le #23sept en 5 [interviews] : court termisme, panique, Europe des retraites et force de la jeunesse
Chercheurs, politiques, militants d'ici et d'ailleurs... OWNI réfléchit aux enjeux profonds de cette réforme : la retraite en Europe, le régime dans 50 ans, le court-termisme politique, la solidarité...
Afin de prendre de la hauteur par rapport aux débats sur la réforme des retraites, et proposer une analyse plus profonde du contexte nous avons décidé de croiser les points de vues et d’aller chercher des avis d’experts dans toute l’Europe.
Dans les prochaines heures, ce billet sera actualisé avec entre autre une interview d’un chercheur à l’ISSA, une porte-parole de la confédération Européenne des syndicats, un député grec et un politologue suédois.
Alain Touraine : « un petit renouveau de la capacité de mobilisation politique »
Une petite lumière dans la nuit sociale. Depuis les grandes grèves de 1995, le philosophe Alain Touraine (auteur de Après la crise) avait vu monter la paralysie de l’action politique, « la fin de la capacité d’agir des deux côtés », gouvernements et syndicats. La mobilisation du 23 septembre, marquant une suite vigoureuse à celle du 7 septembre, rompt pour lui un cycle de passivité : « j’ai un sentiment très positif, confiait-il à OWNI. C’est un petit renouveau de la capacité de mobilisation politique. » Face à l’effondrement de la part des salariés dans la richesse nationale, cette reprise en main du débat par les Français sonne comme la relance du débat. Même si le penseur se garde d’utiliser de trop grands mots.
« Le fait qu’il y ait des jeunes est excellent : ils prennent conscience que leur niveau de vie va chuter et qu’ils vivront avec moins que les générations précédentes », souligne-t-il pour marquer la sortie de ce qu’il identifie comme quinze ans de passivité. Il met en garde, en revanche, contre les « tics du jugement faux », considérant l’enjeu du G8 et du G20 comme des problématiques lointaines, à même de faire retomber le mouvement. « Ce qui est indispensable et va dans le bon sens, c’est que les gens se mobilisent au plus près », insiste-t-il. À ce titre, le projet de réforme de l’assurance maladie, « une protection qui date de 1945 », lui semble à même de perpétuer ce mouvement, « car elle concerne tous les Français ». De ce renouveau de la capacité de mobilisation naîtra, selon Touraine, une plus grande implication politique et une plus grande participation à même de changer la donne et le débat en 2012.
L’interview d’Alain Touraine sera disponible dans son intégralité dans la journée dans le cadre de notre dossier sur le renouveau du militantisme.
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Patricia Grillo (porte-parole de la Confédération européenne des syndicats) : « les gouvernements ne doivent pas paniquer face aux déficits »
Pour alerter les dirigeants européens sur le risque d’une casse sociale prenant prétexte de la crise, la Confédération européenne des syndicats organise le 29 septembre une manifestation à Bruxelles. Le mot d’ordre « ne paniquez pas ! » a pour but d’empêcher l’application de mesures de rigueur contre productive, nous explique Patricia Grillo, porte parole de la CES.
En quoi consistera la manifestation qu’organise la Confédération européenne des syndicats le 29 septembre à Bruxelles ?
Il s’agit d’alerter les décideurs européens avant qu’il ne soit trop tard sur les risques de la casse sociale. Notre message c’est « ne paniquez pas » : partout en Europe, les gouvernements agissent comme s’il s’agissait de rembourser la dette demain. Plutôt que de hâter les remboursements, ils feraient mieux d’investir dans des secteurs porteurs de l’économie (nouvelles technologies, greentech, etc.). Au lieu de ça, ils démantèlent les protections sociales, ce qui est contre-productif et risque de se retourner au final contre la relance de l’économie. C’est par ailleurs un prétexte idéal pour certains qui veulent se débarrasser de protections sociales jugées nocives pour l’économie. Autant de considération qui sont infondées : après la Seconde Guerre mondiale, les États avaient une dette publique considérable, ils ont investi et pourtant, la dette a été remboursée dans les années 1950.
Quelles mesures espérez-vous de la part des autorités européennes ?
