Le ministère de l’Intérieur s’intéresse au maquillage virtuel

Le 7 mai 2010

Où l'on découvre que le ministère de l'intérieur cherche à développer un système de reconnaissance faciale intelligent, couplé aux caméras de vidéosurveillance des stades de football, grâce à un logiciel de "maquillage virtuel"...

Pour fêter les dix ans des Big Brother Awards, la soucoupe a proposé à Jean-Marc Manach (Bug Brother sur LeMonde.fr, et manhack sur Twitter), l’un de ses organisateurs, de revenir un peu plus en détail sur certains des candidats nominés cette année. Où l’on découvre que le ministère de l’Intérieur cherche à développer un système de reconnaissance faciale intelligent, couplé aux caméras de vidéosurveillance des stades de football, grâce à un logiciel de “maquillage virtuel“…

Vesalis MakeUpOnlineDepuis plus de dix ans, Vesalis, une start-up de Clermont-Ferrand, tente de mettre au point un logiciel de “maquillage virtuel“, MakeupOnline, afin de permettre aux femmes, en temps réel, de juger, dans un magasin, sur leur PC ou depuis leur téléphone mobile, si tel ou tel maquillage leur irait bien.

A l’incitation du ministère de l’Intérieur, Vesalis tente depuis trois ans maintenant d’adapter son logiciel biométrique de reconnaissance faciale afin de pouvoir identifier, en temps réel, et au beau milieu de la foule, hooligans, terroristes, criminels et autres délinquants. Nom de code de ce projet : “Bio Rafale” (lol).

Sur son site web, Vesalis se targue d’avoir d’ores et déjà effectué plus de 2,4 millions de simulations de maquillage virtuel. Son logiciel combine biométrie, via un “moteur de détection et d’analyse du visage idéal“, et réalité augmentée, afin de rajouter aux visages modélisés une couche de maquillage personnalisé visant à proposer à ces dames une “ordonnance de beauté” :

L’interface interactive qui conduit à l’édition d’une ordonnance de beauté prescriptrice de produits, permet de combiner le maquillage, la coloration capillaire sur la coiffure naturelle, la coloration de l’iris de l’œil, le blanchiment des dents, les accessoires. L’interface est suffisamment flexible pour intégrer une multitude d’activités complémentaires et de fonctions scénarisables.

Carla Bruni remaquilléePour Jean-Marc Robin, PDG de Vesalis, la clé de cette technologie, c’est qu’elle peut “éblouir une cliente à la vitesse d’une étincelle“. Et c’est semble-t-il ce qui a particulièrement plu au ministère de l’Intérieur.

En 2007, rapporte 01Net, le comité Richelieu, qui rassemble des PME innovantes, lui propose de se rapprocher du ministère de l’Intérieur, pour mettre au point un système de surveillance par reconnaissance faciale.

Sur la page du comité Richelieu consacrée à Vesalis, il est question d’”une application réaliste en prévention type biométrie faciale” permettant “par exemple (la) prise de vue à partir d’un téléphone portable 3G, (la) transmission sécurisée, analyse et comparaison temps réel à partir d’une base de données“.

Carla Bruni remaquilléeEn attendant de voir un jour des téléphones mobiles à même d’identifier, en temps réel, n’importe quel quidam pris en photo dans la rue, ce qui semble avoir intéressé le ministère de l’Intérieur, souligne La Montagne dans un article intitulé L’oeil clermontois de « Big Brother », c’est la possibilité de “pouvoir reconnaître un individu précis à partir d’un simple réseau de caméras de vidéosurveillance” :

À ce jour, une vingtaine d’industriels (dix-neuf Américains et un Allemand). Une préoccupation pour laquelle les États-Unis mettent des millions de dollars depuis le 11 septembre… avec des résultats proches de zéro.

Explication : pour qu’un système de reconnaissance de visage soit fiable, il faut que son taux de succès soit au moins de 70 %. Mais les expériences qui ont été mises en place, en grandeur réelle, à San Francisco ou à l’occasion du Superbowl ont été des fiascos complets : à peine 20% de taux de reconnaissance.

Carla Bruni remaquilléeLe problème, c’est que les caméras de vidéosurveillance ne sont pas aussi précises que les photomatons. Or, la biométrie faciale a déjà bien du mal à identifier ceux qui, à l’instar de ces photos d’identité où nous sommes interdits de tout sourire (pour que les ordinateurs nous identifient plus facilement, voir Il ne faut pas rigoler avec vos photos d’identité), sont pris en photo sans bouger, en gros plan, le visage découvert, de face, et sous les flashs. Alors des gens mal éclairés, filmés de loin, de profil ou de dos, et qui bougent…

Vesalis, pour sa part, se targue d’être en avance sur les Américains, et s’est donné pour objectif, sous “n’importe quel éclairage ambiant“, de comparer le visage des gens vidéosurveillés aux fichiers des personnes recherchées avec “un taux de reconnaissance de plus de 90%“.

Nicolas Sarkozy remaquillé

Les mauvais esprits rétorqueront probablement que si d’aventure un tel système venait à se généraliser, la majeure partie des délinquants, des criminels, des terroristes et des hooligans susceptibles d’être ainsi identifiés prendront soin de se grimer.

Raté : ceux qui portent des lunettes, écharpes ou casquettes (et sans même parler du port de la cagoule ou bien du voile) sont suivis à la trace par les caméras jusqu’à effectuer un “résultat probant“. Et si ça ne marche pas, les services de sécurité, alertés, peuvent prendre le relais.

