincés depuis dix ans. Car le public prend la voiture, le bus, l’avion pour aller faire la fête ailleurs. Le Paris du spectacle ne voit pas plus loin que le périphérique alors que le New Clubbing a fait de l’Europe son terrain de jeux coquins.

Le New Clubbing ? C’est le clubbing revendiqué comme activité statutaire par toute une génération. Le clubber des années 90 entrait dans la nuit par un sas dans lequel il se transformait en créature festive. A la sortie, il revêtait son habit du quotidien. Le clubber des années 2010 revendique ses DJ stars, ses labels de folie, son merchandising de fashion-victim. Le New Clubber 2010 intègre les éléments de la culture club dans la construction de son identité sociale. Quelles pratiques pour quelle identité ?

Le New Clubber (petit frère de l’Euroraver des années 90) assume le rôle prophylactique de ses nuits. Dans une société corsetée par la peur de l’autre (tour à tour l’étranger, le pauvre, le chômeur,…) et tétanisée par la vision anxiogène d’un futur incertain, il subsiste peu d’activités permettant à l’individu de vivre des expériences de plaisir collectif intense qui soient socialement acceptable.


Car le New Clubbing trouve sa force dans la possibilité d’un mélange des genres à la carte, mixture fun aussi paramétrable en amont que génératrice d’imprévus festifs à l’arrivée. Internet et les transports low-cost ont fait de l’Europe un centre de loisirs géant. Le public New Clubbing ne se déplace pas exclusivement pour une programmation. Son intérêt se porte sur la soirée en tant que marque : quelle communication pour quelles valeurs ? Le New Clubber trie ses évènements en fonction de l’amélioration qu’ils procurent à l’identité personnelle. Le collectif propose un sens aux pratiques festives quand celles-ci redistribuent les richesses symboliques dont elles sont constituées. Le Moi festif n’existe jamais mieux que lorsque le Tout dépasse dans le délire la somme des parties.

Le New Clubber est prêt à donner lorsque sa faim est récompensée. Or, que trouve-t-il à Paris ? Des évènements parisiens dont la communication mise entièrement sur des programmations qui n’ont, à l’échelle de l’Europe, rien d’exclusif. Alors, l’évènement perd toute aspérité. Et là où le New Clubber attend d’être surpris, le milieu parisien lui propose en réponse :

- La fête de droite : une version ultra-communautariste de l’entre-soi nuiteux. Négation du dancefloor + admission par origine de classe + sélection ostracisante. La fête d’avant mai 68, d’avant la Seconde Guerre Mondiale.

- La fête passéiste : basée sur le recyclage de programmations faussement pointues vendues par des argumentaires utilisés depuis 2000. Bienvenue dans la Dictature des Directeurs Artistiques Mous. Un mot d’ordre : « Tout sauf la techno ! » (alors que toute l’Europe danse dessus depuis 20 ans). Attention : ne pas confondre les sempiternelles programmations electro-ersatz avec ce qui se fait encore et toujours de plus efficace sur un dancefloor.

- La fête obligée. « Qu’importe la programmation puisque le public viendra » semble être le leitmotiv de lieux qui se sont habitués au pouvoir que leur conférait leur rareté. Cousine de la fête passéiste, elle légitime des prestations situées en deçà du plancher des critères de l’acceptable.

La fête comme confluence de contraintes ? Évidemment, ça ne prend pas.

La superfête

Alors Paris après 23h, c’est Waterloo morne plaine. Des réactions se font jour, pourtant, témoignant d’une vitalité discrète mais tenace de cet esprit de fête que le Paris de 2010 se refuse à proposer à ses habitants et ses visiteurs. Revue non exhaustive des signaux d’espoir:

- Le succès des soirées du collectif Goldrush, fédérant plusieurs générations de nuiteux hétéroclites fidélisés par la qualité d’une promesse d’inattendu toujours renouvelée. Le fondateur et guide spirituel du collectif, Guido, assume la tâche de défricheur et les risques que cela entraîne en termes de programmation. Lequel Guido était au Baron et au Paris Paris avant tout le monde (même avant Darkplanneur). Lequel Guido a lancé quelques groupes et quelques DJ. Discret mais endurant, risqué et nourrissant.

- L’apparition de Bass Nation, agence conseil en stratégie et opérationnel en marketing musical, positionnée sur le territoire des musiques Clubbing / New Clubbing. Fondée par des artistes et des professionnels de la communication, cette agence importe en France les soirées Megarave et en fait la vitrine de son offre de services. Son credo : chaque évènement est une marque autour de laquelle fédérer un public. Les moyens medias font vivre une soirée avant, pendant et après qu’elle ait lieu et ainsi permettent de mettre en œuvre des modèles de développement économique. (Voir  http://partyuniq.com, portail media grand public de Bass Nation).

- Le lancement de Paris Night Life par le CSCAD : Chambre Syndicale des Cabarets Artistiques, Salles et Lieux de Spectacles. Avec Paris Night Life, la Ville de Paris entend redonner à sa nuit une désirabilité qu’elle n’aurait jamais dû perdre. Ce qui est un label de qualité est aujourd’hui prêt à estampiller les meilleurs packs festifs créés pour les marchés extra-parisiens : le reste du monde, de la province aux antipodes en passant par l’Europe.

- Signalons l’épiphénoménale émergence des Skins Parties, nées de l’imitation de scénettes la série anglaise « Skins ». Des espaces de liberté colorés voire explosifs, rassemblant mineurs et jeunes majeurs revendiquant un nombre d’excès sexuels, alcoolisés et autres. Intéressant en ce que la plus jeune génération en est à se construire une identité festive basée sur quelques scènes agitées tirées d’une série. Merci l’Europe ! (plusieurs branches : skins-party.blogspot.com, skinsparty-paris.com, skinsparty.fr).

Contre l’ennui parisien il existe donc un front du refus, hétéroclite mais aux motivations identiques pour ce qui est de redonner à la fête son rôle central dans la culture de la nuit. Des visions convergent, entre expertise culturelle, sensibilité sociologique et modèles économiques, permettant d’en finir avec le plafond de verre de la nuit parisienne. Et pour que cessent les lazzis de nos voisins européens mieux lotis.

Et pendant que la nuit parisienne se lamente devant son miroir, elle ne voit pas venir la Grande Affaire Festive de la décennie 2010 (et des suivantes) : l’explosion de la nuit de nos régions.

Photo de boule à facettes CC Flickr Nathan.F

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