War Logs: la plus grande fuite de renseignements de l’histoire de la guerre
Cet article sera mis-à-jour tout au long de la journée, en fonction de l'évolution des informations et de notre travail de crowdsourcing. [Dernière MAJ : 27/08 21h50]
Cet article sera mis-à-jour tout au long de la journée, en fonction de l’évolution des informations et de notre travail de crowdsourcing.
Ce que nous sommes en train de faire :
- Récupérer les données impliquant les forces armées françaises
- Mettre en place un outil permettant d’annoter et d’exploiter ces dernières
- Réalisation de visualisations et de cartes mettant en scène ces données
Vous voulez contribuer à cette enquête, notamment sur les documents impliquant la France ? Mail : nkb at owni.fr
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Après la divulgation il y a quelques mois d’une vidéo dévoilant une bavure américaine en Irak, le site Wikileaks avait déclaré détenir des informations sensibles sur la guerre en Afghanistan.
C’est hier en fin de soirée, que le site d’information a mis au jour la plus grande fuite de toute l’histoire de la guerre et du renseignement. Plus de 90,000 fichiers militaires, documentant la guerre en Afghanistan sur une période allant de 2004 à 2009, ont été ainsi mis à la disposition du public. Le Guardian, le New-York Times et Der Spiegel ont eu la primeur sur l’information et révèlent la chronologie de l’échec patent de la guerre en Afghanistan. Ces rédactions ont eu accès à ces documents il y a déjà plusieurs semaines, acceptant de ne les publier que hier dimanche, au même moment que Wikileaks. Le New York Times a ainsi pu mener un long travail de vérification avant publication.
Vous pouvez même adresser vos questions aux reporters du New-York Times qui ont travaillé sur cette affaire.
Bavures
Les rapports révèlent que l’armée américaine a bien souvent minimisé ses dommages collatéraux, en les faisant passer pour des actes d’insurgés Afghans. Selon Rachel Reid, militante de Human Right Watch citée par le Guardian “ces fichiers mettent en lumière une tendance persistance des Etats-Unis et de l’OTAN : la dissimulation des victimes civiles”.
Les fichiers dévoilés par Wikileaks dévoilent également une réalité peu connue, celle du rôle joué par certaines unités des forces spéciales chargées – en dehors de la chaîne de commandement traditionnelle – de trouver et d’éliminer des leaders insurgés sans autre forme de procès. Ils révèlent également que ces unités spéciales ont fait des victimes dans les rangs des civils.
L’unité spéciale “Task Force 373”, dont la mission est de capturer certains chefs talibans, est au cœur de ces révélations et aurait commis de nombreuses bavures. Elle aurait par exemple confondu forces ennemies et policiers afghans, tuant sept d’entre eux. Sept enfants ont également été tués au cours d’une opération qui visait à éliminer un chef taliban.
Le double-jeu Pakistanais ?
Les fichiers dévoilés par Wikileaks mettent au jour le rôle ambigu joué par les services secrets Pakistanais. Officiellement alliés des États-Unis (qui financent à hauteur de un milliard de dollars leur lutte contre les Talibans), les documents révèlent que l’armée américaine suspecte l’agence de renseignement pakistanaise ISI d’entraîner et de financer les Talibans. Certains rapports soulignent l’influence du Pakistan dans un projet d’assassinat du président Karzai.
Cependant, certains affirment qu’une petite partie de ces informations manquent de fiabilité, provenant de sources proches des Talibans ou d’informateurs soudoyés.
L’impuissance des forces américaines
Selon les rapports, l’armée américaine est dangereusement mise à mal par les “improvised explosive devices” (les explosifs de fabrication artisanales), qui sont à l’origine de nombreux morts, tant civils que militaire.
De même, les rapports mettent au jour l’impréparation technique de certains corps de l’armée, notamment des drones américains dont les performances sont louées par l’état major américain.
Les Talibans utiliseraient également des technologies très avancées, notamment des missiles thermoguidés, élément qui n’avait pas été communiquée par l’armée américaine.
[MàJ mardi 21h50] L’information était tapie dans le recoin sombre d’un des 90 000 dossiers. Pourtant, un de ces fichiers indique qu’une division de l’armée américaine spécialisée dans la guerre psychologique a vendu à des médias Afghans des programmes diffusant des informations à l’avantage des troupes de la coalition.