En dehors de l’Irlande et de la Grèce, les mesures d’austérité proposées par les gouvernements n’ont pas été appliquées, il est donc encore temps de faire intervenir les autorités européennes. La Commission est sensible aux déclarations du gouvernement : c’est son livre vert sur les retraites qui invitaient les États à repousser l’âge de la retraite. Notre objectif, c’est d’amener les institutions à imposer une prise en compte du critère social : il faut qu’une volonté politique au niveau européen s’exprime pour ne pas laisser des pans entiers de l’économie se précariser. Et ce n’est pas que le problème des retraites : les premiers dispositifs victimes de la rigueur sont la sécurité sociale et l’assurance chômage.
Y a-t-il des décisions récentes des institutions en faveur d’une prise en compte du critère social qui vous semble des pistes pour cette amélioration ?
Sous la présidence française, une directive a été passée sur l’instauration de comités d’entreprises européens, alors qu’elle était bloquée depuis longtemps. Cette mesure qui permettait plus de démocratie dans les grandes entreprises allait dans le bon sens. Nous voudrions que le même genre d’initiative soient prises par la Commission et adoptée par le conseil pour réallouer les investissements des Etats. Plutôt que de couper dans les comptes sociaux, il serait plus intelligent de réinvestir dans l’embauche des jeunes qui sont les premières victimes de la crise.
Florian Léger (chercheur à l’ISSA) : « en Europe, personne n’a trouvé LA solution au financement des retraites. »
Chercheur à l’ISSA (International social security association), Florian Léger a suivi l’évolution des différents systèmes de retraite en Europe. Pour lui, les questions posées en France sont les bonnes et peu de pays ont trouvé « LA solution » d’après crise au problème de solidarité vieillesse. La limite à ne pas franchir, selon lui, étant la capitalisation des pensions.
Face aux conséquences de la crise, quelles tendances avez-vous décelé dans la façon dont les États européens ont adapté leur système de retraites ?
De manière générale, la crise a accéléré la mise en place de réforme déjà prévues. Après, chacun a ses tabous selon ses choix économiques. En Allemagne, où la compétitivité des salaires est considérée comme une priorité, il a été convenu qu’on ne pouvait pas augmenter les cotisations, ils jouent donc sur l’âge de départ en retraite ou sur l’importance des pensions. En Suède, l’âge est une variable d’une souplesse totale : on peut partir à 62 ans, mais avec une retraite incomplète, ou bien travailler autant qu’on veut ensuite pour abonder sa pension. De même en Grèce qui, du fait de l’ampleur de ses problèmes de budget, se trouve à repousser la limite d’âge et à couper dans les prestations.
Y a-t-il de nouvelles options qui sont apparues pour faire face au problème du financement des retraites ?
A part jouer sur les trois leviers du montant des cotisations, de celui des pensions et de l’âge de départ, il n’y a rien de bien neuf. L’idée d’élargir la cotisation aux bénéfices du capital débattu en France, s’il est souvent utilisé pour financer la sécurité sociale, n’est pas du tout envisagée pour les retraites. Personne n’a trouvé la solution miracle et les recettes sont à peu près partout les mêmes. Parmi les mécanismes originaux, la Suède a mis en place un compte notarial avec un ajustement automatique : si jamais le système tombe en déséquilibre, les pensions baissent automatiquement. L’objectif étant d’éviter que les versements retraites varient d’une réforme à l’autre en l’arrachant des mains des politiciens. Conséquence de quoi, les pensions se sont effondrées entre 2009 et 2010. Le même système existe en Allemagne, où il est basé sur la démographie, et devrait se mettre en place en Lettonie et en Pologne. Mais un tel système ne marcherait jamais en France.
Qu’en est-il du développement des fonds de pension ?
Le système de capitalisation des pensions est très répandu en Europe de l’Est, il est également utilisé en Suède et en Allemagne mais dans des proportions négligeables : 16% sur les comptes et 2% de capitalisation en Suède, par exemple. Mais là encore, les décisions avaient été prises avant la crise et il vaut mieux éviter d’introduire ce mécanisme en France. Tant que nous n’envisageons pas l’introduction de la capitalisation dans notre système de retraite, notre débat reste sain.
