Jeux vidéo thérapeutiques: “pour l’instant, il faut y croire”

Le 9 décembre 2010

Depuis quelques années, des spécialistes développent des jeux vidéo "thérapeutiques" capables de traiter certaines maladies motrices et neurologiques. Pourtant, même si la perspective est prometteuse, le chemin vers la reconnaissance est encore long.

En 2009, l’appel à projets de Nathalie Kosciusko-Morizet a attiré l’attention sur les serious games. Depuis, l’enthousiasme est retombé. Des produits pas toujours convaincants, rarement innovants, peu de vraies réussites. Beaucoup de bruit pour rien ?

Certains des projets retenus en 2009 sont encore loin d’être achevés, particulièrement dans le domaine de la santé. Plusieurs équipes travaillent aujourd’hui à la conception de “therapeutics games”, des jeux qui permettront de soigner certaines pathologies ou du moins d’accompagner les soins. Ces projets s’étalent sur plusieurs années et ne donneront pas de résultats concrets avant fin 2011. Ils ont des objectifs ambitieux, devront prouver leur efficacité pour espérer s’intégrer dans le système de santé. En attendant, ceux qui les portent ont vu l’attention médiatique se réduire.

« Le marché du serious game a été pris d’assaut par les boîtes de com et le e-learning. C’est ce qui est visible aujourd’hui. »

Catherine Rolland place son travail sur un autre niveau. Chef de projet pour Tekneo, elle participe au programme collaboratif SG COGR.1 Le jeu qu’elle développe a pour objectif d’entraîner le cerveau des malades d’Alzheimer, à exercer l’attention pour ralentir la progression de la maladie. La solution retenue : faire jouer les personnes âgées à un FPS . Il a été prouvé que ces jeux de tirs améliorent certaines capacités du cerveau comme l’attention et la rapidité de réaction.

Cadre médical, public âgé, il était nécessaire de sortir du cadre violent des FPS . Le jeu sera donc un safari photo dans un village de Provence. Le gameplay sera simplifié, les joueurs ne gèreront pas les déplacements du personnage. Ce jeu a déjà un nom : « Le village aux oiseaux ».

D’autres projets de therapeutic games sont en cours. Laurent Michaud, de l’Idate , fait lui partie de l’équipe2 . du projet Mojos. Autre ambition : développer un moteur de jeu, open source et spécialement conçu pour les applications thérapeutiques. « Un maillon de la chaîne de valeur qui n’existe pas aujourd’hui ». Pour prouver l’efficacité de ce moteur, une application est en cours de finalisation. Ce jeu aura pour but d’accompagner la rééducation de patients ayant subi un AVC. L’hémiplégie pourrait également profiter des effets bénéfiques des jeux vidéo sur la plasticité cérébrale.

De longues phases de test en perspective

Ces deux projets comptent faire reconnaître le jeu vidéo comme élément d’un processus de soin. Ils vont donc devoir prouver leur pertinence médicale. Mojos a obtenu le financement d’un programme hospitalier de recherche clinique (PHRC), qui sera organisé dans les CHU de Montpellier et Nîmes. La procédure sera double : en parallèles des essais cliniques classiques (deux groupes en rééducation, l’un d’entre eux utilisant un serious game), l’imagerie cérébrale sera utilisée pour mesurer l’évolution cognitive des patients. Les tests débuteront en avril 2011, les premiers résultats arriveront en fin d’année.

L’équipe de SG COGR définit actuellement sa procédure de validation avec l’Afssaps. Le lancement des tests est également prévu pour mi-2011. Ces essais cliniques sont longs, incertains, et nécessitent des financements importants. Pour ces deux projets, l’aide de l’Etat a été décisive. Selon Catherine Laffont, « l’appel à projets de NKM a apporté un souffle, et a permis de payer ces tests ».  Un protocole de validation adapté au jeux vidéo reste à définir : il semble impossible (et inutile) que les concepteurs de jeu se lancent dans des essais cliniques semblables à ceux utilisés pour les médicaments. Ces phases de tests peuvent durer jusqu’à dix ans, plus que la durée de vie d’un jeu vidéo.