La France n’est pas épargnée
Les forces Françaises ne sont pas épargnées par ces rapports, qui révèlent qu’en 2008, ces dernières ont ouvert le feu sur un bus, blessant gravement 8 enfants.
Le détail de cette opération est accessible ici.
[MAJ 30/07] Les résultats de l’enquête menée par Jean-Marc Manach nous permettent d’ores et déjà d’établir quelques faits:
Si le New York Times, le Guardian et le Spiegel ont eu accès aux 91 731 rapports que s’est procuré Wikileaks, nous n’avons pour l’instant pu effectuer de recherche que sur 76 911 de ces rapports, Wikileaks ayant retardé la publication de 15 000 autres documents afin de “réduire le préjudice” que leur publication pourrait entraîner.
En attendant leur publication, la base de données contient 541 rapport évoquant les forces françaises, dont 40 au sujet de civils tués ou blessés. Dans la majeure partie des cas, les soldats français sont appelés suite à l’explosion d’engins improvisés, et ne sont pas impliqués directement.
Mais plusieurs autres cas relèvent, sinon de bavures, tout du moins de dommages collatéraux :
Le 6 octobre 2007, un jeune de 17 ans est accidentellement blessé à la tête alors qu’un entraîneur français et un soldat de l’armée nationale afghane se retrouvent “au contact” (TIC, pour “Troops in contact“). Le rapport ne précise pas la nature de ce “contact“, se contentant d’évoquer une évacuation médicale, et concluant par un laconique NFTR (pour “Nothing further to report” rien de plus à ajouter).
Le 2 octobre 2008, des militaires français qui transportaient un général de brigade font feu sur un bus qui s’approchait trop près du convoi, blessant 8 enfants. Le rapport précise que l’armée nationale afghane était prête à aller sur zone pour les secourir, et que ce sont des civils qui ont secouru les enfants, placés dans des taxis afin d’être soignés, laissant entendre que les militaires français ne se sont pas arrêtés.
[MAJ 28/07] : l’armée française a contesté mardi 27 juillet la version des faits, faisant état d’un dérapage survenu le 2 octobre 2008 en Afghanistan, à Tangi Kala, près de Kaboul :
Selon l’armée, seuls quatre civils ont été blessés, trois adultes et un enfant, après que le minibus se fut intercalé entre deux blindés des forces françaises, passant outre les avertissements d’un militaire.
Après deux tirs en l’air des soldats français du convoi, les balles des deux tirs vers le sol ont ricoché, atteignant le minibus et causant “quatre blessés très légers, dont un enfant” d’après l’état-major. Les blessés, soignés au poste médical français de la capitale afghane, ont pu regagner leur domicile au plus tard le surlendemain, selon la même source.
Le 9 novembre 2008, 8 roquettes sont lancées contre des insurgés. Aucun n’est touché. Mais un adolescent de 16 ans est blessé par une roquette française alors qu’il se rendait à l’école.
Le 20 janvier 2009, des soldats français du 27e bataillon de chasseurs alpins, membres de la Task Force Tiger (dissoute en juillet 2009), sont informés de la présence d’insurgés à proximité. Après des tirs de sommation, un échange de coups de feu blesse un jeune garçon de 12 ans, qui reçoit une balle dans la jambe.
Le 20 juin 2009, un homme de 60 ans est blessé par une patrouille française lors d’un accident de la circulation. Le rapport ne précise pas la nature de l’accident, mais précise que l’homme, qui était aveugle et qui est mort de ses blessures, avait été conduit au quartier général par un civil, laissant entendre encore une fois que les soldats ne se seraient pas arrêtés.
[MAJ 30/07 21h40] Selon un article du Monde publié mardi 27, l’armée française conteste les données rapportées dans ce rapport, selon lequel l’armée française aurait blessé 8 civils le 2 octobre 2008 à proximité de Kaboul. Quatre civils seulement auraient été blessés selon l’état-major français, et n’auraient souffert que de blessures légères.