Bio Rafale se targuait, l’an passé, d’un taux de modélisations réussies de 80%, et se donnait pour objectif d’atteindre les 97% cette année. Ne restera plus qu’aux récalcitrants, soit à se déplacer en masse pour submerger les services de sécurité de fausses alertes, soit à en passer par la chirurgie esthétique.

Nicolas Sarkozy remaquilléEn attendant, 01Net précisait l’an passé que le système était en phase d’expérimentation au stade Gabriel-Monpied à Clermont-Ferrand ainsi qu’au Stade des Alpes de Grenoble, de l’être, pendant quatorze mois, au Parc des Princes, afin de croiser les visages vidéosurveillés des supporters aux fichiers de ces stades. Dans la demande d’expérimentation que Vesalis vient de faire à la CNIL, l’entreprise avance qu’elle se ferait sur la base du volontariat.

Le Pôle Emploi relayait, en décembre, une petite annonce de Vesalis qui cherchait des “figurants pour jouer le rôle de spectateurs dans le cadre d’une simulation d’un match de football au stade Gabriel Montpied le 16 janvier 2010“.

Brice Hortefeux remaquilléLe responsable de sécurité du stade Montpied, qui précise qu’il n’y a pas d’interdits de stade à Gabriel-Montpied, explique que “ça ne s’est pas fait parce que la société était obligée d’émettre un bulletin de salaires par figurants, et c’était trop compliqué : ça a été reporté pour passer par une société d’intérim qui facturera les salaires.”

À terme, et s’il fait ses preuves, Bio Rafale pourrait être déployé tout autant dans les stades, les gares, les aéroports que dans les galeries marchandes et les grands magasins. “Derrière, un gigantesque marché planétaire qui compte plus de 300 millions de caméras !“, précisait La Montagne, “en croissance de 40 % l’anrénchérissait de son côté Le Progrès.

Coût estimé ? Un euro par visage analysé. Le stade Gabriel-Montpied comporte plus de 10 000 places, celui de Grenoble plus de 20 000, le Parc des Princes près de 45 000… ce qui explique aussi probablement ce pourquoi 4,2 millions d’euros ont été investis en Auvergne pour développer Bio Rafale*.

Brice Hortefeux remaquilléComme le rappelle Jean-Marc Robin, président de Vesalis, dans le dossier de presse de Bio Rafale, « détecter LE criminel dans une foule revient à rechercher la proverbiale aiguille dans une botte de foin. Et qu’en (sic) ça « pique » ça peut faire vraiment très mal …» Reste à savoir si ça piquera un jour vraiment, quand, et qui…

Il faudra voir également si “tout se passe bien“, pour les 10 à 30% de gens identifiés à tort comme potentiellement hooligans/délinquants/criminels voire terroristes, mais néanmoins innocents. Certes, ils auront dû, entre-temps, prouver leur identité, expliquer qu’il y a probablement erreur sur la personne, voire démontrer leur innocence…

En moyenne, les stades des vingt clubs de 1ère division accueillent quelques 200 000 spectateurs les journées de championnat de Ligue 1, soit 20 à 60 000 supporters potentiellement identifiables, à tort.

Brice Hortefeux remaquilléFaisons fi des personnes identifiées à tort, et regardons donc combien de gens sont vraiment concernés par cette technologie. Fin avril, L’Équipe révélait que “654 interdictions de stade (514 administratives et 140 judiciaires) sont en cours, contre 311 au 1er février, selon l’Intérieur, qui note une ‘réduction très sensible du nombre d’incidents ces dernières semaines, suite aux mesures prises’“.

200 000 supporters vidéosurveillés pour 654 interdits de stade? C’est encore pire que ça : en 2007, le ministère de l’Intérieur expliquait que selon un rapport de l’Inspection Générale de l’Administration, “12% des personnes visées par cette obligation s’en sont affranchies sans motif“.

Autrement dit, le ministère de l’Intérieur veut développer une technologie de vidéosurveillance faciale censée reconnaître -avec une marge d’erreur de 10 à 30%- les visages de près de 200 000 supporters avec comme objectif de parvenir à identifier les 78 interdits de stade qui, contrairement à ce qui leur est imposé, doivent, au moment des matchs, pointer au commissariat, sous peine de voir son interdiction aggravée et d’être condamné à des amendes atteignant 3 750 €…

Ben Laden remaquilléOn notera enfin que le Fichier National des Interdits de Stades (FNIS), créé en 2007, comporte la photographie, l’identité, l’adresse des personnes touchées par une interdiction administrative (due au Préfet) ou judiciaire, ainsi que les données relatives à l’interdiction. Il peut aussi être étoffé par des fichiers d’organismes de coopération internationale et des services de polices étrangers, et la CNIL a donné son accord pour qu’il conserve les données pendant les cinq années suivant l’interdiction de stade.

Par contre, dans sa délibération, la CNIL prenait acte qu’il n’était pas prévu que ce fichier comporte de dispositif permettant la reconnaissance faciale à partir d’images numérisées…

Contacté, Jean-Marc Robin n’a pas souhaité répondre à nos questions.

Illustrations : captures d’écran de “maquillages virtuels” effectués sur vesalis.fr, qui précise que “puisqu’une image “avant/après” a pouvoir de mille mots, nous vous invitons à expérimenter notre simulateur de mise en beauté temps réel de toute nouvelle génération”. Alors voilà, j’ai expérimenté.

* Le consortium Bio Rafale, piloté par Vesalis, réunit des laboratoires de recherches (Gipsa-lab/Dis à Grenoble, Lasméa à Clermont-Ferrand, Eurecom à Nice et Télécoms sud Paris), des partenaires industriels (IBM, Spie, Maya et Effidence), le Ministère de l’Intérieur et la Préfecture de Police de Paris.

Illustration CC Flickr par Sérgio Castrø

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