« Les serious games ont intérêt à disposer d’une législation propre, adaptée aux contraintes des nouvelles technologies. »

Laurent Michaud espère voir naître des règles de validation spécifiques. Cela permettrait  d’avancer vers l’étape suivante : la reconnaissance des bénéfices thérapeutiques et le remboursement de certains jeux par la sécurité sociale.

Des jeux vidéo encore “loin” d’être remboursés par la sécu

Pour les therapeutic games, deux modèles économiques principaux sont envisagés :

  • La vente de licences. Avec des jeux destinés aux institutions médicales. Analogie avec le marché du logiciel.
  • Le remboursement par la sécurité sociale. Le jeu se trouverait alors chez le patient. Analogie avec le marché du médicament.

La deuxième option, Laurent Michaud l’annonce clairement : « on en est loin ». Après la validation médicale, il faudra démontrer l’intérêt économique des therapeutic games.

« Si on arrive à prouver qu’on peut générer des économies pour le système de santé, on aura fait l’essentiel. »

Le contexte de réduction des dépenses de santé semble favorable à ce genre d’initiatives. Les deux pathologies abordées par ces projets sont fréquentes, et représentent des coûts importants pour la sécurité sociale. SG-COGR a pour finalité de permettre aux malades d’ Alzheimer de rester plus longtemps à leur domicile. Moins cher et plus confortable qu’une hospitalisation de longue durée. Après un AVC, la rééducation des hémiplégiques se pratique avec du matériel coûteux, des robots par exemple. En comparaison, un système de jeu est un investissement dérisoire.

Cette réflexion sur le modèle économique conditionne les fonctionnalités des futurs jeux. L’installation de ces systèmes au domicile du patient permettrait des applications inspirées de la télé-médecine.

« Le profil du patient pourra être suivi, il y aura un système d’alerte, qui recommandera de consulter en cas de baisse des performances. Et le patient pourra venir chez son médecin avec sa clé USB pour analyser ses résultats. »

Catherine Rolland espère que « le village aux oiseaux » sera accessible via une télévision connectée. Cela permettrait de l’insérer naturellement dans le quotidien des patients. Pour mettre à profit un des points forts des jeux vidéo: l’engagement dans la pratique. 80% des personnes qui suivent une rééducation ne font pas les exercices qu’ils sont censés pratiquer chez eux. C’est un des espoirs permis par les serious games: que l’aspect ludique entraîne une pratique plus régulière. En termes techniques, une garantie d’observance.

Pour Julian Alvarez, chercheur en InfoCom spécialisé sur les serious games, « nous sommes encore dans une phase d’évangélisation ». Les preuves n’existent pas encore, les concepts sont séduisants mais leur avenir dépend des essais cliniques qui auront lieu en 2011. Catherine Rolland l’avoue également: « pour l’instant, il faut y croire ». Des problèmes restent à résoudre: un patient qui fait sa rééducation tout seul chez lui risque-t-il de se blesser ?  Une addiction au jeu vidéo peut-elle se développer chez certains malades? Et toujours la question principale: l’effet sur la santé est-il réel ? Malgré les préjugés toujours présents (un jeu vidéo sérieux ? vraiment ?),  tous ces porteurs de projets restent persuadés de participer à une évolution majeure. Pour Laurent Michaud, « les preuves n’attendent que les bons jeux, ce n’est qu’une question de temps ». Un enthousiasme de pionnier.

__

Retrouvez tous nos articles traitant des rapports entre médecine et Internet.

Crédits Photo CC Flickr : Miss Pupik, Patrick Q & X-Ray Delta One .

  1. Le projet SG COGR mobilise sept partenaires : Tekneo, Cnam, Inserm, Seaside agency, Spirops et Neofactory. []
  2. Le projet Mojos regroupe cinq partenaires: Idate, DIDACT Systèmes, LIRMM et les Universités Montpellier 1 et CHU []

Laisser un commentaire

Derniers articles publiés