[MàJ 30/07] Voir aussi le billet de Jean-Dominique Merchet Afghanistan : l’armée française tue par erreur quatre jeunes garçons de 10 à 15 ans, évènement datant d’avril 2010 et non répertorié dans les WarLogs de WikiLeaks (dont les rapports s’arrêtent à décembre 2009), “accident malheureux (et) regrettable” au sujet duquel un amiral déclarait :
A notre connaissance, c’est la première fois qu’un tel événement se produit pour les militaires français
Une guerre contre la drogue ?
Rue89 explique que les données révèlent que de nombreux affrontements sont dus à la guerre contre la drogue, pas très étonnant quand on sait que l’Afghanistan est un haut lieu de la production mondiale, de pavot notamment.
La catégorie Drug Operation de la page dédiée à l’affaire de Wikileaks liste ces quelques incidents, traduits et détaillés par Rue 89.
Les réactions internationales
Dans un communiqué, la maison blanche a fermement condamné la divulgation de ces informations :
“Nous condamnons fermement la divulgation d’informations confidentielles [...] qui mettent en danger la vie des soldats américains et de leurs alliés et menacent la sécurité nationale.”
James Jones, le conseiller à la sécurité nationale a déclaré :
Ces fuites irresponsables n’interféreront pas avec notre engagement d’approfondir nos partenariats avec l’Afghanistan et le Pakistan, afin de vaincre nos ennemis communs et supporter les aspirations des peuples Afghans et Pakistanais.
Le porte parole du président Afghan a expliqué :
“Nous avons été choqués par le volume énorme des documents dévoilés. Mais le contenu par lui-même ne nous a pas surpris”
“La réaction du président Karzaï a été de dire que ce n’était pas nouveau pour nous”
Le porte-parole du ministère pakistanais des Affaires étrangères, Abdul Basit, a déclaré :
“Ces informations sont biaisées, tirées par les cheveux, et n’ont évidemment rien à voir avec la réalité”
Pourquoi et comment publier une telle information ?
Dans une note à ses lecteurs, le New-York Times explique que ses journalistes travaillent depuis près d’un mois sur les données fournies par Wikileaks, afin de “chercher des révélations et des schémas, vérifier et recouper les informations avec d’autres sources, et de préparer les articles publiés aujourd’hui“.
“Le Times et les autres médias concernés se sont mis d’accord pour ne pas divulguer quoique ce soit qui puisse mettre des vies en danger ou menacer une quelconque opération militaire ou anti-terroriste“, précise-t-on dans l’article. Cependant, “certaines informations sont d’un intérêt public crucial. C’est le cas pour ces informations“. C’est ainsi que le journal explique sa décision de publier des informations pourtant classées confidentielles.
Des sources quasiment intraçables…
Et pour cause ! C’est un journaliste de Mother Jones qui l’explique : quasiment n’importe quel soldat stationné en Afghanistan ou en Irak avait accès à ces informations via le réseau SIPRNet (Secret Internet Protocol Router Network).
Wikileaks – bien connu pour son obsession du secret – utilise par ailleurs des technologies très poussées pour garantir l’anonymat de ses sources et l’intégrité de ses données. Outre un système faisant circuler ses données en permanence afin qu’elles ne restent pas trop longtemps sur un serveur donné, l’organisation utilise Tor, un système d’”anonymisation” des données.
Julian Assange: “Si le journalisme est bon, par nature, il est controversé”
Dans cette vidéo mise en ligne par le Guardian, le fondateur de Wikileaks explique pourquoi il a mis en ligne ces informations sensibles.
“Si le journalisme est bon, par nature, il est controversé” affirme-t-il d’emblée. “Le rôle du bon journaliste est de s’attaquer aux abus des puissants”.
Wikileaks se bat pour la transparence depuis ses débuts, et c’est dans cette optique qu’on été divulgués ces “war logs”, qui dévoilent “la vraie nature de cette guerre”.
Dans la droite lignée du journalisme d’investigation, Julian Assange considère les informations divulguées comme d’utilité publique, permettant au monde entier de “comprendre ce qu’il se passe et traiter le problème”. Le principal intérêt de ces documents selon lui, c’est le “contexte général” qui fournit une chronologie détaillée de la guerre en Afghanistan sur une période allant de 2004 à 2009.
Les abus sont multiples : ”corruption de la classe politique Afghane”, “assassinats perpétrés par les forces spéciales”, “implication du Pakistan et peut-être de l’Iran”.
