Rapport Cardoso : les subventions inorganisées d’une presse sous perfusion

Le 17 septembre 2010

Au vu de la désorganisation des différents systèmes de subvention de la presse et des difficultés pour contrôler leur utilisation, le rapport Cardoso sur “la gouvernance des aides publiques à la presse” présente 15 propositions pour améliorer leur efficacité.

Le 8 septembre dernier, le consultant Aldo Cardoso a remis aux ministres du Budget et de la Culture son rapport sur “la gouvernance des aides publiques à la presse”. Long d’une centaine de pages, ce rapport présente 15 propositions, applicables sur une période de 5 ans (2012 – 2016) et destinées à améliorer le contrôle, l’utilisation et l’efficacité des aides que l’État octroie à la presse.

Le 23 janvier 2009, lors d’un discours détaillant les grandes mesures tirées des États Généraux de la presse écrite, Nicolas Sarkozy avait souligné la nécessité de “clarifier les objectifs, modifier la gouvernance et contrôler l’utilisation” de la vingtaine d’aides à la presse qui existent aujourd’hui en France. C’est dans cette optique que Christine Albanel et Eric Woerth, alors respectivement ministre de la Communication et ministre du Budget, ont commandité ce rapport en juin 2009.

Un secteur en crise

Le rapport rappelle dans un premier temps les chiffres bien connus d’un secteur économique en crise. La baisse de 12 % de la diffusion payante depuis 1995 et le fort reflux des recettes publicitaires (-17 % en 2009) ont ramené le chiffre d’affaires de la presse française à son niveau exceptionnellement bas de 1993.

Si ce constat n’est pas nouveau, c’est sans doute la première fois que des chiffres aussi détaillés sont dévoilés, à la fois sur la santé globale de la presse française, mais aussi et surtout sur le détail des différentes subventions que l’État lui accorde. OWNI avait par ailleurs pris part à cet effort de transparence il y a quelques semaines, en publiant un document inédit révélant le détail des subventions accordées par le fonds de modernisation à la presse (FDM).

Des aides publiques inefficaces

Tout aussi inquiétant que l’état économique de la presse : l’inefficacité des aides publiques. Le rapport Cardoso dresse ainsi un bien triste portrait de leurs effets sur le dynamisme de la presse.

Depuis la libération, le dispositif des aides s’est étoffé, complexifié, sédimenté et force est de constater que même s’il représente aujourd’hui environ 12 % du chiffre d’affaires du secteur économique, il n’a pas permis l’émergence ou la présence de titres de presse forts et indépendants de l’aide publique.

Le rapport avance même un chiffre éloquent : près de 80 % des aides distribuées par l’état seraient utilisées à des seules fins de fonctionnement, contre seulement 20 % pour des investissements.

L’accent est également mis sur la dépendance forte de certains types de presse aux aides publiques. Ainsi la part de ces dernières dans le budget de la presse d’information politique et générale (IPG, les journaux d’information et/ou partisans soutenus dans un soucis de “pluralisme”) est bien plus importante que pour les autres secteurs. A titre d’exemple, elles représentaient 55 % du chiffre d’affaires de France Soir en 2008 (contre 12 % en moyenne).

On peut s’attendre en toute logique à ce que cette part aille en augmentant dans les années à venir. Cette concentration a déjà été amorcée depuis plusieurs années et aujourd’hui, près d’un tiers des subventions publiques cible déjà la presse IPG.

Le rapport pointe également l’extrême complexité du système des aides publiques. Il suffit de jeter un oeil au tableau qui y figure pour comprendre : grand nombre de fonds et programmes d’aides, multiplicité des bénéficiaires et stratification des dispositifs empêchent presque mécaniquement une bonne gouvernance globale et stratégique des fonds publics.

Plus préoccupant encore, on constate dans le rapport que jusqu’ici, les pouvoirs publics n’ont eu ni stratégie globale, ni moyens de contrôle suffisants sur les aides qu’ils ont accordés1. Ainsi, un interlocuteur anonyme rencontré par Aldo Cardoso explique que, loin de subvenir aux besoins d’une ‘fonction’, en l’occurrence celle d’informer, les subventions tendent au contraire à soutenir ‘des acteurs et une industrie’”. “Défaut de pilotage global”, “expertise insuffisante”, “faible adéquation de certains projets aux besoins du secteur”, “indigence des indicateurs”, “faiblesse des moyens consacrés à l’évaluation” sont autant de reproches formulés à l’encontre de la puissance publique.

Fort de ce triste constat, le rapport propose 15 solutions réparties sur 4 grands axes afin de réformer la gouvernance de ces aides.

Une structure d’octroi et de contrôle des subventions repensée

Le rapport propose ainsi le conditionnement de l’octroi des aides à un dialogue et à une “prise d’engagements clairs et évaluables” dans le “respect des priorités” stratégiques de l’État. Il liste également une série d’outils qui pourraient être pris en compte dans la mesure et l’évaluation en amont et en aval des subventions : taux de profit, de réabonnement, le coût moyen annuel d’impression, les effectifs du journal… Ce qui ne manque pas de susciter des interrogations quant aux procédures qui ont cours actuellement.

La structure administrative de contrôle et de suivi des aides doit également être repensée. Le rapport préconise une séparation stricte entre les fonctions de pilotage stratégique et celles de contrôle de l’utilisation des fonds publics, tout en établissant un pilotage global et commun à toutes les aides. Et rappelle également qu’en vertu de la loi n°2000-321 du 12 avril 2000, les détails des subventions sont librement accessibles à qui en fait la demande (journalistes inclus). Un autre moyen de contrôle…

In fine, la structure d’octroi et de contrôle devrait ressembler à ceci, si les préconisations du rapport sont appliquées.

