Le regard Möderne de Bazooka

Le 3 février 2011

Retour sur le collectif graphiste punk Bazooka, hacker de la Une de Libé pendant plusieurs semaines et créateur d'un univers keupon sans Mac, sans palette graphique ni Internet.

Jeunes gens de l’ère Numerik, saviez-vous qu’il y a plus de trente ans d’autres jeunes gens portaient un Regard résolument Möderne sur le monde ? Sans Mac, sans palette graphique ni Internet, à la colle et au ciseau, à la sérigraphie et à la ronéo, ils inventèrent un graphisme délibérément CyberPunk et Növo.

Prenant d’assaut le “Libération” baba cool des Seventie’s, le collectif Bazooka emmené par Kiki Picasso s’empara de la Une du journal pendant plusieurs semaines, multipliant les provocations Punk et Dada…

Anarchy in Libé, croix gammées et épingles dans le nez, esthétique fleurant bon la Propaganda des années 30 et le surréalisme socialiste, art de rue façon émeute white riot…Profondément marqué par le pop-art de Warhol et Roy Lichtenstein, et surtout par l’esthétique de la furia Punk déferlant d’outre-Manche, ces jeunes gens mödernes d’hier ont inspiré à leur tour toute une génération d’artistes underground des années 80 (MissTic notamment) jusqu’à aujourd’hui.

J’en parle, car leur univers visuel m’a profondément marqué ado, à la Une de “Libé” ou de “L’Echo des Savanes”, sur les affiches de concert et au Forum des Halles où trainaient toute la faune keupon du tournant des années 80. J’en parle aussi parce que d’une certaine manière, je retrouve un peu de l’esprit Bazooka chez mes jeunes amis d’Owni, où Vendredi c’est toujours Graphisme.

J’en parle enfin parce le travail de Kiki, Loulou et les autres est en vedette à la Villa Medicis de Rome dans le cadre de l’exposition “Europunk” (La culture visuelle en Europe 1976-1980). “Libé”, évidemment, y consacre un article avec ce diaporama en prime. Quelque 550 objets ont été rassemblés auprès de collectionneurs privés ou musées. Certains sont célèbres, tel le fameux portrait de la reine d’Angleterre les yeux barrés de la mention «God Save The Queen» créé par Jamie Reid pour les Sex Pistols. D’autres sont plus underground comme ces dessins, collages, fanzines et affiche de concerts réalisés par Bazooka.

“Dictature graphique”

Une de "Libé" sur la RAF (1977)

Pour autant, les graphistes destroy de Bazooka n’ont jamais vendu leur âme au veau d’or de l’Art Business. Christian Chapiron (Kiki Picasso), Jean-Louis Dupré (Loulou Picasso), Olivia Clavel (Electric Clito), Lulu Larsen, Jean Rouzeau et les autres sont tous sortis des fameux ateliers graphiques des Beaux Arts au mitan des années 70…ceux là mêmes où leurs aînés soixante-huitards avaient révolutionné une première fois l’art graphique avec leurs affiches du joli mois de mai. Après s’être fait les dents sur le fameux magazine “Actuel” de Jean-François Bizot, ils lancent dès 1975 leur Bazooka Production qui donnera naissance à une foule de fanzines bien barrés: “Bien dégagé autour des oreilles”, “Activité sexuelle normale” etc…

En 1977, c’est l’explosion Punk et nos jeunes gens mödernes deviennent carrément tendance: “Charlie”, “L’Echo des Savanes”, “Metal Hurlant”, “Hara Kiri”…tout la presse chevelue se les arrache pour se donner un coup de jeune: collages, sérigraphies, imagerie nazie ou soviétique détournées…tout est bon pour semer le chaos. Kiki Picasso parle de “dictature graphique” ! Concept poussé jusqu’au bout lorsque Serge July, toujours à l’affut des nouvelles tendances à la bonne ou mauvaise idée (c’est selon) de les contacter pour illustrer “Libé”. Choc des cultures entre ex-Maos et punks anarchisants bien décidés à foutre la merde chez les journaleux gauchos. Il en sortira quelques Une mémorables et surtout “Un Regard moderne”, un mensuel résolument novateur à tout point de vue, “Növo” comme on disait à l’époque, qui durera six mois…Las de leurs provocations, “Libération” finira par expulser les squatteurs graphiques.

La légende est née. Mais à la fin des années 70, le groupe éclate et les membres de Bazooka poursuivent chacun leur aventure individuelle, tombant un peu dans l’oubli au cours des sinistres années 80 marquées par la vulgarité clinquante de la Pub TV et des années fric. Mais en 2002, Loulou Picasso a relancé “Un Regard moderne” sur Internet et a ressuscité à sa manière le vieux collectif en l’ouvrant à Kiki Picasso et Olivia Clavel. De son coté Jean Rouzaud, qui fut exclut de Bazooka pour “conformisme”, travaille aujourd’hui à Radio Nova… On en est là.

Provocation-récupération, digestion par la société de consommation, consécration sous les ors de la République à la Villa Medicis…la boucle No Future est bouclée.

Cela mérite bien une bande-son made in 1977: “Anarchy in UK” des Sex Pistols:

Et voici ce que cela donne version punk “made in France”.
“Hysterie Connective” de Metal Urbain (1978), un titre que l’on trouve précisément sur la compilation “Des Jeunes Gens Modernes” parue en 2008. Cela une bonne idée de l’ambiance musicale dans laquelle travaillaient les gens de Bazooka:

Et pour conclure, voilà bien entendu une petite rétrospective en images du travail de Bazooka:

…et en bonus, cette rare apparition télé du collectif Bazooka (retrouvée par feu l’excellente émission “L’Oeil du Cyclone sur Canal +) où l’on voit Jean Rouzaud se défendre de faire de la bande dessinée (“en BD il y a des règles, pour nous il s’agit de ne surtout pas les respecter”), Lulu Larsen assurer “attendre la prochaine catastrophe aérienne pour en faire un dessin” ou encore Loulou Picasso expliquer “dessiner des images comme on en chante dans le rock”. Action !

Sinon Kiki et Loulou Picasso ont toujours un blog où l’on peut voir leur travail passé et récent. Allez y faire un tour…35 ans après les débuts de Bazooka, ils sont toujours résolument Mödernes !

>> Article publié initialement Sur mon écran radar

Voir aussi l’entretien entre de Loulou Picasso et L.L. de Mars à propos de Bazooka

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