Quid de ceux qui dénoncent, à l’instar de la Maison Blanche, une mise en danger des troupes américaines ? Julian Assange explique que pour lui, les données susceptibles de mettre en danger les forces américaines sont des données plus récentes, non encore divulguées par l’organisation.
Assange fait évidemment le parallèle avec d’autres documents, les Pentagon Papers, ce document de 10 000 pages dévoilés dans les années 70 sur la manière dont les Américains avaient mené la guerre au Vietnam. Selon lui, les différences avec les War Logs sont significatives : “il y a plus de données, diffusées auprès d’un plus grand nombre de gens, beaucoup plus tôt après les évènements”. Et surtout “les gens peuvent faire des retours, commenter, le contextualiser et les rendre compréhensibles”.
Selon lui, la morale journalistique de l’histoire est simple
Creusez très, très profond dans les archives.
La conférence de presse de Julian Assange
Julian Assange a donné une conférence de presse à Londres, à midi (13h heure de Paris). OWNI y a assisté, more to come /-)
Un transcript est en cours de rédaction collaborative à cette adresse.
Télécharger les bases de données
Les serveurs de Wikileaks étant surchargés, vous pouvez télécharger la base de donnée complète:
Comment utiliser ces données ?
Voir notre article complet sur les vidéos de l’affaire.
Le Guardian, qui mène un formidable travail de datajournalisme sur cette affaire, a mis en ligne une vidéo expliquant comment lire et manipuler les données dévoilées par Wikileaks.
Chacun de ces 200 éléments d’importance est listé et présenté sous forme de tableau (comme ici, impliquant la France), qui liste la date, la nature, l’emplacement, les protagonistes impliqués, et le rapport qui a suivi (détail ici).
Un glossaire est par ailleurs accessible pour déchiffrer le jargon militaire de certains documents.
Une aubaine pour le journalisme
Le blogueur britannique Roy Greenslade s’oppose sur son blog (la traduction par OWNI) à ceux qui mettent en doute le bien-fondé de la divulgation des “war logs”, notamment dans les rangs du gouvernement américain ou et à ceux parmi ses confrères journalistes qui relativisent la portée des données divulguées.
Selon lui, le simple fait que des preuves et des données matérielles et irrévocables viennent corroborer ce qui était pressenti depuis longtemps – à savoir que les talibans étaient de plus en plus puissants et que l’armée américaine a commis de nombreuses bavures – est extrêmement précieux.
En effet, à l’instar de Julian Assange qui récemment déclarait que “le journalisme devait être comme une science” et que “les faits doivent être vérifiables” afin de faire regagner aux journalistes leur “crédibilité”, le journalisme de données tel qu’il est rendu possible par les récentes fuites est une aubaine pour la profession, qui a là une opportunité unique de reconstruire sa légitimité, montrer qu’elle est encore capable de faire son travail (vérifier, hiérarchiser, contextualiser…) avec des données brutes.
Car “Wikileaks, que ce soit en terme d’étique ou de pratique, est le résultat d’un nouveau paysage médiatique, qui requiert plus de transparence et de responsabilité que jamais auparavant.”
Quelques exemples de data-journalism
Le Guardian a mis en place une carte interactive et interrogeable, qui permet de consulter pour chaque élément important son contexte et sa nature (cliquer sur l’image pour y accéder).
Le quotidien anglais a également réalisé une carte lisible et très complète (interrogeable également) sur les attaques aux explosifs artisanaux. (Cliquer sur l’image pour y accéder).
Lire ailleurs
- Sur Der Spiegel
- Le magnifique travail du Guardian
- Sur le New-York Times
- Arrêt sur Image
- Rue 89
- Le Monde a publié un article très opportun sur la stratégie et les antécédents de l’organisation
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Notre application permettant de visualiser et d’annoter les données de Wikileaks :
Non-French speaker ? Be sure to check out the English version of the app !
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Cet article sera mis-à-jour tout au long de la journée, en fonction de l’évolution des informations et de notre travail de crowdsourcing.
Vous voulez contribuer à cette enquête, notamment sur les documents impliquant la France ?
Mail : nkb at owni.fr
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Crédit Photo CC Flickr : Biatcho, US Army Africa, Isafmedia.
Télécharger l’affiche de Elliot Lepers
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