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Corinne Morel Darleux (Parti de Gauche) : « pour sortir du court termisme politique, il faut sortir du clientéliste ! »
Conseillère régionale et secrétaire nationale du Parti de Gauche en chargé du combat écologique, Corinne Morel Darleux a accepté de développer pour OWNI un billet de son blog où elle envisageait les conséquences d’une grève dans les raffineries et les transports qui mettrait en lumière les parallèles entre crise écologique et crise sociale. Selon elle, la seule manière de sortir de la pensée court termiste et électoraliste d’une classe politique qui défend ses places serait l’instauration d’une Sixième République où seraient rétablis les gardes fous.
D’où vous est venue l’idée de votre billet « Mobilisation, grève et… pétrole » où vous évoquez la possibilité d’ajouter au mouvement contre la réforme des retraites une prise de conscience écologique ?
Depuis que je milite, je milite pour un rapprochement entre les questions écologiques et sociales : il s’agit d’un seul et même combat. En Equateur, le gouvernement Correa a proposé de ne pas exploiter des ressources pétrolières dans la réserve naturelle de Yasuni mais a demandé en échange à la communauté internationale de le dédommager à hauteur de 50% des bénéfices que ces gisements auraient pu engendrer. La problématique des ressources naturelles, c’est aussi une problématique de répartition : une ressource qui s’épuise, ça veut dire que, à terme « il n’y en aura pas pour tout le monde ». Aujourd’hui, ce sont les grandes entreprises qui profitent du pétrole mais les bénéfices qu’elles génèrent sont reversées, dans une part croissante, à leurs actionnaires. Une mauvaise gestion est ressources naturelles renforce toujours les inégalités.
Le PS critique le fait que la réforme des retraites n’est pas « soutenable » à terme. Même chose pour les ressources naturelles, qui sont gérées sans prospective pour sortir de la dépendance au pétrole. D’où provient selon-vous ce manque de vision ?
La classe politique actuellement en place cherche avant tout à protéger ses intérêts : elle s’accroche à ses sièges, à ses cumuls… Ce type d’attitude favorise le court termisme (les enjeux étant dictés par les échéances électorales) et la défense des intérêts particuliers, qui sont deux aspects saillants de la Vè République. Pour sortir de cette incapacité à concevoir sur le long terme, il faudrait une constituante pour fonder une Sixième République qui iraient contre les logiques clientélistes.
Par ailleurs, les collusions extrêmes entre les intérêts économiques et le gouvernement Sarkozy ont fait disparaître des gardes-fou importants. Il faudrait exiger qu’aucun groupe dépendant des commandes publiques ne soit actionnaire majoritaire d’un média, cela éviterait une complaisance qui encourage ces tendances court termistes. Mais la période a ceci d’intéressant qu’elle rend visible un certain système que les Français réprouvent profondément, ce qui leur donne l’occasion de le faire savoir.
Quand parlez de grève reconductible dans les raffineries ou les transports, vous pensez que de tels mouvements pourraient émerger et avoir le poids que vous espérez ?
Je n’ai pas inventé cette idée de grève dans les transports et les raffineries : des préavis sectoriels reconductibles ont bel et bien été déposés. Il faut être responsable : certaines conséquences de la paralysie de ces secteurs ne sont pas souhaitables. Mais elles montreraient clairement les limites de notre économie : en bloquant deux secteurs, le pays serait à l’arrêt. Même si les structures salariales ont changé, nous sommes considérablement dépendants. Tout ça car ont feint d’ignorer des options efficaces : les relocalisations, les circuits courts ou la nationalisation des transports.
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Afin de prendre de la hauteur dans les débats sur la réforme des retraites, nous avons décidé de croiser les points de vues et d’aller chercher des avis d’experts dans toute l’Europe.
Dans les prochaines heures, ce billet sera actualisé avec entre autre une interview d’un chercheur à l’ISSA, une porte-parole de la confédération Européenne des syndicats, un député grec et un politologue suédois.
Crédit Photo CC Flickr : Ward.
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