Priorité à l’innovation !

Une autre proposition significative est celle de la réorientation des aides vers l’innovation et “l’invention de nouveaux modèles”, c’est à dire sur des projets susceptibles de provoquer “un effet de levier”, susciter la “diversification plurimédia” et soutenir “les laboratoires et incubateurs d’innovation”. Tout ceci afin d’encourager ce qu’Aldo Cardoso considère comme “l’avenir de la presse”, à savoir “sa capacité à réinventer ses contenus”. Il faut noter par ailleurs qu’à l’heure actuelle, seuls le FDM et le SPEL ont pour mission explicite de favoriser l’innovation (accordant un financement sur projet et non pas de manière automatique).

Au niveau structurel, le rapport préconise une maîtrise des coûts plus stricte mais annonce des effets surprenants par leur ampleur, puisque d’après les calculs de l’Inspection Générale des Finances menés sur une structure de coûts classique d’un titre de presse, le taux de profit pourrait passer – si les préconisations du rapport sont mises en oeuvre – de – 2 % à + 13 % !

Création d’un fonds stratégique unique pour 2012 – 2016

Une des réformes clés appelées de ses vœux par le rapport Cardoso est la création d’un fonds stratégique de la presse, qui rassemblerait l’essentiel des aides publiques. Ce qui n’est pas sans poser problème puisque des instances globales de régulation existent déjà, comme l’ARCEP (pour l’aide postale) ou la DGMIC.

De plus, le rapport élude un peu la question de savoir comment cette nouvelle gouvernance va respecter les règles de concurrence, et surtout comment elle conciliera ce contrôle accru avec l’impératif de neutralité de l’État. Par ailleurs, il est quelque peu surprenant que l’objectif affiché du fonds de soutenir l’innovation ne soit mis en oeuvre que par la fusion de fonds prééxistants et non par la création de nouveaux fonds.

Maintenir le montant des aides directes

En raison notamment d’un fort recul des aides indirectes (distribution, crédits d’impôts…) du à la fin des accords État Presse Poste, il est extrêmement probable que le montant global des aides connaisse un net reflux, de l’ordre de 20 % d’ici à 2016, explique le rapport. Ce dernier propose de compenser cette perte en maintenant l’augmentation des aides directes initiée après les Etats Généraux, à hauteur de 900 millions d’euros sur cinq ans, qui seraient redéployés progressivement vers le fonds stratégique nouvellement créé.

Et la presse en ligne ?

Si le rapport ne préconise rien de révolutionnaire concernant la presse en ligne, plusieurs de se propositions semblent à retenir.

En premier lieu, il envisage de ramener la TVA applicable à la presse sur Internet, aujourd’hui de 19,6 %, au taux super-réduit (2,1 %) qui profite actuellement à la presse traditionnelle. Remédier à ce déséquilibre illogique – après tout, seul le support change, pas le contenu – est dans l’air depuis un bon moment déjà. Seul problème, cela nécessiterait une modification de la législation européenne… Plus largement, le rapport préconise de ne pas établir de différence de “traitement hermétiquement différent” de celui de la presse traditionnelle à quelque niveau d’intervention étatique que ce soit.

Le rapport déconseille par ailleurs d’adopter le projet un temps envisagé de mettre en place une taxe sur les fournisseurs d’accès à Internet pour résorber le déficit de la presse papier et met en évidence les difficultés de répartition qu’une telle mesure entraînerait.

Enfin, il rappelle qu’Internet n’est pas responsable de tous les maux de la presse écrite traditionnelle :

L’offre de presse en ligne n’est pas à l’origine du reflux de la diffusion de la presse écrite, qui s’inscrit dans une tendance de long terme.

À l’inverse, le rapport place au coeur des dynamiques d’innovation à encourager l’exploitation “des opportunités de mise en valeur qu’offrent les nouveaux supports de diffusion” afin qu’ils “collent à des usages en perpétuelle évolution”.

Et maintenant ?

Même si des questions subsistent, le rapport soulève plusieurs points cruciaux, notamment en incitant les pouvoirs publics à se doter d’une gouvernance globale et de véritables instruments de contrôle. Il convient également de retenir la concentration des efforts en vue de transformer des subventions de fonctionnement et aux acteurs (donc inefficaces) pour les concentrer sur un secteur et pour l’innovation.

Le ministre de la Culture Frédéric Mitterrand a annoncé le 9 septembre dernier la mise en place d’un forum qui se réunira au mois d’octobre afin de définir “les modalités de mise en œuvre progressive” des mesures préconisées par le rapport Cardoso. De là à envisager une mise en application rapide ?

La multiplication des annonces d’économie budgétaires, des priorités gouvernementales bien loin des médias, couplés au climat délétère qui règne actuellement entre la presse (trotsko-fasciste) et le pouvoir permettent malheureusement d’en douter.
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Merci à Vincent Truffy et à Albéric Lagier pour leurs précieux éclairages.

> Téléchargez le rapport Cardoso dans son intégralité
> Voir la structure actuelle des aides publiques à la presse.
> Retrouvez l’intégralité de notre dossier du jour sur les aide à la presse .
> Consultez tous nos articles sur les subventions à la presse, notamment “Subventions à la presse : l’heure des fuites ?”.

Crédits Photo CC Flickr : .zahrky

  1. Nous avions déjà pointé les carences en matière de contrôle et de suivi dans le cadre du FDM, voire notre article []

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